Le débat Lumumba : Histoire d'une expertise
Philippe Raxhon2005

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« II faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colo­nisateur (...) et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges pro­pagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes tortu­rés, au bout de cet orgueil racial encou­ragé, de cette jactance étalée, il y a le poi­son instillé dans les veines de l'Europe et le propres lent, mais sur, de l'ensauvagement du continent. » (Aimé Césaire)

Quarante ans après l'assassinat de Patrice Lumumba, après le sabotage organisé du processus démocratique naissant de l'indépendance du Congo, la Belgique accepte que soient publiquement révélées ses responsabilités. Quarante ans de loi du silence, qui n'avait pu tout à fait en­fouir un secret de polichinelle mais qu'il importait de rompre officiellement. Une commission d'enquête parlementaire com­mença ses travaux sur l'assassinat de Patrice Lumumba en mai 2000 et rendit son rap­port final en novembre 2001. Des députés, entourés d'une commission de quatre ex­perts historiens chargés de rassembler et d'analyser le matériel historique ayant trait aux événements.

Philippe Raxhon, enseignant à l'Université de Liège, est l'un de ces experts. Dans Le débat Lumumba, il retrace minutieusement le dé­roulement de cette « aventure intellectuelle ». Pas de révélations fracassantes, prévient-il d'emblée. Mais plutôt une réflexion sur le « rôle de l'historien dans la cité », sur ses rela­tions avec le monde politique et médiatique, « avec en fond sonore l'affaire Lumumba ». Un livre dont l'intime n'est pas exclu, quand l'historien est en proie aux doutes, à l'émotion face à des témoins ou à la décou­verte de documents essentiels, ou quand il est la proie d'un battage médiatique pas toujours heureux. « Le plus pointu des historiens est d'abord un homme de chair », dit-il.



Philippe RAXHON
Le débat Lumumba.
Histoire d'une expertise
Labor/Éd. Espace de Libertés
2002
95 p.
Il raconte toutes les étapes de ce travail et d'abord la récolte et l'analyse des archives couvrant la période de l'indépendance (du 30 juin 60 à l'annonce officielle de la mort de Lumumba en février 61). Une masse im­pressionnante de documents issus de cer­tains ministères de l'époque, du Palais Royal, de la Sûreté de l'Etat, de la Sûreté militaire, de l'Union Minière, de plusieurs acteurs politiques et financiers... Il porte aussi un regard particulièrement humain sur l'atmosphère de certaines auditions, moments de théâtralisation d'un passé trop présent. Il fait ensuite l'état des réactions qui ont suivi la publication du rapport final et les excuses du gouvernement belge aux familles et au peuple congolais. Globale­ment positives si ce n'est les éructations de certains tenants de cette Belgique qui, pour protéger les avoirs de quelques-uns laissa tuer non seulement un homme mais, pour des décennies, toute possibilité de gestion autonome et démocratique d'un pays. Pour Philippe Raxhon, le travail de cette commission a permis, plus que de « tourner une page », d'enfin en ouvrir de nouvelles, qu'il s'agit maintenant de remplir. Lumumba un crime d'Etat, de Colette Braeckman propose un autre éclairage qui vient compléter celui de la commission d'en­quête. L'ouvrage offre aussi l'intérêt de re­produire trois documents : le discours pro­noncé par Lumumba lors de la déclaration d'indépendance, les conclusions de la com­mission d'enquête et la dernière conversation d'homme libre de Lumumba. Un entretien avec un Belge, alors cadre de l'Exploitation forestière du Kasaï chez qui le premier mi­nistre en cavale trouva refuge, par le hasard d'une panne de voiture, quelques heures avant sa dernière et fatale arrestation. La journaliste spécialiste de l'Afrique cen­trale précise certaines questions effleurées par la commission et surtout développe des thèmes qui avaient été délibérément écartés. Comme celui du contexte international de l'époque, nécessaire à une compréhension plus aiguë, et auquel les commissaires ont préféré une lecture belgo-belge. Elle rap­pelle que le Congo a toujours été un enjeu international, que dans les années de guerre froide il se trouvait « au cœur de la compé­tition Est-Ouest » et que les visées nationa­listes et panafricanistes de Lumumba met­taient en péril les intérêts français et américains. Dès août 60, le président Eisenhower avait d'ailleurs décidé l'élimination de Lumumba, qui fut notamment tentée avec un tube de dentifrice empoisonné... Mais si le rapport pèche par omission sur les implications internationales, C. Braeck­man y voit des informations cruciales et sans doute involontaires sur la réalité d'une Belgique où sous des dehors bon enfant, « on est capable de tuer puis d'observer des décennies durant, la loi du silence ». Où un establishment politico-économique a usé de tous les moyens pour créer des sécessions et anéantir la montée d'un Congo nationa­liste. Et où tous ceux qui ont participé à ce travail de sape ont été récompensés à coup de promotions, d'anoblissements et de dé­corations... Où la presse belge, « encore plus qu'aujourd'hui » sous l'influence et du pouvoir politique et du Palais Royal a ali­menté la haine anti Lumumba et une men­talité raciste qui ne pouvait voir le fait congolais que sous l'angle du tribalisme. Alors que la presse étrangère relevait que « de toutes les colonies, celle qui ressemblait le plus à l'Afrique du Sud était le Congo belge »...

L'analyse du passé permet également de mieux comprendre l'actualité et de souli­gner les similitudes entre l'assassinat de Lu­mumba et celui, quarante ans après presque jour pour jour, de Kabila. Selon Braeckman c'est son projet de faire revivre l'héritage nationaliste, en renouant des liens panafri­canistes, en résiliant les contrats des sociétés étrangères, en rêvant d'un pays fort qui ga­rantirait la sécurité régionale, qui a provo­qué son élimination.

Pour l'auteur, la conclusion de la commis­sion à la seule « responsabilité morale », n'est qu'un compromis à la belge de plus qui permet d'écarter l'idée même de répara­tion. Néanmoins, c'est la première fois qu'une ancienne puissance coloniale se penche sur son passé et reconnaît un crime politique. La vérité a été établie, conclut-elle. Reste maintenant à rendre la justice au peuple congolais...

Laurence Vanpaeschen

1 édition pour ce livre

2005 Editions Labor

Française Langue française | 94 pages | Sortie : 22 novembre 2005 | ISBN : 9782804016869

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1 commentaire

  • William D Le 22 Janvier 2020 à 21:23
    Sans doute que ceux et celles qui cherchent en lisant ceci plus de détail sur la mort de Lumumba seront iels déçu.e.s.. Par contre si vous voulez en apprendre sur le déroulement d'une commission d'enquête en Belgique et sur les ressentis d'un participant ça vaut la peine.

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