#9 03 Août 2016 12:51:00
J'ai lu En finir avec Eddy Bellegueule il y a deux ans, et je dois dire qu’Édouard Louis me met très mal à l'aise. Non pas que je n'ai pas aimé, au contraire, il est très - trop - habile. Il a une manière de jouer insidieusement avec l'autofiction qui vraiment est malsaine. Alors que son "roman" (il n'est pas écrit "autobiographie" ou "témoignage") est pétri d'une dimension sociologique (on sent bien l'influence de Bourdieu sur lequel il a beaucoup travaillé à l'ENS) qui semble dépeindre une cruelle réalité, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il nous manipule bonnement et simplement ; qu'il n'a pas vécu tout ce qu'il dit avoir vécu, que sa famille n'est pas si atroce qu'il le prétend, et pareil pour ce qu'il nomme leur "milieu". J'ai l'impression qu’Édouard Louis se joue de nous par une perversité très littéraire. Son but ? Pousser à fond les curseurs de l'autofiction, de sorte que l'on ne soit absolument pas capable de démêler le vrai du faux, le réel de l'inventé ; quitte à ce que la fiction démolisse le réelle et y appose la marque de sa victoire triomphante. Il y a là-dedans de la vengeance à mon avis, une manière d'infliger littérairement au centuple l'humiliation qui a été la sienne. Ou plutôt l'humiliation que le lecteur espère avec ses gros clichés sociologiques de l'homosexuel intello et efféminé, et de la famille picarde complètement rustre (oui oui, ces mêmes clichés qu’Édouard Louis nous sert avec une posture sociologique : quelle ironie !) J'avais été assez perturbé par le scandale qui a eu lieu à la sortie du livre, la famille d’Édouard Louis ne comprenant pas du tout ses accusations et en étant même sidérées. Alors que nous sommes, en bons lecteurs-voyeurs, friands d'histoires poignantes et d'occasions d'être outrés de la violence et de la méchanceté humaine, Édouard Louis usurpe la parole qu'il prétend incarner. Il se crée un personnage en quelque sorte, sans que personne ne semble en soulever le problème... En fait - et c'est sur ce point qu'il est quand même génial -, il fait ressurgir avec le genre assez contemporain qu'est l'autofiction, une question fondamentale en littérature : le lien entre morale et fiction. Peut-on tout dire sous couvert de fiction ? Et encore plus d'autofiction ? Car tout le vice est là : ainsi il devient très vite possible de dire impunément "Ce roman raconte ma vie, mais attention, c'est de la fiction !"
Je n'ai pas lu Histoire de la violence, mais à mon avis ça va être du même acabit...