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Une soirée dans la petite salle bondée d'une médiathèque de banlieue. Le public, très mélangé, est venu, malgré le froid, assister à une étrange soirée. Il s'agit d'une présentation de minividéos suivies d'un débat, autour de l'emploi et du travail. Les organisatrices (regroupées dans l'association Adélaïde & Co qu'elles ont fondée pour creuser artistiquement la question du travail), ont réalisé quelques courtes vidéos sans paroles. Sept pour être tout à fait exact, mettant chacune en scène une femme avec pour unique consigne de représenter son travail, sans paroles mais à l'aide d'un bruitage qu'elles ont elles-mêmes choisi. Sept vidéos donc pour sept femmes (vendeuse en grande surface, gestionnaire d'un parc de voitures pour une grande entreprise, assistante de vie à domicile, bibliothécaire, ouvrière en maroquinerie, etc.) mimant leur travail, exprimant sans paroles ce qu'il évoquait pour elles. Ces femmes devaient ensuite interviewer des personnes travaillant à Pôle Emploi (la drh et la directrice, une agente d'accueil, une coordinatrice d'organisation, un responsable d'équipe) et à la médiathèque pour les faire parler de leur travail également. Tout cela a donc donné lieu à un montage audiovisuel d'une vingtaine de minutes projeté ce soir-là. On m'avait demandé, ainsi qu'à une collègue sociologue spécialiste du travail et de l'image, de venir commenter ces vidéos et de participer au débat. J'y allais par sympathie pour les organisatrices et pour ces femmes dont je trouvais la démarche belle, originale et courageuse, mais je ne voyais pas vraiment ce que cela pouvait donner. Difficile pourtant de ne pas se laisser happer par les images de ces minividéos. Les femmes y apparaissent à chaque fois seules, occupant tout l'écran, exposées sans artifice à la caméra, avec leur seul corps pour raconter leur travail. D'abord le spectateur ne voit que leur gêne, leur difficulté, leur maladresse à faire passer, à travers de simples gestes, la réalité de leur travail. Elles semblent incongrues à occuper tout l'écran chacune à son tour, à mettre leur corps en avant, à travers des gestes dont la portée n'est pas évidente. Puis peu à peu, une logique se dessine : la plupart d'entre elles font passer un même message par des gestes différents, des expressions faciales et corporelles contrastées : pour faire comprendre leur travail, elles ont choisi de montrer comment il s'inscrit dans leur corps, quelle part d'elles il affecte. Il ne s'agit pas d'évoquer des troubles musculo-squelettiques (les TMS), non, il s'agit pour elles de montrer à quel point le travail s'empare d'elles, de montrer leurs émotions, leurs sentiments, leurs pensées, à l'aide de leur corps. Sans honte, les femmes massent leur ventre, lentement, douloureusement, posent leur main sur leur coeur avec recueillement, caressent leurs épaules pour dire cette réalité d'un travail qui les prend aux tripes, qui leur insuffle vie et douleur, douleur qu'elles chassent avec leurs mains de l'intérieur de leur corps. Il est primordial pour elles (du moins pour six d'entre elles car la septième mimait vraiment des gestes de son travail) de faire comprendre que le travail, ça prend au coeur et au corps, ça irrigue et ça vide, ça dévaste et ça reconstruit, ça transforme, et que c'est une affaire personnelle, une affaire qui touche au plus profond de l'humain ; ce qui peut aussi se traduire par l'exécution de quelques pas de danse pour montrer qu'il faut libérer de l'énergie au beau milieu du magasin.