Amour, encre et secret
Puissent mes lettres entretenir en toi le feu sacré du désir afin que je te retrouve plus aimant et plus fou que jamais.
<image> Je me souviens encore de la chronique littéraire que j’avais entendu à la radio. On sentait réellement que la chroniqueuse était tombé sous le charme, qu’elle avait été touchée par Mademoiselle S. : lettres d'amour, 1928-1930. Cette façon qu’elle a eu d’exprimer tout ça m’avait touché moi auditeur et m’avait donné envie de le lire à mon tour en espérant être touché en tant que lecteur cette fois.
Il est difficile de faire un résumé puisque :
Cette correspondance érotique des années 1920, découverte par hasard par Jean-Yves Berthault, ancien ambassadeur, dévoile la folle passion d'une femme pour son jeune amant. Elle dévoile ses fantasmes les plus fous, elle nous révèle avant tout une magnifique et tragique histoire d'amour.
« J’entends encore l’onde sensuelle de ta bouche sur la mienne, c’était si fort c’était si beau… »
Mais pas si simple…
Ce livre n’a donc rien d’une fiction. Alors qu’il aide une amie à vider son appartement dont la cave ne l’avait jamais été auparavant. Jean-Yves Berthault découvre, cachée derrière des tas de bois, de chaises cassées et aux cadres, une caisse contenant des couches successives de journaux et de boites de conserves vides. Interloqué par cet étrange lot aussi bien caché au contenu loufoque, il pousse la curiosité jusqu’à vider cette caisse et là il met au jour un ensemble important de lettres d’une certaine Simone. Il cherche une année mais rares sont les lettres qui affichent l’information, puis en voici une : 1929.
C’est alors avec dévouement que Jean-Yves Berthault va les lire et tenter de les remettre dans l’ordre. Ce n’est pas forcément chose aisée puisque toutes ne comportent pas de dates et encore moins d’année, et donc il y a eu un travail de remise en ordre conséquent. Malgré tout, ça ne se sent pas à la lecture.
Moi, j’attends, le cœur battant d’un délicieux émoi, ta première étreinte. Tu vas me faire souffrir dis-tu. Tant pis, mais dis-moi que tu seras heureux dans mes bras, que j’entendrai ton cri de victoire, ton cri de mâle, quand tu m’auras dans tes bras, meurtrie, vaincue, à bout de forces !
Si j’évoque l’histoire de cette découverte c’est pour montrer le côté plutôt particulier pour ne pas dire exceptionnel de cette lecture.
Imaginez : une centaine de lettres d’une femme passionnée à son amant.
Alors oui, autant le dire tout de suite, avec une centaine de lettre s’étirant sur presque 3 ans, cette lecture peut donner par instant de grosses impressions de redondance dans son fond (pas dans sa forme mais j’y reviendrai). En effet, dans tout ce courrier, il n’existe que le point de vue de Simone sans jamais de réponses (puisque c’est son lot de lettres qu’on a retrouvé) et au sein de ses écrits vous ne trouverez qu’un seul sujet et rien d’autre : son amour passionné. Rien sur sa vie ou leurs vies, rien à propos de travail ou de famille. Tout autre sujet que leur relation est soit à peine effleuré, soit carrément absent. Donc en 250 pages de lectures, il n’y a rien de surprenant que l’impression de redondance puisse s’installer. Certes, c’est un défaut d’importance car sur une telle longueur ça peut peser par instant, c’est d’ailleurs ce qui fait que j’ai lu ce livre en un peu près deux ans. Mais à vrai dire c’est sans doute le seul défaut que je peux trouver à cette lecture. Cette lecture doit rester une petite lecture parallèle (une lettre ou deux de temps en temps) sinon elle risque de devenir plus compliquée à encaisser.
Tu me rends heureuse mon cher chéri, bienheureuse. Je connais entre tes bras des moments délicieux et ma chair, maintenant qu'elle a pris le goût de ces caresses, ne saurait accepter la sagesse. Tu ne peux pas savoir à quel point je désire nos étreintes. Te sentir, nu contre moi, caresser tout mon corps, éveiller en toi l'impérieux désir de me posséder, tout cela vois-tu m'affole.
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Et ce serait tellement dommage de s’arrêter en cours de route ! Car même si elle peut donner par instant l’impression qu’on stagne dans l’évolution, ce n’est qu’une illusion.
Une femme brûlant d’amour passionné pour son amant Charles (n’ayant pas son côté de la correspondance il est difficile d’évaluer ce qu’il peut éprouver). A travers ses lettres, nous retrouvons tous les étapes d’une relation et plus encore ! Simone raconte son impatience à retrouver son aimé qui, lui, est marié (on le comprend très vite). Elle ré-évoque ce qu’ils ont fait les fois où ils se sont vus, elle décrit ce qu’elle désire ardemment lui faire la prochaine fois. Elle jalouse l’épouse de son amant pour les nuits qu’il passe avec elle.
Ainsi les élans s’enhardissent, les excitations s’enflamment et à eux deux, ils tentent de plus en plus de choses, vont de plus en plus loin dans leurs fantasmes lorsqu’ils se voient. Au point de faire ensemble ce que Charles ne fait pas avec sa femme. Au point de passer certains pas. Au point d’en troubler Charles semble-t-il. Au point de révéler à Charles, certains penchants qu’il n’aurait sans doute pas imaginés…
Cher amour, crois-tu qu'il soit possible de vivre plus intensément de semblables minutes ? Je ne le pense pas. Je crois que nous goûtons ensemble à de telles ivresses que rien, jamais, ne pourra nous les faire oublier. A chaque rendez-vous, nous nous attachons l'un à l'autre par notre perversion.
Au point d’atteindre peut-être celui de trop…
En effet, si nous avons en main le contenu des lettres que d’un seul des deux correspondants, c’est sans doute que ce lot de lettres a été remis à son expéditrice lors de fin de la relation, comme ça se faisait à l’époque.
Dans cette correspondance, tout y est : le petit nuage, l’impatience, la jalousie, le sexe, la sensualité, la passion enflammée, le dévouement à l’autre, l’inquiétude, l’attente, l’obsession, les tensions, les fantasmes, la déchirure… L’amour tout simplement…
<image>Comme je t'aime, mon cher amour! Je ne puis élaguer de mon esprit ton image chérie et sans cesse ton nom est sur mes lèvres. Tu m'as prise toute entière par tes caresses, par tes baisers et désormais je suis à toi, rien qu'à toi, le sais-tu? Tu as emporté tout mon cœur avec toi. Que n'as-tu aussi emporté tout mon corps? Pourquoi faut-il que de nouveau je sois privée de cet amour qui fait ma joie ?
On peut avoir la surprise des mœurs en lisant ces lettres, mais pour moi, le plus gros intérêt de cette lecture réside dans sa forme !
Rangez tous les clichés que vous pouvez avoir sur le langage des années 20 (celles de 1900 bien sur ! =)) !
La façon dont Simone s’exprime est incroyablement moderne ! Transposées dans notre époque, ses lettres se lisent sans aucune difficulté ! Il est même étonnant de voir comme plusieurs appellations/mots ont évolué en 100 ans et d’autres pas… Surtout parmi le vocabulaire sexuel où certains mots qu’on n’entend plus tant semblent presque tombés dans l’oubli tandis que d’autres et ont resté intacts en un siècle.
Car oui, si je parle de vocabulaire sexuel c’est que le langage de Simone est également très cru ! Loin des cliché bien-pensants sur cette époque, les nombreuses fois où elle parle de leurs ébats passés et futurs, elle n’hésite pas à prendre le sujet par les cornes et à ‘’appeler un chat un chat’’. A tel point qu’il y a des moments où je suis tombé de haut face à certains propos, surtout au début car on finit par s’y faire. Ce n’est pas pour rien que vous risquez de trouver ce livre au rayon ‘’érotisme’’.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : la plume de Simone est crue. Pas vulgaire.
Sur ce point au contraire, son art de la tournure de phrase est presque jubilatoire tant c’est bien écrit, sans détours inutiles. Sa rédaction est tellement recherchée, que pas une fois je n’ai eu l’impression de lire deux fois la même lettre ! Et ça ! En une centaine de lettres, si ce n’est pas un tour de force !
Si cette lecture pique votre curiosité, laissez-vous tenter mais pour l’apprécier laissez-vous le temps.
Le désir d'un homme, même le plus aimant, c'est chose si fragile qu'on craint toujours de le voir s'éteindre comme une flamme sous le souffle du vent.