Piece of...

 
    • NaïraElerina

      Espoir de la lecture

      Hors ligne

      #1 14 Mai 2011 13:28:54

      Le Départ du Capitaine

      Il marche. Somnambule. Il déambule. Ne sait pas trop où il va mais, enfin, est-ce vraiment nécessaire ? Partir à l’aventure, à l’aveuglette, à l’anglaise… « Y’a que ça de vrai » disait le capitaine. Son grand-père. Paternel. Le maternel lui, il était déjà gâteux quand il est né et il l’est toujours. Mais il est toujours là, lui. Allez comprendre. Savoir pourquoi. Alors que le capitaine, ce brave capitaine, les avait quittés un beau jour du mois de mai, l’année précédente. Il ne s’en était jamais vraiment remis. La tête encore pleine d’histoires fabuleuses, de vagues rondes ou tranchantes dont les allées et venues lui donnaient toujours le tournis. Ou alors était-ce l’idée qu’il ne le reverrait plus jamais. Jamais ? Jamais. End. Punt aan de lijn. It’s over.

      Game Over… Tant pis.

      Et puis la vie continue. Et tu reprends le train. Pas vraiment le choix. Ou tu te retrouves coincé à la gare de trouperduville. Même pas un « café de la gare » dans ce coin-là. Rien, nothing, nada. Juste toi et tes pensées. Tourbillonnantes. Pour le coup, vaut mieux pas y regarder de trop près. « Risque de nausée », indique-t-on. Un cœur en lambeaux, ce n’est pas ce qu’il y a de plus joli à voir. « Cela va de soi, cher patient! Le cœur, ça cicatrise mal! » Un cœur en lambeaux, en fait, ça ne cicatrise pas.

      Mi-janvier. Déjà ! Une patte coincée dans l’étude (l’étude ? Pff ! Le « survolage », en réalité) de ses cours pour la joyeuse partie de plaisir que sont les examens bisannuels, l’autre déjà empêtrée dans un boulot éreintant. Dans quatre mois, ça fera un an. Pas besoin de chercher le tiroir dans lequel il a rangé ces souvenirs douloureux, la moindre pensée, aussi fugace soit-elle, lui renvoie la multitude d’images à la figure. Vider l’appartement des affaires du capitaine, trier chaque effet, soupeser son intérêt matériel, utilitaire et puis… sentimental avait été sa deuxième patte du mois de juin cette année-là. Sa mère, comme toujours, avait fini par prendre les choses en main. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait probablement tout gardé. Il poussait le vice jusqu’à conserver ses tickets de cinéma depuis plus de cinq ans. « Comme ça, je me souviens de ce que j’ai été voir » répétait-il inlassablement lorsque sa mère le houspillait pour qu’il mette un peu d’ordre dans ses affaires. Elle était arrivée à un âge où, après avoir entassé un tas de ces choses que l’on utilisera probablement jamais mais qu’on garde « au cas où » ou par nostalgie, elle éprouvait le besoin de faire table rase et ne sauvegarder que l’essentiel. Matthew fêterait ses vingt-cinq printemps au début de l’automne et cultivait les moindres parcelles de mémoire, reliques de sa jeune vie qui défilait sous ses yeux, comme s’il voulait, lui aussi, avoir des histoires à raconter à ses petits-enfants. Preuves à l’appui. Une fois l’appartement nettoyé de cette mortelle présence, Matthew se rendit compte qu’il ne pouvait plus vivre. Chaque pas, chaque geste, chaque mouvement le ramenait, fantôme enchaîné, au jour où son grand-père lui avait proposé la cohabitation – un deal des plus équitables : « je te débarrasse de ton envahissante mère et tu m’évites ces saletés de maisons de retraite » – et chaque coup de fil maternel lui rappelait qu’il ne gagnait pas sa vie et n’avait donc pas, en l’occurrence, les moyens de continuer à vivre en ces lieux. Le retour à la case départ était inévitable.



      (A suivre)