[suivi lecture] Exuline

 
  • Exuline

    Petit chimiste des mots

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    #791 23 Juillet 2025 11:15:34

    <image> Du sang sur la piste - Yves Burger

    Paris, 1871.
    La France vient de capituler contre la Prusse et l’armée se retourne contre la Commune de Paris qui refuse de se rendre.
    Jeune communard, François Joubert échappe à l’anéantissement de la dernière barricade, abattant sur sa route un officier qui n’est autre que le fils du célèbre commissaire Janson. Il trouve refuge auprès de son frère Toussaint, héros des guerres napoléoniennes, et de son fidèle allié le Comanche Isa-tai, qui ont tourné le dos à l’armée.
    En fuite, le trio traverse l’Atlantique, bien décidé à mener une nouvelle vie à l’autre bout du monde. C’est sans compter sur l’implacable détermination du commissaire français, prêt à tout pour venger la mort de son fils. Chasse à l’homme, tireurs d’élite, guerres indiennes… Les fuyards réchapperont-ils des terribles affrontements qui les attendent ?

    Un premier roman palpitant mêlant habilement précision historique et nombreux rebondissements !



    En quelques mots :

    Deux frères. Deux continents. Une épopée entre guerre et rédemption.  Une fresque passionnante, entre poudre, exil et course poursuite.

    En beaucoup plus de mots :

    Une très belle surprise que la découverte de ce roman de Yves Burger. Une fresque à cheval entre deux continents, entre l’Histoire de France et celle des États-Unis, entre la Commune de Paris avec sa boucherie et les traités de Paix indiens écrabouillés sous le sabot, entre la Prusse et le Mexique, avec en filigrane, partout, la guerre : celle qui broie, qui façonne, qui sépare et parfois rassemble, l'histoire évolue un peu avant, un peu après 1871 et sa fameuse semaine sanglante.

    J’ai eu droit, sans m’y attendre, à un cours d’histoire accéléré passionnant : les barricades dans Paris, la guerre du Mexique, l'indian Appropriation Act, le Klan Act,la bataille de Metz... Le tout habilement distillé, jamais pesant. Tout cette période est portée par l’histoire de deux frères, Toussaint et François Joubert, unis par le sang et les armes, liés par un amour fraternel qui fait du bien à lire, loin des sempiternelles rivalités vues et revues.

    Ce roman est original, autant dans le fond que dans sa forme. J’ai même eu envie de revoir Danse avec les loups tant certaines images me sont revenues en tête. Oui, il y a des clichés du Far West, mais amenés avec justesse, presque tendresse, sans caricature, sans réchauffé. Et j’ai particulièrement apprécié la place laissée aux femmes : fortes, présentes, égales, elles tiennent tête et ne se contentent pas de faire de la figuration dans ce monde d’hommes.

    Yves Burger ne s’encombre pas de descriptions interminables et tant mieux. Nous avons tous en tête des images de cette époque. Il va droit à l’essentiel : les décisions absurdes, la politique qui piétine l’humain, les hommes qui s’égarent dans la violence, la petitesse d'esprit qui rend l'Homme méchant, la noirceur de la supériorité mais aussi ceux qui tendent la main, qui relèvent, qui pardonnent.

    Ce roman est une chevauchée à travers le temps et l’Atlantique, une aventure humaine portée par une plume fluide et juste. Une galerie de personnages, parfois tendres, parfois odieux, et au cœur de tout ça, deux frères inoubliables.

    Vraiment impatiente de découvrir la suite.
  • LaurentVo

    Dompteur de pages

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    #792 23 Juillet 2025 17:54:50

    C'est malin encore un livre qui va sur ma liste de recherche !!!! =D:lol:
  • Exuline

    Petit chimiste des mots

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    #793 30 Juillet 2025 15:02:16

    <image>

    Chronique d’une lectrice embarquée dans le jury du #PrixRomanFnac


    Installez vous bien, je vous parle d'un temps...

    Tout a commencé presque par hasard, une curiosité éveillée au détour d’un clic sur le site Babelio. Une proposition : devenir membre du jury du #PrixRomanFnac. J’ai lu, j’ai hésité, puis je me suis lancée. L’idée de participer à une sélection littéraire nationale, sans prétention ni paillettes, m’a séduite. Ce prix a, selon moi, le mérite de ne pas s’adresser qu’à un cercle fermé. Il parle à un public large, curieux, parfois exigeant, mais jamais excluant. Une vraie littérature pour tous.

    Ce n’était pas ma toute première fois en tant que jurée. En 2023 déjà, j’avais pris part au Prix de la Bête Noire – une expérience bien différente, avec moins de titres, une approche plus souple. Cette fois, c’était plus cadré : six romans à lire, à évaluer, à ressentir. Deux colis espacés de quelques semaines sont arrivés chez moi, comme des messagers de mondes inconnus.

    Le premier fut accueilli avec excitation. À peine ouverts, les livres ont été feuilletés, pesés, envisagés. Pour le choix initial, j’ai demandé à mon compagnon de désigner celui qui lui inspirait le plus confiance. Puis j’ai enchaîné les deux autres, avant de recevoir la suite. La deuxième vague a été abordée plus stratégiquement : du plus court au plus long, méthode précise mais avec une envie constante de découverte.

    La catégorie que j’avais choisie était le roman contemporain français, même si la sélection m’a parfois emmenée sur d’autres chemins : une touche d’historique, une autrice autrichienne… Mais c’est cela aussi, la lecture : se laisser porter là où on ne pensait pas aller.

    Je n’ai ressenti ni pression ni urgence. L’organisation était fluide, les consignes claires : pour chaque ouvrage, relever quelques points forts, quelques faiblesses. L’exercice fut parfois délicat. Comment critiquer ce qu’on a aimé ? Comment valoriser ce qu’on a peiné à terminer ? Mais c’était justement là que résidait toute la richesse de l’expérience : se décentrer, imaginer ce que d’autres pourraient y trouver. Car un roman que je referme avec lassitude peut, pour un autre lecteur, ouvrir une fenêtre précieuse.

    Au fil des pages, j’ai ressenti des choses très différentes : un immense coup de cœur, une lecture très agréable, deux titres assez fades, un qui m’a franchement déplu… et un dernier que j’ai préféré abandonner. Certains thèmes revenaient avec insistance, parfois jusqu’à la lassitude. Mais au-delà des récits eux-mêmes, il y avait cette sensation étrange mais stimulante : lire dans un cadre commun, avec la conscience que ces romans allaient peut-être marquer les tables des librairies à la rentrée.

    Non, je n’ai pas ressenti de privilège à les lire avant tout le monde. En revanche, devoir garder le silence, ne pas partager mes ressentis avec ma communauté de lecture, fut une vraie frustration. Mais c’est le jeu, et je l’ai accepté.

    J’ai voté avec sincérité. Mes choix, je les ai défendus en pensant toujours aux lecteurs, à ce que chaque livre pouvait offrir, même s’il ne me convenait pas. Car ce prix-là, aussi reconnu soit-il, repose sur une diversité de voix, de goûts, d’émotions.

    Je ne sais pas encore si je retenterai l’expérience. Participer à un prix littéraire, c’est un peu comme vivre une aventure discrète mais intense. Parfois exigeante, parfois déroutante. Un peu comme un accouchement – douloureux, mais dont on garde une forme de satisfaction fière. Oui, je sais, la comparaison est audacieuse, mais elle dit quelque chose de juste : on y retourne, parfois...

    Ce rôle de jurée ne m’a pas fondamentalement changée, mais il m’a sans doute modifié dans ma façon de chroniquer. Peut-être que, désormais, je prendrai davantage le temps de nuancer mes avis. D’accepter que ce qui ne me touche pas peut bouleverser quelqu’un d’autre. Que le plaisir de lire ne se mesure pas uniquement à l’aune de son propre goût.

    Et ça, c’est peut-être la plus belle leçon que cette expérience m’a laissée.

    Je vous propose de découvrir maintenant les 30 ouvrages sélectionnés qui sont officiellement annoncés. Je vous laisse les découvrir si vous êtes passés à côté. Mais je précise que mon coup de cœur fait parti de la sélection, alors je suis ravie. Je croise les doigts pour qu'il soit le lauréat.

    Je vous fait un retour très rapide sur mon ressenti (je vous dit les points forts et les points faibles lors de mon retour officiel - un exercice difficile sur certains romans), je prends plus de temps dans les semaines à venir pour vous faire une chronique complète. Je vous les annonce dans mon ordre de lecture.

    <image> Nourrices - Séverine Cressan :heart::heart::heart::heart::heart:
    Un premier roman français exceptionnel, aussi sensuel que bouleversant. A travers les aventures de quelques femmes, on découvre l'incroyable vie des nourrices, ces mères invisibles sur lesquelles a reposé toute une industrie pendant plusieurs siècles.
    Dans ce village, c'est du corps des femmes qu'on tire l'argent qui fait vivre les familles. Car ici, on vend une denrée précieuse : le lait maternel. Sylvaine, son propre enfant à peine sevré, accueille chez elle comme tant d'autres une "petite de la ville". Mais une nuit, en pleine forêt, elle découvre un bébé abandonné dans une clairière et à ses côtés un carnet qui raconte son histoire. Elle ne pourrait veiller sur ces trois nourrissons et quand celle dont elle a la garde meurt dans son sommeil, elle n'hésite pas à échanger les bébés. L'enfant mystérieuse prend la place de Gladie, cette petite fille qui lui avait été confiée...
    Avec ce premier roman sensuel et bouleversant, Séverine Cressan révèle les rouages troublants d'une industrie méconnue. Dans ces pages inoubliables, elle nous entraine dans un univers où la nature et l'enchantement ne sont jamais loin et réinvente l'histoire de ces mères invisibles.


    Points forts
    Une écriture poétique, sensorielle et viscérale, qui célèbre le corps féminin et la nature avec une intensité rare.
    Une immersion totale dans un monde brut et sacré, porté par des images puissantes et profondément ancrées dans la maternité.
    Un texte qui réveille des émotions enfouies, entre douleur et beauté, dans une sororité vibrante et intemporelle.

    Points faibles
    Une narration parfois trop elliptique, qui peut désorienter ou frustrer par son absence de repères classiques.
    Le style très lyrique peut ne pas convenir à tous les lecteurs, surtout ceux en quête d’une intrigue structurée.
    Le manque de contextualisation (pas de nom d’auteur, de lieu, d’époque) peut laisser certains lecteurs sur le seuil du texte.

    <image> L'enseveli - Valérie Paturaud
    Après l'immense succès de La Cuisinière des Kennedy , le nouveau roman de Valérie Paturaud : une histoire d'amitié bouleversante pendant la Première Guerre mondiale.
    Sur le champ de bataille, un obus éclate. Abel n'écoute que son courage et, au péril de sa vie, sauve un inconnu d'une mort certaine.
    Alors qu'Abel est en convalescence dans un hôpital de fortune, un officier défiguré vient occuper le lit voisin. Abel est ouvrier, Adrien est médecin : un gouffre social les sépare et jamais ils ne se seraient rencontrés dans la vie civile. Mais ici, dans ce lieu hors du temps, ils ne sont plus que deux hommes en souffrance.
    Adrien s'intéresse à la vie d'Abel. Privé de l'usage de la parole, il écrit sur un cahier d'écolier pour communiquer. Abel, peu instruit, lit avec difficulté. Entre paroles et écrits, l'officier et le soldat partagent au fil des jours ce qu'ils ont de plus intime, de plus enseveli... jusqu'à découvrir que leurs chemins, avant la guerre, se sont déjà croisés.


    Points forts
    Une écriture rude, dépouillée, en cohérence avec le sujet et l’époque.
    Un éclairage historique intéressant sur la médecine de guerre et les pionnières de la chirurgie reconstructive.
    Une dernière partie haletante portée par une quête de vérité bien amenée, même si trop brève.

    Points faibles
    Une émotion trop contenue, qui peine à atteindre le lecteur malgré la gravité du sujet.
    Des analepses nombreuses qui cassent le rythme et alourdissent la narration.
    Une distance constante avec les personnages, qui empêche toute véritable empathie ou immersion.

    <image> Le Désir dans la cage - Alissa Wenz :heart::heart::heart:
    Paris, 1865. Dans l’appartement des Bonis, personne ne touche au piano. Mais à sept ans, Mélanie s’y aventure, apprend à jouer. À dix-huit, elle est repérée par César Franck qui lui propose de rejoindre le Conservatoire. Alors, Mélanie peut rêver. Elle se voit pianiste, « compositeur ». Elle progresse, fréquente Debussy, Satie, signe bientôt ses premières oeuvres et fait la rencontre d’Amédée-Louis Hettich, poète et chanteur. Ensemble, ils créent. Plus que tout, ils s’aiment. Mais les parents de Mélanie préfèrent la marier à un riche industriel. Alors, déchirée entre ses obligations d’épouse et de mère, les conventions de l’époque et la passion qui gronde, Mel s’obstine. Et jusqu’à son dernier souffle, invente sa musique.

    Points forts
    Une écriture incarnée et musicale : le choix de la seconde personne donne une voix intime et bouleversante à cette femme oubliée, comme une confidence murmurée dans l’ombre de l’Histoire.
    Un regard puissant sur la condition féminine : la cage sociale, familiale et patriarcale devient métaphore sensible d’un enfermement qui nourrit paradoxalement le génie créatif.
    Une ambiance historique immersive : les salons feutrés de la Belle Époque, les figures musicales célèbres et le frémissement d’un monde en mutation donnent chair et élégance au récit.

    Points faibles
    Une héroïne parfois enfermée dans sa douleur : son introspection constante empêche d’explorer pleinement son rapport au monde extérieur, aux autres femmes, ou même à sa musique en dehors de l’amour interdit.
    Un manque de tension dramatique : les enjeux sont posés très tôt et l’évolution reste prévisible, sans véritable rebond ou moment de rupture marquant.
    Un propos féministe discret, presque étouffé : le roman évoque l’enfermement sans toujours lui opposer une force de révolte claire, ce qui peut laisser un sentiment de résignation là où on attendait une révolte.

    <image> Avale - Sephora Pondi :vomi::vomi::vomi:
    Juillet 2018, soir de la finale de la Coupe du Monde de football. Un jeune homme se cache dans les WC d’un centre commercial, les mains couvertes de sang. Il se fait appeler Tom. Ce fils unique de 29 ans, de son vrai nom Romain Marais, est étudiant en pharmacie et depuis l’enfance l’objet de brimades, de rejets et de frustrations qui l’ont mué en homme largué et érotomane, aux prises avec d’étranges désirs de dévoration.
    Jeune actrice noire en pleine ascension, Lame se livre à des séances d’hypnose pour soigner un eczéma qui la ronge. Plongée dans un état second, elle revisite son enfance en banlieue, sa rencontre décisive avec son amie Génia, ses rêves de cinéma… et tente ainsi d’échapper à un sentiment de menace qui la hante.
    L’un est un monstre en puissance ; l’autre une comédienne en devenir qui réalise que ce corps, qu’elle veut offrir et voir vibrer au contact du monde, lui échappe et la met en danger. Les deux trajectoires vont se juxtaposer jusqu’à leur collision…
    Avale est un livre de genre (à entendre dans sa polysémie), à l’écriture éclatante et sensuelle. Un premier roman qui ne laisse pas indemne, à l’image de son autrice dont le talent déjà connu sur scène s’exprime ici avec une force impressionnante.


    Points forts
    Une écriture brute, viscérale, parfaitement en accord avec le propos.
    Des thématiques puissantes : corps, violence, obsession, identité.
    Une construction en miroir qui interroge sans relâche le lecteur.

    Points faibles
    Une lecture éprouvante, quasi insoutenable par moments : sexe, vomi, pulsions destructrices, l’auteur pousse à l’écœurement volontairement.
    Une structure très éclatée avec une surabondance d’analepses qui rend le fil parfois confus et la lecture pesante.
    Un profond malaise constant : certains passages frôlent la complaisance dans le sordide, ce qui peut rebuter plus qu’émouvoir.
    Un roman clairement destiné à un public averti : âmes sensibles s’abstenir, certaines scènes sont vraiment choquantes.
    Un texte qui s'adresse à une niche élitiste, capable d’encaisser la brutalité psychologique et physique sans en ressortir totalement brisée.

    <image> Les Incommensurables - Raphaela Edelbauer :S:S:S
    Vienne, 31 juillet 1914. Les habitants de la capitale de l’Empire austro-hongrois attendent l’expiration de l’ultimatum allemand. La ville est un torrent furieux, plus que trente-six heures avant que la guerre ne débute et que le monde ne change à jamais.
    Au milieu de cette frénésie, Hans, un jeune garçon de ferme, arrive pour la première fois à Vienne pour chercher une célèbre psychanalyste interprète de rêves, convaincu qu’il a un don. Il y rencontre Adam, un aristocrate doué pour la musique mais dont la prestigieuse famille lui a déjà choisi une carrière militaire. Le trio est complété par Klara, l’une des premières femmes préparant un doctorat en mathématiques et soutenue par les suffragettes. Ensemble, ils passeront la dernière nuit avant la mobilisation.
    Avec une écriture fiévreuse et bluffante, Raphaela Edelbauer fait de nous les témoins de ce tournant de l’histoire où chacun cherche sa vérité dans les palaces, les bas-fonds et les casernes d’une ville creuset des arts et de la science, mais aussi des horreurs et des rêves à venir.


    Points forts
    Un cadre historique et géographique riche : La Vienne d’avant-guerre est décrite comme lumineuse, enivrante, presque magique. La ville devient un personnage à part entière
    Un contraste intéressant : L’opposition entre le jeune homme campagnard et la ville élégante et foisonnante est marquante, bien rendue.
    Un trio de personnages au potentiel symbolique : La rencontre du héros avec un jeune homme riche et une fille génie en mathématiques intrigue, comme si le destin les avait liés. Cela installe un début de tension ou de promesse narrative.
    Une idée forte autour du don de perception du héros : Le pouvoir d’anticipation, le besoin de comprendre ce don, la quête de sens sont des pistes intéressantes posées dès le départ.
    Points faibles :
    Un manque de cohérence interne : plusieurs incohérences dans les choix de narration (ex. : un jeune paysan qui lit Dante sans explication crédible), avec des justifications qui sont expéditives.
    Des personnages peu crédibles : Leur construction me semble bancale, parfois artificielle, et leurs motivations peu convaincantes.
    Un style trop contemplatif à mon goût : je reproche au roman de diluer l’intérêt dans des descriptions ou réflexions qui se désagrègent avant de prendre forme.
    Une narration qui laisse tout retomber : Chaque élément prometteur semble disparaître sans consistance, comme "neige au soleil"
    Un manque de cible claire pour le lectorat : Malgré son succès à l’étranger, je ne m’y retrouves pas et je doute de l’adéquation entre l’ambition du roman et l’intérêt qu’il peut susciter chez des lecteurs moins sensibles à ce genre de démarche.

    <image> Aux nuits à venir - Joffrine Donnadieu
    « Son ventre est chaud, il brûle. Il ne reste plus que cette boule incandescente au niveau du nombril qui illumine tout sur son passage. Jamais elle n’a ressenti autant d’amour. Son ventre contient leur histoire. Elle flotte dans l’air comme un foulard emporté par le vent. Elle passe à travers la grille, y dépose la fourrure des souvenirs qui l’étouffaient, les secrets enfouis, sa vie faussée. Elle dépose les angoisses, les peurs, le dégoût d’elle-même, l’effroi, la culpabilité, les mensonges et les sombres nuits. »
    À trente-quatre ans, Marguerite, dite Marge, fuit la moindre entrave à sa liberté. Sans emploi ni logement stables, elle est envahie par des personnages qui peuplent ses nuits, chacun réclamant qu’elle raconte son histoire. Elle finit par trouver refuge dans la cabane d’un chantier abandonné, rue des Martyrs.
    En escaladant l’échafaudage de l’immeuble vide, elle découvre un dernier occupant : Victor, ancien militaire, qui résiste aux pressions du promoteur immobilier. Ensemble, ils vont faire alliance contre le monde extérieur. Alors que chaque nuit Marge met au monde les créatures qui la hantent et lui dévoilent un lourd secret d’enfance, la passion amoureuse va saisir les deux réfractaires aux destins si opposés.
    Ce roman plein de fougue emporte le lecteur dans l’histoire d’un amour ardent, nourri par la puissance de l’imaginaire. Joffrine Donnadieu libère ici une langue charnelle, vibrante, habitée.


    Points forts :
    Roman qui explore la folie avec une grande délicatesse : l’autrice donne vie à un monde intérieur complexe, peuplé de voix et d’illusions, pour mieux évoquer la douleur, la solitude, et le besoin de protection face à une réalité trop cruelle.
    La relation entre Marge et Victor est étonnamment belle dans sa brutalité et sa fragilité. Ces deux êtres abîmés se reconnaissent, se réparent un peu, s’aiment peut-être, sans jamais rentrer dans un schéma convenu. Ce lien ambivalent, suspendu entre tendresse et violence, donne au roman une vraie densité émotionnelle.
    L’écriture, parfois heurtée ou tremblante, semble épouser les émotions des personnages : elle renforce ce sentiment d’urgence, d’instabilité, et donne au texte une dimension presque organique, comme si le lecteur partageait chaque montée, chaque chute.

    Points faibles :
    Le roman souffre d’un trop-plein : les descriptions de l’immeuble délabré, les rencontres secondaires, les scènes un peu redondantes finissent par ralentir la lecture. Ces éléments, au lieu de renforcer l’atmosphère, détournent parfois l’attention de l’essentiel : Marge, Victor, leur lien, leur chute.
    Une version plus condensée aurait renforcé l’impact du récit. Certaines longueurs cassent le rythme et peuvent faire décrocher, alors que la tension émotionnelle, elle, est puissante et méritait d’être mieux tenue jusqu’au bout. Le roman aurait pu être encore plus fort s’il avait gardé uniquement sa moelle vive.


    Comme vous l'aurez peut-être remarqué, j'ai été plus prolixe sur les second envoi que le premier, que voulez-vous je m'améliorais ;)

    J'espère que je vous ai déjà donné envie de découvrir certaines de mes lectures ou même certains titres de la sélection (j'ai repéré L'invention d'Eva de Alessandro Barbaglia, Nous sommes faits d'orage de Marie Charrel ou La bonne mère de Mathilda Di Matteo).

    Merci de m'avoir lue, je sais que l'article était long.
  • Grominou

    Administratrice

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    #794 31 Juillet 2025 00:28:30

    Merci d'avoir partagé ton expérience!
  • Exuline

    Petit chimiste des mots

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    #795 31 Juillet 2025 09:55:54

    Grominou a écrit

    Merci d'avoir partagé ton expérience!


    Oh de rien, je trouvais que c'était important que vous donnez mon ressenti puisque nous en avons parlé de nombreuses fois.



    <image> Les Incommensurables - Raphaela Edelbauer

    Vienne, 31 juillet 1914. Les habitants de la capitale de l’Empire austro-hongrois attendent l’expiration de l’ultimatum allemand. La ville est un torrent furieux, plus que trente-six heures avant que la guerre ne débute et que le monde ne change à jamais.
    Au milieu de cette frénésie, Hans, un jeune garçon de ferme, arrive pour la première fois à Vienne pour chercher une célèbre psychanalyste interprète de rêves, convaincu qu’il a un don. Il y rencontre Adam, un aristocrate doué pour la musique mais dont la prestigieuse famille lui a déjà choisi une carrière militaire. Le trio est complété par Klara, l’une des premières femmes préparant un doctorat en mathématiques et soutenue par les suffragettes. Ensemble, ils passeront la dernière nuit avant la mobilisation.
    Avec une écriture fiévreuse et bluffante, Raphaela Edelbauer fait de nous les témoins de ce tournant de l’histoire où chacun cherche sa vérité dans les palaces, les bas-fonds et les casernes d’une ville creuset des arts et de la science, mais aussi des horreurs et des rêves à venir.


    Avant de vous parler de ce roman, il faut commencer par la définition du mot « incommensurable »… En mathématiques, cela désigne un rapport non mesurable, un nombre irrationnel. Et c’est exactement ce que fut ma lecture : non mesurable, non quantifiable, un objet littéraire que je n’ai tout simplement pas réussi à appréhender. Ce sera donc un abandon pour moi.

    On y suit un jeune homme, presque adulte, qui possède un don étrange : il perçoit les détails invisibles aux autres, anticipe les petites banalités de l'existence et va à la rencontre de la seule personne qui puisse l’aider.

    Convaincu qu’il y a un sens à cela, il quitte sa campagne — un peu poussé, il faut le dire — pour rejoindre Vienne, la veille de l’entrée en guerre en 1914. La ville, magnifiquement décrite, devient un personnage à part entière : c’est grisant, c’est magique, les immeubles sont beaux, les gens sont beaux, la ville est belle, la vie est belle. Le contraste entre l’austérité du jeune homme et la chaleur de la ville est saisissant, et j’ai trouvé cette opposition particulièrement bien rendue.

    Mais malheureusement, c’est à peu près tout ce que j’ai retenu de positif.

    Très vite, des incohérences m’ont sortie du récit. Ce jeune campagnard qui lit Dante et Victor Hugo, pourquoi pas… mais l’explication arrive tard, trop rapide pour convaincre. Comme si l’auteur savait que ce n’était pas crédible, mais se sentait obligé de justifier sans vraiment s’y attarder. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : des éléments posés là, sans vraie construction, et que l’auteur tente de justifier un peu maladroitement a posteriori. Le roman se veut sans doute subtil, mais il m’a paru surtout déséquilibré, contemplatif à l’excès, et souvent frustrant. Et moi, je décroche.

    Ce jeune homme rencontre deux autres jeunes : un garçon riche, une fille en avance sur son temps, génie des mathématiques, qui veut imposer sa science. Leur rencontre insolite au pied d’un immeuble, posée comme un moment suspendu, aurait pu être le point de départ d’un récit fort. Mais là encore, les promesses s’évaporent comme neige au soleil, et ça disparaît dans les rues de Vienne. Les idées se délitent, et l’intrigue, si tant est qu’elle existe, peine à retenir l’attention.

    Je suis sans doute passée à côté, malgré les prix obtenus outre-Rhin. Mais je ne suis tout simplement pas la lectrice cible de ce roman. Peut-être parlera-t-il à d'autres, sensibles à cette ambiance flottante, à ces fragments de réflexion mathématique et à cette errance poétique. Moi, je suis restée sur le seuil.

    Dernière modification par Exuline (31 Juillet 2025 09:56:06)