[Pierre Bondil] Discussion avec un traducteur de polars

  • Sita

    Empileur d étagères

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    #41 29 Septembre 2010 21:27:23

    Bonsoir monsieur Blondil, merci de venir parler de votre métier sur le forum !
    Je n'ai jamais lu une de vos traductions il me semble, mais je suis ravie de lire vos réponses qui sont détaillées à souhait.

    Comment se déroule une traduction typique ? Lisez-vous le texte plusieurs fois, vous faut-il une période de documentation à propos de divers points du roman... ?
  • Blabbermouth

    Lecteur averti

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    #42 29 Septembre 2010 21:28:51

    Merci beaucoup pour vos précieux conseils !wink
  • Lyra Sullyvan

    Accro des mots

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    #43 29 Septembre 2010 21:29:33

    Pierre Bondil a écrit

    Mais moi, je ne peux pas lire plus de cinq pages du Da Vinci Code traduit en français, et même chose pour Millenium...


    Je peux aisément comprendre. Il y a des livres que je n'envisage même plus de lire en français maintenant que j'y arrive en anglais. Certains auteurs sont tellement réputés pour leur plume que lire en français quand on a les moyens de tester la VO, c'est presqu'un sacrilège. Et c'est vrai qu'il y a des traductions parfois très peu fidèle, ou avec un style qui ne correspond pas.

    C'est très certainement un travail difficile, j'en conviens, mais parfois on se demande vraiment le pourquoi d'une telle formulation alors que la phrase de base semblait accessible.. Parfois même, des passages entiers disparaissent..

  • Caro Bleue Violette

    Rat de librairie

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    #44 29 Septembre 2010 21:29:56

    Merci beaucoup pour votre réponse !
  • Pierre Bondil

    Traducteur

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    #45 29 Septembre 2010 21:39:02

    Du ccoup, grand silence. J'espère que je n'ai vexé personne. Je ne suis pas le seul à le penser et à le dire. Cela n'enlève rien au succès de ces livres, mais si la qualité de la traduction avait été un ton au dessus, vous imaginez le plaisir ?

    OK El JC, et si vous allez manger, buvez un apéro à ma santé.

    Tenez, voilà une chose qui est difficile à traduire : la nourriture. Les Américains ne mangent pas la même chose que nous. Franciser ? Jamais. Il faut respecter cette différence, ça fait partie de la culture. Doc ce sont des problèmes permanents. La gamme chromatique est différente, nous ne voyons pas les bleus, les verts et surtout les marron(s) comme eux. Alors la couleur des cheveux pose tout de suite problème. Ne parlons pas de leur culture TV (notamment au niveau des amuseurs, des présentateurs télé, des vedettes du petit écran là-bas) dont nous n'avons aucune conscience.
    Il n'y a pas de livre facile à traduire. Chacun recèle ses difficultés (ça y est, en l'absence de questions je deviens pontifiant). Je e tais. Je vous écoute.

    Je réponds à Sita. Ça va être long, mais détaillé. Et n'engage que moi. Chaque traducteur a sa méthode de travail. Si c'est trop long j'enverrai ça en plusieurs parties.
    D'abord, je lis le texte qu'on me propose et je décide si je vais le faire ou si je suis capable de le faire.
    Je commence, au traitement de texte bien sûr, et je traduis au kilomètre. Je fais les recherches mais je n'approfondis pas trop (je ne reste pas une heure sur la même phrase). Et s'il y a un mot qui ne me plait pas ou quelque chose qui est inabouti, je mets un repère dans mon texte (pour moi, c'est AAA). En ce moment je suis sur un premier passage de traduction, un ken Bruen, et j'ai des AAA partout. J'arrangerai ça plus tard. L'important c'est que ça avance. Je suis un anxieux notoire et même si les délais qu'on me donne sont plus longs que nécessaire (parce que je le demande) j'ai besoin de savoir que le trvail avance et que ce sera prêt AVANT la date de remise.

    Quand le premier passage est terminé, je le relis AVEC le texte anglais, pour faire surgir de nouvelles idées, régler de nombreux problèmes, traquer les mots oubliés, lus trop vite et mal compris, les erreurs qui consistent à sauter une ligne ou une réplique. Je fais ça sur un tirage papier (j'en suis déjà à quatre lectures minimum).
    Après je rentre ces modifs en machine (les modifs sont au stylo rouge, le même avec lequel je corrige le travail de mes étudiants).
    Je fais un nouveau tirage et je relis toute ma traduction. Cela rajoute plein de rouge. A chaque fois je pense que ça ira plus vite et je découvre que je fais vraiment du très mauvais travail.
    Bon, je rentre les modifs en machine.
    Si c'est un texte facile, je fais la relecture suivante à l'ordinateur. Il arrive qu'elle me paraisse bonne, mais c'est rare. Ce qui est sûr c'est qu'arrivé ce point-là, j'ai pris les décisions quant au style à utiliser (et encore une fois en collant le plus possible à celui de l'écrivain).
    Il y aura des modifications encore puis dernière relecture avant remise à l'éditeur. Avec Hillerman, ça suffisait
    Avec Bruen par exemple j'en fais une de plus.
  • Folfaerie

    Chercheur de mots

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    #46 29 Septembre 2010 21:41:38

    Un de mes chevaux de batailles, beaucoup de livres traduit de l'américain parlent de cèdres, de daims, de merles etc. Soit le traducteur n'a jamais franchi l'Atlantique ( ce qui n'est pas une tare) soit il se contente de travailler avec un dico anglais (en Angleterre la faune, la flore etc sont quasiment identiques aux nôtres) Ce n'est pas pareil en Amérique, pas plus qu'en Australie, bien sûr.


    Je pense justement à votre traduction du Journal du Missouri (Audubon) qui a dû être un sacré travail ! Encore une fois les Amérindiens mais surtout la faune et la flore effectivement. D'où vous vient cette connaissance de la nature américaine et faut-il au moins une fois avoir voyagé dans le pays de l'auteur  ? Je n'avais pas trop aimé la sécheresse de coeur d'Audubon mais votre prose, oui !

  • El Jc

    Guide touristique des librairies

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    #47 29 Septembre 2010 21:45:39

    Non non je n'ai pas déserté :jeboude: Pour tout vous dire j'ai même grignoter vite fait avant pour profiter de vous (en tout bien tout honneur) toute la soirée :-)
  • Nathalie

    Ex-Team

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    #48 29 Septembre 2010 21:46:09

    Pierre Bondil a écrit

    Du ccoup, grand silence. J'espère que je n'ai vexé personne. Je ne suis pas le seul à le penser et à le dire. Cela n'enlève rien au succès de ces livres, mais si la qualité de la traduction avait été un ton au dessus, vous imaginez le plaisir ?


    Au cas où, il faut savoir que le forum ne se réactualise pas automatiquement, c'est peut-être pourquoi vous ne voyez pas les réponses tout de suite ; il faut "rafraîchir" la page (ou F5) pour voir les nouveaux messages.

    Je suis ravie de lire cette description précise de votre méthode de travail, c'est vraiment très intéressant !

  • lecturevvv

    Improvisateur de marque-pages

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    #49 29 Septembre 2010 21:48:53

    Quel serait pour vous le genre littéraire franchement intraduisible ? (si il y en a un)...
  • Pierre Bondil

    Traducteur

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    #50 29 Septembre 2010 21:54:51

    Mais ce n'est pas tout, il reste le travail en liaison avec l'éditeur, les gens qui relisent, qui changent des choses sans me le dire, ou qui souhaite en changer et m'en parle. Inutile de vous dire que je respecte les seconds mais pas les premiers parce qu'alors c'est la guerre qui s'engage. D'autant qu'il arrive que l'éditeur fasse relire mon travail par quelqu'un qui a un niveau d'anglais ou de français inférieur au mien. Parfois par un(e) stagiaire. Notez qu'il peut, de temps en temps, y avoir des stagiaires géniaux. Mais c'est mon nom qui est sur le livre il est donc inqualifiable de changer quelque chose sans me prévenir et me demander mon accord. La guerre, vous dis-je.

    De la documentation ? Ça dépend. Je me suis à une époque renseigné sur les courses de léviers (Burnett), plus tard sur les combats de coq (Willeford) et le vocabulaire qu'on utilise, sur l'abattage des arbres en haute montagne (Owens), sur la façon de creuser un tunnel d'adjonction d'eau pour la ville de New York dans les années 1980 (Kelly), sans oublier les Navajos (Hillerman) bien sûr etc...
    Oui. Autrefois recherche en bibliothèque (museum d'histoire naturelle, arts et traditions populaires, bnf etc) maintenant cela passe surtout par internet.
    Il y a toujours des petites choses comme ça. Lauteur connaît bien les armes à feu (ou veut montrer qu'il connaît), c'est un pêcheur à la mouche, il prend son pied à inventer des arnaques financières, la liste est infinie.

    Le Journal du Missouri de J.J. Audubon un sacré travail ? Certes. Beaucoup de temps passé justement à la bibli du museum d'histoire naturelle (internet n'existait pas à l'époque). Beaucoup de respect pour le texte d'Audubon. Un texte passionnant mais souvent ennuyeux, style, aujourd'hui tué dix-huit bisons dont une femelle enceinte. Le lendemain : sommes allés à terre et avons tué quatre bisons. Beaucoup de répétitions, mais la façon dont les naturalistes travaillaient à l'époque est assez stupéfiante (on tue tout et après on dessine... laphotographie n'existait pas). Et ça s'est terminé en pugilat car le directeur de collection voulait que j'améliore le texte d'Audubon, comme je ne l'ai pas fait, il a tout récrit parce que ce n'était pas assez enlevé pour le lecteur moyen, je suppose, qu'il y avait trop de répétitions etc... Ce n'est pas une oeuvre littéraire, on ment, on trioche en voulant que la langue d'Audubon soit meilleurte qu'elle n'était. N'étant pas le plus fort, j'ai exigé que mon nom soit retiré du livre. L'éditeur a accepté mais a laissé un remerciement me mentionnant.
    Pas une expérience très agréable.

    Nathalie, je suis sur Mac, alors la touche F5, pour moi, ça me donne du son !!