#38 23 Février 2024 14:54:31
Super !
Voici comme promis mon petit texte, j'espère qu'il répondra en partie à tes interrogations :
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MON PAPY
C'est un peu bizarre pour moi d'écrire sur cet homme. Mon passé appartient à son vivant. Un passé douloureux certes, mais cohérent, qui faisait du sens. Après sa mort, même s'il a fallu quelques années pour que les derniers boulons de mon appartenance à un passé cassent, la vie que j'avais vécu jusque là s'est arrêtée définitivement. Voilà qu'aujourd'hui, mes mots me font retrouver ce personnage de mon enfance et de mon adolescence, oh combien haut en couleurs ! Je suis heureuse de le faire revivre ici. Merci.
Mon grand-père, c'est la figure autoritaire et crainte de mon enfance. Discipline de fer. Quand il sifflait, il fallait en un clin d'oeil qu'on soit à table. On finissait nos assiettes, qu'on aime ou pas le menu, jusqu'à en vomir parfois (heureusement les repas étaient plutôt en général adaptés à nos goût enfantins). On le croisait presque à chaque vacances, avec tous les autres petits-enfants, parfois avec les parents, parfois sans. Il se faisait un devoir de dire à ses trois enfants combien ils éduquaient mal leur progéniture et qu'il était content de pouvoir nous redresser...
Et pourtant, même petite, je me souviens de son rire, il aimait jouer avec nous et nous "mettre des piquettes" au Rumikub, au Boggle, aux cartes... Il aimait rassembler sa famille, et il avait le sens de l'accueil et recevait tout le monde généreusement. Tous les soirs, après le repas, quand toute la famille était réunie, les adultes jouaient à des jeux de société, les enfants restaient parfois un peu pour profiter de l'ambiance et de l'animation, et les grands-parents se faisaient discrets. L'espace de quelques heures, toutes les divergences étaient gommées, place au jeu ! Combien je rêve de revivre de grandes réunions avec ces jeux et ces rires !
Quand j'ai grandi, je suis souvent retournée voir mes grands-parents, seule. Et j'ai découvert leur intimité, leur petit rythme du quotidien que j'avais plaisir à respecter. J'en profitais pour étudier, et j'avais mon espace et mes repas préparés avec ponctualité. J'ai trouvé de la fierté et de l'écoute en mon papy, et nous aimions nous disputer sur des tas de sujets. Son autorité ne me faisait plus peur, et j'avais appris à ne pas le provoquer. Par exemple, si je leur disais que je voulais bien regarder le "Julie Lescaut" ou autre policier du soir avec eux à la télé, je n'avais que quelques secondes pour rappliquer quand il me hurlait de venir.
Il était fier de nourrir mon esprit exigent autant qu'il le pouvait. Il m'a offert des livres, et il m'a emmenée visiter la vallée de la Maurienne ; et Rome, avec tous mes cousins ; et Barcelone, avec une cousine. Il aimait apprendre et était curieux de tout : il fallait le retenir dans ces villes pour qu'il n'entre pas dans toutes les cours privées des gens pour observer les sculptures ou l'architecture... Il aimait aussi ses semblables, et s'intéressait à tout le monde, malgré son manque de tact caractérisé. Mais sa bonne nature profonde permettait aux gens de supporter ses accès d'humeur ou ses vues étroites sur certains sujets.
Il aimait, même maladroitement, sa famille, et il veillait à prendre des nouvelles de chacun. Il s'intéressait vraiment à nous, il posait des questions, il creusait, il rendait service autant qu'il lui était possible. Certes, c'était souvent déplacé et péremptoire, mais il avait un vrai souci de son prochain. Ses questions étaient pertinentes, suivies, il se souvenait de tous nos échanges et cela me faisait du bien de le trouver présent, conséquent et attentif. Une personne qui vous montre que vous comptez pour lui, est-ce que cela n'est pas un trésor ? Mon grand-père, c'est un peu mon anti-héros au grand coeur. Il mériterait tout un livre, et j'espère que ce petit texte fait honneur à sa mémoire.
Dernière modification par Claire C (23 Février 2024 15:27:02)