[Suivi Lectures] Aealo

Aux frontières du réel

Il y a des horreurs, aux frontières de la vie, que nous ne soupçonnons pas, et de temps à autre, la funeste curiosité d'un homme les met à portée de nous nuire.

<image>Etant amateur du genre horrifique depuis mon premier King, c’est tout naturellement que mon parcours de lecteur m’ait un moment porté jusqu’à Howard Phillips Lovecraft. Je n’ai pas pu le découvrir aussi vite que je l’aurais voulu puisque pendant pas mal de temps, celui-ci fut difficile d’accès : beaucoup de bibliothèques que je consultais n’avaient aucun de ses « livres ». Je n’ai pu donc découvrir que des nouvelles ça et là pendant tout un temps… Et du coup, quel ne fut pas mon bonheur lorsque Bragelonne commença à éditer Cthulhu : Le mythe, tome 1 de H. P. Lovecraft et ceux qui le suivirent : au nombre 4 tomes au total. Y en aura-t-il d’autres ? Je doute car une majorité de ses écrits du « mythe de Cthulhu » sont couverts avec ces 4 tomes mais on ne sait jamais…
4ème de couverture (quelque peu raccourci…) :
Howard Phillips Lovecraft est sans nul doute l’auteur fantastique le plus influent du xxe siècle. Son imaginaire unique et terrifiant n’a cessé d’inspirer des générations d’écrivains, de cinéastes, d’artistes.
Le mythe de Cthulhu est au cœur de cette œuvre : un panthéon de dieux et d’êtres monstrueux venus du cosmos et de la nuit des temps resurgissent pour reprendre possession de notre monde. Ceux qui en sont témoins sont voués à la folie et à la destruction. À votre tour, vous allez pousser la porte de la vieille bâtisse hantée qu’est la Maison de la Sorcière, rejoindre un mystérieux festival où l’on célèbre un rite impie, découvrir une cité antique enfouie sous le sable, ou échouer dans une ville portuaire dépeuplée dont les derniers habitants sont atrocement déformés…
Avant d’aborder le contenu de ce recueil, il me semble malgré tout important de dire quelques mots sur cet auteur pour le moins particulier, presque autant que son œuvre…

Malgré le « surdoué » qu’il fut, H. P. Lovecraft n’a pas eu ce qu’on pourrait appeler une vie heureuse… Un père atteint de démence et hospitalisé alors qu’il n’a que trois ans, une mère qui souffrit d'hystérie et de dépression et fut hospitalisée une vingtaine d’années plus tard, une santé plutôt fragile durant l’enfance (ainsi que son caractère difficile) qui vont l’empêcher de l’aller à l’école tout jeune… La jeunesse ne fut pas drôle. Parallèlement, il est mordu de lecture : Les contes des Mille et une nuits, des écrits scientifiques et astronomiques. Cette dernière le passionne tellement qu’il souhaite faire des études afin de devenir astronome professionnel. Objectif qu’il n’atteindra jamais…

A un moment de sa vie, il crée un club de correspondance qui lui fournira dans les années qui suivent une correspondance tellement conséquente qu’il possède alors un carnet d'adresses plutôt important pour l’époque. Malgré tout, il rencontre une jeune femme qu’il épouse et ils s’installent pour New-York. Mais alors qu’il a connu les difficultés financières de sa famille plus jeune, le couple est confronté à son tour à des difficultés financières également. Sa femme est en mauvaise santé et lui n’a pas assez d’argent : elle déménage pour trouver du travail et lui se retrouve seul et se met à détester cette ville et ses habitants (période où son racisme va prendre plus d’ampleur).

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Après plusieurs crises et dépressions, il revient à Providence (sa région d’origine) et c’est durant ces dix dernières années de sa vie qu’il sera le plus prolifique : la majorité de ses écrits les plus connus sont publié à cette époque. Malgré tout, il ne parviendra jamais à gagner d'argent. A la fin de sa vie, il est dévasté par la perte d’une de ses plus fortes relations épistolaires qui se suicide. La même année, il apprend qu’il a un cancer dont il souffrira en permanence jusqu’à sa mort un an plus tard…
Je vous avais prévenu… :goutte:

Ce sont donc majoritairement des textes de ses dix dernières années que le (les) recueil(s) reprend/nent. En effet, c’est principalement durant cette période qu’il va créer une véritable mythologie qui lui est propre (et que plusieurs de ses correspondants vont partager et « étoffer » également : voir ici) : Le mythe de Cthulhu. Un ensemble de Dieu et d’entités (voir ici) d’un autre temps ayant pour certains quittés la Terre et pour d’autres rentrés en sommeil en attendant leur heure pour régner à nouveau. Mais les personnes trop curieuses qui osent s’approcher trop près des vérités de ces cultes prennent de gros risques : c’est la folie qui les guette que ce n’est pas la mort elle-même.

Il est évident que vu ainsi, pris avec un œil actuel, tout cela peut paraître très « déjà-vu » voir « série z ». Hors, il faut remettre les choses dans leur contexte : toutes ces histoires et ces nouvelles ont plus d’un siècle. C’est donc l’inverse : à travers ces textes, on découvrir un précurseur, l’initiateur dix milles fois repris depuis mais rarement (pour ne pas dire jamais) égalé, avec des thèmes récurrents qui pour certains d’entre eux sont plutôt étonnants pour l’époque : les savoirs interdits, le destin inéluctable, la menace extérieure pesant sur l’Humanité, le danger caché, les risques de la Science, la religion/le culte…

Je pourrai faire une liste interminables des gens qui ont été influencé par Lovecraft et/ou qui font des références à son univers (il existe des tas de listes de ce genre aisément trouvables) mais gagnons du temps : Passons à la lecture…

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Soyez donc les bienvenues, aux frontières de notre monde connu...

Je dois avouer que j’ai été saisi par la façon intelligente dont les histoires ont été agencées. La découverte du mythe est en fait progressive : d’abord un lieu, puis un rite puis Cthulhu et son aura puis on glisse vers l’imperceptible puis le glauque jouant de plus en plus avec le rêve et ce qui semble être l’irréel… C’est très bien vu de la part de Bragelonne… Ce sont de nouvelle traduction donc il est possible que certains titres varient par rapport à ceux que vous connaissez (car en effet il y en plus d'un dans le cas).

Explorons donc…

Mouais...       + 
Bien mais...   ++ 
Très bonne    +++ 
Excellente      ++++


La Cité sans nom    ++
Un archéologue à la recherche d’une cité perdue, la Cité sans nom. Une errance dans ces lieux déserts aussi déroutants qu'inquiétants... Vous n’êtes pas certain(e) de ce que vous voyez ou de ce qui c’est passé ? Ce n’est pas grave… Votre héros non plus…

C'est une belle façon d’entamer un tel livre que Bragelonne a choisi là. En effet, bien que courte, cette histoire pose les bases des décors et des ambiances oppressantes qui foisonnent dans cet univers. C'est, d'après moi, une excellente introduction à l’univers et ce qu’il peut contenir. Même si, pour ma part, c’était une relecture et bien que toujours agréable, lorsqu'on en a lu d'autres, celle-ci prend alors un petit goût de "trop peu"...

Dès que j'approchai de la Cité sans Nom, je compris qu'elle était maudite. Traversant au clair de lune une affreuse vallée desséchée, je la voyais de loin, dressée au milieu des sables, comme un cadavre émergeant d'une fosse mal faite. La peur suintait des pierres, usées par le temps, de cette vénérable survivante du déluge, cette aïeule de la Grande Pyramide ; une aura invisible me repoussait et m'engageait à fuir les antiques et sinistres secrets que nul ne devait connaître, que nul devant moi n'avait osé pénétrer.

Le Festival    +++
Une fois fait la connaissance avec les décors des cités perdues lovecraftiennes, il est déjà temps d’assombrir fortement tout ça ! Changement de décors pour suivre l’arrivée d’un homme dans un petit village perdu à l’ambiance très noire dont ses ancêtres, dont il ignore presque tout, sont issus. Il est de retour pour une célébration qui a lieu une fois par siècle, célébration dont il ne sait pas grand-chose si ce n’est que ses ancêtres l’ont toujours célébré… Mais plus les heures passent, plus il est pris d’un doute…

Une première occasion de goûter aux ambiances obscures efficaces comme Lovecraft sait les installer… La teinte très cabalistique de cette nouvelle est également un de ses points forts. Elle permet d’entendre parler pour la première fois du fameux Necronomicon et de bien d’autres livres inventés par Lovecraft et qui ont une place centrale dans sa mythologie. Mais que d’en entendre parler, c’est une des fois, on il nous est directement livré un passage de celui-ci. On entrevoit certaines choses sans les comprendre… Ce qui n’est pas plus mal pour continuer lentement dans la découverte de l’univers.

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L’Appel de Cthulhu    ++++
La découverte d’étranges documents par l’anthropologue Francis Wayland Thurston dans les documents dont il a hérité le laisse sceptique et plus encore cette espèce de sculpture d’argile représentant il ne sait trop quoi… A la fois curieux et captivé par ce mystère, il va mener son enquête pour comprendre mais ce qu’il va découvrir est tout autre…

Nous voilà à l’œuvre fondatrice du mythe ! Entre « livre » et grosse nouvelle, cette histoires possède 3 parties qui possèdent chacune son cadre, ses personnages, son ambiance, ses mystères (même s’ils sont tous liés). Bref une histoire qui en contient pour ainsi dire quatre. C’est percutant, c’est varié, c’est puissant. Elle possède presque toutes les caractéristiques de ce qui fait le style lovecraftien. Il en existe des tas de versions différentes. Pour ma part, c’était la troisième fois que je la lisais et c’est toujours aussi saisissant !

Les rêves sont plus anciens que la sinistre Tyr, ou que le Sphinx contemplatif, ou que Babylone aux mille jardins.

L’Horreur à Dunwich    +++
À Dunwich, un village reculé de tout, la mise au monde de Wilbur, un enfant étrange, dans la famille dégénérée des Whateley vivant dans la ferme isolée inquiète très fortement… Le vieux Whateley est en effet vu comme un « sorcier ». Les Whateley se mettent à acheter régulièrement plusieurs têtes de bétail alors que leur troupeau ne grandit pas. Et d’un autre côté, Wilbur grandit à une vitesse surnaturelle, apprenant rapidement à marcher, parler et lire. Apeurée, la mère confie à des villageois qu'elle craint son fils… Elle disparaît définitivement quelque temps plus tard.

Ici, on a droit à un très beau jeu avec l’imperceptible. Oui il y a quelque chose de « louche » mais quoi ? D'où vient exactement cette impression ? Ne serait-ce pas que des rumeurs ? Pourtant quand on voit Wilbur… Le doute est permis… Ajouté à cela des phénomènes qui sont les conséquences dont on ne comprend pas les causes… L’ambiance pesante est là dés le début et le glauque n’est pas très loin. Une histoire  où le « louche » règne ne maître…

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Celui qui chuchotait dans le noir    ++
Un professeur de littérature s’intéresse à des témoignages relatant la découverte de créatures inconnues charriées par les rivières en crue durant des inondations dans le Vermont. Une correspondance s’engage alors entre lui et un fermier qui viendra peu à peu ébranler les certitudes du professeur d'université.

Oui c’est une nouvelle à forte tendance épistolaire, c’est assez rare chez Lovecraft pour être souligné. Une relecture sur laquelle je fais le même constat que lors de la première : deux temps, deux appréciations. Le début est très prenant en partie grâce à l’échange de correspondance où peu à peu le changement de tons est perceptibles… et permet de donner une teinte tendue sans la moindre action directe. Mais la seconde partie, lorsqu’on passe outre de la correspondance (je préfère rester flou), on perd une bonne part de ce qui avait été installé… Le genre prend une teinte plus SF qui pour moi a mal vieillie… Ce donne une sensation assez kitch à cette fin… Malgré ce que j’ai dit du contexte des nouvelles, ici j’ai vraiment du mal de passer outre… Dommage

Je crois que je deviens fou. Tout ce que je vous ai écrit est peut-être un rêve ou un délire. C'est assez horrible jusqu'à présent, mais cette fois c'en est trop. Ils m'ont parlé la nuit dernière - de cette maudite voix bourdonnante, et m'ont dit des choses que je n'ose pas vous répéter.

Le Cauchemar d’Innsmouth    ++++
Un voyageur décide, malgré la méfiance et dégoût profond des gens de la région, d’aller découvrir la mystérieuse et lugubre Innsmouth. Il s'embarque dans le bus et en débarquant à Innsmouth, il est tout d'abord frappé par l'odeur de poisson qui y règne. Le jeune homme est partagé entre dégoût et  fascination pour la ville. Mais la plupart des habitants ont une morphologie étrange… Mais bientôt il va devoir trouver une solution pour s'échapper d'Innsmouth…
Cette historie est extra ! Tout y est ! Les légendes abondent pour mieux semer le doute sur la réalité d’Innsmouth… Mais pourtant l’atmosphère poisseuse est là, presque palpable… Et justement ce jeu entre deux, permet pour ainsi dire de se retrouver avec deux histoires pour une seule. La puissance des descriptions est si pertinente que par moment on sentirait presque l’odeur du poisson en imaginant les rues d’Innsmouth… De plus, le stresse et l’adrénaline sont au rendez-vous (c’est rare que ce soit à ce point chez Lovecraft). Que demander de plus ? Peut-être une petite « surprise » ? Accordé… ;)

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La Maison de la Sorcière     +
Un étudiant doué dans des matières relevant de la physique quantique et des lois dimensionnelles vit dans une vieille maison du quartier pauvre de la ville, aux côtés de colocataires divers. La chambre qu'il occupe est particulièrement réputée pour avoir servi de foyer à Keziah Mason, une vieille sorcière s'étant évadée par des moyens inconnus de la prison de Salem . Toutes les nuits, il fait des rêves de plus en plus réalistes dans lesquels Keziah et son rat viennent le visiter. Pensant devenir fou, les rêves tournent doucement au cauchemar…

Non la lecture de cette nouvelle ne fut pas particulièrement « agréable »… Comme si Lovecraft ne savait pas quoi faire de cette idée (qui n’est pas la sienne mais une inspiration si j’ai bien compris) et tente de la « triturer » un peu dans tout les sens : il l’étire, ajoute des éléments tant et plus tout en ne jouant pas toujours assez de ce qu’il a amené avant… L’évolution des événements n’est pas toujours très nette… Bref, c’est l’histoire du « too much »… Trop en longueur… Trop de répétitions… Un personnage trop naïf que pour être aussi « intelligent » (trop paradoxale/contrasté), son amour du folklore n’excuse pas tout… Ça veut jouer sur le côté « fiévreux » pour « excuser » ces doutes et cette « naïveté » mais ça ne prend pas… du tout… Une autre preuve : c’est probablement une des histoires où sont cités le plus de références mythologique différentes… On en est là : trop d’entités mythologie (comme si il ne savait pas quoi faire pour remplir l’histoire) tue le mysticisme…
Mais cette nouvelle a une avantage : elle démontre que cet exercice est un bel et bien un fragile équilibre pas « aussi aisé » que ce qu’on pourrait croire lorsqu’on le lit.

Que la vieille maison eût une influence néfaste, il ne pouvait le nier ; mais les traces de sa curiosité morbide du début l'y retenaient. Il se disait que seule la fièvre était responsable de ses chimères nocturnes, et que la fin de l'accès le libérerait des monstrueuses visions. Elles étaient, néanmoins, abominablement frappantes, convaincantes, et il lui restait au réveil le sentiment d'avoir éprouvé beaucoup plus de choses qu'il ne se le rappelait.

Le Monstre sur le seuil    ++
Daniel Upton et Edward Derby sont meilleurs amis malgré leurs différences. Daniel raconte l’histoire de son meilleur ami un peu à part, de sa rencontre avec Asenath Waite et sur le mariage de celle-ci avec son ami. Mais quelques années plus tard, les gens commencent à voir des changements dans les capacités de Derby. Ce dernier se confie à Upton et lui raconte d’étranges histoires à propos de sa femme et de son beau-père, Ephraim Waite, qui pourrait ne pas être mort…

Une nouvelle très agréable et même assez prenante jusqu’à un certain point (dont je ne dirai rien pour ne rien divulgâcher), c’est-à-dire qu’elle est assez original par rapport à certaines habitudes de Lovecraft mais à l’inverse, arrivé à un certain moment, lorsqu’on connait un peu Lovecraft, la fin cousue de fils blancs…

Il est vrai que j’ai logé six balles dans la tête de mon meilleur ami, et pourtant j’espère montrer par le présent récit que je ne suis pas son meurtrier.

Celui qui hante les ténèbres     +++
À Providence, le jeune écrivain et peintre Robert Blake, féru d'occultisme, observe de sa fenêtre un clocher, sur lequel aucun oiseau ne vient jamais se poser. Ce clocher fait partie d'une église abandonnée, que l'auteur va visiter. Il décrit dans son journal les différentes étapes de son enquête.

Peu de choses à dire sur cette histoire. Du très bon Lovecraft très efficace, avec une belle ambiance chargée d’ésotérisme et une curiosité lourde de conséquences… Un moment de lecture très agréable.

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Je laisserai Lovecraft conclure lui-même :

Ce qu’il y a de plus pitoyable au monde, c’est, je crois, l’incapacité de l’esprit humain à relier tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île placide d’ignorance, environnée de noirs océans d’infinitude que nous n’avons pas été destinés à parcourir bien loin. Les sciences, chacune s’évertuant dans sa propre direction, nous ont jusqu’à présent peu nui. Un jour, cependant, la coordination des connaissances éparses nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur le réel et sur l’effroyable position que nous y occupons qu’il ne nous restera plus qu’à sombrer dans la folie devant cette révélation ou à fuir cette lumière mortelle pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel obscurantisme.