[La recluse de Wildfell Hall - Juillet 2023] - Parlons du roman

  • Guenièvre

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    #11 30 Juillet 2023 14:17:49

    → De façon globale, avez-vous aimé ce livre?
    Ou qu'est-ce qui vous a plu / déplu?


    De façon globale j’ai beaucoup aimé ce livre et je l’ai dévoré. Je l’ai préféré au seul autre livre des sœurs Brontë que j’aie lu, Jane Eyre parce qu’il comprenait des messages de féminisme que j’ai apprécié de lire dans la littérature de cette époque, pas spécialement reconnu pour son respect des femmes et de leur indépendance.

    → Qu'avez-vous pensé des personnages?
    En particulier, quel est votre avis sur Helen, Gilbert et Arthur (père)?  (mais aussi sur Mr Lawrence, Milicent, Mr Hargrave, Rachel, ...)
    Avez-vous eu de l'empathie pour eux? Quels sont vos préférés?
    Votre avis a-t-il évolué au cours de votre lecture?
    Et qu'avez-vous pensé des relations entre les personnages?

    J’ai beaucoup aimé Helen, mais je trouve que Gilbert reste assez superficiel: on ne sait rien de ses aspirations, finalement (à part le mariage, quand on y réfléchit c’est un retournement de situation assez amusant). Arthur père était à mes yeux plus intéressant que Gilbert en ce qu’il y a une réelle évolution de son personnage, de qqn superficiel et peu mature à un réel antagoniste qui ne rechigne aucunement à causer de la souffrance à autrui pour arriver à ses fins hédonistiques. C’est un peu comme si cette déchéance morale était causée par son mariage: frustré de cette femme qui cherche à le changer et l’améliorer, il se réfugie encore plus dans le vice. Un parcours opposé à celui de Hattersley, qui pour ne pas peiner sa femme décide de changer de comportement. Quand on pense aux raisons respectives de choix d’épouse de Huntingdon vs Hattersley c’est hautement ironique…

    → Qu'avez-vous pensé de l'intrigue?
    Avez-vous été embarqué·e?
    Qu'avez-vous pensé du rythme?

    J’ai été totalement embarquée et je l’ai lu d’une traite - ou presque: en l’espace de 5 jours. J’ai trouvé le rythme plutôt agréable, finalement la partie la plus longue porte sur la découverte mutuelle de Gilbert et Helen, leurs caractères et compatibilités.
    Cela étant, je reconnais les facilités en ce que finalement, cette histoire d’amour est très lisse, comme pour compenser le premier mariage de Helen qui avait des aspérités suffisantes pour toute une vie je suppose. Le retournement de situation final ne m’a pas réellement surprise en ce que j’y retrouve une certaine similitude avec celui de Jane Eyre:

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    Il fallait nécessairement écarter Huntingdon pour avoir un happy ending. J’ai trouvé cela trop facile, c’est un deus machina assez apparent



    → Qu'avez-vous pensé de la narration / la construction du récit? (sous forme de lettres)
    Et du style? (n'hésitez pas à préciser si vous l'avez lu en VO ou quelle était votre édition VF)

    Je l’ai lu en VO, et je suis bien contente de m’être épargné la difficulté de choisir une traduction! J’ai hâte de vous lire sur ce sujet.
    J’ai bien aimé la forme épistolaire en ce que je trouvais intéressant que tout soit raconté à la troisième personne - ou presque, avec les quelques lettres de Helen. J’ai aimé que ce soit principalement Gilbert qui raconte la vie d’Helen: cela donne une perspective d’homme sur une vie féminine, et là encore c’est un retournement de situation assez intéressant: d’habitude ce sont souvent les femmes qui chroniquent la vie des hommes.


    → Ce roman est décrit comme "l'un des tout premiers romans féministes". Comment l'avez-vous perçu?
    Je suis totalement d’accord et j’ai vraiment a-do-ré cet aspect! C’est le principal attrait à mes yeux de ce roman. Comme souligné plus haut, il y a de nombreuses inversions dans les schémas traditionnels (l’homme qui ne pense qu’au mariage et dont l’union lui sert à changer de classe sociale, l’homme qui raconte la vie de sa femme comme digne de mémoire, qui lâche tout pour rejoindre la femme; quand on y réfléchit par tous ces aspects c’est l’exact inverse de Jane Eyre.
    Je ne sais pas si la préface de l’autrice figurait dans vos éditions mais je l’ai trouvée intéressante également pour son passage où Anne Brontë répond aux spéculations sur son genre en soulignant que la question importe peu.



    @Grominou Je suis d’accord que l’aspect religieux est très rébarbatif et inutilement moralisateur. C’est ce que j’ai le moins apprécié dans cette lecture. Cela étant, l’autrice annonçait dès la préface que son livre avait pour objectif d’avertir les jeunes gens pour leur éviter de commettre les mêmes erreurs que les personnages. J’étais donc assez peu surprise par ce côté donneuse de leçon.
    Je n’étais pas partie avec le même apriori que toi concernant l’atmosphère gothique - mon roman était la version numérique de Gutenberg, sans couverture. J’ai été assez rebutée par ce genre avec Les mystère d’Udolphe dont je garde un très mauvais souvenir. Je l’ai lu il y a deux ans en lecture commune organisée par Cassie. Je me serais davantage inquiétée de ne pas aimer le livre si je lui avais trouvé une ambiance gothique!
    Finalement, l’atmosphère m’a beaucoup rappelé Pride and Prejudice en pleine campagne anglaise avec gens de la haute qui cancanent en essayant de négocier les meilleurs mariages possibles.
    Je suis aussi d’accord avec ta remarque en bases à divulgâcheurs, mais je ne me suis pas outre mesure attardée sur ce point:

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    à ce stade j’avais l’impression que l’autrice cherchait à nouer les bouts de fils traînant en tous sens pour arriver enfin à son happy ending, dont j’avais d’ores et déjà accepté qu’il ne serait pas réaliste du tout. Peut-on imaginer qu’étant en deuil, elle ait préféré rester avec sa tante plutôt qu’aller au mariage?



    @AlhwederMerci pour ton retour sur l’édition! Je suis totalement d’accord avec ton retour sur le personnage de Gilbert, et moi aussi j’ai adoré le pétage de cable de sa sœur Rose: c’est un autre détail féministe du roman! J’y ai retrouvé des travers toujours aussi actuels; le fait qu’on encourage les femmes à remettre en cause leur propre confort pour assurer celui des autres. En ce qui me concerne (et je pense beaucoup d’autre) c’est totalement involontairement intégré à ma personnalité et mes réflexes comportementaux.
    C’est aussi vrai que la confrontation de ce jeune homme avec qqn qui ne cède pas à ses caprices a qqch de très savoureux et formateur pour lui !

    @Riz-Deux-ZzZ Bon courage! Tout dépend si tu apprécie les romans style Sense and Prejudice ou Jane Eyre, je trouve qu’il y a beaucoup de points communs! Si tu te lances dans cet état d’esprit et que tu passes outre les côtés moralisateurs, tu devrais apprécier!

    Dernière modification par Guenièvre (30 Juillet 2023 14:45:22)

  • Babadam

    Bibliophile

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    #12 30 Juillet 2023 17:11:59

    Bonjour,

    Ayant effectué des sorties non prévues, je m'excuse de ne pouvoir donner mon avis ce week-end.
    Je le ferai demain dans la journée.
    Désolée encore oops
  • Livresovore

    Dompteur de pages

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    #13 30 Juillet 2023 17:41:41

    Bonjour tout le monde !

    Je viens mettre ma petite pierre à l'édifice de BC avec mon avis.
    J'ai terminé le livre hier, un peu plus tard que prévu, à cause du Covid qui est venu me rendre une petite visite la semaine dernière, m'empêchant de lire comme je le voulais.

    J'ai parcouru un peu les avis que vous avez laissé et dans l'ensemble, il a vraiment donné des avis divergents !
    Quand je l'ai proposé, c'était dans l'optique de découvrir une des deux Brontë que je n'avais encore jamais lues (j'ai lu il y a très longtemps Les hauts de Hurlevents). Je ne m'attendais pas du tout à un roman gothique, peut-être parce que j'ai lu plusieurs biographies de la famille Brontë et que je voyais qui était Anne.
    Et j'ai finalement trouvé exactement ce que je cherchais avec cette lecture, raison pour laquelle ça a été un coup de cœur pour moi.
    Je tranche un peu du coup avec les premiers avis même si, tous les aspects négatifs soulignés, je les comprends. C'est juste que dans mon cas, ça ne m'a absolument pas gêné.

    Déjà le plus gros point fort de ce roman c'est sans aucun doute la modernité des idées de Anne Brontë. Ce livre à notre époque, n'apparaît peut-être pas comme féministe, mais remis dans son contexte, il n'est : on parle quand même d'une femme qui choisit son mari, qui choisit de le quitter et qui fait tout pour que son fils se détache des enseignements de son père. Et puis, même si c'est lui qui "tient la bourse", elle gagne tout de même un peu d'argent grâce à son activité de peinture. On a donc une femme qui décide de ce qu'elle veut faire et qui est indépendante. D'ailleurs, on voit très vite à quel point son statut dérange : elle masque la réalité en se faisant passer pour veuve mais malgré ça, la majorité de ses voisins trouvent à redire à son comportement et lui invente une vie alors qu'ils ne connaissent pas le quart de ce qu'elle a vécu !
    Alors oui, sur le sujet de la religion, je suis aussi atterrée que vous : elle est vraiment extrême. Mais finalement, elle représente son époque. Elle est aveuglée par sa foi au point de se croire assez maligne pour remettre dans le droit chemin son mari après leur mariage. Même quand il tombe malade et malgré tout ce qu'il lui a fait endurer, elle revient s'occuper de lui (je dois avouer que si je devais supprimer un passage du livre, ce serait probablement celui-ci !).
    Malgré son fanatisme (appelons un chat, un chat), Helen est tout de même un personnage très intéressant : elle refuse de faire un mariage "de raison", elle fait un mariage "d'amour" mais se casse finalement les dents assez vite en se rendant compte que son mari n'est rien d'autre qu'un adulte-enfant qui ne fait que s'adonner à des plaisirs malsains. Morale de l'histoire : peut-être faut-il temporises ses ardeurs ! Si le mariage de raison n'est pas la solution, il est préférable de réfléchir un minimum avant de s'engager (ce qu'elle fait avec celui qui deviendra son second époux).
    Un dernier point que j'ai adoré chez elle : sa capacité à ne pas laisser transparaître ce qu'elle pense tout bas (ce que je suis incapable de faire !). C'est particulièrement visible dans la première partie lorsque Boarham se croit en terrain conquis et la bassine à chaque rencontre en ayant le sentiment d'être intéressant et de lui plaire... C'est peut-être la partie où j'ai le plus rigolé !

    J'ai aussi beaucoup d'affection pour le personnage d'Esther. Elle-même prend un chemin très féministe en suivant les pas d'Helen et en refusant de se marier à un homme qu'elle n'aime pas, contre l'avis de sa mère. Mais, contrairement à Helen, son choix s'avère payant.
    Les autres femmes sont plutôt des clichés ambulants que je n'ai pas franchement apprécié mais qui ont le mérite d'apporter de l'eau au moulin en étant les instigatrices de retournements de situation : la tante d'Helen, la fille du curé, Lady Lowborough... Un condensé de vieilles femmes rigides dans leurs pensées et de jeunes bécasses qui ont juste envie de pourrir la vie des autres et prennent leur pied à voir souffrir les femmes qu'elles jalousent. Leur présence permet de construire une réflexion sur pas mal de sujets et leur présence est donc utile, bien que peu agréable. Heureusement, certaines rattrapent un peu le tableau comme Esther, Rachel, Millicent...

    Les personnages masculins n'ont que brièvement retenu mon attention pour être honnête puisqu'ils ne sont, pour moi, présents que pour donner de l'eau au moulin de l'histoire. Aucun n'est vraiment attachant : Gilbert peut-être un peu mais il est si sanguin dans son tempérament qu'on doute un peu de la crédibilité de son personnage. Mais enfin, c'est peut-être le plus sympathique avec l'oncle d'Helen (qu'on aperçoit à peine, je vous l'accorde ! Comme quoi, ce n'est pas l'opulence qui fait la richesse). Et Lawrence, ce cher Lawrence que j'ai failli oublier ! Discret mais finalement peut-être le plus réaliste. Je reviens sur ce que j'ai dit ! Il y en a au moins un qui mérite qu'on s'y attarde et qu'on le retienne.
    Et comme je l'ai lu dans l'avis de @Alhweder, on est quand même sur un roman qui fustige le jeu, l'abus d'alcool et les "plaisirs" masculins. Huntingdon peut concourir pour le titre de personnage masculin le plus insupportable d'un roman !

    L'histoire est attendue, c'est vrai. En tout cas la fin l'est. Je m'attendais en revanche beaucoup moins à cet épisode de la "maladie".
    Ceci dit, quand je lis un classique, je ne cherche pas du tout à garder un suspens quelconque : je m'attache bien plus à l'ambiance qui se dégage, à la plume de l'autrice/l'auteur et aux personnage. Et côté ambiance j'ai été servie puisque je m'y croyais vraiment, impossible pour moi de lâcher le roman. Quant à la plume de l'autrice, si je vois ce que vous voulez dire en parlant des longueurs, ça a été pour moi un vrai bonheur de la lire (j'ai la version Libretto). Certains passages sont longs et descriptifs mais c'est personnellement ce que je m'attends à trouver (et ce que j'aime) dans un classique. Contrairement à certains livres contemporains où on a à peine le temps de claquer des doigts que tout est joué, ici, ça traîne et du coup, je crois ce que je lis. Et puis, l'écriture est vraiment belle et j'ai particulièrement aimé les échanges entre Helen et Gilbert sur leurs lectures (ce qui n'apporte pas grand avancement à l'histoire mais qui est très agréable à suivre).

    Le point final non négligeable de cette histoire (qui ajoute un argument au féminisme du livre) c'est qu'Helen se retrouve à la fin à la tête d'un domaine incroyable : d'une part en intendance pour son fils mais d'autre part maîtresse d'un domaine dont elle a été désigné héritière et préférée à un homme qui était de lignée plus direct qu'elle. Je pense que ce point n'a pas du plaire à tout le monde à l'époque !

    Dernière modification par Livresovore (30 Juillet 2023 17:48:38)

  • Livresovore

    Dompteur de pages

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    #14 30 Juillet 2023 17:45:11

    Julie27 a écrit

    J'ai trouvé intéressant de lire que ce livre s'inspirait de la déchéance de son frère, Branwell Brontë (quelle perte !! lui aussi semblait très talentueux, d'ailleurs).
    Je me rends compte d'ailleurs que j'aimerais bien en lire davantage sur la vie de cette fratrie =)


    Je te conseille la bibliographie de Laura El Makki.
    Bramwell était talentueux mais moins que ses sœurs : il a souffert justement parce que ses écrits étaient rejetés contrairement à ceux de ses sœurs qui (sous couvert d'identité masculine) rencontraient un franc succès.

  • Livresovore

    Dompteur de pages

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    #15 30 Juillet 2023 17:51:52

    Guenièvre a écrit

    Finalement, l’atmosphère m’a beaucoup rappelé Pride and Prejudice en pleine campagne anglaise avec gens de la haute qui cancanent en essayant de négocier les meilleurs mariages possibles.


    En lisant ton avis, j'ai peut-être un indice sur le pourquoi j'ai adoré ce livre.
    Orgueil et préjugés et une des rares romances que j'ai apprécié, notamment parce que j'adore le personnage féminin. Et on retrouve effectivement des points communs entre les deux romans.

  • Alhweder

    Restaurateur de livres

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    #16 30 Juillet 2023 18:23:35

    @Liversovore : Je te rejoins quand tu dis que dans les classique, les auteurs prennent plus le temps de poser leur histoires, leurs personnages (comparés au roman d'aujourd'hui souvent - pas toujours - plus expéditif). Cela me permet également de mieux croire ce que je lis.
    J'ajouterai que l'évolution des personnages et de leur sentiments en généralement plus crédible quand l'auteurice nous laisse le temps de nous impregner de chaque étape.

    Je reste sur l'idée que le dernier tiers du roman est un peu longuet. Il n'y a plus trop d'enjeux non plus puisqu'on connaît dorénavant le fond de chacun et qu'on sait très bien comment ça va se finir :)
  • Guenièvre

    Puits de lecture

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    #17 30 Juillet 2023 18:43:33

    Livresovore a écrit

    Alors oui, sur le sujet de la religion, je suis aussi atterrée que vous : elle est vraiment extrême. Mais finalement, elle représente son époque. Elle est aveuglée par sa foi au point de se croire assez maligne pour remettre dans le droit chemin son mari après leur mariage. Même quand il tombe malade et malgré tout ce qu'il lui a fait endurer, elle revient s'occuper de lui (je dois avouer que si je devais supprimer un passage du livre, ce serait probablement celui-ci !).
    Malgré son fanatisme (appelons un chat, un chat), Helen est tout de même un personnage très intéressant : elle refuse de faire un mariage "de raison", elle fait un mariage "d'amour" mais se casse finalement les dents assez vite en se rendant compte que son mari n'est rien d'autre qu'un adulte-enfant qui ne fait que s'adonner à des plaisirs malsains.


    Je trouve que cela va au-delà de cela: à mes yeux c'est une évolution du personnage en réaction à l'attitude de son mari. Au fur et à mesure que celui-ci sombre dans la débauche, risquant de l'attirer dans l'abîme avec lui, elle se raccroche désespérément à ses idéaux de pureté religieuse. Du même coup, elle se rigidifie, au même titre qu'elle gagne en amertume, froideur et cie.
    Je trouve que c'est une dérive au même titre que celle de Huntingdone: elle devient intransigeante dans sa foi tout comme ce monsieur l'était dans son vice. Mais je vois son orthodoxie davantage comme un refuge face à une situation qui lui était insupportable. De ce point de vue, on peut même relire ce roman moralisateur avec un point de vue moderne en y décelant une dénonciation de la bigoterie et la fermeture d'esprit... Bon je pars peut-être un peu loin, je vous l'accorde. :ptdr: Mais je préfère retenir la morale avec ce caveat : à être trop dévot, on finit par être intolérant. C'est précisément le cas d'Helen avec son rejet en bloc des "plaisirs masculins" que tu mentionnes. Boire un verre en racontant des âneries entre potes ne nuit pas outre mesure, tant qu'on n'oublie pas toute mesure, justement.:trinquent:



    Livresovore a écrit

    Le point final non négligeable de cette histoire (qui ajoute un argument au féminisme du livre) c'est qu'Helen se retrouve à la fin à la tête d'un domaine incroyable : d'une part en intendance pour son fils mais d'autre part maîtresse d'un domaine dont elle a été désigné héritière et préférée à un homme qui était de lignée plus direct qu'elle. Je pense que ce point n'a pas du plaire à tout le monde à l'époque !


    Surtout que c'est ce qui lui permet une indépendance totale et donc le choix de son mari malgré la mésalliance! Et je suis totalement d'accord avec toi sur la question de l'indépendance même pendant sa phase de "fuite" qui lui permet de gagner sa vie par la peinture. Elle retourne un "passe-temps" typique des femmes aristocrates, qu'on peut assimiler à de l'indolence ou leur rôle purement décoratif, et elle en fait un gagne-pain hautement terre-à-terre. Au lieu de seulement peindre des paysages qui piquent son âme romantique, elle met l'accent sur ce qui se vendra bien.
    En plus, je l'ai trouvée hautement intelligente dans son organisation de sa fuite: elle épargne et manigance en secret. Puis malgré un premier échec elle persiste, et surtout elle ose demander de l'aide en reconnaissant son impuissance (c'est à mes yeux l'attitude la plus intelligente plutôt que de creuser sa tombe, seule et déterminée). Elle compte sa famille comme une ressource et en fait usage, malgré Huntingdon qui en bon pervers narcissique avait entrepris de l'en isoler.

    Tiens, ça c'est un point qu'on n'avait pas encore abordé: vous avez noté l'attitude d'Arthur senior vis-à-vis de sa femme dans les premiers temps de leur mariage ?
    Il est excessivement jaloux de son temps et de son attention au point de lui en vouloir d'avoir des occupations autonomes, il rechigne à la laisser communiquer avec l'extérieur en restreignant son accès à Londres et les visites à sa famille... Une attitude d'enfant, comme ç'a été souligné plus haut, mais aussi hautement contrôlante et assez malsaine... Je trouve que ce n'est pas anodin sous la plume d'une autrice de cette époque. Un aspect féministe de plus à relever à mes yeux: elle met en garde contre ce type d'attitude.

    Dernière modification par Guenièvre (30 Juillet 2023 18:52:54)

  • Alhweder

    Restaurateur de livres

    En ligne

    #18 30 Juillet 2023 21:15:07

    Guenièvre a écrit

    Tiens, ça c'est un point qu'on n'avait pas encore abordé: vous avez noté l'attitude d'Arthur senior vis-à-vis de sa femme dans les premiers temps de leur mariage ?
    Il est excessivement jaloux de son temps et de son attention au point de lui en vouloir d'avoir des occupations autonomes, il rechigne à la laisser communiquer avec l'extérieur en restreignant son accès à Londres et les visites à sa famille... Une attitude d'enfant, comme ç'a été souligné plus haut, mais aussi hautement contrôlante et assez malsaine... Je trouve que ce n'est pas anodin sous la plume d'une autrice de cette époque. Un aspect féministe de plus à relever à mes yeux: elle met en garde contre ce type d'attitude.


    Oui, il se comporte en propriétaire jaloux avec elle. Elle lui appartient et il veut la garder pour lui seul.
    En réalité, cela correspond à une époque où la femme n'a pas de personnalité juridique complète. Elle est entre la personne et le meuble. Elle appartient à son père puis à son mari. Tout les efforts d'indépendance d'Helen contre cette idée. Elle est une personne à part entière qui prend ses propres décisions et subvient à ses propres besoins. Je pense que l'une des choses qui devait perturber la gente masculine avec son exemple, c'est qu'elle proposait un modèle de pensée par soi-même à des jeunes filles. Cela leur montre qu'elle peuvent se prendre en charge, qu'elles ne sont pas obligées d'appartenir à un homme.

  • Guenièvre

    Puits de lecture

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    #19 30 Juillet 2023 22:19:38

    À vrai dire, les femmes ont la personnalité juridique, mais pas la capacité juridique - en gros elles sont mineures à vie. Ce sont les esclaves qui avaient le statut de meubles. Voire d'immeubles par destination dans le cas des plantations.

    Si on applique cette distinction à Helen, cela signifie que tant qu'elle est sous la tutelle d'un homme (que ce soit son oncle ou son mari) elle n'a pas la disposition de ses biens (elle ne peut pas les administrer, les vendre ou les louer), elle ne peut pas conclure de contrat significatif (les contrats quotidiens de l'ordre de la vente de biens essentiels ne sont pas concernés: il faut quand même que bobonne puisse aller faire les courses, sinon où va le monde!). D'où le fait que son oncle voulait placer son héritage en trust par contrat de mariage pour que son mari ne risque pas de se l'approprier pour son seul usage (et par exemple le dilapider en jeux de hasards ou autres). Le trust lui aurait assuré un droit de propriété (equitable property right) d'un genre particulier sur ses biens, même si son mari en aurait acquis la propriété "at common law". Bref, me lancez pas sur le sujet du droit des trusts, c'est une de mes passions... =D:goutte:

    Après j'avoue ne pas être si spécifiquement versée que cela sur le statut juridique des femmes en common law au XIXe; par exemple d'un point de vue logique pourquoi est-ce que la tutelle d'Helen ne serait pas revenue à son frère? :grat::chaispas: Si un jour l'envie me prend de faire une seconde thèse en droit, pourquoi pas...
  • Grominou

    Modératrice

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    #20 30 Juillet 2023 23:29:07

    De ce point de vue, on peut même relire ce roman moralisateur avec un point de vue moderne en y décelant une dénonciation de la bigoterie et la fermeture d'esprit...


    Ah c'est intéressant, je ne l'ai pas du tout interprété comme une dénonciation, au contraire j'ai trouvé que l'auteure présentait cela comme admirable...  Mais j'aime beaucoup mieux ton interprétation!:lol:

    Je suis assez d'accord avec ce que vous dites sur le message féministe du roman, je trouve juste dommage que cela ait été présenté de façon aussi lourde et moralisatrice.  Cela m'a complètement empêchée de l'apprécier.  Quelqu'un ci-dessus a comparé avec les romans de Jane Austen...  Elle aussi critique la condition des femmes dans la société (et notamment les lois sur l'héritage) mais d'une façon beaucoup plus subtile, d'une plume si spirituelle et agréable.