Facéties ombresques

 
    • cnslancelot

      Espoir de la lecture

      Hors ligne

      #1 23 Août 2019 10:03:32

      Elles détestaient le jour, préférant la nuit. Pourquoi ? Vous demanderiez-vous. Et bien tout simplement parce que le soleil révélait leur existence et elles étaient enchaînées aux hommes, à une maison, l’arbre du jardin, tout cela sans jamais pouvoir rien faire, complètement soumises elles étaient sous la chaleur ardente et l’œil réprobateur de l’astre de feu. La nuit c’était tout autre chose ; elles étaient libres d’agir comme bon leur semblait. Sous le regard amusé de la lune, elles jouaient, virevoltaient, gambadaient. Elles étaient d’humeur taquine et lorsqu’elles le pouvaient, elles s’amusaient des pauvres passants perdus. Un soir, alors qu’il rentrait chez lui en prenant les chemins boisés, un jeune garçon que nous appellerons ici Louis fit les frais de leurs facéties. Au fur et à mesure qu’il s’était engouffré dans les bois, quelque chose avait commencé petit à petit à l’angoisser. Tout d’abord ce fut cette complainte qui aurait pu venir du vent, si seulement il y avait eu du vent. Puis il eut l’impression que les arbres eux-mêmes bougeaient, essayaient de l’atteindre de leurs branches crochues. Il lui avait aussi semblé à plusieurs reprises, sous la lueur blafarde de la pleine lune, apercevoir cette chose passait très vite devant lui. Enfin, il y avait eu ces murmures ; comme si toute la forêt entière avait été vivante. Notre Louis avait machinalement accéléré le pas et entendait maintenant d’horribles rires sinistres résonnant à ses fragiles oreilles de jeune adolescent. Il fut plaqué au sol par une force titanesque et était tiré en arrière. Il jeta un coup d’œil à ce qui l’avait saisi ; c’était les racines d’un vieil arbre mort. Louis se débattit comme un diable, poussa un cri strident et l’arbre lâcha prise. Le jeune garçon se releva et couru à toutes jambes sans se retourner. Il rentra chez lui en sueur et alla vite fait dans sa chambre, sans même prendre la peine de dire bonsoir à sa mère.
      Dans la clairière, les ombres étaient en train de festoyer. Elles s’amusaient de leur farce et de la peur qu’elles avaient dû flanquer à ce pauvre petit. Elles n’avaient aucune pitié, ni même aucun remord. Puis, ce soleil rabat-joie pointa le bout de ses rayons. Les ombres n’aimaient pas la lumière ardente du soleil ; la lueur douce et apaisante de la lune était bien meilleure. Elles étaient obligées, sans pouvoir dire mot, de se soumettre, immobile, à sa chaleur étouffante. Pour cela, elles éprouvaient une certaine aversion pour ce dernier. Les plus chanceuses d’entre elles étaient celles qui avaient eu le privilège de se retrouver lié à un arbre, une montagne, par exemple. Cela parce qu’elles pouvaient se reposer sans crainte d’être bringuebaler dans tous les sens sans pouvoir décider de leur destination. Elles haïssaient d’autant plus le soleil que c’était elles qui avaient pendant des siècles dominé l’univers. Puis, du jour au lendemain, il en avait été décidé autrement. Elles seraient liées à tout jamais aux êtres méprisables qui ne respectaient même plus la nature qui les avait vus naître. Que se fussent les hommes ou toute autre créature dans ce vaste cosmos. Elles jalousaient aussi leurs sœurs qui peuplaient les zones inhabitées. Pour cela, elles avaient décidé de soulager leur peine au travers des farces et autres drôleries.
      Sept heures du soir, Le jeune Louis avait eu le temps de se remettre de ses émotions de la veille. Il revenait encore une fois de l’école. Puis encore une fois, il se retrouva à l’orée des bois. Il hésita, regarda, chercha pour un autre chemin. Il y avait bien cette autre route mais elle lui ferait faire un sacré détour. Il soupira un bon coup et entra le cœur serré. Il marchait d’un pas sûr et lent, alerte à tout ce qui l’entourait. Soudain les murmures sylvestres se firent entendre et il entendit même cette fois-ci comme le grincement d’une chaîne. Il pressa le pas, espérant voir la lueur d’une échappatoire. La forêt lui semblait interminable et il avait la désagréable impression qu’elle se rallongeait à chacun de ses pas. Il faisait de l’orage aussi. Et ça Louis n’aimait pas.
      Soudain, le cliquetis des chaînes se firent de plus en plus intense. Louis regarda autour de lui, cherchant la provenance du bruit quand un grand crac se fit entendre juste devant lui. Là, un éclair frappa le sol et lui révéla une forme sinistre. La chose poussa un cri rauque et faisant tinter ses chaînes, se rua vers lui. Louis recula et tomba à la renverse quand la chose lui traversa le corps à toute allure. Il s’empressa de se relever, jeta un rapide regard autour de lui, effaré. La plainte de la forêt se fit de plus en plus forte. C’était comme d’horribles cris de douleur. Il avait l’impression que le bruit se refermait sur lui. Il se sentait pris au piège et tenta de s’en extirper. Il courut droit devant lui, les branches des arbres tentant de le saisir. Du moins en avait-il l’impression. Il arriva, après quelques minutes de course effrénée, sur la grande route. Il se dépêcha de la remonter jusque chez lui, marchant toujours à vive allure. Arrivé sur le pallier, il ouvrit doucement la porte sans faire de bruit et se faufila jusque la salle de bain. Il se passa de l’eau sur le visage. Sa mère avait dû entendre l’eau du robinet car du bas des escaliers, elle demanda :
      « Louis ? C’est toi ?
      — Oui, maman ! répondit-il.
      — Tu vas bien ?
      — Oui, oui... tout va bien. J’ai juste besoin de me rafraîchir. Trop couru à cause de l’orage.
      — Ok, dit la maman. Descends après, le repas est prêt.
      — Oui, maman !
      Louis descendit dans le salon, dit timidement bonsoir à sa mère et s’assit en face d’elle. Ils mangèrent en silence.
      Et de leur côté, les ombres continuaient de s’amuser.
      Et vous ? Vous est-il déjà arrivé ce genre de mésaventure ? Je veux dire vous promener seul dans les bois et avoir la désagréable sensation d’un poids lourd sur vos frêles épaules. Avez-vous déjà eu ce sentiment lugubre d’être suivi, épié ? Comme si vous n’étiez pas seul ? Ne vous êtes-vous jamais demandé que cela aurait très bien pu être le cas ? Et si vous êtes sceptique, votre scepticisme peut-il entièrement vous satisfaire ? Ou bien doutez-vous là encore ? Comment être sûr de ce que l’on ne peut voir ? C’est plainte que Louis avait entendu et cette impression de ne pas être seul dans cette immense forêt ; son imagination débordante d’adolescent ? Ou bien vous aussi aviez-vous déjà eu cette même impression ? Cette crainte qui vous suit jusque chez vous. La peur d’un regard indiscret le temps du retour. Simple paranoïa ou là aussi les ombres se sont-elles jouées de vous ? Personne ne peut affirmer ni confirmer la chose et pourtant j’ose à croire ce pauvre garçon. Le vent ? Non. Cela n’expliquerait pas tout. La peur de l’orage ? Non plus. Car rappelez-vous, la première soirée il faisait beau.
      Bon, je ne vais pas tenter de vous angoisser plus longtemps et je reviens à mes ombres. Elles s’amusaient de leur nouvelle plaisanterie et pensaient avoir trouvé leur proie. Elles continuèrent leurs facéties douteuses pendant un certain temps. Puis sans prévenir, sans crier gare, Louis et sa mère avait dû quitter la ville car la paranoïa qu’avait développée ce pauvre enfant s’était accrue. Ils avaient dû se rapprocher le plus près possible d’un centre psychiatrique pour soulager les angoisses. Les ombres en avaient été déçues. Toutefois, elle ne pouvait lui en vouloir et avait réalisé que peut-être elles avaient été trop loin. Aussi l’une d’elle décida de lui rendre une petite visite de courtoisie. Elle pénétra sa chambre un soir. Louis fut d’abord alerté et tenta de hurler mais l’ombre l’en dissuada. Puis là, ce fut le choc. A la lueur de sa lampe de chevet, il l’a reconnu. C’était celle qui l’avait effrayé la deuxième nuit. Là où ses cauchemars avaient commencé. Pour le rassurer, elle fouilla dans les souvenirs du jeune garçon et prit la forme d’une personne de confiance. Quand il la vit, il la reconnut. Il sourit alors à celle qui fut jadis et qui d’ailleurs le resterait, sa grand-mère.