[suivi lecture] cachal_eau

 
  • Cachal_eau

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    #161 22 Mai 2018 13:57:40

    Bon, il est temps de faire un petit point sur mes deux dernières lectures.

    La lettre au père de Kafka m'a un peu laissé sur les rotules tant son écriture dense qui me plaît pour son côté oppressant lorsqu'il écrit dans une veine fantastique m'a gêné. J'ai pensé à la phrase de Montaigne lorsqu'il parlait de son amitié pour La Boétie. "Parce que c'était lui, parce que c'était moi". Je pense que Kafka pourrait se la réapproprier pour parler de sa mésentente avec son père. J'ai plus souvent croisé dans mes lectures des mères castratrices que des pères. Sa volonté d'incarner le patriarche a atrophié les prédispositions de ses enfants qui ne pouvaient s'en sortir que par la révolte, la soumission ou la flatterie. Parce que le père ne pouvait s'empêcher d'être lui et que le fils ne pouvait s'en détacher complétement, la tragédie grecque était écrite d'avance. Aucune mort violente à la fin pourtant.

    J'ai fini hier Les faux-monnayeurs d'André Gide. Très riche sur la forme comme sur le fond. J'ai l'impression d'un Gide qui a lu La Rochefoucault (de nombreuses fois cités) et qui a décidé d'en faire un roman.
    La forme d'abord. Une sorte de poupée russe. un roman où apparaît un romancier qui veut écrire un roman du même nom que le roman qu'on lit où apparaitrait un romancier qui écrirait ce même roman. C'est à se demander quelle part de fiction et de réel il existe dans tout ça.
    "- Je vois, hélas! que la réalité ne vous intéresse pas.
    - Si, dit Edouard; mais elle me gêne.
    - C'est dommage", reprit Bernard

    Et puis Gide ne se prive pas d'intervenir dans son récit, de le commenter, de donner son avis sur ces personnages. Mais là encore, l'auteur du roman intervenant dans le roman est-il un auteur de fiction ou le vrai Gide.
    "Laura, Douviers, La Pérouse, Azaïs... que faire avec tous ses gens-là? Je ne les cherchais point; c'est en suivant Bernard et Olivier que je les ai trouvés sur ma route. Tant pis pour moi; désormais, je me dois à eux."

    On passe au fond. C'est donc un roman sur le roman qui traite  de l'âme.
    "Rien n'est simple, de ce qui s'offre à l'âme; et l'âme ne s'offre jamais simple à aucun sujet. Pascal"
    Alors oui l'âme n'est pas simple. On n'arrive pas à la connaître nous-même.Mais en plus elle est changeante
    "Je ne suis jamais ce que je crois que je suis - et cela varie sans cesse, de sorte que souvent , si je n'étais là pour les accointer, mon être du matin ne reconnaîtrait pas celui du soir. Rien ne saurait être plus différent de moi, que moi-même".
    "Mais savez-vous que j'ai déjà beaucoup changé; ou du moins mon paysage intérieur n'est déjà plus du tout le même que le jour où j'ai quitté la maison."


    Mais alors comment communiquer? Comment communiquer lorsque nous nous contentons de ne prendre que l'apparence de nous-même? Nous sommes tous des faux-monnayeurs qui délivrent de la fausse monnaie qui a notre apparence mais qui n'est pas nous.


    J'ai commencé Jeune homme de Knausgaard. Ceux qui suivent mon suivi savent que Knausgaard et moi, c'est une relation tendue et attendue.

    Dernière modification par Cachal_eau (22 Mai 2018 14:35:15)

  • honha

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    #162 26 Mai 2018 14:05:25

    Bonjour Cachal_eau !
    Je rebondirai sur tes impressions sur Lettre au père. Je n'ai pas compris en quoi la phrase de Montaigne aurait pu être utile à Kafka.
    Je ne connais pas ta lecture actuelle, ni d'ailleurs Knausgaard. J'attends ton retour avec curiosité !
  • Cachal_eau

    Espoir de la lecture

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    #163 28 Mai 2018 12:10:28

    honha a écrit

    Bonjour Cachal_eau !
    Je rebondirai sur tes impressions sur Lettre au père. Je n'ai pas compris en quoi la phrase de Montaigne aurait pu être utile à Kafka.
    Je ne connais pas ta lecture actuelle, ni d'ailleurs Knausgaard. J'attends ton retour avec curiosité !


    Je n'ai plus le texte de Kafka sous les yeux donc je vais essayer de préciser avec mes souvenirs de lecture. Souvenirs déjà approximatifs.
    Lorsque Montaigne dit "parce que c'était lui, parce que c'était moi", il répond à la question pourquoi lui et La Boétie étaient amis. Parce qu'il y aurait trop à dire sur les raisons pour lesquelles ils sont amis, ils utilisent cette formule qui peut se traduire "parce que c'était l'évidence". Leurs caractères, leurs affinités, leurs valeurs était tellement en harmonie qu'ils ne pouvaient qu'être de grands amis.
    Et après avoir lu la "Lettre au père" j'ai pensé à la même chose concernant la relation entre Kafka et son père. Elle ne pouvait être que catastrophique parce que Kafka était Kafka, un garçon sensible en recherche sans cesse de reconnaissance paternelle et anxieux, et que le père de Kafka était qui il était, un homme rude sans tact qui a construit sa propre réussite et qui cherche à rester le dominant dans sa famille même s'il doit user de mauvaise foi.

    Lorsque Kafka évoque sa mésentente avec son père, il précise à plusieurs reprises à son père qu'il n'est pas à blâmer pour certains de ses comportements. Il rebondit d'ailleurs pour dire que parallèlement il n'est pas blâmable lui-même de certains de ses comportements. Je pense que Kafka se rendait compte que son père avait des attitudes qui peuvent paraître raisonnable pour la plupart mais qui le faisait particulièrement souffrir et que réciproquement Kafka a fait des choix de vie qui faisaient sens mais que le père était incapable de comprendre.

    L'incapacité du père à se remettre en question, la conviction du père de forger un caractère en se montrant toujours dur, la tendance de Kafka à s'affirmer par la provocation tout en recherchant une affection et une approbation dont il ne pouvait se dispenser pour avancer, tout cela crée les conditions pour une incompréhension totale, aucun des deux n'étant capable de communiquer avec l'autre.

    J'espère avoir été un peu plus clair. :goutte:


    En ce qui concerne Knausgaard, je ne le connaissais pas non plus avant de le prendre au hasard en furetant chez mon libraire. J'ai bientôt fini ce troisième tome mais je n'en dirais pas beaucoup plus que ce j'ai déjà dit pour les deux premiers. En tout cas le suivi ne va pas tarder. ;)

  • Cervus

    Lecteur fou

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    #164 28 Mai 2018 13:28:18

    @cachal_eau : Je ne peux qu'adhérer à cette explication en effet.
    Même si je soupçonne Kafka d'user de sa formation en droit pour tourner certains reproches en "concessions".
  • honha

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    #165 28 Mai 2018 13:33:01

    Tu as été on ne peut plus clair :) . Merci ! Et je te rejoins !
    Maintenant, c'est Aealo que je ne comprends :D ...
  • Cervus

    Lecteur fou

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    #166 28 Mai 2018 15:15:18

    @honha : Ne serais-tu pas fatigué en ce moment? C'est lyly qui t'éreinte ainsi? :D
    J'entends par là (mais je n'ai pas étudié le droit) que je soupçonne Kafka de dissimuler certains reproches derrière certaines de ses concessions. En effet, comme le dit cachal_eau, "il précise à plusieurs reprises à son père qu'il n'est pas à blâmer pour certains de ses comportements" mais ces moments aux semblants d'accalmie dans la lettre ne sont que des passes pour mieux ré-attaquer son père après, souvent encore plus fort que le coup précédent. Ces "concessions" dans sa Lettre ne m'ont pas toujours parues pleinement "sincères", comme "calculées" (des semi-concessions en quelques sorte, comme pour mieux tromper). Du coup, je me demande si ce n'est pas une volonté de Kafka de modérer ses effets pour mieux repartir à l'assaut de plus belle juste après. Ce qui j'en ai l'impression, serait bien une "technique d'avocat".

    Je ne suis pas certain d'avoir été clair... :goutte:

    Mais du coup, j'attends beaucoup de son Journal pour avoir une confirmation ou une contraddiction de cette impression.

    Dernière modification par Aealo (28 Mai 2018 15:15:36)

  • honha

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    #167 28 Mai 2018 20:24:54

    @Aealo : ah, là, j'ai compris. Tu vois quand tu veux :D . Bon, j'avoue, je suis un peu fatigué en ce moment.
    On peut également voir les choses ainsi. Ramener cela à une "technique d'avocat" me semble assez restrictif, cette combine est plutôt répandue. Ceci dit, tout est question d'interprétation, on y revient.
    Soit dit en passant, Kafka a tout d'une poupée russe : pour comprendre La métamorphose, mieux vaut lire Lettre au père. Et pour mieux comprendre celle-ci, mieux vaut lire son Journal. Quelque chose me dit que son Journal ne sera pas une fin en soi :D .
  • Cachal_eau

    Espoir de la lecture

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    #168 04 Juin 2018 09:38:38

    Bon, il est temps de faire un résumé des dernières lectures.

    D'abord, Jeune homme de Karl-Ove Knausgaard. Le style est similaire au deux premiers tomes, c'est-à-dire bloc sans aucun chapitre ou coupure permettant de prendre un peu son souffle. Le thème de la relation au père ayant déjà été évoqué dans La mort d'un père, ce sujet m'a un peu paru redondant mais il fallait s'y attendre dans une œuvre dont l'auteur admet l'avoir écrit sans chercher à construire mais en se laissant porter par ce qui lui venait à l'esprit. Et comme toujours, nous avons le droit à de multiples scènes dont la pertinence paraîtront nulles à beaucoup.

    Concernant le fond du sujet, le texte traite de la vie de Knausgaard entre ses 7 et 13 ans, au moment de l'enfance "consciente". Il est difficile d'apprécier le recul pris ou non par l'auteur dans ces souvenirs (ce sera toujours le cas dans les récits d'enfance je pense). Mais il ressort quand même qu'il semble que l'enfant n'est pas si loin de l'adulte, comme si malgré tout les efforts qu'on puisse faire pour stimuler ou réduire une qualité ou un défaut, on garde primairement le même caractère. Je ne vais pas m'étayer plus sur Knausgaard car j'en avais déjà beaucoup parlé lorsque j'ai lu Un homme amoureux mais je continue à dire que c'est une expérience à tenter.

    Ensuite, Les nuits de laitue de Vanessa Barbara. Même si cela a été une lecture agréable, je me suis un peu fâché. J'ai eu l'impression qu'en se contentant de réunir dans un quartier des personnages fantasques ou aux manies excentriques, cela suffisait pour nous contenter, un sorte de "voyage du fakir à la mord mois le nœud bis". Bon je suis un peu injuste, l'univers de Vanessa Barbara était plus cohérent et moins gnangnan que l'affreux fakir. L'intrigue dévoilà à la fin du roman ne m'a pas non plus plus emballé que ça mais la lecture n'a jamais été lourde et est resté plaisante.

    Enfin, La meilleure part des hommes de Tristan Garcia. Cela faisait longtemps que je voulais lire ce livre sur fond des années de l'émergence des mouvements homosexuels à la période de la lutte contre le SIDA.
    Sur le fond, on suit la vie de trois personnages raconté par un quatrième qui les a fréquenté. Ces trois personnages sont inspirés de trois personnes existantes ou ayant réellement existées mais sans pouvoir être assimilables à ceux-ci (l'auteur réunit sur un personnage les traits de plusieurs personnes).
    Sur la forme, on a un roman qui est constitué des témoignages de ce quatrième personnage (une journaliste parisienne travaillant pour Libération) qui a fréquenté les trois autres et qui nous raconte leurs histoires à travers des dialogues qu'elle a eu avec eux, des interviews qu'ils ont eus à la télévision, etc...
    C'est donc une sorte de récit à la première personne qui m'a intéressé mais me laisse encore des doutes sur mon affinité avec le style. Je pense lire Faber par la suite.
    Je reviendrais sur ce livre plus tard car il faut que je relise le dernier chapitre et mieux comprendre la raison du titre "La meilleure part des hommes".

    Ce week-end a aussi été l'occasion de passer à la librairie et de faire des folies en achetant 10 livres. Putain 10 quoi! :tetemur:
    Les jardins statuaires de Jacques Abeille
    Le veilleur de jour de Jacques Abeille
    La semaine sainte de Louis Aragon (mon premier Aragon)
    Esthétique et théorie du roman de Mikhaïl Bakhtine (genre j'aurais le courage de le lire)
    Bleak House de Charles Dickens
    Paludes d'André Gide (je voulais acheter La porte étroite mais il n'y était pas)
    Ferdydurke de Witold Gombrowicz (mon premier Gombrowicz)
    Le château de Franz Kafka
    Les cavaliers de Joseph Kessel
    Et ils meurent tous les deux à la fin d'Adam Silvera

    Sinon, j'ai commencé Gang de rêves de Luca Di Fulvio (livre que je n'arrête pas de voir partout sur ce site)

    Dernière modification par Cachal_eau (04 Juin 2018 09:40:27)

  • Mirmont

    A la découverte des livres

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    #169 04 Juin 2018 12:54:45

    Esthétique et théorie du roman de Mikhaïl Bakhtine


    Une belle odyssée en perspective dans l'univers fantastique de la polyphonie et du dialogisme : bon courage ! Plus sérieusement, je suis très curieux de lire ton avis sur cet œuvre, moi qui me promet depuis longtemps de m'y lancer, sans pour autant trouver la dose nécessaire de motivation (et puis lire Bakhtine implique dans mon esprit a minima défricher un peu Jakobson, Saussure et Benveniste - ce qui nécessiterait pas mal de temps et d'attention). Zorba, un livraddictien aux excellentes lectures, en a lu il y a peu : je suivrai sans doute sous peu votre exemple.

    Sinon, merci pour ce point d'étape dans tes lectures : la liste de tes achats est prometteuse (et je ne dis pas cela uniquement pour Gide et Gombrowicz). Belles découvertes !

  • Cachal_eau

    Espoir de la lecture

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    #170 13 Juin 2018 11:01:26

    Mirmont a écrit

    Esthétique et théorie du roman de Mikhaïl Bakhtine


    Une belle odyssée en perspective dans l'univers fantastique de la polyphonie et du dialogisme : bon courage ! Plus sérieusement, je suis très curieux de lire ton avis sur cet œuvre, moi qui me promet depuis longtemps de m'y lancer, sans pour autant trouver la dose nécessaire de motivation (et puis lire Bakhtine implique dans mon esprit a minima défricher un peu Jakobson, Saussure et Benveniste - ce qui nécessiterait pas mal de temps et d'attention). Zorba, un livraddictien aux excellentes lectures, en a lu il y a peu : je suivrai sans doute sous peu votre exemple.

    Sinon, merci pour ce point d'étape dans tes lectures : la liste de tes achats est prometteuse (et je ne dis pas cela uniquement pour Gide et Gombrowicz). Belles découvertes !


    Et bien j'ai lu une moitié de la préface de Monsieur Aucouturier et j'ai bien peur d'avoir tapé un peu haut. J'ai noté les trois noms que tu cites mais je me demande si je vais pas me prendre une introduction à la linguistique en parallèle de Bakhtine. Je vais lire ça comme le fait Martin Eden, avec un dictionnaire à mes côtés. :goutte:

    Sinon, depuis mon dernier message, j'ai lu deux livres:

    Gang de rêves de Luca Di Fulvio raconte une bonne histoire avec des personnages attachants. ça reste pour moi dans le domaine du divertissement de qualité. Je ne vais pas en rajouter plus. Les bons commentaires réunis sur ce livre dans Livraddict sont mérités. L'auteur prend le temps de construire son histoire et son décor sans trop s'attarder  ce qui évite de perdre l'attention du lecteur.

    Le journal d'une femme de chambre d'Octave Mirbeau se remarque par son langage cru et sa dénonciation sans complaisance de la société française, et notamment de la bourgeoisie, de l'époque sous fond latent de conflit entre dreyfusard et anti-dreyfusard. Je ne sais pas combien de fois le nom de Paul Bourget, anti-dreyfusard, apparaît dans ce livre mais assez je pense pour comprendre que Mirbeau, dreyfusard, ne l'appréciait pas.

    J'ai commencé Tueur à gages de Graham Greene.