Voyages et Fleurs
Mercè Rodoreda2003

Extrait
VOYAGE AU VILLAGE DES GUERRIERS

J'ai dû m'écarter rapidement parce qu'à ma rencontre venait un bon millier de chevaux montés par des soldats armes de lances. Us sont passés à vive allure, criant, hurlant, enveloppés de poussière. Aussitôt a commencé le roulement des tambours. En tête, bombant le torse, nez en l'air, marchait le porte-drapeau. Rouge et blanc, le drapeau flottait au vent et sur lui était écrit, en lettres rouges sur fond blanc et en lettres blanches sur fond rouge, «Courage» «Pureté».
Rantanplan, rantanplan, rantanplan... tambours d'argent, écussons d'or, soldats nus au-dessus de la ceinture. Ils étaient face au soleil et l'éclat de l'or et de l'argent m'a obligé à fermer les yeux. Les sonneurs de trompette n'arrêtaient pas. Disciplinés, ils défilaient dans un ordre parfait. La poussière a cessé de tourbillonner et s'est déposée à même le sol. Il s'est fait alors un grand silence. Et le monde s'est vidé.
Je me suis étendu au bord d'un champ de fenouil et me suis endormi. Le soleil me brûlait le dos lorsque je m'étais étendu, me brûlait le visage quand le tintamarre m'a réveillé. J'ai dû me faire tout petit parce qu'au-devant de moi venait un bon millier de chevaux montés par des soldats armés de lances. Ils sont passés à vive allure, criant, hurlant et soulevant la poussière. Aussitôt a commencé le roulement des tambours. En tête, bombant le torse, nez en l'air, marchait le porte-drapeau. Rouge et blanc, le drapeau flottait au vent et sur lui était écrit, en lettres rouges sur fond blanc et en lettres blanches sur fond rouge, «Courage» «Pureté».
Rantanplan, rantanplan, rantanplan,... tambours d'argent, écussons d'or, soldats nus au-dessus de la ceinture. Ils tournaient le dos au soleil et l'éclat de l'or et de l'argent ne m'a pas obligé à fermer les yeux. Les sonneurs de trompette n'arrêtaient pas. Disciplinés, ils défilaient tous dans un ordre parfait. La poussière a cessé de tourbillonner et s'est déposée à même le sol. Il s'est fait alors un grand silence. Et le monde s'est vidé.
A un vieil homme sec comme un sarment qui sarclait un lopin de terre juste derrière les fenouils, j'ai demandé ce qui se passait avec tous ces soldats d'un côté et de l'autre. Ils font toujours la même chose. Ils vont et viennent deux fois par jour : le matin et le soir. Ils vivent sous la tente, pas trop loin d'ici, dans une plantation d'oliviers. Us ne font aucun mal : ils se font soldats pour inspirer le respect et tout le monde les craint bien qu'ils ne fassent que galoper et tempêter. Leurs femmes les attendent au-delà des oliveraies, toutes sont jeunes, toutes sont belles, grandes et souples comme les joncs du torrent, elles ont toutes des boucles d'oreilles de perles, avec une grosse perle montée dans un cercle en or passé au gros orteil du pied gauche. Toutes installées dans des maisons de porphyre et de marbre, avec des treillages de roses bleues aux marquises des auvents, elles attendent leurs hommes jour et nuit et languissent d'attendre tellement tandis qu'eux font claquer les bannières... Rantanplan, rantanplan, rantanplan...