[Suivi Lectures] Aealo

 
  • Cervus

    Lecteur fou

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    #1241 27 Juillet 2020 20:20:45

    Comme de bosser à l’usine…


    Les heures passent ne passent pas je suis perdu
    Je suis dans un état de demi-sommeil extatique de veille paradoxale presque comme lorsque l'on s'endort et que les pensées vagabondent au gré du travail de l'inconscient
    Mais je ne rêve pas
    Je ne cauchemarde pas
    Je ne m'endors pas
    Je travaille


    <image> Alors c’est un peu particulier puisque c’est par l’intermédiaire de La Grande Librairie que j’ai eu connaissance de À la ligne de Joseph Ponthus, je l’avais bien aperçu une fois ou l’autre en librairie mais ne m’étais jamais penché dessus. Jusqu’au jour où il a débarqué dans l’émission où il a été question de sa forme, de son contenu, de son originalité… Bref ma curiosité s’est retrouvée titillée. ;)
    Alors comment ça se passe sur cette chaîne :
    C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer.

    Alors avant tout, je tiens à insisté sur un point. Malgré la formulation du synopsis, un peu gauche, il faut savoir que ce livre n’a rien d’une fiction, c’est le vécu de son auteur qui est retranscris dans ces pages.
    En effet, Joseph Ponthus travaillait dans le social (éducateur de rue si ma mémoire est bonne) et par amour, il a quitté son boulot pour rejoindre la région de son épouse : la Bretagne. Mais professionnellement parlant, c’est là que comme à la fois l’aventure et la galère…
    Ne parvenant pas à trouver d’emploi dans son secteur, il faut bien gagner sa croûte. Or, tout intellectuel qu’il soit, le seul boulot que lui proposent les agences d’intérim : l’usine.

    En entrant à l'usine
    Bien sûr j'imaginais
    L'odeur
    Le froid
    Le transport de charges lourdes
    La pénibilité
    Les conditions de travail
    La chaîne
    L'esclavage moderne
    Je n'y allais pas pour faire un reportage
    Encore moins préparer la révolution
    Non
    L'usine c'est pour les sous
    Un boulot alimentaire


    Dans un premier temps, les crustacés et les poissons avec ses odeurs, ses répétitions, ses charges selon les arrivages, ses animaux qu’on cherche à tiper discrètement de temps en temps, ses crevettes à nettoyer, son tofu à égoutter (oui oui vous avez bien lu), son silence entre collègues…

    J'égoutte du tofu
    Je me répète cette phrase
    Comme un mantra
    Je recherche le contrepet que j'avais trouvé tout à l'heure mais ne le trouve plus
    Je me dis qu'il faut avoir une sacrée foi dans la paie qui finira bien par tomber dans l'amour de l'absurde ou dans la littérature
    Pour continuer


    Dans un second, l’abattoir avec ses flaques de sang, ses carcasse de centaines de kilos à pousser, ses merdiers d’organisation, son hypocrisie de propreté…

    <image> La semaine prochaine
    J'ai rencard chez le kiné
    Mon corps commence doucement à être ravagé par
    ce bon mois de carcasses
    Tout mon corps
    Mes muscles mes articulations mes lombaires mes
    cervicales
    Le reste de mon corps dont je ne sais pas le nom

    « Le corps est un tombeau pour l'âme »
    Dit la vieille maxime grecque classique
    Et je réalise que
    L'âme est aussi un tombeau pour les corps

    Mes cauchemars sont juste à la hauteur
    De ce que mon corps endure


    Dans les deux cas, les contrats à la journée au mieux à la semaine, les horaires, l’épuisement physique, l’amputation de toute motivation ou énergie à autre chose une fois quitté le boulot, la quasi absence des responsables, le royaume de la débrouille en cas de pépin ou de panne…

    Comment ? Il travaille à la chaîne ? Oh noooon ! Il ne faut plus dire ‘’à la chaîne’’, c’est devenu péjoratif, c’est une vilaine expression ! Non, non, il travaille à la ligne !
    Changer les mots ne change pas les faits, ne change le job, ne change pas la dureté, ne change pas l’épuisement… Deux bras sans nom qu’on amène sur une ‘’ligne’’ ou une autre selon les besoins du moment…

    Demain
    En tant qu'intérimaire
    L'embauche n'est jamais sûre
    Les contrats courent sur deux jours une semaine tout au plus
    Ce n'est pas du Zola mais on pourrait y croire On aimerait l'écrire le XIXe et l'époque des ouvriers héroïques
    On est au XXIe siècle
    J'espère l'embauche
    J'attends la débauche
    J'attends l'embauche
    J'espère


    Vous l’aurez compris, pour un premier ‘’roman’’ on démarre sur une ambiance dure !
    Pourquoi les guillemets ? Parce qu’il est difficile de parler de roman, puisque c’est un témoignage, presque un journal intime mais rédigé en vers libres sans ponctuation ni rimes… (ne partez pas en courant s’il vous plait ! :D:goutte:)
    Mais ce n’est pas non plus de la poésie, pas simplement parce qu’il n’y a pas de rimes, mais tout simplement parce que ce n’est pas son but, il n’y a pas d’intention poétique et ça se sent à la lecture, c’est juste tout ce qui peut sortir d’un corps épuisé après 8h ‘’à la ligne’’.

    <image>Certains ayant vécu une expérience de mort imminente assurent avoir traversé un long tunnel inondé de lumière blanche
    Je peux assurer que le purgatoire est juste avant le tunnel de cuisson d'une ligne de bulots
    Pourquoi donc continuer
    Pour maintenir une production dont je n'ai rien à foutre
    Pour tester mes limites
    Pour me dire que le bulot n'aura pas ma peau mes bras mes reins mon dos et surtout mon crâne C'est la viande verte de mon cerveau qui tient
    Qui tiendra


    Un premier livre donc, qui en possède à la fois les qualités et les défauts. Même si on y trouve, de l’humour et des références littéraires ou musicales, ce livre se veut comme un hommage à ces travailleurs de l’ombre pas comme un livre dénonciateur pourtant il n’y a rien à faire, on ne peut s’empêcher d’être choqué par certains faits, par certaines anecdotes…

    L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues
    Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement speed que j'ai même pas le temps de chanter » Je crois que c'est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière
    Ces moments où c'est tellement indicible que l'on n'a même pas le temps de chanter
    Juste voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse qui monte l'inéluctable de la machine et devoir continuer coûte que coûte la production alors que
    Même pas le temps de chanter


    <image>
    On peut y voir un défaut ou une qualité mais au final, cette lecture se révèle être comme son sujet.
    Ce livre est comme un boulot à l'usine : dur, souvent répétitif, incisif, contraignant, lourd, injuste, vous laissant seul face à la situation que vous avez devant les yeux...
    Le tout dans une mise en page très particulière puisque le texte en vers libres et sans ponctuation donne un rythme de lecture plus à la fois régulier et déstabilisant.

    Un livre pas souvent joyeux malgré certaines tentatives mais qui ouvre les yeux sur un univers trop peu connu, trop peu mis en évidence...
    C’est une lecture dont on ne peut sortir que secoué.

    Je me souviens de la vanne à la con
    « C'est quoi la différence entre un ouvrier et un intellectuel
    L'ouvrier se lave les mains avant d'aller pisser
    L'intellectuel après »
    Je ne me lave plus les mains
    Pas envie de devenir schizo

  • Cervus

    Lecteur fou

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    #1242 27 Juillet 2020 22:10:08

    L'origine des liens


    C'est souvent le cas quand vous restez accroché aux erreurs du passé et que vous ne savez pas gérer le présent. Le futur vous semble effrayant.


    <image> Bon je ne vais pas vous refaire le topo sur la façon dont j’ai découvert cette série, pour la simple et bonne raison que j’en ai parlé il y a peu. Avec Sunstone : Mercyde Stjepan Sejic, il est toujours question du même univers, celui de Sunstone, avec les mêmes personnages, à la seule différence que l’attention n’est pas portée vers les mêmes que précédemment. Lien avec les tomes précédent :
    En amour, il y a toujours une première fois. Et le chemin qui mène à l'extase est souvent long et semé d'embûches. Surtout si, comme Alan, vous êtes victime des moqueries de vos copains de fac parce que vous êtes adepte du BDSM ou si, comme Anne, vous réalisez que vous avez des goûts qui sortent de l'ordinaire.
    A vrai dire, je ne saurais pas ajouter beaucoup plus que ce que j’ai déjà dit sur Sunstone… En effet, les qualités et les défauts (euh y avait des défauts ? :angel:) de Sunstone sont extrêmement similaire ici. Vous avez adoré Sunstone ? Vous allez adorer Sunstone Mercy.
    Vous avez détesté Sunstone ? Vous allez détester Sunstone Mercy.
    Ce n’est pas très compliqué.

    Cependant, je tiens à aborder certains points.
    Le premier c’est que comme vous l’aurez compris. Ici nous allons nous concentrer sur Alan et Anne. Ils sont en effet au centre de cette histoire. Nous y découvrons les parcours de l’un et de l’autre, comment ils en sont arrivés là où ils sont c’est-à-dire ensemble. C’est ce qui nous est promis.
    Et là-dessus, j’ai envie de dire : semi-vérité. Du moins je l’ai ressenti ainsi…
    En effet, Alan évoque au début du livre 3 femmes qui ont compté dans sa vie. Ces 3 femmes vous connaissez déjà leurs noms si vous avez lu les tomes ‘’précédents’’ (j’y reviendrai). Or au final, on connaitra le parcours de Anne, celui de Alan avec Allison et c’est tout.
    Au final, oui on sait comment Alan et Anne en sont venus au BDSM (même si Sunstone en disait déjà beaucoup). Alors, j’ai sans doute interprété au début… Allez savoir…

    <image>
    Il fut un temps où je me suis beaucoup identifié au vieux Scrooge pour de multiple raisons. Je crois que nous avons tous nos propres fantômes, du passé, du présent et du futur. Ils peuvent prendre différents aspects. Moi je les identifie à trois femmes très importantes dans ma vie. Bon… Quatre si on compte Allison, ma Jacob Marley à moi. Elle aussi était très efficace pour faire surgir mes doutes et manier les chaînes.

    Donc vous l’aurez compris, on va reparler d’Anne d’un côté mais surtout d’Alan avec Ally de l’autre côté… Ce qui est très drôle (surtout les débuts et les gênes d’Alan et Allison !) et intéressant (amenant d’autres questions que Sunstone, notamment sur la domination) tout en étant une fois de plus touchant.

    - Je suis attachée et sans défense. Qu’allez-vous faire de moi, maître ?
    - Je… ... ne sais pas…
    C’était le moment crucial et j’étais paralysé.


    <image>
    Alors d’après la préface de l’auteur, nous sommes censés considérer ce tome comme une histoire à part entière. Oui c’est vrai que c’est faisable. Mais il n’y a rien à faire, dans sa substance elle reste une annexe de Sunstone. Vous comprendrez sans doute certaines  choses de manière un peu plus fluide en ayant lu Sunstone d’abord… Mais rien de dérangeant.

    Alors mieux ou moins bien que Sunstone ? La question ne se pose pas car, il ne fait aucun doute pour moi qu’ils forment ensemble une plus belle vue que séparément. La recette est la même et fonctionne toujours aussi bien !
    Je viens de me relire et de me rendre compte que je n'ai pas assez dit que ce livre venait de Sunstone! :D

    Pardon ? Pourquoi Mercy ? Pour les mêmes raisons que Sunstone
    Vous ne comprenez pas ma réponse ? Alors il faudra les lire… ;)

  • Grominou

    Administratrice

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    #1243 27 Juillet 2020 23:41:14

    Tu confirmes ma curiosité. ;)
    Une vison du futur chaotique? Négative?


    Un futur où la technologie prend de plus en plus de place, jusqu'à l'intérieur même du corps humain...  Or, je suis très peu techno, j'ai même pas de téléphone portable, ça te donne une idée...

    Pour Antigone, c'est bon d'avoir lu la pièce de Sophocle avant?

    Dernière modification par Grominou (27 Juillet 2020 23:41:42)

  • Cervus

    Lecteur fou

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    #1244 28 Juillet 2020 00:11:29

    Ah... Je vois... C'est un partisan du transhumanisme... :grat: C'est déjà moins ma tasse de thé... Très discutable... :grat:

    Pour Antigone (prochain avis), je n'ai jamais lu celui de Sophocle donc tu as une réponse! :D
    Par contre, je vais y penser sérieusement à présent! :angel:
  • Grominou

    Administratrice

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    #1245 28 Juillet 2020 02:19:22

    Je ne dirais pas qu'il en est partisan, mais il constate que c'est vers cela qu'on semble se diriger... Si je me souviens bien, il reste assez neutre à ce sujet.    Je pense qu'il développe plus ce sujet dans le tome 2.
  • Cervus

    Lecteur fou

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    #1246 28 Juillet 2020 11:37:37

    D'accord. Si c'est le cas, il est plus que probable que, comme toi, le 2ème tome m'intéresse beaucoup moins... :euhnon: Et je comprends du coup, beaucoup mieux son titre Homo Deus... :goutte: Très peu pour moi... :chaispas:
  • Miyuki_

    Parent d une bébé PAL

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    #1247 28 Juillet 2020 13:33:32

    Coucou Aealo !

    Le 7 septembre ? Mais c'est parfait, ce sera pendant mes congés :D Et le 7 novembre pour Le nom de la rose, parfait aussi ! :D (Vive les 7 XD)

    Ah mais on fait de tout en manga mais de là à faire La psychologie des foules :ptdr: (Dans le genre psychologie et fonctionnement des mouvements sociaux, foules en tout genre, je ne peux que te conseiller le site du CRISP ! C'est une mine d'or ! Ainsi que les ouvrages de Alain Touraine, bien qu'on soit plus sur un angle politique que culturel :D

    Ah mais Maüs j'ai demandé directement en bibliothèque et on m'a confirmé qu'il était parti des collections, sûrement parce qu'il était peu emprunté. Pas grave, je connais une librairie d'occasion hyper bordélique mais on y fait de chouettes découvertes ! Genre Shangri-La à moitié prix et en état excellent. Impossible de le trouver ailleurs XD peut-être que je le trouverai là !

    A la ligne, c'est clairement le genre de lecture que je ne pourrai pas lire. Voir, lire, entendre des personnes galérer physiquement et mentalement dans un travail aussi pénible et aussi peu épanouissant parce que les factures ça se paie pas tout seul, je vis ça tous les jours au travail. C'est une réalité que je connais bien ... Après, ça peut être instructif et être révélateur d'une situation que l'on ne connait pas - voir peu. Si jamais tu t'intéresse un peu au management, je peux te conseiller de te pencher sur les travaux d'Elton Mayo (Son nom permet plein de jeux de mots pour le retenir et le replacer facilement à l'examen XD) qui va à l'encontre du Fordisme et du travail à la chaîne.

    Je te souhaite de belles lectures ! :D

  • Cervus

    Lecteur fou

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    #1248 28 Juillet 2020 16:08:36

    Salut Noemie.lsth!

    Parfait pour les 7 (le hasard parfois... :D)! Plus qu'à attendre les confirmation de @Lunhatic et on sera bon! :yeah:

    je savais qu'il avait reproduit des classiques (Les Misérables, Crime et châtiment) et de la philo (Ainsi parlait Zarathoustra, Le Capital) mais je suis tombé sur Psychologie des foules de Team Banmikas il y a peu...

    Merci pour les références. ;)

    AH oui! Shangri-La, ça me dit quelque chose. On en a parlé lors d'un BC non? :grat: C'était toi peut-être? ;) (je n'ai hélas pas ta capacité de mémoire! :goutte::D)

    Pour Maüs, je ne me fais aucun doute là-dessus, je le vois régulièrement dans les marchés du livre du coin donc tu devrais le trouver aisément. ;)

    Concernant A la ligne, je comprends complètement ta réaction, ayant moi-même eu du mal... :goutte: Plus avec que le fond qu'avec le forme.
    Je ne sais plus ce que tu fais comme travail (je pense que je l'ai déjà su mais je n'en suis plus certain...) mais il est vrai que cette réalité du travail paye-facture/gagne-pain est une réalité dure et bien plus répandue qu'elle en a l'air malheureusement. :S Mais on a beau en avoir conscience, ce genre de lecture marque au fer rouge...

    Le management n'est pas ma branche mais ça peut toujours être intéressant (surtout une façon de penser qui va à l'inverse de tout ça)! Merci ;)
    (je viens de voir que Mona Chollet a écrit un article à son propos)

    Je te souhaite de belles lectures à toi aussi! ;)
  • Cervus

    Lecteur fou

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    #1249 28 Juillet 2020 21:30:12

    Force, Honneur et Rébellion


    C'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, ...


    <image>Je ne lis pas autant de pièce de théâtre que je le souhaiterais car pour tout dire, à chaque fois ce fut tout ou rien… Certaines d’entre elles font partie encore à l’heure actuelle de mes plus belles lectures. Je ne sais plus de quand date ma prise de connaissance de Antigone de Jean Anouilh mais je n’ai pas eu l’occasion de la lire ou l’étudier à l’école. Par contre, je connaissais une part de ces personnages par mon goût pour mythologie.
    L’histoire est assez simple en soi.
    Antigone est la fille d'Œdipe et de Jocaste, souverains de Thèbes. Après le suicide de Jocaste et l'exil d'Œdipe, les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice se sont entretués pour le trône de Thèbes. Créon, frère de Jocaste et – à ce titre – nouveau roi, a décidé de n'offrir de sépulture qu'à Étéocle et non à Polynice, qualifié de voyou et de traître. Il avertit par un édit que quiconque osera enterrer le corps du renégat sera puni de mort. Personne n'ose braver l'interdit et le cadavre de Polynice est abandonné à la chaleur et aux charognards.
    Seule Antigone refuse cette situation. Malgré l'interdiction de son oncle, elle se rend plusieurs fois auprès du corps de son frère et tente de le recouvrir avec de la terre. Ismène, sa sœur, informée de sa décision, refuse de la suivre, craignant sa propre mort.
    Très vite, Antigone est prise sur le fait par les gardes du roi. Créon est obligé d'appliquer la sentence de mort à Antigone.


    Autant le dire tout de suite, je n’ai pas lu la version de Sophocle (du moins pas encore), même si c’est celle sur laquelle Jean Anouilh s’est basé pour la remettre ‘’au goût du jour’’ dans des circonstances particulières.
    En effet c’est en 1944 dans les conditions de l’Occupation allemande que Jean Anouilh décide de prendre pour base une pièce qu’il admire depuis toujours ‘’Antigone’’ de Sophocle et de détourner les codes de la tragédie grecque (l’individu face aux Dieux ou au Destin) et ainsi la codifier de manière à la faire correspondre avec son époque : l’individu face à un combat perdu d’avance, à une cause qui le dépasse mais une cause à dimension ‘’humaine’’ et non mystique.

    Je ne veux pas comprendre. C'est bon pour vous. Moi je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir.

    <image>Dés le début, on sait donc comment tout cela va finir.
    Alors, me direz-vous, quel intérêt ?
    Et bien tout le reste ! Les personnages, leurs échanges, les argumentations, les tentatives pour convaincre quelque chose qui est déjà perdu, les lâcher-prises émotionnels…
    Ici peu importe ce qui arrivera puisqu’on le sait déjà mais le combat mené malgré tout pour éviter que ça arrive est à la fois beau, puissant, prenant mais surtout touchant.

    D’abord par les personnages.
    Je n’ai pu qu’être en pleine empathie avec chacun des personnages car chacun de leur point de vue est compréhensible. Plus que ça, ils sont pour la plupart défendus mais surtout défendables et ce, même pour ceux qui ne font qu’un passage éphémère.

    Créon : Un homme n’ayant pas demandé à occuper la place de pouvoir et qui se retrouve avec un joyeux bordel sur les bras… Mais après de tels troubles, à contrecœur il se voit obligé de jouer sur l’image erronée pour tenter d’asseoir un peu d’accalmie. Il ne veut pas la mort d’Antigone.

    La vie n'est pas ce que tu crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent couler sans savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, ferme tes mains, vite. Retiens-là. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu'on grignotte assis au soleil.

    Antigone : Elle ne souhaite pas être sage, ne demande que le respect de son frère, la possibilité d’honorer sa mémoire en lui donnant les rites funéraires. Non pas qu’elle croit mais elle refuse qu’on lui impose les choses et surtout pas ça. Elle veut garder la liberté de faire ses propres choix. Quel que soit le prix de cette liberté.

    CRÉON : La vie, ce n'est peut-être tout de même que le bonheur.
    ANTIGONE : Le bonheur...
    CRÉON : Un pauvre mot, hein ?
    ANTIGONE : Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu'elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ?


    Ismène : Elle est au courant des projets de sa sœur et les comprend. Mais contrairement à elle, elle a peur au point d’en être paralysée. Elle brûle de l’angoisse des conséquences, elle est plongée dans l’effroi des pertes. Tellement tiraillée qu’elle ne sait que faire.
    Hémon : Le pauvre est perdu. Il est plongé dans l’incompréhension la plus complète, ayant été maintenu dans l’ignorance… Il ne peut que voir les conséquences sans en comprendre véritablement les nuances…
    Les autres personnages ne sont pour la plupart que de passage et je n’en parlerai pas ici exception faite des gardes mais j’y reviendrai…

    On est tout seul, Hémon. Le monde est nu. Et tu m’as admiré trop longtemps. Regarde-moi, c’est cela devenir un homme, voir le visage de son père en face, un jour.

    <image>
    Ensuite par la parole.
    Car ce n’est pas une pièce qui brille par son action mais bien par ses paroles et ses idées ! Oui, la rébellion que Jean Anouilh a voulu injecter chez Antigone est une perle, oui les échanges entre les personnages sont riches, oui la forme est aussi belle que le fond, oui certaines idées ne seront peut-être pas en accord avec les vôtres mais elles ne sont pas gratuites…
    Il y a dans les dialogues (surtout entre Créon et Antigone) une puissance et une conviction qui m’ont semblées tellement porteuses et ce, avec une force qui donne envie de lever le poing par instant…
    Une intensité qui par instant me rappelle celle de Nietzsche (même si ce n’est pas leur seul point commun pour moi mais ça c’est une autre histoire…), de même que je lui trouve bon nombre de points commun avec Bilqiss de Saphia Azzedine (et je mesure à présent à quel point, Bilqiss est une Antigone voilée des temps modernes et surtout pourquoi elles m'ont fait ressentir des sensations similaires).

    L’orgueil d’Œdipe. Tu es l’orgueil d’Œdipe. Oui, maintenant que je l’ai retrouvé au fond de tes yeux, je te crois. Tu as dû penser que je te ferais mourir. Cela te paraissait un dénouement tout naturel pour toi, orgueilleuse. Pour ton père non plus – je ne dis pas le bonheur, il n’en était pas question – le malheur humain, c’était trop peu. L’humain vous gêne aux entournures dans la famille. Il vous faut un tête-à-tête avec le destin et la mort.

    Alors oui, c’est une tragédie.
    Mais comme je l’ai dit, Jean Anouilh a joué avec les codes, ce qui fait que le ton n’est pas qu'au drame. Ne croyez pas qu’il n’y aura ici que paroles larmoyantes, Jean Anouilh est parvenu à glisser une part d’humour (très agréable et efficace) grâce à la présence des gardes. Ces personnages pas mauvais bougres font juste leur boulot et sont souvent mal pris d’autant qu’ils ne mesurent pas vraiment les enjeux au-delà des conséquences que leurs propres actes pourraient avoir pour eux-mêmes. Leurs interventions sont souvent la possibilité d’une respiration dans la tension des échanges.

    Je ne veux pas le savoir. Tout le monde a des excuses, tout le monde a quelque chose à objecter. S'il fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre, on serait propres.

    Vous l’aurez compris, une des plus grosses claques littéraires de cette année pour moi...

    Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.

    Dernière modification par Aealo (29 Juillet 2020 01:09:37)

  • Grominou

    Administratrice

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    #1250 29 Juillet 2020 00:30:41

    Ça y est, je me note Antigone!  Et je verrai si je lis auparavant la pièce de Sophocle...