#5 21 Mars 2015 22:01:13
Petite inspiration de l'instant. Une petite histoire, partie d'une idée. Un texte un peu plus long, sans prétention.
Elle marchait, sa canne ensorcelée appuyée d'une main. Elle marchait et parcourait le monde. Elle était plus vieille que le monde, plus encore que l'univers lui-même. Elle n'avait pas de nom, pas d'identité. Mais elle aimait sa clandestinité, sa liberté, son existence infinie et sa discrétion sans faille. Elle distribuait rires et sourires d'un simples regards, à ces hommes tristes, à ceux qui avaient le regard hagard. Elle leur redonnait espoir. Elle leur transmettait la tranquillité. Partout où elle passait, de son pas claudiquant, elle redonnait avec générosités ses bons sentiments. Une légende courait sur elle, tel un secret bien gardé et transmis seulement de fils en fils. Une légende disant que si le monde n'avait pas flanché, s'il ne s'était pas effondré, c'est parce qu'elle était là, le parcourant simplement, et qu'elle représentait à elle seule ce que le monde avait de meilleur et de plus beau à offrir. Certains disaient même qu'elle était le monde.
Son existence et sa présence suscitait parfois quelques interrogations. D'où venait-elle? Qui était-elle réellement? Ses yeux exprimaient une sérénité infinie, son sourire était ancestral, mais ses traits étaient celui d'une jeune fille, fraîche, légère et joviale. Elle ne semblait être qu'amour, paix, gaieté, joie, légèreté, générosité.
Un jeune homme l'avait une fois suivi, jusque dans une forêt où elle s'était enfoncé, baladant tranquillement. Et soudain, il la vit poser sa canne sur une souche, et elle commença a danser d'un pas léger, presque aérien. Il la vit sautiller, danser, au rythme d'une musique silencieuse. Elle riait, les cheveux au vent. Elle riait, et riait encore. Son rire était le son plus cristallin, le plus pur et formidable, magique tout à la fois que le jeune homme avait jamais entendu. Il en tomba éperdument amoureux. Oui, au simple son de son rire, il tomba amoureux de la jeune fille sans nom. Il la vit soudain prendre dans ses bras un lapin. D'autres animaux s'approchaient timidement d'elles, formant au fur et à mesure un public silencieux et intrigué. La jeune fille continuait de danser tout en parcourant la forêt. Certains animaux la suivaient, d'autres formaient simplement des rangées le long du chemin de la jeune fille. Le jeune homme la suivait de loin. Il ne voulait plus la quitter des yeux, ne plus s'éloigner de cette voix qui l'avait ensorcelé.
La jeune fille finit par sortir de la forêt, suivie par le jeune homme. Elle savait qu'il la suivait. Depuis le début, elle sentait sa présence. Elle sentait aussi que le jeune homme était plus près d'elle que n'importe quand auparavant. Soudain, elle fit volte-face, et planta son regard d'émeraude dans ses yeux à lui. Le jeune homme fut tellement surpris qu'il ne bougea pas. Il ne tenta pas même de se dissimuler derrière l'arbre pourtant à son côté. Elle s'approcha de lui de sa démarche aérienne et fut près de lui l'espace d'un battement de cils. Il la regarda intensément, et se dit qu'il n'avait vu de fille aussi mystérieuse et expressive à la fois. Il n'avait jamais vu de visage reflétant une telle gentillesse, une telle beauté. Il la regarda longtemps pour mieux se souvenir de son visage quand elle disparaîtrait -car il savait que cela arrivera tôt ou tard, et cela lui glaça un peu le coeur. La jeune fille ne cessait de le sourire. Elle prit ses mains et les mit dans les siennes. Elle lui donna un baiser sur sa joue, laissant une douce sensation de chaleur au jeune homme.
-Qui es-tu?
A ce qu'on disait, la jeune fille ne parlait pas. Le fait même de l'entendre rire relevait d'une grande chance. Le jeune homme fut un peu chamboulé, et ne répondit pas de suite.
-Je m'appelle Wilcent, dit-il finalement. Et toi?
La jeune fille rit, mais ne dit mot. Cependant, en voyant l'air décontenancé du jeune homme, elle approcha ses lèvres de son oreilles, et dans un murmure, lui souffla un nom.
-Je m'appelais ainsi, il y a très longtemps. Mais j'aime à ne pas avoir de nom, rajouta-t-elle à plus haute voix.
Le jeune homme trouva son nom magnifique. Il eut le bref sentiment d'être de plus en plus ensorcelée par cette créature -car en son fond intérieur, se doutait-il qu'elle n'était pas humaine- à la longue chevelure de nacre et d'argent. Mais il chassa rapidement cette pensée, et se surprit à poser passer une main sur la joue de la jeune fille, avant de rapidement la retirer, se rendant compte de son geste déplacé. A sa grande surprise, la jeune fille eut un sourire et un regard empreints d'une grande tristesse. Elle tourna son dos, comme pour s'éloigner, mais le jeune homme posa doucement sa main sur son bras.
-Qu'y a-t-il donc qui te rende si triste, brutalement?
La jeune fille se tourna lentement vers lui, son visage encadré par sa chevelure qui la cachait à moité. Ses yeux si d'un vert si vif quelques instants auparavant étaient maintenant gris de larmes qui ne demander qu'à couler.
-Je suis la fille la plus âgée de tout l'univers et je distribue le bonheur chaque jour pour le donner aux pauvres et malheureux, mais comble d'ironie je n'ai moi-même pas droit à mon propre bonheur. Je suis condamnée à errer sans âge pour celui des autres, qui ne font que m'apercevoir. Mais toi, tu es le premier à me regarder vraiment. Me vois-tu si différemment d'eux?
Le jeune homme ne sut que répondre. « Oui » murmura une voix dans sa tête. Dès son premier regard, il était intrigué. A son premier rire, il était amoureux. Et en voyant ses premières larmes, il aurait tout donné pour la rendre heureuse. Ce qu'il lui dit. La jeune fille le regarda alors pleinement et lui sourit. Un petit sourire, semblable à celui que des enfants, timides, s'accordent entre eux d'un air entendu.
-Je voudrais voir le monde a ta manière, lui dit-il. Je t'ai suivi, intrigué et dorénavant, je ne veux plus te quitter. Je crois bien même que tu m'as ensorcelé. Mais c'est un sort que je supporterais avec plaisir si tel est le cas.
La jeune fille lui sourit plus franchement et, d'un geste commun, leurs visages se rapprochèrent tout doucement, avant que leur lèvres ne se touchent. Une sensation de chaleur et de lumière s'échappa de ce baiser. Une sensation d'une magie ancestrale, qui envahit tous les sens de Wilcent. Il sut alors, dès l'instant où ses lèvres se séparèrent des siennes, qu'il était à présent comme elle. Immortel et intemporel.
Autrefois, et ce jusqu'à la première fois où il avait aperçu la jeune fille, il n'avait en amies que l'obscurité, le silence et la solitude. Dans son monde, les gens ne voyaient que la couleur argent et lui attribuait toutes sortes de choses comme le bonheur, le confort, la santé. Les autres couleurs, beaucoup ne les voyait pas. Quelques-uns parfois regardaient le bleu du ciel et s'y perdaient, se surprenant à voler comme un oiseau, avant de trébucher sur le sol. Peu de gens voyaient la vie en rose, aussi. En revanche, le noir, envahissant, était présent dans l'esprit de beaucoup d'entre les siens. Y compris de lui-même. Wilcent était prisonnier de sa couleur, luttant chaque jour pour les autres, mais le Noir les absorbaient toutes, telles un ogre dévorant les enfants. Le noir était également le geôlier de nombreuses autres personnes qu'il avait croisé. Mais de ceux-là, certains avaient croisé la jeune fille, et par son simple sourire, avaient fait voler en éclat l'obscurité de leur esprit. Wilcent se rappelait tout cela, et à présent savait quelle était sa couleur. Il regardait alors les yeux de la jeune fille, d'un vert si intense qu'on aurait juré qu'une forêt toute entière s'y cachait.
Elle glissa sa main dans la sienne, timidement, et il lui sourit alors. Sa couleur était l'émeraude. Et dès lors que la jeune fille l'avait regardé, puis sourit, son geôlier à lui aussi avait disparu. Il pouvait voir le monde en couleur, dans toutes ses nuances. Il avait gardé ses croyances, malgré les médisances des gens d'Argent. Et finalement, avait trouvé le bonheur dans l'Emeraude, grâce à une jeune fille qui s'était logée dans son cœur.
Elle avait pour la première fois, révélé son nom à une personne. Car pour la première fois, on le lui avait demandé. Elle avait représenté plus qu'un espoir, ou une parcelle de beauté. Car pour la première fois, la jeune fille s'était senti considérée. Elle n'avait cessé d'être ce qu'elle était, et d'offrir aux autres ce auquel elle ne pensait jamais avoir droit. Et, pour la première fois, une personne l'avait réellement vue, et non seulement aperçue. Elle pensait que celle qu'elle a été une fois avait finalement disparue. Mais lorsque Wilcent a prononcé son nom, dans sa première phrase en tant qu'être immortel et intemporelle, elle sut à jamais qu'elle serait heureuse, et qu'elle pouvait donner encore plus maintenant qu'elle avait reçu, pour la toute première fois. Oui, elle recevait de la tendresse et de l'amour, et tout cela, elle le percevait dans la simple déclaration du jeune homme qui dorénavant parcourait le monde avec elle distribuer de bonnes choses aux autres. Une simple phrase. « Je t'aime à jamais, Julca ».