[Suivi Lecture] Zorba

 
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    #21 03 Décembre 2019 22:46:24

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    Le processus de délitement de l'Empire byzantin n'est pas arrivé brutalement avec la montée en puissance des Ottomans. Il est la conséquence d'une lente agonie à travers les siècles. Néanmoins, il est surprenant que cet Empire lui ait survécu 1000 ans ! L'Empire Romain d'Orient assure alors un lien continu entre le monde antique et le monde médiéval. Cependant, il diffère du monde romain, puisque cet espace, avec pour centre névralgique Constantinople, reste profondément grec et chrétien. Le monde byzantin résiste tant bien que mal aux invasions arabes, bulgares et turques, mais c'est la quatrième croisade, en 1204, avec le sac de Constantinople (n'en déplaise à Zemmour !), dirigé par le Doge de Venise Dandolo (d'un âge canonique de 95 ans) qui renverse l'Empereur. L'Empire connait une renaissance éphémère sous la dynastie des Paléologues et se trouve mangé petit à petit par la tribut ottomane installée sur les plaines d'Anatolie.
    L'Ouvrage de Jacques Heers rend bien compte de cette lente agonie qui conduit à la prise de Constantinople par Mehmet II, en 1453. Il est vrai que cet événement est un véritable choc pour toute la chrétienté, toutefois, ce constat est à mesurer, bien qu'après ces fameux trois jours de pillage de la Sainte ville où "les hommes ont été massacré comme du bétail, les femmes abusées les vierges enlevées, et les enfants arrachés des bras de leurs parents" (cf Bessarion), Mehmet II se pose en continuateur de l'Empire, on le constate car la ville reste avec une importante minorité chrétienne jusqu'au XXe siècle. De plus, le patriarche orthodoxe Georges Scholarios continue d'exercer à Constantinople (il n'en est pas moins soumis au sultan).

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    #22 11 Décembre 2019 23:44:51

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    Je  souhaiterais tout d'abord remercier les grèves qui m'ont permis de terminer ce pavé, parce qu'il faut s'accrocher pour aboutir à la fin de la biographie de ce  sacré Sabbataï Tsevi. Le livre de Gershom Scholem n'en reste pas moins une véritable enquête — ce que devrait être tout bon livre d'histoire — avec des mises en parallèle de différentes sources, d'autant plus que nous parlons d'un personnage quasi-mythique.
    Pour la faire courte, Sabbataï tsevi est l'un des personnage les plus énigmatique de l'histoire juive; aidé de son prophète Nathan de Gaza, il réussit à convaincre presque toute la diaspora juive (du Yemen à la Pologne) qu'il était le messie annonçant la fin des temps. Bien-sûr, cette propagande apocalyptique se révéla être un échec, puisque les autorités turques le contraignirent à apostasier. Néanmoins, il émane une sorte de fascination face à ce dogme qui mélange intelligemment  des idées apocalyptiques populaires avec de la cabale messianique. Je trouve cependant qu'une simple biographie reste limitée pour l'histoire d'un mouvement religieux, puisque le sabbatéisme n'a pas disparu avec la mort de son messie. Et étrangement, si vous voulez vous intéresser au dogme sabbatéen, je vous conseille le livre de Gershom Scholem Les grands courants de la mystique juive qui englobe le phénomène dans une construction  plus logique et systématique.

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    #23 12 Décembre 2019 12:26:17

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    Amir Engel avec sa biographie intellectuelle de Gershom Scholem nous offre une vue parallèle des écrits et de la vie de l'historien israélien. Il discerne une ambivalence dans la pensée politique de Gershom, puisqu'il fut un ardant prédicateur du sionisme  pendant sa jeunesse, en Allemagne. Cependant, après son émigration en Palestine, en 1923, et surtout les émeutes de 1929 de Jérusalem, il se distance de la politique sioniste. Il adopte un comportement beaucoup plus critique et moins enjoué de l'évolution sioniste qui est à ses yeux un échec complet.   J'ai trouvé particulièrement passionnante l'étude de la correspondance entre Hannah Arendt et Gershom Sholem : deux scientifiques aux origines similaires, mais aux parcours opposés. En outre, ces échanges épistolaires sont parus aux édition Seuil; j'essaierais de lire ces correspondances dans un futur proche.

    Dernière modification par Zorba (12 Décembre 2019 12:28:15)

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    #24 13 Décembre 2019 19:16:01

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    Mes connaissances en théologie restent limitées pour appréhender cet ouvrage dans son entièreté, mais je voulais en savoir plus sur Serge Boulgakov  (à ne pas confondre avec Mikhaïl Boulgakov, l'écrivain de Maitre et Marguerite !) qui fut l'un des plus grands théologiens de l'émigration russe à Paris, pendant l'entre-deux-guerres. Son réformisme religieux prend ses racines à travers la renaissance théologique que connaît la Russie dès la fin du XIXe siècle. Cette période d'intenses innovation au sein du dogme orthodoxe est brutalement interrompue par la révolution bolchevique qui interdit tout institut théologique sur son sol. Boulgakov, profondément atteint  par la révolution, flirt avec le catholicisme et ne revient à la foi orthodoxe qu'avec la fin de la guerre civile, en 1921. Il est appelé par le métropolite Euloge, en 1925, afin de devenir professeur de théologie dans l'institut Saint-Serge à Paris. C'est à partir de ce centre culturel qu'il développe ses principaux thèmes majeurs dont sa mariologie. Marie Théotokos (qui donne naissance à dieu) est presque incorporée à la trinité (par son importance, d'ailleurs, l'autorité orthodoxe russe, soumise au pouvoir bolchevique, condamnera Boulgakov d'hérétique). Pour lui, elle est l'incarnation de la Sagesse (sophia et non ousia). Et cette réhabilitation de l'importance de Marie inspire le mouvement orthodoxe féministe, bien-sûr, ces théories ne cherchent pas à déconstruire le genre, mais redonnent de la valeur au genre féminin, par rapport au dogme patriarcal traditionnel, rappelant que les deux genres sont intrinsèquement complémentaires.
    Le livre de Walter Nunzio Sisto reste un livre de niche qui n'est pas dénué d'intérêt, on remarque alors que le problème actuel du genre ne naît pas avec la pensée "athée" mais qu'il peut être aussi liée à une étude théologique de l'essence de Marie.

    Dernière modification par Zorba (16 Décembre 2019 16:53:21)

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    #25 14 Décembre 2019 10:06:28

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    Un sympathique recueil d'anecdotes, Alphonse Allais a l'art du mot juste, presque précieux, et qui produit un humour fin apposé sur des scènes toutes grotesques et absurdes. Derrière cet humour pince sans-rire on voit déjà du Desproges ou du Guitry :

    "Tranquillement, sans phrases, sans correspondance posthume, sans attitude de mélodrame, il résolut de mourir. Non pas pour se tuer, mais très simplement pour cesser de vivre, parce que vivre sans jouir lui semblait d'une inutilité flagrante." ou encore son commentaire sur les canons :  "Faut-il que les hommes  soient bêtes de fabriquer des machines comme ça, pour se tuer... comme si on ne claquait pas assez vite tout seul ! ".

    Bien sûr, ça ne révolutionne pas la prose, mais j'ai ressenti une certaine tendresse à l'égard de ces récits...

    Dernière modification par Zorba (14 Décembre 2019 10:20:11)

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    #26 16 Décembre 2019 22:33:56

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    Cela faisait longtemps que le nom de Pierre Grimal me trottait dans la tête, mais je n'avais lu que sa traduction du Satyricon. Le nom de Virgile, comme celui d'Homère, effraie. Ces deux piliers de la littérature occidentale ont tellement été sacralisés qu'il en devient compliqué de s'y atteler.
    J'avais lu l'édition décontractée de l'Enéide de Paul Veyne l'année dernière, mais je souhaitais étudier l'ensemble de la vie de Virgile et ce livre m'est apparu comme le plus approprié.

    Avant tout, on remarque que retracer la vie de Virgile est un projet impossible, parce qu'une fois que l'on retire l'aura légendaire associé par des siècles d'adulations, il ne reste qu'une maigre somme de sources. l'historien n'a plus qu'a faire comme Alain Corbin  dans son Jean François Pinagot et travailler au conditionnel. En outre, Pierre Grimal  tente de traduire la pensée intellectuelle de Virgile  au regard de son oeuvre écrite. En cela, le livre est une biographie intellectuelle et littéraire plus qu'une biographie à proprement parlé.  J'ai trouvé le récit fluide et l'écriture didactique, tous les termes sont vulgarisés ce qui rend le texte accessible au plus grand nombre, bien qu'il fasse quand même avoir  des notions de l'histoire de la fin de la république et de l'avènement d'Auguste.

    Le livre m'a permis de découvrir surtout les Géorgiques dont j'ignorais toute la teneur philosophique et symbolique proche du De la nature des choses de Lucrèce.

    Dernière modification par Zorba (31 Décembre 2019 19:27:42)

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    #27 20 Décembre 2019 12:23:07

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    Le 3 novembre 2019, le patriarche de l'Eglise autocéphale russe Cyrille remettait à Jean de Dubna  la gramata (lettre patriarcale et synodale) de la réunification de l’Archevêché parisien avec l’Église orthodoxe russe. Désormais, la paroisse Saint-Serge de Paris (je l'ai déjà évoquée à la première page de mon fil de lecture) n'est plus sous l'autorité du patriarche de Constantinople, mais sous l'aotité directe de Moscou. Comment se fait-il qu'une église russe ait été sous l'autorité d'un autre patriarcat autocéphale ?
    Pour connaître la réponse ,il faut se plonger dans ce livre  éclairant, qui permet de comprendre en profondeur les répercussions de la révolution bolchevique sur l'Orthodoxie dans le monde entier.  Dans un premier temps, les autorités soviétiques délaissent complètement le pouvoir ecclésiale, il le combatte même, puisque le clergé est persécuté en Union soviétique. Beaucoup d'intellectuels religieux migrent en Europe où se forme une résistance de la foi. Le premier Métropolite de  l'exarchat de Paris, Euloge, dénonce ces exactions commises par les soviétiques et se rallie au patriarcat oecuménique de Constantinople,  en 1921. Désormais l'institut n'est plus soumis au pouvoir moscovite.
    Le deuxième temps marquant, pour le patriarcat russe, arrive avec la seconde guerre mondiale, Staline s'aperçoit que la foi représente une arme de propagande massive pour mener "sa guerre patriotique". Il recrée officiellement le patriarcat de Moscou (en 1943). Son nouveau Patriarche : Alexis tente, dès la fin de la seconde guerre mondiale, de redonner de l'importance à l'orthodoxie russe afin de réunir les exilés russes à leur maison mère. Staline a pour projet de créer un Vatican orthodoxe, cette volonté trouve son apogée dans la préparation du 8e concile orthodoxe (l'orthodoxie se base sur 7 conciles dont le dernier a eu lieu en 787 !), mais ce projet est un échec, une  résistance se met en marche contre l'orthodoxie stalinienne. Dorénavant, il existe une dichotomie entre une Eglise "impérialiste" et une Eglise "socialiste".   
    Cet excellent livre permet de voir que  l'orthodoxie est un instrument de pouvoir, qu'il sert les intérêts des russes, et que les schismes (pensons à la scission de l'Eglise ukrainienne avec le patriarcat russe)  et les réunions sont les échos d'un passé tumultueux et mal digéré.

    Dernière modification par Zorba (20 Décembre 2019 17:47:06)

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    #28 24 Décembre 2019 11:29:39

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    Je souhaitais trouver un peu plus d'information sur l'orthodoxie et la fin de l'URSS, comprendre les changements opérés avec la chute d'un régime laïc affirmé et antireligieux.  Certes,  le livre de Jane Ellis : The Russian Orthodox Church: Triumphalism and Defensiveness date un peu (il est paru en 1996), mais il permet de comprendre la politique religieuse soviétique sous la perestroika et le glasnost (l'ouverture), avec pour date symbolique 1988, qui représente le millénaire de la foi orthodoxe russe.  Après cet événement, un synode est organisé de 1989 à 1994 qui évoque le sujet sensible des années communistes dénonçant les exactions commises contre la religion orthodoxe. Le livre se clôt sur la montée en puissance du Patriarche Alexis II, prédécesseur de l'actuel patriarche Cyrille.  J'aurais aimé un livre qui englobe l'histoire religieuse russe du XXe au XXIe siècle, mais je n'ai trouvé que ça en pdf sur internet.



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    Le livre d'Hermann Broch déroute par  sa dimension poétique. À travers son roman-poème : La mort de Virgile, l'auteur tente de retrouver la voix du poète antique,  cette quête reste cependant bien plus complexe qu'une simple fiction historique, il ne faut pas s'attendre à lire du Ken Follett. L'auteur se rapproche plus de Pierre Grimal dans sa biographie sur Virgile, tous deux cherchent à cerner la philosophie de Virgile, Hermann Broch souligne  celle-ci à travers l'agonie du poète.  Cette agonie s'accompagne par la volonté inextinguible de Virgile de détruire l'Enéide.  Alors s'ensuit une réflexion onirique, complexe et  ponctuée de multiples citations des Bucoliques, des Géorgiques et de l'Enéide. La deuxième partie porte sur un dialogue qu'entretient Virgile avec ses amis et surtout Auguste.  Alors cet échange est une manière de confronter des philosophies différentes, l'épicurisme de Virgile face au stoïcisme d'Auguste. Je trouve qu'il y a une dimension chrétienne très soulignée dans l'oeuvre,  cet agonie serait alors une forme d'extrême onction qui permettrait à Virgile de mourir sereinement.

    Dernière modification par Zorba (29 Décembre 2019 18:18:19)

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    #29 29 Décembre 2019 18:14:51

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    Les livres de Svetlana Alexievitch donnent  des frissons,  chaque  page, chaque témoignage nous immerge dans un flot d'émotions, ses livres bouleversent par leur simplicité, et démontrent  l'incroyable capacité de l'humain à supporter la banalité de l'horreur; La guerre n'a pas un visage de femme rejoint pour cela La Supplication et La Fin de l'Homme rouge. il est le premier livre que fait paraître Alexievitch, en 1985, dans une URSS qui a mythifié la grande guerre patriotique, où chaque citoyen  parade avec une photo d'un défunt proche, au cours de la grande fête de la victoire, le 9 mai de chaque année. Dans son recueil, Svetlana Alexievitch fait resurgir les voix humbles du passé,  ces voix féminines qui traversèrent la guerre au front, infirmières, tireurs d'élite et partisanes. Chaque récit recueilli reflète une vision féminine de la guerre, une vision qui sort de la délimitation du genre, où la femme pénètre dans le monde des hommes, mais que faire quand une femme prend place dans le monde masculin de la guerre ? Elle perd tout simplement sa nature féminine, symboliquement, mais aussi physiquement — beaucoup de femmes témoignent que leurs règles s'arrêtèrent avec les horreurs de la guerre. Néanmoins, derrières ces récits féminins, l'humanité parle, une humanité faite d'espoir et de vie dans un monde de mort et de désolation.

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    #30 30 Décembre 2019 18:22:18

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    Voila un essai savamment écrit, j'avais initialement peur que Norman Cohn adopte une vision téléologique de l'histoire, qu'il fasse sourdre les totalitarismes du XXe siècle dans ces mouvements millénariste du Moyen Âge (d'autant plus que l'auteur écrit son essai au lendemain de la Seconde Guerre mondiale) . Mais son développement est plus complexe que ce simple constat. Après m'être intéressé à l'eschatologie juive et au messianisme de Sabbataï Tsevi, je remarque beaucoup de points en commun dans ses sectes chiliastiques qui parsèment l'Europe de la chute de l'Empire romain à l'arrivée de la Réforme; on note toujours la constance d'un antinomisme face à la Religion instituée, organisée; un désir iconoclaste afin de  répondre aux angoisses d'une époque, illustrés par des troubles, des famines ou des maladies. Ces idées naissent avec des grandes sectes tel que les cathares et les hussites qui préfigurent les critiques luthérienne du catholicisme. Cependant, l'ouvrage étudie d'autres hérésies, tel que les flagellants ou les bégards. Chacun de ces mouvements cherche à atteindre un idéal qui  donnerait l'accès direct au Paradis, avec à l'arrivée imminente de la Parousie.  Les flagellants cherchent à atteindre cette perfection au moyen de sévices corporelles, alors que les bégards, à travers la doctrine du Libre Esprit, mènent une quête mystique pour atteindre directement Dieu, mêlant un néo-platonisme et une philosophie panthéiste.   Pour ces derniers, Dieu est l'essence éternelle des choses,  les êtres vivants sont des émanations de Dieu. Il importe alors à chaque croyant de connaître la part de Dieu qui est en lui afin d'atteindre l'apothéose. Loin d'être une philosophie, ce mouvement est une tentative de sortir de sa condition humaine afin d'atteindre le Divin. Dès que l'on a atteint cet état, tout devient permis; dès lors, l'adepte ne répond plus aux règles imposées par les hommes (je glose grossièrement Norman Cohn).  Il me semble que l'on  retrouve cette quête à travers chaque mysticisme des différents monothéismes, qui passe par les danses soufis ou bien par différentes strates de l'âme aristotéliciennes reprises par les penseurs chiites.

    Dernière modification par Zorba (31 Décembre 2019 19:32:40)