Seuls à deux
<image> Le pourquoi je me suis intéressé à Hiver à Sokcho de Elisa Shua Dusapin est ma foi un peu particulier... J'ai eu l'occasion de lire son deuxième livre, Les billes de pachinko, auquel je n'ai pas accroché malgré une jolie plume, la faute à une histoire qui ne me touchait pas avec des moments de totale incompréhension (je me disais que c'était sans doute la différence culturelle mais d'habitude, je n'ai pas de problème). Bref, de quoi ne jamais en reparler. Mais ce livre m'a trotté en tête les jours suivants malgré tout : c'est là que j'ai eu cette impression étrange comme si ce livre avait une aura... Je ne saurais trop l'expliquer. Mais le seul moyen de le vérifier c'est de lire le premier livre de cette auteure! ^^
Alors dans quoi nous immerge-t-il?
À Sokcho, petite ville portuaire proche de la Corée du Nord, une jeune Franco-coréenne qui n’est jamais allée en Europe rencontre un auteur de bande dessinée venu chercher l’inspiration depuis sa Normandie natale. C’est l’hiver, le froid ralentit tout, les poissons peuvent être venimeux, les corps douloureux, les malentendus suspendus, et l’encre coule sur le papier, implacable : un lien fragile se noue entre ces deux êtres aux cultures si différentes.
Un livre dont il va être difficile de parler tant j'ai ressenti de choses! Dés les premières pages, les différences entre lui et elle sautent aux yeux tellement elles foisonnent tout en étant pleines de subtilités. C'est comme ça que le livre prend délicatement par la main et je me suis rendu compte que bien plus tard que je suivais Elisa Shua Dusapin là où elle m'emmenait sans même m'être posé la moindre question... Et là est une des forces de sa plume que je retrouvais ici : tout en douceur. Cette douceur empreinte d'une certaine pudeur est assez similaire à celle qu'on le retrouve chez plusieurs auteurs asiatiques, notamment japonais (je pense à Aki Shimazaki par exemple) car je n'ai encore jamais lu d'auteurs sud-coréens. L'auteure est franco-suissesse d'origine sud-coréenne, ce sont ces origines asiatiques qui transparaissent le plus à travers son utilisation des mots.
C'est cette même pudeur qui lie et éloigne nos deux personnages principaux. Oui il y a quelque chose, on le sent, on le sait : il vient vers elle pour demander de l'aider dans ses démarches et elle le fait tandis qu'elle cherche à en savoir plus sur lui mais ne lui demande rien. Elle a toujours vécu ici à peu de choses près, elle connaît cette ville par cœur mais lui n'est que de passage et ne peut pas comprendre ce qu'est Sokcho. Il parle avec son encre mais ne veut pas montrer ses dessins, elle s'exprime par sa cuisine mais il n'y goûte pas.
Voilà comment deux êtres qui se côtoient à la fois de près et de loin dans cet océan de solitude qu'est Sokcho en hiver vont vivre une tranche de leur vie en commun.
La caresse de la plume de Elisa Shua Dusapin n’ôte pas l'amertume de ses presque moments vécus à deux, de ses "il ne manquerait qu'un geste, une parole". C'est tout le parfum de cette histoire. Les différences aussi nombreuses soient-elles peuvent empêcher le début de ce qui ressemble à de l'amour, au moins à une attirance? Comment un amour se vit-il? De la même façon de chaque côté? Certaines questions resteront suspendues dans l'air une fois la dernière page lue mais cette dernière nous donnera un début de réponse, celle de l'auteure en tout cas.
Elisa Shua Dusapin joue ici un parfait numéro d'équilibriste entre tendresse et rudesse, entre bonheur apparent et tristesse cachée, entre couleur et grisaille, entre chaleur et froideur, entre beauté cachée et laideur apparente.
En somme, une lecture qui pour moi a plus qu'une aura.
Ce qui sculpte une image, c'est la lumière.
En regardant bien, je me suis rendue compte qu'au lieu de l'encre, je ne voyais que l'espace blanc entre deux traits, l'espace de la lumière absorbée par le papier, et la neige éclatait, réelle presque.
C'était un lieu sans en être un. De ces endroits qui prennent forme à l'instant où l'on y pense puis se dissolvent , un seuil, un passage, là où la neige en tombant rencontre l'écume et qu'une partie du flocon s'évapore quand l'autre rejoint la mer.
Vos plages, la guerre leur est passée dessus, elles en portent les traces mais la vie continue. Les plages attendent ici la fin d'une guerre qui dure depuis tellement longtemps qu'on finit par croire qu'elle n'est plus là, alors on construit des hôtels, on met des guirlandes mais tout est faux, c'est comme une corde qui s'effile entre deux falaises, on y marche en funambules sans jamais savoir quand elle se brisera, on vit dans un entre-deux, et cet hiver qui n'en finit pas !