#420 28 Avril 2021 01:00:56
Oh misère ! je vais passer des heures à écumer ces pages pour lire toutes vos trouvailles !
Je vous laisse quelques unes de mes préférées des
Frères Karamazov de Dostoïevski.
J'aime l'humanité, mais, à ma grande surprise, plus j'aime l'humanité en général, moins j'aime les gens en particulier, comme individus. J'ai plus d'une fois rêvé passionnément de servir l'humanité, et peut-être fussé-je vraiment monté au calvaire pour mes semblables, s'il l'avait fallu, alors que je ne puis vivre avec personne deux jours de suite dans la même chambre, je le sais par expérience. Dès que je sens quelqu'un près de moi, sa personnalité opprime mon amour-propre et gêne ma liberté. En vingt-quatre heures je puis même prendre en grippe les meilleures gens : l'un parce qu'il reste longtemps à table, un autre parce qu'il est enrhumé et ne fait qu'éternuer. Je deviens l'ennemi des hommes dès que je suis en contact avec eux. En revanche, invariablement, plus je déteste les gens en particulier, plus je brûle d'amour pour l'humanité en général.
- Je pense qu'on doit aimer la vie par-dessus tout.
- Aimer la vie, plutôt que le sens de la vie ?
- Certainement. L'aimer avant de raisonner, sans logique, comme tu dis ; alors seulement on en comprendra le sens.
Qu'est-ce que des mois et des années ! Pourquoi compter les jours, il suffit d'un jour à l'homme pour connaître tout le bonheur.
Rien n'est plus pénible pour un malheureux que de voir tous les gens se considérer comme des bienfaiteurs.
Sachez que vous n'aimez, en réalité, que lui. Et cela en proportion de ses offenses. Voilà ce qui vous déchire. Vous l'aimez tel qu'il est, avec ses torts envers vous. S'il s'amendait, vous l'abandonneriez aussitôt et cesseriez de l'aimer. Mais il vous est nécessaire pour contempler en lui votre fidélité héroïque et lui reprocher sa trahison. Tout cela par orgueil !
Il y a un remarquable tableau du peintre Kramskoï, intitulé le Contemplateur. C'est l'hiver dans la forêt ; sur la route se tient un paysan en houppelande déchirée et en bottes de tille, qui paraît réfléchir ; en réalité, il ne pense pas, il "contemple" quelque chose. Si on le heurtait, il tressaillirait et vous regarderait comme au sortir du sommeil, mais sans comprendre. A vrai dire, il se remettrait aussitôt ; mais qu'on lui demande à quoi il songeait, sûrement il ne se rappellerait rien, tout en s'incorporant l'impression sous laquelle il se trouvait durant sa contemplation. Ces impressions lui sont chères et elles s'accumulent en lui, imperceptiblement, à son insu, sans qu'il sache à quelle fin. Un jour, peut-être, après les avoir emmagasinées durant des années, il quittera tout et s'en ira à Jérusalem, faire son salut, à moins qu'il ne mette le feu à son village natal ! Peut-être même fera-t-il l'un et l'autre. Il y a beaucoup de contemplateurs dans notre peuple.
Oh ! que le diable les emporte tous, ces gens à l'extérieur façonné par les siècles, dont le fond n'est que charlatanisme et absurdité !
La bêtise rapproche du but et de la clarté. Elle est concise et ne ruse pas, tandis que l'esprit use de détours et se dérobe. L'esprit est déloyal, il y a de l'honnêteté dans la bêtise.
Pourquoi t'inquiètes-tu tant de mon départ ? Nous avons encore du temps d'ici là, toute une éternité !
Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer. Et, en effet, c'est l'homme qui a inventé Dieu. Et ce qui est étonnant, ce n'est pas que Dieu existe en réalité, mais que cette idée de la nécessité de Dieu soit venue à l'esprit d'un animal féroce et méchant comme l'homme, tant elle est sainte, touchante, sage, tant elle fait honneur à l'homme. Quant à moi, j'ai renoncé depuis longtemps à me demander si c'est Dieu qui a créé l'homme, ou l'homme qui a créé Dieu.
Allez, on va se calmer et s'arrêter là (ceci n'est pas une citation) !
Dernière modification par thatonemary (28 Avril 2021 07:42:01)