Viviane
Alix Carmin2017

Je n’ai jamais appris à lire. J’aurais pu, notez bien. Tous les médecins affirment que je suis très intelligente. « Surdouée avec tendance au repli autistique », selon leurs termes. Le braille, si je le voulais, ne devrait présenter pour moi aucune forme de difficulté. Mais pour cela, il serait nécessaire que j’étudie dans un institut spécialisé. Or, il n’en existe pas dans notre petit village. Je devrais partir à la ville, en pension. Ce qui signifierait m’éloigner de lui, mon frère, mon double. Et ça, c’est hors de question. Nos parents ont essayé de me convaincre, liste à l’appui, de toutes les belles histoires que je serais capable de déchiffrer seule. Ils connaissent ma passion pour ce qui a trait au domaine de l’imaginaire, mais s’inquiètent de me voir arriver à l’adolescence sans contact avec le monde extérieur. Seulement, je n’ai besoin ni des autres ni des livres. Je l’ai lui, Melvin, mon magicien. Soir après soir, depuis aussi loin que ma mémoire remonte, il me parle dans le noir de notre chambre, dans le noir de ma vie. Pour moi, il fait surgir un univers qui n’appartient qu’à nous, dans lequel il recrée, tel un peintre fantastique, les paysages, les formes et les couleurs que mes yeux sont incapables de discerner. Nous avons baptisé notre royaume secret : « Morada ».