[Suivi lecture] Claire C

 
  • Claire C

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    #181 08 Octobre 2023 15:25:15

    A chaud, mon retour sur La confession d'un enfant du siècle, d'Alfred de Musset.

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    Ca a été un réel plaisir de me plonger dans ce livre. J'ai été admirative du début qui commence fort, avec une prise de vue large sur l'époque et beaucoup de références pour nous donner l'air du temps : Goethe, Byron...

    Ces enfants du siècle ont en effet vu un moment particulier de l'Histoire : leurs pères ont connu les guerres de Napoléon, leurs grands-parents ont vécu la Révolution et la Terreur. Un héritage tout ce qu'il y a de plus léger pour une jeunesse prête à être saignée pour les volontés de l'Empereur et qui se retrouve brutalement orpheline.

    Citations que je trouve très représentatives, j'aurais pu citer tout le chapitre 2 qui est magnifique :

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    "La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l'espérance, elle fauchait de si verts épis qu'elle en était comme devenue jeune, et qu'on ne croyait plus à la vieillesse."

    "Tous ces enfants étaient des gouttes d'un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées."

    "Napoléon mort, les puissances divines et humaines étaient bien rétablies de fait ; mais la croyance en elles n'existait plus".

    "Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes ; le peuple qui a passé par 93 et 1814 porte au coeur deux blessures. Tout ce qui était n'est plus ; tout ce qui sera n'est pas encore."

    "Voilà un homme dont la maison tombe en ruine ; il l’a démolie pour en bâtir une autre. Les décombres gisent sur son champ, et il attend des pierres nouvelles pour son édifice nouveau. Au moment où le voilà prêt à tailler ses moellons et à faire son ciment, la pioche en mains, les bras retroussés, on vient lui dire que les pierres manquent et lui conseiller de reblanchir les vieilles pour en tirer parti. Que voulez-vous qu’il fasse, lui qui ne veut point de ruines pour faire un nid à sa couvée ? La carrière est pourtant profonde, les instruments trop faibles pour en tirer les pierres. Attendez, lui dit-on, on les tirera peu à peu ; espérez, travaillez, avancez, reculez. Que ne lui dit-on pas ? Et pendant ce temps-là cet homme, n’ayant plus sa vieille maison et pas encore sa maison nouvelle, ne sait comment se défendre de la pluie, ni comment préparer son repas du soir, ni où travailler, ni où reposer, ni où vivre, ni où mourir ; et ses enfants sont nouveau-nés."



    Ensuite, dès le chapitre 3, changement brutal de focale, on se retrouve dans les histoires d'amour du narrateur, on y restera jusqu'à la fin. La transition se fait très bien, et j'ai eu beaucoup de plaisir avec le style et la force des descriptions de la vie sentimentale intérieure de notre protagoniste.

    Le chapitre 5 est un autre de mes moments forts, j'aurais pu le citer entièrement avec plaisir :

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    Il s'agit du point de vue d'un de ses amis libertins sur la manière de prendre la vie (je remets celle-là que j'aime beaucoup) :
    "La perfection n'existe pas ; la comprendre est le triomphe de l'intelligence humaine ; la désirer pour la posséder est la plus dangereuse des folies. [...] L'insensé veut posséder le ciel ; le sage l'admire, s’agenouille, et ne désire pas. La perfection, ami, n'est pas plus faite pour nous que l'immensité. Il ne faut la chercher en rien, ne la demander à rien, ni à l'amour, ni à la beauté, ni au bonheur, ni à la vertu ; mais il faut l'aimer, pour être vertueux, beau et heureux, autant que l'homme peut l'être."

    Et sur l'histoire de la vie de la femme à l'époque, que je trouve très juste (avec beaucoup d'échos encore pour aujourd'hui selon moi) :
    "La civilisation fait le contraire de la nature. Dans nos villes et selon nos mœurs, la vierge faite pour courir au soleil, pour admirer les lutteurs nus, comme à Lacédémone, pour choisir, pour aimer, on l’enferme, on la verrouille ; cependant elle cache un roman sous son crucifix. Pâle et oisive, elle se corrompt devant son miroir, elle flétrit dans le silence des nuits cette beauté qui l’étouffe et qui a besoin du grand air. Puis tout d’un coup on la tire de là, ne sachant rien, n’aimant rien, désirant tout ; une vieille l’endoctrine, on lui chuchote un mot obscène à l’oreille, et on la jette dans le lit d’un inconnu qui la viole. Voilà le mariage, c’est-à-dire la famille civilisée. Et maintenant voilà cette pauvre fille qui fait un enfant ; voilà ses cheveux, son beau sein, son corps qui se flétrissent ; voilà qu’elle a perdu la beauté des amantes, et elle n’a point aimé ! Voilà qu’elle a conçu, voilà qu’elle a enfanté, et elle se demande pourquoi ; on lui apporte un enfant et on lui dit : Vous êtes mère. Elle répond : Je ne suis pas mère ; qu’on donne cet enfant à une femme qui ait du lait ; il n’y en a pas dans mes mamelles. Ce n’est pas ainsi que le lait vient aux femmes. Son mari lui répond qu’elle a raison, que son enfant le dégoûterait d’elle. On vient, on la pare, on met une dentelle de Malines sur son lit ensanglanté ; on la soigne, on la guérit du mal de la maternité. Un mois après, la voilà aux Tuileries, au bal, à l’Opéra ; son enfant est à Chaillot, à Auxerre ; son mari au mauvais lieu. Dix jeunes gens lui parlent d’amour, de dévouement, de sympathie, d’éternel embrassement, de tout ce qu’elle a dans le cœur. Elle en prend un, l’attire sur sa poitrine ; il la déshonore, se retourne, et s’en va à la Bourse. Maintenant la voilà lancée ; elle pleure une nuit et trouve que les larmes lui rougissent les yeux. Elle prend un consolateur, de la perte duquel un autre la console ; ainsi jusqu’à trente ans et plus. C’est alors que, blasée et gangrenée, n’ayant plus rien d’humain, pas même le dégoût, elle rencontre un soir un bel adolescent aux cheveux noirs, à l’œil ardent, au cœur palpitant d’espérance ; elle reconnaît sa jeunesse, elle se souvient de ce qu’elle a souffert, et, lui rendant les leçons de sa vie, elle lui apprend à ne jamais aimer."



    C'était un peu du petit lait pour moi tout ce sentiment et cette réflexion sur l'amour, l'attachement, la fidélité. On arrive au point culminant du roman dans la troisième partie. On a l'impression d'avoir vécu beaucoup de bourrasques sentimentales, de doutes, de tentatives pour arriver à un moment de paix. Que cela fait du bien de sentir et de se souvenir combien on peut aimer à vingt ans !

    Puis, le propos est devenu plus petit, plus mesquin, je n'ai plus retrouvé de grandeur dans le sentiment ni dans le message donné par le livre. J'ai perdu ma proximité avec l'écriture et ce qu'elle véhiculait. J'ai trouvé les monologues longs et pauvres !

    Et je me suis même carrément énervée (c'est marrant, lui utilise ce mot aussi, mais dans un sens contraire à nous : énervé = mou, privé de nerfs) contre Musset !

    Quelques réflexions personnelles engendrées par ma lecture :

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    Pourquoi une femme devient esclave de son amant dès qu'elle accepté de donner son corps ? Ne peut-elle pas avoir une fierté ? Une fois que monsieur a obtenu ses faveurs, le seul objectif de madame, mariée ou non, est de lui plaire en tout quand lui ne change pas ses habitudes, et se met à la soupçonner, à la railler ? Ca me met hors de moi que la femme doive être la garante de l'entente du couple, et doive aller pour cela contre son amant.

    Je me dis que l'oisiveté n'a rien de bon. Ce n'est pas évident, si on se met à leur place, ils ont assez d'argent (parce que oui, la Révolution est passée par là et Musset nous dit très justement que tous les hommes sont hommes et donc égaux, mais on ne remet aucunement en cause le fait que certains ont de l'argent et peuvent vivre quotidiennement d'orgies, et les autres doivent travailler dur pour imaginer manger...), ils ont du temps, ils sont jeunes. Leur seul objectif est de s'aimer.

    Je reproche souvent à notre société de nous imposer un rythme infernal, entre les études, les examens, les devoirs, puis le travail, les horaires, les activités et même les écrans, nous avons peu de temps de qualité que l'on peut passer avec ceux qu'on aime. Que ce soit en famille, avec des amis ou que ce soit pour apprendre à aimer et à connaître l'être avec qui on choisit d'aller un peu plus loin,  pour un temps court ou long. On est toujours en train de courir, et j'ai beaucoup souffert de ce manque de temps. Quand le lis La Confession de Musset, je me dis qu'il ne faut pas non plus en avoir trop !

    Comme cela m'a énervé ce nombrilisme de l'amour qui ne regarde que lui-même et finit par ne plus être satisfait ! Le livre que je déteste et que pourtant les philosophes définissent comme un des livres décrivant l'amour est Belle du Seigneur. Chaque fois que j'ai tenté de le lire (il m'a été plusieurs fois chaudement recommandé donc j'ai tenté de bon coeur à plusieurs années d'écart), j'avais envie de déchirer les pages. C'est du mépris qui s'y trouve, cela n'a rien à voir avec l'amour pour moi !



    Sentiment mitigé donc à la fin de cette lecture. De grands et beaux moments très forts ! Et des passages plutôt faibles et mesquins. Si je prends à mon compte une des leçons de ce livre, je renonce à lui demander la perfection que j'attendais avec un tel début, et je le remercie pour les quelques beaux moments de lecture qu'il m'a procuré !

    Je ne suis pas sûre non plus d'avoir tout à fait bien compris le mouvement du romantisme avec cette lecture, il en faudra d'autres...

    Pour finir, une petite citation pour nourrir mon fil rouge autour des questions d'enseignement.

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    "L'amour que j'avais pour ma maitresse m'ayant, presque au sortir du collège, absorbé tout entier, avait été pour moi une sauvegarde contre la corruption prématurée à laquelle la jeunesse s'abandonne souvent dans la première joie de la liberté ; car le plus grand défaut des écoles étant de défendre sans cesse ce que la nature ordonne, il est tout simple que les écoliers commencent, en entrant dans le monde, par se livrer à tout ce qu'on leur défendait, outre mesure et sans discernement."



    @ Grominou, Ciboulette et Rascar Capac : finalement mon enthousiasme du début est plus mitigé, je ne sais si je vous recommande cette lecture ou pas...

    @ My : Je suis en partie d'accord avec toi, même si les grands épanchements du coeur me touchent, et que je suis sensible à la perception de Musset de son époque.

    @ Chris : Je garde aussi un excellent souvenir de On ne badine pas avec l'amour. A l'occasion le continuerai plutôt avec des pièces de théâtre si je relis Musset !

    Dernière modification par Claire C (09 Octobre 2023 14:56:36)

  • Ciboulette

    Tourneur de pages compulsif

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    #182 08 Octobre 2023 17:29:33

    Mais si, on le lira mais faudra juste s'arrêter au trois quart du livre :D
    Je pourrais te recommander la dame aux Camélias mais tu l'as déjà lu je crois?
    Ou Bel-ami de Maupassant et l'l'Education sentimentale de Flaubert.

    Dernière modification par Ciboulette (08 Octobre 2023 17:47:10)

  • Livrepoche.fr (Nicolas)

    Lecteur professionnel

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    #183 08 Octobre 2023 19:36:22

    N'est-ce pas plutôt positif de passer par les montagnes russes niveau émotion ? Même si ce sont des émotions négatives. En tous cas, moi qui n'ai jamais lu Musset, ça me tente.
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #184 09 Octobre 2023 13:12:21

    Merci pour vos retours !

    @ Ciboulette
    : oui, j'ai lu La dame aux camélias. Merci pour tes suggestions ! Je vais peut-être un jour affronter Flaubert même si ce n'est pas un auteur qui me tentait, à part Salammbô grâce à l'avis de Nicolas. J'ai lu Bel-Ami mais je n'en ai aucun souvenir, il faudra sans doute remédier à cela un jour aussi !

    @ Nicolas : je ne suis pas contre quelques montagnes russes émotionnelles, mais il me faut un motif légitime. Quand c'est juste des tortures amoureuses gratuites ça m'énerve ! En tous cas je suis heureuse si mon avis permet à Musset de te tenter :)

    J'attaque la Bibliothèque de Minuit, ça va être une belle aventure ce Book-Club, beaucoup de personnes que j'apprécie sur ce forum y participeront !
  • Delkinger

    Lecteur assidu

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    #185 10 Octobre 2023 16:18:23

    Hello Claire !
    Merci pour ton avis sur Musset. Ca me donne envie de lire le livre. Et bonne lecture avec La bibliothèque de minuit, je ne connais pas du tout !!
  • Claire C

    Passionné du papier

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    #186 10 Octobre 2023 20:19:16

    Coucou Delkinger !
    Merci pour ton passage et ton mot !

    Je suis souvent très enthousiaste au début de mes lectures, et je me rends compte que parfois je suis un peu déçue sur la fin. Je vous fais un peu vivre les montagnes russes émotionnelles que je vis en lisant, j'espère que vous ne m'en voulez pas trop...

    J'ai en effet commencé The midnight library, et ça me fait bizarre. C'est Livraddict qui me refait lire des romans, je ne lisait plus que des essais ces dernières années. Je me refamiliarise doucement et agréablement avec l'anglais littéraire. J'avais oublié qu'on peut lire sans attendre grand chose de sa lecture, juste le plaisir de vivre une nouvelle aventure.

    Et je mettais un point d'honneur à ne lire que (ou presque) des auteurs du passé, donc morts. Je ne lis rien de récent, rien qui peut faire des liens avec mon époque. Là encore, une nouvelle barrière que ce forum fait tomber. Du coup le personnage principal me ressemble par certains aspects et ça me trouble. J'ai hâte de savoir la suite !

    Un grand merci à ce forum ! Je n'attendais rien d'autre que de pouvoir partager mes lectures et trouver un endroit pour les sortir de ma tête, ce qui me semblait déjà merveilleux. Et en retour je suis nourrie de plein de livres dans plein de langues et de plein de genres différents, MERCI !

    Bonnes lectures à vous !

    Dernière modification par Claire C (10 Octobre 2023 20:19:25)

  • Mypianocanta

    Gardien du savoir

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    #187 11 Octobre 2023 20:41:05

    Je ne lis pas que des auteurs morts, mais je lis très rarement des livres ancrés dans notre présent (même les policiers, j'essaie d'avoir un décalage soit dans le temps soit géographique pour ne pas être dans mon quotidien). Mais parfois il y a des perles aussi :)
    Et je suis d'accord le forum est génial pour ça
    d'ailleurs ça va faire bientôt 12 ans (ou 13) que je suis là, que du bonheur !
  • chris 311830

    Modératrice

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    #188 12 Octobre 2023 09:11:43

    perso, je lis beaucoup d'auteur en vie et en général, ils sont un peu en décalage de notre présent. Mais j'avoue que je ne me suis jamais poser la question. Il est vrai que ce forum est une pépite. Déjà pour parler de notre passion commune et j'ai découvert un max de très bon livres depuis que je suis ici. Même des genres dont je ne me serais pas pencher avant (comme la fantasy par ex) Perso, cela fait 9 ans que je suis là et je compte pas en partir, même si par moment je suis moins présente
  • Marine_plume

    Magicien des lignes

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    #189 12 Octobre 2023 21:56:07

    Coucou, Claire !

    Merci d'avoir pris le temps de détailler autant ton avis sur Musset. C'est très intéressant à lire. :) Bon, je ne me vois pas trop lire du Musset en ce moment, mais comme beaucoup d'entre vous, je garde un bon souvenir d'On ne badine pas avec l'amour. Et j'avais dansé sur La Dame aux camélias, mais je ne l'ai pas lu. ;)

    Dans quoi vas-tu te plonger maintenant ?

    Bonnes lectures à toi !
  • Claire C

    Passionné du papier

    En ligne

    #190 13 Octobre 2023 15:45:11

    Merci My et Chris pour vos passages !

    C'est chouette la longévité de ce forum, ça veut dire beaucoup pour moi ! Partager et se nourrir de lectures, dans la bienveillance, ce n'est que du bonheur pour plein d'années en perspective ! Youpi !

    Coucou Maman bouquine !

    Merci pour ton gentil mot ça me fait super plaisir que tu apprécies ce que j'ai écrit sur Musset !
    Je viens de finir de prendre mes notes sur Poussières d'étoiles, je suis prête pour le Book Club du week-end prochain, j'ai trop hâte!

    Et je continue ma lecture de La bibliothèque de minuit (en VO bien sûr !) pour le Book Club du week-end d'après, ce n'est pas foufou mais c'est léger et ça se lit bien pour l'instant.

    Dernière modification par Claire C (13 Octobre 2023 15:49:06)