Don Juan et le procès de la séduction
Monique Schneider1994

"Homme sans nom", Don Juan déploie une identité en fuite, dissémine les doubles, opère avec la complicité de la nuit. Le jeu de méprise qu'il installe sur la scène théâtrale ne risque-t-il pas de s'emparer de la scène interprétative? De même que Don Juan déjoue les tentatives de capture, le pouvoir séducteur de la parole échappe à des critères linguistiques parfaitement identifiables, puisqu'il évolue dans le " peu explicite". En outre, l'enquête initiale de Freud sur l'expérience de séduction aboutit, dans un premier temps, à la disparition d'un séducteur qui doit quitter la scène pour laisser place à la figure d’œdipe.
Monique Schneider propose alors de reconsidérer le rapport de la littérature à la psychanalyse: elle analyse la façon dont le théâtre du vrai, dominé par les modèles d’œdipe et de Hamlet, parvient à recouvrir et à enterre le théâtre de la séduction, habité par Don Juan. Si la cause œdipienne - quête du vrai et passion du dévoilement - est à l'origine d'une opération de refoulement, il importe de revenir à la parole dramatique pour rendre sensibles les jeux d'offre et d'esquive, les stratégies de multiplication et d'annulation qui sont à l'oeuvre dans l'opération de séduction.
Le recours au texte littéraire relance ainsi une question restée figée, pétrifiée par l'approche freudienne et permet de se demander si la parole séductrice n'échappe pas intrinsèquement à toute saisie réflexive et à toute mémoire.