#254 09 Novembre 2022 12:23:03
Jones de Neil Smith
Troublante, voici le mot qui me vient à l'esprit lorsque je songe à cette histoire d'une famille atypique, soudée et divisée à la fois par le poids d'un secret qui n'en est pas vraiment un. On y suit les Jones, principalement les enfants , Albi et Eli mais aussi Joy et Pal, les parents, ainsi que, dans une moindre mesure, la parenté élargie, tous des “Jones” dans le sens qui y donne les enfants, à savoir paumés, alcooliques, vicieux, toxiques quoi. Cela donne une bonne idée de la perspective de la soeur et du frère qui poursuivront leur inatteignable graal tout au long du récit. On y nage dans le glauque, le non-dit, on alterne entre rébellion et soumission, entre flambée d'espoir et découragement total, un malaise constant m'a suivi pendant cette lecture, preuve que l'auteur parvient bien à transmettre le mal de vivre de ses protagonistes.
Pourtant il n'y a pas de scènes horrifiantes ici, Neil travaille lentement le perfide quotidien pour nous mettre la face dans la crasse. Il faut s'accrocher dans le premier tiers du livre car on ne sait pas trop où l'auteur s'en va mais dès que cela se précise, le drame nous happe. L'écriture est juste, les dialogues très “punchés”, les personnages intrigants et l'histoire dérangeante. J'ai trouvé le tout terriblement efficace, à un point tel que de temps à autre cela me faisait songer, dans un autre environnement, au ”Prince des marées” de Pat Conroy ce qui est un compliment en soi. Je suis amateur d'histoires familiales tordues et j'ai été bien servi par ce Jones. Un auteur que j'ai découvert par ce roman et qui m'intéresse pour l'avenir. Et surtout, futurs lecteurs, n'oubliez pas d'aller voir la photo de la soeur de l'auteur à la fin du livre . . .
Je remercie les éditions Alto et le site Babelio pour m'avoir fait parvenir un exemplaire de ce texte dans le cadre de l'opération Masse critique Québec.
Les quatre saisons de Violetta de Chystine Brouillet
Je connaissais l'auteure pour sa série policière consacrée à Maud Graham, mais j'ignorais qu'elle avait aussi écrit ce thriller mi fantastique, mi historique; avoir su, je l'aurais lu bien avant ! Car cette histoire en quatre temps, 1719, les années 30, la deuxième guerre mondiale et le tournant de l'an 2000 m'a plu du début à la fin. D'abord le fil conducteur, un sorcier cannibale aux trousses de sa fille pour s'approprier ses pouvoirs, a toutes les caractéristiques d'un bon thriller: énigmes, bouleversements, crescendo dans l'action etc. Ensuite les personnages sont bien découpés, assez développés pour que l'on comprenne bien la dynamique de leurs relations. Quant à l'héroïne, sa naïveté initiale sera graduellement remplacée par une fougue et une détermination qui la rend terriblement attachante.
Le coté historique de chaque époque est bien documenté, j'ai aimé y rencontrer Vivaldi, cotoyer les malfrats de Capone, revivre les horreurs des camps de concentration et me rappeler l'hystérie du passage à l'an 2000. L'aspect fantastique m'a semblé assez novateur aussi avec ce tournoi supervisé par le Maître de l'Autre Monde, les interventions des sorcières externes et les pouvoirs d'Isabelle. Mais c'est surtout la passion des odeurs qu'insuffle l'auteure à sa Violetta, les liens qu'elle lui fait tisser avec la musique qui m'ont frappé; que de mélodies m'ont trotté dans la tête pendant cette lecture ! Bref que l'ampleur ce pavé ne vous rebute pas; il se digère très facilement.
Une sorte de renaissance de Anaël Turcotte
Il y a de ces livres qui fuient les étiquettes; celui-ci en est un. Vaste allégorie, ambitieuse métaphore, conte philosophique, fable sociale, un peu de tout cela sans doute. À l'aide de sept personnages, l'auteur, dont c'est le premier roman, jongle avec les concepts de destinée individuelle et d'organisation collective, les opposant parfois, les fusionnant à l'occasion. Tout cela en utilisant un récit rocambolesque parsemé de dialogues percutants et de réflexions brillantes dans un univers flou qui suit “la grande explosive de 2080” . . .
J'avoue avoir été dérouté par la démarche dans le premier tiers du bouquin, par la suite le projet se dessine mieux; peu à peu l'ambition du texte se révèle et on se demande bien comment Turcotte pourra boucler la boucle en si peu d'espace, deux cents petites pages en fait. Bien justement, une des qualités du livre c'est de laisser complètement au lecteur le soin de trancher, de se faire une opinion sur l'enjeu fondamental. On sent bien l'inclinaison de l'auteur, mais il laisse de belle façon sa fin ouverte; à nous de cogiter ! C'est extrêmement rare qu'en terminant un lecture je songe à la reprendre un jour, ce qui est le cas ici. C'est dire qu'il y a beaucoup à gratter sous la surface.
Je remercie les éditions Triptyque et le site Babelio pour m'avoir fait parvenir un exemplaire de ce texte dans le cadre de l'opération Masse critique Québec.