Cyberpunk jeunesse

Scarlett et Novak de Alain Damasio

Alain Damasio maîtrise l'écriture et le sujet de l'aliénation par le progrès technologique.
Pourtant, j'ai été assez déçu de ce court texte relevant davantage du résumé très développé que de la fiction aboutie. Ca manque de profondeur. D'aucuns me diraient : c'est pour les ados. Et ? Je peux vous sortir pléthore de romans de SF adressés à un jeune lectorat, tout aussi courts que celui-ci, bien plus profonds. La collection Soon chez Syros, par exemple, est très intéressante à bien des égards.
Le sujet est vu et revu ; peu importe, le traitement est intéressant - vos profs de maths de collège, de lycée et peut-être de fac vous le diront : la démonstration est toujours plus intéressante que le résultat (oui, c'est aussi à ça que servent les maths). Or, ici, la démonstration est mauvaise, quand le résultat est plus que bateau.

A qui la faute ? Damasio ? Rageot ? Peu importe, le résultat est là.

Genre : Science-Fiction

Au large des Vîles, tome 1 de Lucie Pierrat-Pajot

Il y avait trois paramètres qui m'ont fortement poussé à lire ce premier volet d'une duologie : c'est du cyberpunk, c'est pour les ados, c'est écrit par Lucie Pierrat-Pajot, qui m'avait plus que comblé lors de la trilogie uchronico-steampunk des Mystères de Larispem. Trio qui me paraissait gagnant avant la lecture, trio qui me paraît effectivement gagnant à l'arrivée. L'autrice témoigne d'une très bonne maîtrise du genre cyberpunk, comme elle l'a fait avec le Paris des années 1870.
La lecture m'a d'autant plus plu que madame Pierrat-Pajot arrive à se détacher des éternels imaginaires du cyberpunk, soient les grands immeubles qui dépassent les nuages, le mauvais temps perpétuel, la technologie partout, tout le temps. Ici, il fait beau, il fait très chaud (merci le dérèglement climatique), il y a la mer pas loin (en même temps, avec la montée des eaux…)
Il y a Bunny d'un côté, qui essaie tant bien que mal de survivre en trouvant de petits artefacts dans de grandes déchetteries, tête brûlée très attachée aux siens et Adam de l'autre, richissime héritier mal conçu non-naturellement dans un laboratoire, obligé de se servir d'un exosquelette pour se mouvoir et préférant fuir dans la Dentelle, le cyberespace dans lequel il excelle en tant qu'artiste.
le cyberpunk est une considération très pessimiste - je dirais réaliste, mais tout est une question de point de vue - du progrès technologique. le divertissement aliénant à outrance, la virtualité, les expérimentations sur le génome humain, les implants (ou augmentations), la mainmise de mégacorporations sur tous les aspects de la vie… un univers cyberpunk est profondément dystopique. Mais ce qui est intéressant ici, par le fait de mettre en parallèle deux personnages que tout semble opposer, c'est que le monde de Vîles est effectivement dystopique du point de vue de Bunny qui ne fait que survivre, alors qu'il est contre-utopique du point de vue d'Adam qui a pourtant tout pour lui.

Jean-Michel, pose cette fourche, et Jocelyne, je ne te laisserai pas m'énucléer avec cette cuiller à pamplemousse. Je sais que pour beaucoup les termes de dystopie et de contre-utopie sont des synonymes. Ils le sont. Mais ils ne sont pas substituables l'un à l'autre. L'utilisation d'un terme ou de l'autre en dit long sur notre considération d'un monde, d'une société. La dystopie est d'office cauchemardesque, là où la contre-utopie paraît idéale, mais ne possède qu'un très fin vernis qui cache les Enfers qui la constituent.

le roman a plus l'air d'une très grosse scène d'exposition, l'autrice plaçant tous les enjeux sur la table. Il y en a tellement que l'on sait d'office que tous ne seront pas exploités en profondeur dans le second tome, mais peu importe : ils apportent toujours plus de crédibilité à ce monde futur, plausible et, en un sens, déjà là. La lecture se fait en trois temps, avec une première moitié très palpitante durant laquelle nous sommes presque saturés d'informations (habile, pour du cyberpunk), un début de deuxième moitié plus calme, presque mou, et une fin qui nous fait regretter le fait qu'il va falloir attendre quelques mois avant de lire la suite que l'on devine et espère explosive, spectaculaire, grandiose.

Genre : Science-Fiction

Entrer dans le monde de Claire Duvivier

Début octobre 2024 paraissait sur les tables de toutes les bonnes librairies un roman jeunesse signé de la main de l'une des autrices françaises les plus en vue, Claire Duvivier - si je ne me trompe pas c'est d'ailleurs là sa première incursion dans la littérature ado, et elle le fait chez l'Ecole des loisirs ; l'illustration de couverture est de Tom Haugomat, que vous avez probablement connu avec son album A travers, ou avec Hors-Pistes de Maylis de Kerangal, les deux titres étant publiés aux éditions Thierry Magnier.

Entrer dans le monde brasse quelques genres de la science-fiction dont l'utopie, le post-cyberpunk et le post-apo. Je pense que tout le monde est capable de donner une définition du premier terme, idem pour le dernier. le post-cyberpunk est bien plus ambigu, souvent confondu avec son prédécesseur, le cyberpunk : disons que le cyberpunk est un genre très pessimiste, violent, dystopique au possible, décrivant une société ployant sous le joug de la modernité technologique, du transhumanisme, de l'ultra-libéralisme, de la société du spectacle, pour reprendre les termes de Guy Debord. En 2024 parle-t-on de techno-féodalisme... le post-cyberpunk est plus optimiste (pas pour autant idéal).
Les ayatollah de la SF peuvent me tomber dessus parce que j'ai osé prétendre qu'un roman de SF était à la fois utopiste et post-cyberpunk. J'admets apprécier la science-fiction sans pour autant m'y connaître plus que ça.
Il est difficile de résumer Entrer dans le monde ; la quatrième de couverture expose une situation initiale. J'ose dire que c'est un roman qui est naturaliste, dans le sens où l'idée est plus de dépeindre un avenir possible, très réaliste, que de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin. Les mauvaises langues diront qu'il ne s'y passe rien, que les quasiment trois-cent-cinquante pages relèvent d'une exposition bête et méchante.
A l'époque des faits, la Terre est devenue inhabitable, mais pas désertée : la fonte du pergélisol (le permafrost) provoquée par le dérèglement climatique a fait revenir de chouettes maladies faisant passer le COVID-19 pour un rhume des plus inoffensifs, ça plus des mouvements de population toujours plus erratiques et meurtriers.
Mars est colonisée afin de permettre la sauvegarde d'une partie de la biodiversité terrestre, le rapport à l'hygiène relève quasiment de l'hypocondrie, il existe des membres cybernétiques (d'accord, le transhumanisme est déjà une réalité, en un sens, aujourd'hui), les androïdes sont très bien développés... Les habitants du dôme Danube, dont fait partie Xabi, sont conçus de manière artificielle. La nourriture des habitants du dôme Euphrate ressemble à celle que l'on peut voir dans Matrix.

J'ai lu le roman comme une leçon d'écriture : chaque élément, qu'il soit purement scénaristique ou qu'il fasse partie des à-côtés, trouve une raison d'être simple, que ce soit par une ligne de dialogue ou par la narration. C'est une écriture que je trouve très essentielle, qui ne s'attarde pas, qui transmet une information de manière brute, mais qui mise à la lumière d'autres éléments nous paraît toujours plus compréhensible. Petit à petit, donc, se dépeint une société bizarre, survivante. Il n'y a pas de héros ; Xabi n'est pas un élu, ce n'est pas de lui que dépend le monde. Il échappe au sort réservé aux autres ados parce qu'il était au bon endroit au bon moment par le hasard des choses et est plus passif que d'autres personnages.
Lectrices et lecteurs doivent faire preuve d'activité intellectuelle devant ce roman : rien ne nous est laissé gratuitement, il faut recoller les morceaux, comme on dit. Les personnages eux-mêmes semblent dépassés par les événements et cherchent à tout prix à donner un sens à leur vie et à ce qui leur arrive. Si entrer dans le monde est au début une façon pour les 26 adolescents de dire qu'ils vont accéder à la majorité, l'expression prend soudainement plusieurs sens dont celui de la découverte d'une réalité bien cachée, y compris aux yeux de certains adultes. C'est le genre de roman, donc, dans lequel les enfants ne sont pas tous ignorants et les adultes pas tous savants ; il y a, pour ce qui est des connaissances, une porosité entre les deux entités. Il faut véritablement entrer dans le monde, et en payer un prix. de ce fait, le titre nous nargue presque : entrer dans le monde martien tel que présenté par Claire Duvivier ne se fait pas comme ça.

Entrer dans le monde est un roman à la couleur naturaliste définissant un futur plausible, avec ses infrastructures, ses institutions, une humanité transformée ; rien n'est acquis, chaque élément de la réalité qui y est dépeinte doit être méritée après chaque page tournée, rendant la lecture exigeante et, j'espère, donne envie de s'intéresser de plus près à la littérature (post-)cyberpunk et au planet opera (un autre genre de la SF spécialisé sur le fonctionnement d'une société établie sur une planète).

Genre : Science-Fiction

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Créé le 23 novembre 2024

Edité le 23 novembre 2024