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- L'orpheline de Simra
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#1 30 Avril 2011 18:23:48
thème 1001 nuits
mots à placer : tapis, oasis, lampe
J'ai posté ce conte pour le dernier atelier d'écriture, mais comme il fait deux pages au lieu de 200 mots, je le poste aussi ici afin de pouvoir le partager si mon écrit n'est pas pris en compte pour l'atelier d'écriture.
Il était une fois, dans un pays lointain, une région ravagée par la guerre.
Cette région, qu’on appelait la Simra, était si atteinte par les symptômes de la guerre- la maladie, les bombes, les lance-flammes, les balles, les chars d’assauts- qu’elle s’était au fur et à mesure peuplée d’orphelinats, construits à la sauvette avec des matériaux de fortune. On y entendait souvent les nonnes dire, au détour d’un couloir « de nos jours les orphelinats, ça poussent partout, aussi vite que les champignons par temps de pluie ! ». Il y avait l’orphelinat de Gatra de la ville Manran, l’orphelinat Deyra, de la ville Trenlran… Presque chaque ville comportait un orphelinat.
Tous les enfants retrouvés seuls y étaient conduit jusqu’à ce qu’un membre de la famille se fasse connaître, mais, par les temps qui courraient, c’était chose rare.
C’était de cette façon que Alida, jeune fille à la peau d’ébène, s’était retrouvée à l’orphelinat Finroio en Simra ; son père « avait été blessé, et sa mort avait emporté sa vie et sa fortune » lui avait expliqué Madame Brendlo, la directrice.
Alida passait ses journées à scruter le paysage morne et pluvieux par la petite lucarne de sa chambre, assise sur son bureau, à rêver que son père, miraculé, vienne la chercher.
Un jour, alors qu’elle était encore perchée à la fenêtre, la jeune fille glissa et fit tomber l’encrier le tapis. Alida se précipita vers celui-ci, ramassa l’encrier, repoussa la flaque d’encre, mais il était trop tard : la tâche noire s’était répandue sur presque toute la moitié du tissu.
La jeune fille pleura à chaudes larmes, car cette étoffe précieuse était le seul objet qu’elle avait eu le droit d’emporter avec elle. C’était le dernier présent de son père, un souvenir de leur ultime voyage aux Indes.
Les broderies sur le tapis représentaient un oasis au cœur du désert. Ses couleurs chatoyantes - l’azur du ciel, l’émeraude des feuilles de palmier, les reflets d’or du sable et ambrés du soleil - rappelait à Alida la beauté des paysages Indiens.
C’est alors qu’elle eut une idée. Elle attrapa l’encrier, une plume, une feuille, alluma sa petite lampe et s’installa sur son bureau.
« Puisqu’on ne voit plus les montagnes, la falaise et l’océan, il faut que je les dessine ! déclara-t-elle avec détermination. Il ne faut pas les oublier. » Et elle se mit à dessiner, dessiner, dessiner.
Mais bientôt, les esquisses ne suffirent plus et elle dut en venir aux mots. Alida se mit donc à écrire, pour décrire le paysage qu’elle refusait de perdre.
Soudain, tandis qu’elle décrivait -presque à en toucher- la neige au sommet de la chaîne de montagnes, une fissure se creusa doucement dans le mur, en face de la jeune fille. Une fissure qui s’agrandi, s’agrandi, s’agrandi encore, croissant lentement jusqu’au plafond comme au rythme de son récit. Puis elle se mit à scintiller, de toutes petites étincelles d’abord, puis de grandes rais de lumières colorées ensuite. Alida s’y engouffra sans réfléchir.
La jeune fille se retrouva alors dans la montagne, bien réelle cette fois, du paysage qu’elle avait tant de fois contemplé sur son tapis.
En dessous d’elle, très loin, sous les nuages cotonneux, elle devinait les sables fins du désert et la tâche de verdure de l’oasis. Alida se trouvait sur l’unique sentier qui enserrait la montagne en serpentin jusqu’à son sommet ; elle décida de le suivre et entama donc une longue marche vers le ciel.
Elle pouvait toucher la roche brune et rugueuse de la montagne, sentir le vent d’air pur dans ses cheveux, entendre les oiseaux piailler lorsqu’elle s’approchait trop près d’un nid, rire aux éclats devant une course poursuite d’écureuil dans les arbres, et se reposer près d’une cascade naturelle sous les chênes centenaires.
Elle s’émerveilla devant une famille renard dans leur tanière, et devant un groupe de chamois sautillant entre les immenses rochers. Plus loin encore, elle dérangea une marmotte qui donnait à manger à ses petits, la petite fille n’avait jamais autant souri.
Oui, pour la première fois depuis bien longtemps, Alida était heureuse.
Elle se mit à courir sur la petite piste, ivre de bonheur et excitée par cette si douce découverte. « Le monde n’est peut-être pas si triste. » se dit-elle.
Elle continua son ascension et découvrit des grottes abandonnées, dissimulées par des lianes, des fougères et de la mousse.
Alors qu’elle était en train d’en explorer la seconde partie, la jeune fille entendit soudain un cri perçant juste au-dessus d’elle ; un cri de d’aigle. Elle se précipita vers la sortie, juste à temps pour le voir s’éloigner.
Déçue de n’avoir pas pu l’admirer plus en détails, Alida continua son chemin autour de la montagne pour tenter de le rattraper.
A la fin de la journée, elle finit par s’assoir, exténuée, sur un petit plateau face au soleil couchant sur la mer. L’aigle se montra de nouveau, strillant le ciel de ses figures aériennes.
La jeune fille contempla là, pour la première fois, un coucher de soleil si beau qu’elle en eut les larmes aux yeux.
« Que la terre est belle » pensa-t-elle.
A ce moment-là, quelque-chose changea imperceptiblement dans l’esprit de la jeune fille, mais aussi dans l’atmosphère. Ce fut d’abord un lointain vagissement, puis un sifflement et enfin un grondement ; un grondement qui n’arrêtait pas de croître, un grondement qui finit par lui sauter au cou pour venir rugir dans ses oreilles comme le vacarme d’une immense vague s’écrasant contre les rochers.
Alida s’éveilla en sursaut.
Une bombe venait d’exploser à proximité. La nonne arrivait pour compter les enfants.
« Alida, tu t’es endormie ? Tu as de l’encre partout ! » lui reprocha la religieuse.
La jeune fille baissa les yeux vers son bureau : des feuilles de dessins et de lettres gisaient là pêle-mêle, froissées par son sommeil. Elle regarda ses mains : elles étaient couvertes de fine lettres d’encre, traçant sur sa peau, le chemin de son rêve.
« J’ai rêvé »comprit-elle.
Mais Alida ne fut jamais déçue d’avoir rêvé ce jour-là. Car elle avait trouvé son don, cette « petite chose » qui colore la vie, comme disait les nonnes, et qui la tiendrait debout jusqu’à la fin.
A travers les mots, Alida avait trouvé une ouverture, une petite faille dans l’espace-temps de la grisaille du monde réel, et qui l’emportait vers de joyeuses aventures.
Lorsqu’elle grandit, Alida quitta l’orphelinat pour découvrir les merveilles du monde, et les retranscrire dans ses ouvrages, pour faire partager cette faille dans le monde aux autres.
Elle devint écrivain et revint très souvent à l’orphelinat, transmettre le secret de la lecture et de l’écriture aux autres enfants, pour qu’à leur tour, ils puissent s’évader dans cette deuxième dimension propre à chacun.
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