Tombeau pour les enténébrés
Marcel Moreau1993

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BON

Au sortir du gouffre, l’avaricieuse lumière, Hépatique et fuyante… Je ne sais quelle affliction d’un ciel Qui ne sait plus s’ouvrir, Ni rire, ni bleuir… « J’échangerais tout ton gris contre une parcelle d’azur », Disais-je, les jours où le Malheur Me regardait creuser dans des livres sans joie Des vides à son image qu’il remplirait de pluie… En ce temps-là, je cherchais dans les hautes cardeuses Des nuages légers, Des laines qui seraient pâles À défaut d’être pures. Entre les écheveaux, Je voyais une Parque, Atropos de son nom, Se saisir de mon fil Et en jouer, d’une ondoyante main, Perverse et sectionnante… J’avais de la culture, moi. Une grande culture descendante. Des étouffements, des goulets, Des entrailles — toutes sortes d’entrailles — Des complications souterraines, je savais tout… Le Borinage fut ma première université Des ténèbres… Les matières enseignées Étaient des sifflements de bronches, Des bonheurs écourtés, Des ahans de forçats Que négrifiaient des mœurs anthracite… J’écoutais le grisou M’empêcher de chanter… Même muet, il était si rauque, si bruyant de péril… Bien des ensevelissements Semblaient interminables… Des hommes passaient de la nuit à la Nuit Sans l’insigne transition Des adieux aux aurores… Peut-être certains enviaient-ils Les taureaux tombant parmi les ors, Les fastes, les magiques Andalouses Ivres de coloris, Et du sang de la bête, Expressionniste et grave… Ainsi je me souviens De tant de corps qui jamais ne bronzèrent, Mais qui savaient danser Dans des bals qu’on eût dit portuaires, D’Amsterdam ou d’ailleurs, l’accordéon aidant. Ce n’était pas la mer, éternelle et changeante, Qui grondait près de là… C’était sous nos pieds, Sous la trépidation musette, Un abysse pétrifié, Ce faux sommeil d’un monstre Lové sur son enfer, Entortillé de veines, L’empire parfait du silence qui tue. Et ceux qui valsaient au-dessus des dangers N’étaient point des aigris, ma foi… Ils savaient faire humour Et franche salacité D’un fort moment de bière et de flonflons mêlés Et de femmes un peu lourdes, En robes plutôt blanches Qui ne penseraient aux noires que le lundi à l’aube. Oui, nous aimions déjà les feux légendaires, Rêvions à ces châteaux fameux, Embarrassés de douves, Entêtés d’épées, de vin et de complots Et où des seigneurs rentrés de la guerre Brisaient de gentes dames Sous des assauts nouveaux… Mais les mines, C’étaient nos antichâteaux, De plus d’oubliettes que d’échauguettes… — Carreau contre chemin de ronde — — Berline contre carrosse — Les lectures nous faisaient enfourcher De fiers destriers… Nos sentiments, eux, Allaient aux chevaux d’en dessous, Funèbres, jamais ne hennissant… Et quelle terrible objection au donjon Que ces tours de fer, Indifférentes et sombres, Où une roue lunaire Semblait instruire le jour de la fin de tout jour… Nos antichâteaux étaient pris d’assaut, Au fond, tout au fond, Par d’étranges légions Au parler éraillé… Et des têtes à risques Sous des casques coriaces Affrontaient pour la question du vivre La question du survivre, Ce bastion tellurique, colossal, minéral… Qu’il fallait faire trembler… Oui, comme elles étaient dures, Comme elles étaient hostiles, Les fortifications enfouies, De basse courtine, Démolies sans victoire, Sans la très forte ivresse De bondir dans l’espace si chèrement conquis… Il y avait plus de fantômes dans nos antichâteaux Que dans les manoirs d’Écosse… Les guerriers du renfermement Ont mémoire d’hécatombe… Ils pourraient dire : L’ennemi n’a tiré qu’une fois, Mais c’était la fatale… Sous éboulis, combien de massacrés Avaient dans le regard le pire éblouissement… Les yeux des mineurs s’exorbitèrent pour rien, Pour la suprême salve qui ne laisse nul souvenir… Dehors, des sirènes avaient hurlé Le blême épouvantement. Des femmes qui étaient veuves Et celles qui redoutaient de l’être S’agrippaient encore dignes À des espoirs sans Dieu, et même avec, dit-on… Où donc, en quelle catégorie de la servitude, L’alimentaire fut-il à ce point sacrificiel, Réunit-il nombre si grand d’humiliés, d’offensés ? Et où ailleurs qu’ici aussi souvent Les linceuls se comptèrent en tonnage ? En ces moments-là de la catastrophe, D’âpres camaraderies S’épuisaient en obscures saintetés. Frères rescapés, frères disloqués : Des uns aux autres, l’acte multiplié Du vrai amour humain… Tout était folie : la poussière, L’asphyxie, peut-être la consumation, Et même ces gestes invisibles Qui cherchaient des issues Au destin des damnés… Et ce qui était fou, c’était la hargne incombustible De ceux qui croyaient encore au souffle de la vie, À des miracles de coups sourds Frappés aux portes du néant… Ainsi, les antichâteaux faisaient leur chemin Dans nos pensées inquiètes, Et pour tout dire âcres, Charbonneuses ô combien d’aspirations maudites, Voire de tensions vers l’impossible grâce. Ils creusaient en nous des fosses Qui seraient occupées plus tard, et agrandies, Par des livres obsédés de percée, D’abattage, De progression dans l’insondable de l’être… Si jeunes, nous étions si pessimistes… Déjà, il était sûr que nous exciterions en nous Le gang de nos démons… Nous étions palpitant de quelque chose Qui ressemblait au gisement commun Du Bien et du Mal… Nous étions en proie à des passions Qui nous venaient de la Déraison Considérée comme un des beaux-arts, Beaux par le Feu et arts par le Vertige… Nous créions des boyaux Où s’engageait, hargneux, Notre extracteur de Vrai… Et si vous saviez comme notre Vrai à nous Était irrespirable et emmuré… Parfois n’était point de trop Notre bon goût de déposer des explosifs ici et là… Ils ouvraient dans nos tabous Des brèches de sonorités bleues… Nous étions menacés d’obscènes déflagrations Pour une seule de nos rencontres avec le plus fieffé De nos débordements… Par le jeu des trouées, des chutes et des remontées, Nous devînmes de rudes psychologues, pardi… De notre enfance se fascinant de houille, Nous reçûmes une part de notre conscience tragique… Et sans la musique des mots, Comment eussions-nous pu faire danser nos accroupis, Nos figures carcérales et autres enchaînées fureurs ?

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1993 Editions Verdier

Française Langue française | 88 pages

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