[Suivi lecture] domi_troizarsouilles

 
  • domi_troizarsouilles

    Propriétaire d une PAL boulimique

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    #201 15 Mars 2022 21:30:39

    Hello,

    Stephanius, Une bouteille à la mer est en effet un très beau livre, mais je ne suis pas certaine d'en garder un souvenir inoubliable au fil des années non plus!
    Et moi j'aime beaucoup les romances - enfin, certaines: il y a vraiment "à boire et à manger" dans le genre, plus qu'ailleurs il me semble! C'est grâce aux romances (car une amie en lisait beaucoup, et a fini par me donner envie) que je suis revenue à la lecture, après une longue panne d'une quinzaine d'années! donc elles ont pour moi encore et toujours un petit goût de bienfaitrices, de retour au plaisir (sans mauvais jeu de mots) ;)

    Et entre-temps j'ai terminé deux autres livres: l'un choisi spécifiquement pour le Challenge astro mais sur lequel je suais - il est magnifique, et pas difficile à lire, mais en même temps il "remue", donc se lit par petits bouts...; et l'autre est un SP pour lequel il me restait plus de 15 jours... mais je me suis retrouvée à ne plus pouvoir le lâcher! Il s'agit donc de:

    Glissement de temps sur Mars de Philip K. Dick,
    plusieurs éditions, lu dans la version ebook chez J'ai Lu. 18/20

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    Synopsis : Jack Bohlen vit avec sa famille dans une paisible colonie martienne, loin du bruit et de la foule terrienne. Il gagne sa vie en réparant toutes sortes de machines. Mais pourrait-il réparer un être humain ? C'est ce que lui demande Arme Kott, un homme d'affaires puissant, qui souhaite communiquer avec un jeune garçon schizophrène, Manfred, enfermé dans sa maladie et totalement silencieux. Arnie est persuadé que Manfred possède un don de prescience incroyable qu'il pourrait exploiter de manière très juteuse. Mais jack est troublé car son passé resurgit brutalement : lui aussi a été atteint de schizophrénie et il a surtout réussi à s'en sortir. Et il sait que si Manfred peut voir l'avenir, c'est surtout la mort et le néant qu'il peut appréhender...

    Mon avis :
    Cette découverte d'un auteur dont j'avais déjà entendu parler (j'ai d'ailleurs l'un ou l'autre de ses livres dans ma wish-list), mais que je n'avais encore jamais lu, m'a nettement fait sortir de ma zone de confort – pourtant, je lis « un peu de tout » et j'aime plutôt bien la science-fiction ! Mais ici, on est dans un monde complètement à part, sans égal parmi tout ce que j'ai pu lire dans mon passé de lectrice boulimique… ni au cours de ces derniers mois qui m'ont à nouveau vue dévorer des piles de livres. Je suis soufflée, dans un mélange d'admiration envers un tel livre, et un vague mal-être que les thèmes abordés créent insensiblement ; c'est le sentiment d'avoir lu un récit extrêmement maîtrisé, malgré des moments un peu confus qui touchent à un certain onirisme, et empreint d'une implacable mélancolie – sans que je puisse tout à fait expliquer pourquoi, mais en tout cas c'est le premier mot qui me vient à l'esprit.

    En clair : l'histoire se passe en 2004, c'est-à-dire un futur relativement proche pour l'auteur, sachant que ce livre a été publié en 1964 en langue originale (mais seulement en 1981 pour une version complète en français – voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Glissemen … s_sur_Mars pour ce genre de détails). Si pour le lecteur d'aujourd'hui ce livre a un goût certain d'uchronie, à l'époque on était dans de l'anticipation pure mais très plausible, partant des réalités bien présentes : on était en pleine guerre froide, c'est-à-dire aussi une certaine « guerre » à la conquête de l'espace. Les États-Unis et l'URSS rivalisaient de surprises, envoyant qui une chienne, qui un chimpanzé, qui un être humain dans la galaxie ! Bientôt pourra-t-on même sortir de sa capsule et, qui sait, poser un pied (et un drapeau) sur la lune ? Certes, l'auteur ne mentionne pas tout cela, mais je pense qu'il est bon de rappeler ce contexte : c'est l'époque dans laquelle il vivait et son histoire s'y ancre indéniablement, même tournée vers le futur. On croyait encore que tout serait possible, et que l'on maîtriserait l'espace très rapidement, comme ça avait commencé…
    Ainsi, dans ce monde alors futuriste qu'imagine Philip K. Dick, c'est l'ONU qui a tous les pouvoirs. La Terre est surpeuplée, à tel point qu'on a organisé des colonies qui doivent devenir auto-dépendantes, notamment sur Mars, où se passe l'action. Cette nouvelle planète est devenue habitable mais reste un lieu de vie rude, l'eau y étant rare et précieuse, tandis que les importations (théoriquement interdites) depuis la Terre se vendent très cher, sur un marché noir assez restreint mais bien organisé. C'est là que vit Jack Bohlen, réparateur aux mains d'or, métier extrêmement précieux sur une telle planète où rien ne peut se perdre, avec sa famille…

    Oh ! on n'a pas une action délirante dans ce livre… Durant les premiers deux tiers, voire trois quarts du récit (je n'ai pas calculé exactement), on est davantage dans un roman de style « tranche de vie », où l'on suit essentiellement Jack, ainsi que toute une série de personnages secondaires plus ou moins proches de lui, dans leur vie de tous les jours sur une planète que les humains se sont appropriée mais qui reste relativement hostile. On apprend ainsi, sans grands effets science-fictionnels à la Star Wars (qui reste « la » référence de mon enfance, mais ici, ça n'a rien à voir !), la vie au jour le jour sur une telle planète, copie pas conforme de la Terre.
    Pour moi, les personnages principaux sont donc Jack, présenté plus haut, mais aussi Arnie Kott, puissant homme d'affaires dont le pouvoir ne cesse de s'étendre. Avec eux mais tout à la fois très loin d'eux, il y a aussi Manfred, jeune autiste et/ou schizophrène, interné dans le seul et unique « camp » de la planète qui accepte les personnes handicapées. Manfred ne communique avec personne, ses parents continuent d'aller le voir mais le « cachent » pour leurs relations. Arnie s'est mis en tête que, au-delà de ou liés à sa maladie, le jeune garçon a des pouvoirs de précognition, et veut absolument que Jack, avec tout son talent, crée une machine qui permette la communication, afin de connaître son futur qu'il n'imagine que grandiose… Jack se retrouve peu à peu coincé dans ce nouveau boulot, son patron ayant loué son contrat à Arnie, mais sa santé mentale, à lui l'ancien schizophrène pourtant considéré comme guéri, est en danger.

    L'analyse, surtout psychologique, de ces trois personnages (et de quelques autres) est ciselée, présentée avec le regard toujours très juste d'un narrateur extérieur, mais aussi, de façon récurrente, on entre dans leurs pensées intimes grâce au jeu des polices de caractère, dans une alternance de type « regular » et d'italique – lu ainsi, ça pourrait presque faire peur, mais la distinction visuelle, et peut-être plus encore la grande maîtrise du texte permettent une lecture aisée, on sait toujours qui parle et de quoi il s'agit.

    Ainsi, dans cette longue (mais très rarement ennuyeuse) présentation de la vie sur une Mars colonisée à travers quelques personnages, certains attachants, d'autres que l'on voudrait voir « tomber », l'auteur développe toute une série de thèmes marquants. Parmi ceux qui m'ont le plus touchée, on peut citer la grande solitude de tous ces colons – seuls au milieu des autres pour diverses raison, seuls loin de la Terre-mère où est souvent restée la famille ; mais seules, aussi, terriblement, ces femmes qui restent à la maison pendant que monsieur travaille (rappelez-vous : on est en 1964…), et la vie rude sur Mars exacerbe encore davantage ce sentiment. Elles n'ont rien à envier aux Desperate Housewifes (que l'on connaîtra bien plus tard) ! Cette approche d'une solitude extrême, que l'on combat à coup de phénobarbital, de thés entre voisines et de moments d'adultère, est réellement bouleversante.

    On ne peut pas non plus oublier les « Bleeks », population autochtone de Mars, ayant un mode de vie primitive intrinsèquement liée à cette planète faite de déserts et de monts inhospitaliers. On est très loin des petits hommes verts qui ont longtemps dominé l'imaginaire collectif ! Ici, l'auteur nous les présente comme ayant un corps assez semblable à l'être humain mais plus « desséché », peut-être à cause de la misère, et de couleur sombre. Asservis par l'être humain lors de la colonisation, seuls quelques-uns vivent encore en tribus isolées et pauvrissimes, souvent alcooliques ; les autres sont désormais au service des nouveaux maîtres de Mars, généralement considérés comme une sous-race. On comprend très vite que l'auteur met dans ces « Bleeks » un mélange terrible du drame des Amérindiens (qui ont vécu une histoire très similaire, lors de la colonisation de leurs terres ancestrales par l'homme blanc…) et de celui des Afro-américains, alors également sous la domination de l'homme blanc, moqués et méprisés pour leurs origines culturelles différentes, leur prétendue lenteur à accomplir certaines tâches, ou la couleur de leur peau... D'ailleurs, plus d'une fois, Arnie parle de son serviteur Héliogabale comme d'un « Black » et, si l'on croit à une faute les premières fois, on saisit rapidement que c'est tout à fait délibéré. Là aussi, il y a un indéniable ancrage dans la réalité du moment : rappelez-vous, on est alors en plein mouvement des droits civiques aux États-Unis, je pense que le rôle que va prendre Héliogabale n'est pas tout à fait innocent…

    Mais bien sûr, le plus présent et le plus marquant est l'omniprésence de la schizophrénie, qui peu à peu supplantera même toute autre pathologie chez Manfred, que l'on nous présentait d'abord comme « simple » autiste. Alors, autant le dire d'emblée : je ne connais absolument rien à ces diverses maladies, si ce n'est une vague idée comme tout un chacun peut en avoir, mais ce n'est pas la consultation de quelques pages sur le Web qui peut supplanter des années d'études sur des pathologies qui relèvent de la psychiatrie ! N'oublions pas, aussi, au risque de me répéter, qu'on est en 1964 ; or, la connaissance que l'on avait de telles maladies était ce qu'elle était, et a beaucoup évolué en 58 ans !
    Quoi qu'il en soit, l'auteur présente la pathologie de Manfred, qui (re)gagne peu à peu Jack, avec un réalisme effrayant : on se sent réellement dans la peau de Jack et on vibre avec sa souffrance, et pour ma part, j'étais complètement flippée à chaque fois que Manfred entrait dans ses litanies de « ronge ». Réalisme effrayant car on sent que l'auteur maîtrise parfaitement le sujet (dans la mesure de ce qui était connu à l'époque), ou pour le moins qu'il s'est énormément documenté. Mieux encore : il adapte ses connaissances particulières à un monde pour lui futur, dans lequel la schizophrénie toucherait en moyenne une personne sur trois au cours de son existence, à cause (notamment) d'un mode de vie où tout va toujours plus vite, où on nous en demande toujours plus…
    De là, on peut légitimement se demander : l'auteur avait-il lui aussi ce don de précognition ?... S'il s'est trompé sur ses statistiques – une (nouvelle) rapide consultation sur Internet nous apprend qu'on est actuellement autour de 4 pour mille ( !) cas de schizophrénie dans nos populations, on est bien loin de 1/3 - , on ne peut s'empêcher de penser qu'on est aujourd'hui dans des taux bien plus élevés de cas de burnouts et autres épuisements, liés à ce mode de vie accéléré que Philip K. Dick décrit si bien !

    Ce livre parle aussi d'eugénisme, de la peur de vieillir - de la vie et de la mort, tout simplement.
    Avec tout ça, ces morceaux de vie quotidienne sur Mars, ces bribes de souvenirs terriens de Jack notamment, et l'évolution (ou pas) de Manfred, on sent que l'auteur, bien au-delà d'une simple présentation de la vie de colons sur une autre planète, place les différentes pièces d'un puzzle, il construit « quelque chose »… qui va tout à coup éclater dans une incroyable distorsion du temps, toujours caractérisée par une très grande maîtrise du texte, qui fait que le lecteur s'y perd bien un peu, sans s'y perdre tout à fait, pourtant. En effet, dans le dernier tiers (ou quart) du livre, les mêmes événements sont vus et revus, forcément différemment, par nos trois protagonistes. Et tandis que leur réalité et leurs visions se mélangent et se superposent, se rejoignent et s'opposent, l'action « quotidienne » du récit continue d'avancer, jusqu'au drame – drame qui, depuis quelques pages, était carrément attendu, mais qui se passe dans un tel contexte de confusion dans le temps, ce glissement dont on est prévenus de par le titre du livre, qu'on en reste, comme je disais d'entrée, complètement ébahis par la maîtrise de l'auteur. Seul le dénouement final m'a quelque peu laissée sur ma faim… mais comme il tient d'un happy end, on l'accepte, et on referme ce livre, la tête bourdonnante et l'esprit perdu dans l'espace et dans le temps, mais aussi la satisfaction d'avoir pu terminer (et aimer) un livre aussi déroutant que bouleversant.





    À l'adresse du bonheur de Lorraine Fouchet,
    publié chez Héloïse d'Ormesson en 2022, lu en format GF. Un très agréable feel-good: 17/20
    (et désolée pour l'image: je n'ai pas encore fait le montage, je ferai ça dans les prochains jours pour Insta...)

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    Synopsis : En lisant le journal, le médecin Pierre Saint-Jarme constate que Ker Joie, la maison de famille vendue dix ans plus tôt, est de nouveau sur le marché.
    Il se précipite pour la racheter. Trop tard. Alors, il la loue, le temps d'un week-end, pour réunir la tribu sur l'île de Groix et organiser l'anniversaire d'Adeline, sa mère. Mais Pierre n'est pas le seul à lire les journaux... Un accident survenu il y a trente-sept ans s'invite à la fête. Tandis qu'Adeline souffle ses quatre-vingts bougies et pioche des moments précieux dans le bocal à émotions, les fracas du passé tracent vers l'île.
    Et si vous pouviez racheter votre maison d'enfance? Ce roman ravive les souvenirs, parle du serment d'Hippocrate, de rancune tenace, et surtout d'amour. Il appelle à éclairer la nuit pour ceux qu'on aime, et réveille le parfum des vacances et des recettes de grand-mère.


    Mon avis :
    Je remercie très sincèrement Babelio et les éditions Héloïse d'Ormesson, qui m'ont permis de découvrir ce très agréable livre (et son autrice) dans le cadre d'une Masse critique privilégiée !

    Contrairement à plusieurs (si pas la majorité) des lecteurs dont j'ai lu le commentaire sur ce livre, je ne connaissais pas du tout l'autrice ; je n'avais donc aucune attente particulière. En outre, dès les premières lignes, dès le titre d'ailleurs si je suis honnête, j'ai compris que ce récit pouvait rejoindre le clan (très ouvert) de ces romans de littérature contemporaine « légère », qui traitent de problématiques très quotidiennes, pouvant dès lors toucher n'importe quel lecteur, dans un esprit feel-good. Si une telle description peut paraître quelque peu négative ou ironique, c'est tout simplement parce qu'un certain nombre de ces livres que j'ai lus (je ne vais pas les citer, même si j'ai quelques titres bien précis en tête) m'ont plus ou moins déçue, parfois même lassée ou irritée… Certes, d'autres m'ont plu bien davantage, mais je garde toujours une certaine méfiance envers ces histoires qui paraissent presque trop « faciles ». Alors, pourquoi ai-je postulé, me demanderez-vous ? eh bien, j'ai été séduite par la bien jolie illustration de couverture, sans parler du fait qu'on est toujours un peu flatté d'être invité à une masse critique « privilégiée »…
    Et puis, on reçoit effectivement un bel objet-livre, avec un marque-pages assorti : c'est un détail mais ça participe au plaisir ! Dès lors, après un petit « pfff » de départ, mais soucieuse de remplir mon contrat de remettre un avis dans un délai raisonnable, je me suis quand même lancée dans ce livre…

    … et je l'ai finalement lu d'une seule traite, sans plus pouvoir le lâcher !
    Oh ! il ne brille pas par son originalité : les thèmes de la famille réunie, le temps d'un week-end qui va tout bouleverser, dans une maison qui appartenaient aux aïeux (même si, ici, on a en plus le supsense que cette maison, tout juste remise en vente, a été vendue sur le fil à un illustre inconnu) ; l'anniversaire de la mater familias et grand-mère qui se veut « moderne » ; les secrets de famille qui ressortent en autant de mini-bombes qui vont éclater au grand jour aux moments les plus inopportuns ; les relations dans les couples, ou entre parents et enfants, parsemées d'amour mais aussi de non-dits et de potentielles incompréhensions – bref, tout ça, ce sont des thèmes vus et revus en littérature (qu'elle soit légère ou non, d'ailleurs), parfois pris ensemble, parfois séparément, mais disons que ce n'est rien de nouveau sous le soleil. Si Lorraine Fouchet avait présenté un tel canevas à l'un de ces ateliers d'écriture, où l'on me disait qu'il faut veiller à une certaine originalité (sinon, à quoi bon essayer de publier ce qui a déjà été dit, et sans doute mieux que moi ?), elle aurait eu un zéro pointé !

    Ainsi, de nouveau, pourquoi n'ai-je pas pu lâcher ce livre ? Ma réponse la plus évidente est : grâce à la profonde humanité qui en ressort.
    La plume est donc agréable et légère, toujours fluide, peut-être pas exceptionnelle comme ces grands auteurs qui ont marqué l'histoire de la littérature, mais elle a indéniablement « quelque chose » de plus que tant d'autres feel-good que j'ai lus avec bien moins d'enthousiasme. Il y a, d'une part, ce regard résolument optimiste sur les personnages et sur les situations, un regard qui les fait avancer même quand on est dans le drame, où jamais on ne se complait ; et, d'autre part, on sent que l'autrice parle avec son coeur, avec toute sa sensibilité d'ex-soignante, notamment dans tous ces passages – que j'ai trouvés extrêmement touchants et criants d'une vérité qui n'a pas été souvent été dite en cette période confuse – sur la souffrance des médecins dans le contexte du covid, leur impuissance face à un virus insaisissable qui semble faire un pied-de-nez constant à leur serment d'Hippocrate.
    Il faut ajouter à cela le choix d'un découpage en chapitre très courts, ce qui donne un rythme certain à l'ensemble.

    Quant aux personnages, ils ne sont pas follement fouillés ; de plus, ils sont assez nombreux, et dans les premières pages je ne m'y retrouvais pas vraiment dans « qui est qui », ce qui avait un petit côté frustrant – je crois bien avoir relu plusieurs pages, ou être retournée quelques pages en arrière pour essayer de fixer l'un ou l'autre nom sur lequel j'étais peut-être passée trop vite, ou bien est-ce ce tempo rapide qui ne laisse pas l'occasion d'approfondir ? Toutefois, peu à peu on parvient à dégager l'arbre généalogique de cette famille bien sympathique, bien campée aussi, à tel point qu'on finit par les voir comme des amis avec qui on partage un bon moment, sans avoir besoin de les connaître à fond au final ! mais ils nous auront donné un petit bout de joie, avant que chacun reparte sur son propre chemin.

    Adeline la grand-mère est peut-être celle que j'ai trouvée parmi les moins attachants. C'est que, à force de nous répéter qu'elle ne veut pas être une mamie-gâteau enveloppée dans son châle, mais se veut active et moderne… et puis nous assène à chaque drame sa conclusion hyper-ouverte pleine de sagesse, c'était peut-être un peu trop. On est – paradoxalement - à la limite d'une caricature de la grand-mère idéale qui serait quasi sans défauts en plus, à part quelques vieux secrets enfouis mais qui ne font plus grand mal à personne ! C'est joli c'est gentil, mais ça lui donne un petit côté artificiel trop cliché. J'ai aussi eu un peu de mal avec le personnage de Paul et ses choix, mais je ne peux en dire plus sans risque de divulgâcher…
    Tous les autres sont plutôt sympathiques et convaincants : on ressent la souffrance de Pierre qui a perdu pied à cause ce covid qui lui a donné l'impression de parjurer son serment ; on a envie d'encourager Arthur dans sa décision de se donner le temps de réfléchir à son avenir, quitte à briser la tradition familiale d'être médecin de père en fils ; on approuve Martial d'avoir choisi l'amour en dépit des préjugés que provoquent leurs 14 ans de différence « dans le mauvais sens » ; etc. – je ne vais pas tous les citer ! Même celui qui nous est présenté comme le méchant, un personnage au faussement mauvais rôle, est d'emblée plus pathétique que réellement redoutable, et puis très vite émouvant – car, pour ma part, j'ai quasi de suite compris de qui il s'agissait, même si le mystère est maintenu presque jusqu'au bout !

    Eh oui, dans tout ça, et malgré les thématiques très classiques, dans une histoire toujours dirigée vers le bonheur, l'autrice a réussi à insérer deux formidables retournements de situation. Les deux ont été bien amenés, et j'avoue que, si j'ai vu venir l'un comme le nez au milieu de la figure, mais qui n'en restait pas moins touchant, l'autre m'a réellement surprise !
    Ainsi, je peux conclure avec un réel enthousiasme que ce livre léger, sans prise de tête, est très agréable à lire, grâce à une plume résolument optimiste, une galerie de personnages dépeints tout en sensibilité et un découpage en petits chapitres qui donnent un bon rythme. On n'évite pas quelques clichés et on touche à des thèmes récurrents en littérature, mais leur approche pleine d'humanité donne au lecteur un réel moment de bonheur, et c'est précieux.

  • stephanius

    Lecteur professionnel

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    #202 15 Mars 2022 21:59:19

    Il faut des styles de livres pour tout le monde et si tu prends du "plaisirs" à lire des romances c'est génial.

    Tes 2 livres présente aujourd'hui me font bien envie par contre. l'île de groix et mars, 2 belles destinations de voyages.
  • domi_troizarsouilles

    Propriétaire d une PAL boulimique

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    #203 15 Mars 2022 22:13:32

    Stephanius: ouiiiiii ! c'est vrai que je n'en parle guère dans mon avis, mais l'île de Groix est très présente dans ce livre À l'adresse du bonheur, tout un monde en soi...
    J'ai fait autrefois un stage de voile en Bretagne, dans le Morbihan, et je sais qu'on s'était arrêtés sur l'une ou l'autre île, mais ça fait trop longtemps et je suis incapable de dire si on avait été jusque-là - je ne me rends même plus trop compte si c'est vraiment "loin" ou pas, en voilier, au départ de Vannes... et puis une semaine en mer quand même, essentiellement le long de la côte, mais comme on était une chouette équipe avec une majorité d'expérimentés (de mémoire, j'étais la seule débutante d'ailleurs), on avait pu faire pas mal de choses!
  • Kah Rane

    Mécène des éditeurs

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    #204 16 Mars 2022 22:05:05

    Coucou ma Domi :D

    Comment vas-tu ? :)
    C'est MonsieurToutDur qui poste un petit message sur ton suivi, en réponse du tien :)

    De mon côté, tout baigne même si je me cherche une nouvelle paire de jambes car le boulot me tue...
    Et j'ai débuté lundi...
    D'ailleurs, dans ma tête aujourd'hui, je me croyais vendredi et j'ai eu le malheur de lâcher devant ma collègue "vivement ce soir qu'on soit en week-end".
    Forcément, elle m'a regardé bizarrement avant de me demander si je me croyais en fin de semaine, ce que j'ai répondu positivement.
    Cela nous a donné une bonne occasion de rire, tu t'en doutes bien :)

    Bon, suite à ce que tu m'as dit sur mon suivi, concernant la collection de Signol, je regrette de ne pas avoir été la bibliothèque du coin, voir la voisine...
    Même si je ne suis pas équipé pour être une voisine hein *tousse*
    Bon, enfiler une robe fleurie datant des années 50 pour tromper ta maman, je sais faire hein mais quand même :lol:
    Je suis très attaché à mon service trois pièces :pink:
    Et je suis sûr que tu poses la question à tes ados masculins, ils vont te répondre de la même façon :lol:

    Concernant l'avis final de Braqcoeur(s), ça va tomber...
    Deux semaines...
    Que je consulte mon planning lecture...
    *Met une musique d'ascenseur*
    *Est de retour*
    *Arrête la musique d'ascenseur*
    Samedi si tout se passe bien :)

    D'ailleurs, à ce sujet, l'histoire me passionne désormais à cent pour cent, simplement parce que là, l'enquête a prit l'ascendance sur la romance, ce qui m'arrange grandement.
    Néanmoins, je pense avoir deviné là où l'autrice souhaite me mener.
    A force de lire des thrillers et des policiers, ton cerveau est à même de pouvoir deviner les grandes lignes d'un roman qui est classé dans ce genre.

    D'ici là, je te souhaite une très belle soirée, d'excellentes lectures et je te dis à très bientôt :)
    Des poutous :pink:
  • domi_troizarsouilles

    Propriétaire d une PAL boulimique

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    #205 18 Mars 2022 10:40:24

    Bonjour tout le monde,

    Kah Rane : eh bien décidément tu es en forme! :ptdr:
    Mouais, moi aussi j'aurais aimé être la voisine de ma maman, notamment quand elle a donné des caisses entières de Lego et de Playmobil pour leurs pauvres petits enfants desdites voisines! moi il paraît que j'ai des sous, donc dans son esprit je n'avais pas besoin de tous ces souvenirs d'enfance... Bref...

    Bon courage dans ton nouveau boulot alors... et je guette ton avis sur Bracqueur(s) (je suis aussi "lectrice" pour Librinova cette année, ça me fait penser qu'il est temps que je me lance dans les quelques livres que j'ai en attente! :O )


    Et voilà: j'ai à nouveau avancé dans mes lectures, en commençant par un livre lu en avant-première grâce à NetGalley (je vous en avais parlé):

    De rouages et de sang, tome 1 : Les disparus d'Arkantras d'A.D. Martel,
    publié chez Scrinéo hier le 17 mars, mais lu donc quelques jours plus tôt en version ebook. Mon premier steampunk très convaincant! 19/20 - et regardez cette magnifique couverture!

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    Synopsis : Plongez dans les bas-fonds d'Arkantras, où le danger se cache à chaque coin de rue...
    Depuis quelque temps, une menace plane sur les bas quartiers d'Arkantras... Le bruit court qu'une créature avide de chair humaine enlèverait les enfants à la nuit tombée pour les dévorer. Que diable, Rowena, jeune orpheline passionnée de mécanique, se moque bien de ces histoires à dormir debout ! Jusqu'au jour où son ami, Œil-de-Pirate, disparaît lui aussi dans d'étranges circonstances... Résolus à le retrouver, Rowena et son fidèle chat à la patte mécanique, Monsieur Gratouille, s'enfoncent dans les profondeurs d'Arkantras.
    De son côté, Eugène Bassompière, un journaliste issu de la bonne société, se voit chargé d'enquêter sur ces disparitions. Sur les traces du monstre, les destins d'Eugène et Rowena vont s'entremêler.
    Que se passe-t-il réellement dans la ville ? Et si la vérité s'avérait pire que tout ce qu'ils pouvaient imaginer ?


    Mon avis :
    Avant tout, je remercie les éditions Scrinéo et NetGalley d'avoir proposé ce livre en « libre-service », permettant aux lecteurs intéressés de découvrir ce chouette livre en avant-première – sa sortie officielle n'était programmée que pour… demain (le 17 mars) !
    Parmi la production déjà prolifique de cette autrice et compatriote (oui, j'aime bien le dire !), ce n'est pas le premier livre que je lis : j'avais découvert sa plume pétillante grâce à Je vais buter mon boss, une comédie romantique aux multiples rebondissements dont je garde un très bon souvenir – mais qui n'a rien à voir avec le présent livre ! Ici, nous sommes dans un monde très clairement steampunk, sans aucune hésitation ; pour moi c'est le tout premier du genre, et c'est une belle surprise !
    Et je ne peux oublier de dire, mais vous le voyez, que cette couverture est vraiment magnifique ! à me demander si je ne vais pas, en plus, acquérir le livre-objet juste pour le plaisir…

    Ma lecture avait pourtant mal commencé : je sortais d'un autre livre (dont j'ai partagé l'avis il y a quelques jours), fantasy médiévale cela dit, qui présentait également un univers très manichéen, ce qui m'avait dérangée. Or, ici aussi on est dans un monde très manichéen : d'un côté les (très) riches qui détiennent le pouvoir dans tous les domaines, de l'autre côté les (très) pauvres qui triment du matin au soir dans les usines, enfants compris, et là on parle des moins défavorisés, car les mendiants et autres démunis sont nombreux, sans aucun espoir d'un quelconque avenir plus brillant que ce monde de vapeur et de vacarme.
    Mais voilà : ici, d'emblée, l'autrice nous présente des personnages bien campés et à qui on s'attache très vite malgré leurs défauts. La jeune Rowena (elle a l'âge de ma fille ! 13 ans…) survit en volant diverses pièces de métal qu'elle revend au marché des Halles ou à l'un ou l'autre client particulier, dont un certain et énigmatique Oeil-de-Pirate. Toujours accompagnée de Monsieur Gratouille, son adorable chat portant lunettes d'aviateur et un membre mécanique, elle défie tout et tous pour se construire sa propre vie malgré les nombreux dangers d'une ville qui ne veut ni d'orphelins, ni de filles trop douées en mécanique. En parallèle, on suit le chemin très improbable d'un jeune journaliste, Eugène : issu de la noblesse de la ville, un article explosif qu'il a osé écrire quelques années plus tôt a provoqué sa déchéance et lui a fermé toutes les portes. Il se retrouve à devoir enquêter sur de mystérieuses disparitions d'enfants de la plèbe, prétendument enlevés par une bête féroce qui sème la terreur…

    La force de ce roman est donc bien là : dans ces personnages très bien dessinés, dont on découvre des bribes de passé, les rêves et espoirs, les failles aussi, tout au long de l'histoire, tandis qu'ils portent réellement une intrigue pleine de rebondissements. Dans cette écriture toujours aussi pétillante et visuelle, on a vraiment le sentiment de faire un bout de chemin avec eux. C'est à travers leur histoire propre que l'on découvre peu à peu le fonctionnement de cette cité d'Arkantras ; c'est avec leurs jambes et leurs yeux qu'on part sur la piste du (ou des) mystérieux kidnappeur(s). C'est à leurs côtés, aussi, que l'on touche à plusieurs thématiques graves, les plus évidentes étant : la pollution bien évidemment, typique de ce siècle de révolution industrielle (même imaginaire), et qui résonne de façon tellement alarmante de nos jours ; ou la maltraitance animale, mais en dire plus serait divulgâcher.
    En outre, on découvre peu à peu que nos deux personnages sont en quelque sorte « en miroir » : Rowena est délurée tandis qu'Eugène n'a pas de c* (et en est conscient !) ; Rowena est une enfant sans famille mais peut compter sur l'amour de son chat et la bienveillance bourrue d'Oeil-de-Pirate tandis qu'Eugène a connu l'amour pendant une grande partie de sa vie avant de se retrouver quasi seul au monde ; l'un et l'autre vont peu à peu s'apprivoiser, mais on n'est qu'au tout début d'une relation qu'on espère voir évoluer en vraie amitié. Dans le prochain tome peut-être ?...

    Ainsi, c'est en compagnie de ces personnages marquants que l'on va de rebondissement en rebondissement, car ils sont nombreux, et toute une série de révélations qui parsèment ce livre, avec une petite concentration dans les dernières pages. Ce sont de ces révélations qui laissent bouche bée et puis, en y réfléchissant un peu plus avant, on se rend compte qu'elles ont été amenées d'une façon ou d'une autre. En effet, ces confidences qui éclatent tout à coup sont certes surprenantes, mais en même temps elles trouvent leur place dans l'histoire comme les pièces d'un puzzle tout à coup évidentes, car tout se tient, tout est parfaitement maîtrisé sous ces airs d'aventure sympathique destinée à la jeunesse. Pour moi, l'autrice prouve ainsi toute la maîtrise de son art, et j'ai hâte de pouvoir lire la suite des aventures de nos héros, annoncée dans un cliffhanger insupportable, et heureusement prévue pour dans quelques mois seulement !





    Le second livre que je vous présente aujourd'hui a été un énorme coup de coeur, malgré le fait que ce n'est pas un page-turner, il faut vraiment prendre le temps pour le lire (j'explique pourquoi dans mon avis ;) ):

    L'île des amours éternelles de Daína Chaviano
    publié chez Buchet-Chastel en 2008, lu dans la version GF - qu'on ne trouve plus qu'en occasion, et qui a pris son temps pour arriver chez moi (merci Chapitre! :fouet:)

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    Synopsis : Miami, 1998. Pour fuir sa vie de solitude et d’ennui, Cecilia, jeune journaliste cubaine exilée, trouve refuge un soir dans un bar musical où elle rencontre Amalia, une vieille femme exilée elle aussi mais prête à révéler une longue chronique d’étonnants secrets. Au cours des prochaines nuits rythmées par la guaracha et le boléro, enfumées par les Cohiba, Cecilia reviendra, subjuguée, écouter Amalia lui conter trois histoires de famille vieilles de plus d’un siècle et constitutives de la trame du roman.
    Cette saga de destins croisés dans le Cuba des 19ème et 20ème siècles résonnera étrangement dans le cœur de Cecilia, elle-même sur la piste d’un mystère à résoudre aux limites du paranormal dans le Miami d’aujourd’hui.
    Entre chronique familiale, fiction historique, roman des origines et de l’exil qui mêle les fantômes du passé –des confins de la Chine, de l’émancipation des Noirs à la révolution cubaine- aux énigmes du présent, L’île des amours éternelles s’inscrit dans la tradition latino américaine du réalisme magique qui sait faire triompher l’éternité des sentiments sur la fatalité de la mort.


    Mon avis :
    Magnifique !
    Ce livre se trouvait depuis un moment dans ma wish-list, sans que j'y fasse plus attention qu'à un autre (c'est que ma liste d'envies est encore plus énorme que ma très longue PAL…), jusqu'à ce qu'il soit proposé pour le Book club « Pépites méconnues » de février dernier. Et c'était une très belle découverte, mieux encore que ce que j'en attendais. C'est probablement l'un de mes plus gros (et rares) coups de coeur depuis le début de l'année !

    Tout le récit s'articule autour de Cecilia, jeune journaliste cubaine qui, après la mort de ses parents, a fui La Havane pour Miami où elle est désormais bien installée. Elle vit néanmoins essentiellement au contact de l'importante communauté cubaine de cette nouvelle ville, entretenant un sentiment d'amour-haine pour son pays natal, qui revient encore et toujours comme un leitmotiv, sans que l'autrice ne tranche jamais sur laquelle de ces deux extrêmes prédomine. Cecilia est célibataire et souffre terriblement de cette solitude qu'elle subit ; elle cherche avec un certain désespoir l'accomplissement de ses rêves, qui s'avèrent un mélange de : trouver enfin l'âme soeur (quitte à se fourvoyer avec l'un ou l'autre tant son désespoir de rester seule lui occupe l'esprit), essayer de s'ouvrir à une dimension spirituelle dont elle aurait dû hériter par sa lignée mais dont elle se sent dépourvue, et parvenir à rédiger un article sur une mystérieuse maison-fantôme qui apparaît çà et là, ne cessant de la narguer.

    Au cours de ses déambulations nocturnes avec deux amis fidèles, dans un bar toujours bondé où l'on danse à toute heure, Cecilia rencontre une vieille dame, Amalia, qui de soirée en soirée lui raconte l'histoire de sa famille – quelques destins singuliers qui, tous ensemble, retracent en réalité l'Histoire de Cuba.
    C'est ainsi que l'autrice avance dans son histoire et celle de son île, selon un rythme alternant un chapitre sur le quotidien de Cecilia, véritable fil rouge de toute l'histoire car elle se situe au présent avec une jeune femme bien de notre temps, toujours suivi d'un chapitre reprenant l'histoire de la famille d'Amalia au fil des décennies. Dans ces chapitres-là, le lecteur sait que c'est Amalia qui parle, cependant l'autrice ne s'est pas embêtée à un jeu d'italiques ou à des interventions intempestives de celle qui aurait pu être la narratrice : en réalité, toutes ces aventures particulières qui s'égrènent au fil des années, nous sont présentées du point de vue d'un narrateur extérieur non-intervenant. Ce procédé casse peut-être un peu l'effet personnalisé qu'on aurait pu attendre d'un « Amalia raconte… », mais donne en revanche une vraie profondeur, un réalisme certain à ces récits, dès lors qu'ils transcendent le champ des seuls souvenirs de la descendante d'une des branches de cette famille, et épouse du descendant de l'autre branche.

    On fait ainsi la connaissance d'une famille espagnole, fuyant une malédiction (qui va pourtant la poursuivre) et espérant faire fortune dans ce Nouveau Monde encore mystérieux. On suit bien entendu le parcours tragique de ces esclaves importés (si l'on peut dire) massivement d'Afrique, pour travailler dans l'industrie du sucre ou, dans le meilleur des cas, servir dans les grandes demeures des maîtres espagnols. Parallèlement à ça, une émigration dont je n'avais jamais entendu parler (mais je ne suis pas spécialiste de Cuba) a également peuplé l'île : ce sont des vagues entières de Chinois qui ont rejoint Cuba, voyageant dans des conditions épouvantables, fuyant leur Empire en déliquescence et l'invasion japonaise, et espérant eux aussi faire fortune sur cette nouvelle terre, qui se situe sous les mêmes latitudes que leur mère-patrie et pourtant tellement différente…

    Comme on peut l'imaginer, toutes ces histoires qui s'entrecroisent pour finalement se rejoindre amènent le lecteur à rencontrer un très grand nombre de personnages, pas toujours évidents à reconnaître ! Heureusement, l'autrice a veillé à présenter un double arbre généalogique en tout début de livre, très précieux, et auquel je me suis référée plus d'une fois au fil de ma lecture. C'est là aussi qu'on trouve les repères temporels (les dates !), car ils sont par ailleurs très peu présents dans le récit même, si ce n'est à travers des événements notamment politiques, mais que le lecteur lambda qui ne fait que découvrir Cuba, aura du mal à replacer sur une ligne du temps. À part ça, l'écriture est fluide et agréable, mais la multiplicité des personnages et l'alternance systématique des temporalités font que ce livre a besoin de temps pour être lu, qu'on « se pose » réellement pour le savourer.

    On découvre ainsi, sans réelle surprise, que chacune de ces communautés vivant sur l'île, restait assez séparée des autres, et que la mixité était très mal vue ! du moins au début… Si c'est marquant et prévisible entre les traditionnels Blancs (espagnols) et Noirs (ex-esclaves africains), on est presque choqué de découvrir à quel point les Chinois de Cuba se refusaient à toute liaison avec les autres communautés – pour affaires, certes oui, mais pour fonder une famille ? jamais de la vie ! – tandis que ces Blancs, Noirs ou de plus en plus nombreux « mulâtres » ne souhaitaient en aucun cas se mélanger aux Chinois… Et pourtant, à en croire l'autrice, toutes ces communautés, peu à peu, n'ont pu faire autrement que se côtoyer, se fréquenter, se mélanger, s'aimer pour certains, donnant naissance à cette famille que nous suivons ici, atypique et pourtant terriblement cubaine, avec ses racines « du monde entier » !

    En outre, toute cette histoire dans l'Histoire est empreinte du début à la fin de deux éléments qui semblent indissociables de Cuba : la musique d'une part, la spiritualité exacerbée et autres croyances de type magico-fantastique d'autre part. À nouveau, je ne suis pas spécialiste, mais il s'agit réellement d'une forme de spiritisme, cette faculté de voir / entendre / parler aux esprits qui touche essentiellement les femmes de cette famille, mais tant d'autres aussi – et Cecilia, bien qu'issue d'une autre famille que celle d'Amalia, devrait elle aussi avoir ce « don », qu'elle recherche en vain, peut-être parce qu'elle n'y croit pas trop elle-même. Cela dit, si cet aspect des choses est bien présent, il n'est jamais présenté comme quelque chose d'extraordinaire qui donnerait des pouvoirs exceptionnels à ces femmes, comme dans un roman fantastique ou de fantasy par exemple : on est bien davantage dans quelque chose de l'ordre d'une croyance qui fait partie du quotidien de ce peuple, parce que c'est comme ça, parce que l'île a toujours abrité nymphes ou esprits farceurs, et c'est juste normal que certains aient ce don de communication que nous appelons paranormale…

    Quant à la musique, elle est ultra-présente dès le début, par le simple fait que chaque chapitre porte le titre d'un de ces morceaux de musique traditionnelle cubaine – avec, systématiquement, une traduction proposée en français et le nom du compositeur. Mon seul regret, à ce sujet, est que l'autrice (ou l'éditeur ?) n'ait pas proposé de playlist – qui aurait certes présenté un risque d'obsolescence à plus ou moins long terme, mais qui aurait pourtant été bien utile. En effet, un certain nombre de ces boléros, morceaux de salsa etc., sont assez anciens et désormais introuvables sur Internet, ou alors proposés en différentes versions dont certaines, semble-t-il, n'ont plus grand-chose à voir avec l'original des années 1930-40-50 ! Néanmoins, cela m'a permis quelques jolies découvertes, et notamment des retrouvailles avec un groupe tel que le « Buena Vista Social Club », dont j'avais vu le film (qui ne m'avait guère plu, à l'époque) tandis que j'écoutais les musiques avec grand plaisir !

    Or, cette spiritualité présente au quotidien, de même que la musique, sont autant d'exemples de mixité spontanée et réussie sur l'île, l'une comme l'autre étant le résultat de ce que les hommes et les femmes des différentes communautés en ont fait tous ensemble au fil du temps – car ils sont venus chacun avec leurs croyances hérités de leurs ancêtres, et leurs rythmes et mélodies qui les berçaient depuis toujours, jusqu'à les mélanger dans un tout hypnotique. C'est un pays que l'on a tout à coup follement envie de découvrir, malgré des chapitres finaux assez sombres, dénonçant de façon dure et touchante la révolution communiste et ses sursauts dictatoriaux, qui ont précipité l'exil de tant et tant de Cubains en-dehors de ce pays devenu détestable, qu'ils ne cessent pourtant de chérir, pour toujours.

  • domi_troizarsouilles

    Propriétaire d une PAL boulimique

    Hors ligne

    #206 22 Mars 2022 22:38:03

    Bonsoir à tous!

    Quasi que des bonnes lectures ces derniers temps... et je me rends compte que j'ai à nouveau :sifflote: 4 livres en retard à vous présenter!
    Pour mon excuse: ça fait depuis jeudi passé que je joue à la garde-malade, mes enfants ayant décidé de tomber malades à tour de rôle (ma fille, puis le petit, seul le grand semble épargné). On a tout juste reçu le résultat du test PCR du petit dernier: négatif (gros ouf!), apparemment ils n'ont dû subir "que" le virus grippal qui traîne dans l'air depuis qu'on a tombé le masque un peu partout - et que, là où c'est encore obligatoire, comme dans les transports en commun par exemple, 9 personnes sur 10 ne comprennent pas bien le concept, ou ne savent pas qu'elles ont un nez... enfin bref...

    Passons donc aux livres!

    L'horoscope amoureux, tome 2 : Scorpio hates Virgo d'Anyta Sunday,
    éditions MxM Bookmark 2018, lu dans la version ebook. Une déception: 13/20.
    (pour ceux qui voudraient comparer: mon avis sur le tome 1 était ici)

    <image>

    Synopsis : Scorpion, cette année vous devriez guérir de vos peines de coeur. Il est temps de laisser votre négativité au placard et laisser les autres voir votre vous véritable. Percy Freedman ne pleure pas. Non, jamais. Et il est persuadé que vendre la maison de sa tante décédée et quitter ses voisins de toujours est la meilleure des choses à faire. Quelle personne saine d'esprit garderait cet endroit qui sent bons les câlins qu'il n'aura plus jamais ? Personne, c'est bien ça. Enfin... à part ses voisins. Ils semblent tous penser qu'un peu de peinture et quelques nouveaux meubles l'aideront à surmonter cette épreuve. Tous veulent le voir rester. Même Callaghan Glover. Son ennemi juré. Surtout Callaghan Glover. Son ennemi juré. Et voilà que Percy se retrouve à traîner avec ses voisins plus que de raison. Tout en jonglant entre de nouveaux (et surprenants) échanges avec Cal et son amitié naissante avec Gnomber9, Percy se demande si finalement vendre la maison est une si bonne idée. Et oui Scorpion, avec un peu de patience votre chagrin pourrait bientôt appartenir au passé.

    Mon avis :
    Autant j'avais été enchantée par le tome 1 de cette saga, autant je suis déçue par ce nouvel opus. Et pour une raison bien simple : on est dans des « variations sur le même thème » sans plus aucune originalité, c'est du rabâché et c'est lent, lent, mais lent !...

    Bref, ici on rencontre Percy (alias Perseus), jeune adulte gay assumé, mais célibataire à la suite d'une (énième) rupture douloureuse. Il est persuadé que personne ne voudra jamais rester avec lui… En outre, à sa solitude s'ajoute le deuil, car sa tante Abby vient de décéder, elle qui l'a plus ou moins élevé dans un « cul-de-sac » où l'entraide et la copinerie entre voisins est une réalité quotidienne. Héritier de la maison de sa tante, il ne supporte pas l'idée de vivre seul là où il a été heureux et décide de vendre. C'est sans compter, cependant, sur la gentillesse et la force de persuasion (de ne pas vendre !) de ses différents voisins, et notamment de la famille la plus proche, pourtant éclatée : le père est parti en plantant là femme et enfants, la mère porte tout le monde à bout de bras mais semble avoir des problèmes de santé ; le fils aîné Cal (pour Callaghan), une espèce de « meilleur ennemi » de Percy, a abandonné ses études en paléontologie pour venir aider sa mère à gérer le foyer ; car il y aussi Ellie, la soeur ado de 14 ans qui découvre l'amour et un brin de maturité, ainsi que la petite Hannah… Percy, déjà très attaché à cette famille, s'implique dans leur quotidien pour les aider à faire face à toute une série de problèmes et, partant, se rend de plus en plus compte de son attirance irrésistible pour son ennemi-juré Cal, bien entendu hétéro…

    Comme je disais : c'est un véritable copier-coller à peine remanié du tome précédent ! On croirait la même histoire avec juste un certain changement de décor et de personnages, mais pour le reste tout est là : une histoire de base avec son petit côté mélo, le gay qui tombe amoureux de l'hétéro (bon, ok, dans le tome 1 c'était dans l'autre sens, mais c'est bien un peu pareil), le fait qu'il leur faut des plombes pour s'en rendre compte et l'accepter puis finalement passer à l'acte – pfiou, c'était vraiment interminable !
    Avec ça, l'autrice insiste beaucoup sur leur relation initiale « d'ennemis jurés », et ce depuis leur première rencontre quand Percy, alors ado, était venu s'installer chez sa tante… sauf que, on n'y croit pas une seule seconde ! En effet, tout leur entourage est conscient qu'il y a « autre chose » entre eux, le lecteur compris !!, mais eux continuent de refuser de voir la vérité. En outre, ils passent leurs journées à se lancer des vannes – qui font sourire à plus d'une reprise, mais à la longue c'est lassant, puisqu'il ne se passe quand même rien. En parlant de ces dialogues : il y en a tant et tant, ce sont eux qui portent toute l'intrigue (pour autant qu'il y ait réellement une intrigue, puisqu'il n'y a aucune vraie surprise…), mais plus d'une fois ils m'ont paru décousus, comme sortis de n'importe où. Un peu comme le premier baiser de nos protagonistes : on l'a attendu des dizaines de fois, et puis quand tout à coup (enfin !) il survient, j'avoue que je n'ai pas compris pourquoi ça se passait soudainement dans ce contexte précis, ni pourquoi ça a marché cette fois-là plutôt que toutes les précédentes…

    Cela étant dit, l'histoire et l'écriture restent mignonnes. On croise même, avec le sourire, nos héros du tome 1 qui apparaissent çà et là, au téléphone avec leur mère (qui n'est autre que la voisine de Percy !) ou « en vrai » quand ils viennent au barbecue du 4 juillet organisé par et pour l'ensemble des voisins. Cet ancrage dans des références américaines m'a d'ailleurs surprise, tout à coup : après tout, l'autrice est néo-zélandaise, mais clairement son histoire se passe aux États-Unis, ce que je n'avais pas perçu dans le premier tome. En soi ce n'est rien de grave, mais voici la 2e autrice néo-zélandaise que je lis en ce mois de mars où le challenge « Je voyage » met ce pays à l'honneur, et les deux fois, l'action se passe ailleurs que sur leur terre natale…

    Bref, c'était une histoire à nouveau toute mignonne, portée essentiellement par de très nombreux dialogues qui sont autant de vannes (qui font sourire) entre nos deux voisins soi-disant « ennemis jurés », mais en réalité ils sont tout autre chose. Cependant, la répétition à peine modifiée des grandes lignes du tome 1, et le refus de nos deux protagonistes de voir la relation naissante entre eux, rendent cette lecture malheureusement ennuyeuse…





    Le grimoire d'Elfie, tome 1 : L'île presque de Audrey Alwett, Christophe Arleston et Mini Ludvin,
    publié aux éditions Drakoo en 2021. Eh oui, une fois n'est pas coutume, c'est une BD... et c'est un énorme coup de :heart: (20/20)

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    Synopsis : Elfie et Magda vivent depuis la mort de leur mère chez une tante acariâtre. Mais un jour leur sœur aînée revient de Londres : elle a transformé un bus anglais en librairie ambulante pour aller de village en village. Une nouvelle vie commence ! Leur première étape les amène dans une île bretonne où de vieilles rancœurs secouent la population, pour un mystérieux timbre perdu. Mais surtout, Elfie découvre qu’elle a hérité des talents de sorcière de sa mère, et d’un grimoire qu’elle doit nourrir de ses écrits.

    Mon avis :
    Moh ! mais quel concentré de tendresse et de mignonnerie, dans cette adorable BD gentiment fantastique destinée à la jeunesse ! Pour la petite histoire : j'ai « emprunté » ce beau livre à ma fille, actuellement 13 ans, car elle l'a reçu (avec le tome suivant) du Père Noël l'année dernière. C'est mon mari qui l'avait repéré, probablement guidé par les conseils de la responsable d'une petite librairie spécialisée où il va chaque année pour cette période-là. J'avais trouvé la couverture magnifique et approuvé le choix de Père Noël… mais je ne lis guère de BD, et ma fille n'a pas été particulièrement attirée (hélas !), si bien que ce livre s'est retrouvé dans la bibliothèque, d'où il est enfin ressorti grâce au Book Club graphique qui a eu lieu ce week-end des 19 et mars (voir aussi ce topic-ci).

    On rencontre la jeune préado Elfie, 12 ans, plus préoccupée par ses origami et les histoires qu'elle crée dans sa tête que par les maths ; et sa soeur Magda, d'un an plus âgée et déjà plus avancée dans une adolescence très connectée et inséparable de ses copines. Orphelines à la suite de l'incendie de leur maison, elles ont été recueillies par une tante qui n'a que peu à envier aux marâtres d'autrefois – ou peut-être à la tante d'un certain Harry Potter ? (idée suggérée par plusieurs co-lecteurs du Book club, que je trouve, effectivement, tout à fait plausible !) Mais voilà que leur soeur Louette, majeure et de retour d'un voyage à Londres, a obtenu leur garde et les emmène sur les routes de France, dans son bus anglais transformé en librairie ambulante, en commençant par la presque-île (tiens donc !) imaginaire de Kermalo, en Bretagne. L'aventure commence…

    Alors, soyons clairs : l'intrigue se met rapidement en place et est assez prévisible car cousue de fil blanc. L'histoire est simple (sans être simpliste pour autant) et émaillée de quelques petits rebondissements, mais en tout cas on a deviné la chute dès le départ. Cela dit, je pense qu'une telle histoire peut être passionnante pour un enfant suffisamment âgé pour maîtriser la lecture, mais pas encore ado car je suis moins certaine que ce livre touche vraiment le coeur d'un.e teenager (quoique…).
    Autrement dit, on est clairement dans un tome introductif qui présente les différents personnages et leur potentiel, mais sans grand approfondissement à ce stade. Cela n'empêche pas, par ailleurs, d'y aborder plusieurs thèmes parfois assez graves, mais toujours avec délicatesse, de façon touchante et souriante, pleine d'espoir dans le fait que les choses finissent toujours par s'arranger – avec un peu de bonne volonté de la part des protagonistes, et une bien sympathique et rigolote touche de magie. On parle ainsi avec tendresse et douceur des liens entre ces trois orphelines, qui vont évoluer au fil des pages car elles apprennent à s'apprivoiser dans une vie improvisée à trois dans un cadre quand même très particulier – mais quel rêve qu'une librairie itinérante ! On aborde le difficile travail de deuil, après la mort des parents (sur laquelle les auteurs ne s'appesantissent pas, mais c'est présent en filigrane), que chacune vit à sa façon et à son rythme. Mais c'est aussi la vie quotidienne, peut-être un peu caricaturale mais bien sympathique, d'un village relativement isolé, où tout le monde se connaît et où le moindre petit accroc entre deux habitants prend des allures de guerre de tranchée pour tous les habitants ; ou bien les premiers émois adolescents, etc.

    Avec ça, moi qui ne suis pas amatrice de BD, et extrêmement « difficile » dès qu'il s'agit de dessins, ici je suis conquise ! J'ai aimé ces personnages tout en douceur et une certaine rondeur, avec leurs grands yeux façon kawaii mais des traits qui restent tout à fait réalistes, permettant par ailleurs de bien distinguer les soeurs et les différents autres protagonistes de cette histoire. Les couleurs, vives sans être agressives, sont magnifiques et toujours bien utilisées. J'ai aimé l'alternance entre des planches « classiques » de BD, et des pages qui s'apparentent davantage à un journal intime d'Elfie, avec des extraits de ce qu'elle écrit dans son grimoire, des photos de famille, des coupures de journal etc. On apprécie aussi le plan du bus, qui accentue l'idée générale de réalisme… tout en faisant bien un peu rêver.





    Accords corrompus, tome 1 : Rêves de glace de Kelly St Clare,
    publié et plusieurs fois réédité chez MxM Bookmark, mais dans leur collection "Infinity" (qui n'est donc pas dédiée aux romances M/M, mais bien à la fantasy). Une belle surprise! 17/20

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    Synopsis : Olina a 17 ans et est la Tatuma -la princesse- d’Osolis, un monde dominé par la chaleur. Elle porte un voile depuis sa naissance et personne, pas même elle, n’a jamais vu son visage. Alors qu’elle subit la tyrannie constante de sa mère et de son oncle, Olina reste une jeune femme forte, drôle et volontaire qui attend d’être reine pour changer les choses. Quand une délégation de Glacium - un monde fait de glace à l’opposé du sien- arrive en Osolis, Olina est forcée de remettre ses préjugés en question. Peu à peu, elle se lie d’amitié avec le prince de Glacium et quand celui-ci demande à voir son visage, tout le monde d’Olina va basculer... Deux sociétés à l’opposé l’une de l’autre, un périple, des personnages principaux et secondaires extrêmement bien travaillés, une héroïne courageuse et qui évolue tout au long des tomes...

    Mon avis :
    Et voici un nouveau livre d'un.e auteur.e néo-zélandais.e que je lis dans le cadre du challenge « Je voyage » (cité plus haut), où la Nouvelle-Zélande est donc l'un des pays à l'honneur en ce mois de mars. Certes, je l'avais déjà repéré je ne sais plus trop comment, et il était dans ma wish-list depuis plusieurs mois sans doute… mais sans ce challenge, il y serait sans doute encore resté un moment ! En outre, je l'ai vu passer plus d'une fois ces derniers temps chez l'un ou l'autre des bookstagrammeurs que je suis (merci Olive, parmi d'autres ;) ) : c'était donc plus que jamais l'occasion de m'y lancer.

    À vrai dire, j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce livre qui ne se laisse découvrir que petit à petit, et quand enfin on est bien entré dedans, du moins le croit-on, paf l'autrice nous sert un formidable (et cruel) retournement de situation auquel je ne m'attendais pas du tout ! Mais, curieusement, ce qui aurait pu être rédhibitoire pour moi, s'est avéré une source d'intérêt renouvelé, et peu à peu ce livre est devenu un véritable page-turner. C'est que l'autrice a su créer un univers complètement original, avec ces deux mondes que tout, mais absolument tout oppose : Osolis, où il fait toujours chaud, où le temps se compte en révolutions (du système sur lequel ils tournent), où les gens appelés Solatis sont plutôt … froids, mesurés et discrets et ne disent que rarement un mot plus haut que l'autre ; tandis que le monde en face, Glacium, pays ennemi avec qui une paix précaire a pu être établie, ne connaît que le froid, mais ses habitants, les Brumas, compensent (c'est moi qui l'interprète ainsi) ces températures dignes d'une Sibérie plus qu'invivable, par une chaleur dans les relations humaine, une joie de vivre, une liberté de parole et une ouverture des moeurs incompréhensibles pour les Solatis.

    Olina, princesse héritière d'Osolis, rencontre Kedrick, prince et frère du roi de Glacium, lors d'une mission de quelques Brumas sur le système Solatis – on comprend que des délégations de chaque peuple se rendent à tour de rôle sur l'autre système, afin de préserver cette paix fragile entre eux. Olina porte en permanence un voile qui masque son visage, depuis toute petite, pour des raisons qu'elle-même ne connaît pas. Détestée par sa mère qui lui mène une vie à la limite du supportable, malgré son rang d'héritière, elle se rebelle à sa façon, en apprenant notamment à se battre, dans le plus grand secret, et malgré son voile, avec l'aide d'un vieux soldat qui s'est pris d'affection pour elle. Kedrick quant à lui est heureux et libre selon les standards de son peuple. En dépit de toutes leurs différences, les deux jeunes gens se rapprochent et finissent par comprendre qu'ils sont amoureux. Mais rien n'est jamais simple dans ce monde où la paix est précaire, la bonne entente primordiale, mais où tout rapprochement sérieux (pire encore : amoureux !) entre les deux peuples reste impensable…

    Ce double monde est extrêmement bien construit, fouillé et tout se tient – à tel point que j'ai été surprise par une petite incohérence : au début du livre, dans une scène où un enfant demande à la princesse Olina de lui expliquer ce que sont ces fameuses révolutions, voilà qu'elle lui parle en terme d'années etc. Or, le concept d'années, apprend-on plus tard, est typique de Glacium, mais certainement pas d'Osolis, si bien que ça n'a aucun sens d'expliquer les révolutions à un enfant de son monde, en se référant à un autre système… si ce n'est pour l'expliquer ainsi indirectement au lecteur ? le procédé est connu et utilisé dans de nombreux romans, mais ici c'est raté, car ça n'a aucun sens – il aurait fallu jouer avec des notes de bas de page à l'attention du lecteur, ou donner l'explication des révolutions dans un dialogue entre Olina et le prince bruma Kedrick, par exemple !
    Cela dit, c'est vraiment le seul point qui m'a presque « choquée », car pour le reste tout est cohérent dans sa complète originalité, et révélé au lecteur au fil de l'histoire, toujours bien à-propos.

    Par rapport à ce tour de force sur deux univers tellement différents, qui font indéniablement penser à bien des travers de chez nous, la plupart des personnages sont nettement moins approfondis – même si certains d'entre eux sont réellement soignés. Peut-être est-ce dû au fait qu'Olina est seule narratrice ? C'est dès lors un regard unique, et forcément biaisé selon son éducation et ses propres préférences, qui est posé sur ces personnages et proposé au lecteur. On a ainsi une vision très noire de sa mère, un avis un peu en demi-teinte sur son frère qu'elle adore mais avec qui elle n'est pas toujours d'accord sur certains points pourtant importants ; on se rend compte aussi que, finalement, on en sait bien peu sur Kedrick. Ensuite, on apprend à connaître les différents membres de la délégation de Glacium (même si certains restent en arrière-plan et seront moins développés) et, une fois arrivée sur cet autre système (oups ! je suis à la limite du spoil !), j'ai adoré les liens d'amitié qui se créent avec quelques femmes de l'entourage royal, et ce jeu du chat et de la souris qui se met en place entre Olina et le roi Jovan ! Un jeu qui fait bien un peu penser au début d'une romance, malgré Kedrick, mais qui n'aboutira pas dans ce tome-ci… (et je ne sais pas si une telle romance aboutira davantage dans les tomes suivants, mais quelque chose en moi l'espère !)

    Avec tout ça, il y a relativement peu d'action, on est davantage dans ce que, d'habitude, je n'aime pas trop dans la fantasy et qui, ici, est porté à son apogée : des intrigues politico-sociétales de cour, avec toutes sortes de rivalités internes pour pimenter le tout, des antagonismes politico-historiques avec le peuple voisin, etc. Mais comme je disais : ici, le fait que tout soit en train d'être découvert par notre narratrice, en même temps que le lecteur en réalité, est habilement mené, avec en plus une bonne humeur constante liée au caractère enjoué des Brumas. On aurait pu être dans le drame, mais non : on est dans une découverte joyeuse, émaillée de divers incidents d'ordre « diplomatique » dus à la méconnaissance d'Olina de ce monde glacial où elle vit désormais, mais qui se résolvent presque systématiquement par l'arrivée plus ou moins impromptue du roi Jovan, plus ou moins sévère, toujours teintée de ce je-ne-sais-quoi qui, comme je disais plus haut, laisse penser que ses sentiments ne sont pas seulement ceux d'un roi tout-puissant vis-à-vis de sa prisonnière ennemie…
    Dans tout cela, il y a quelques passages durs et/ou (très) tristes, surtout dans la 1re partie du livre en réalité, mais ensuite, on trouve une majorité de passages joyeux, où l'on attendrait presque les diverses, nouvelles bévues et mini-actes de rébellion d'Olina, pour voir comment les autres vont réagir, et comment tout le monde va s'en sortir dans la bonne humeur ! On notera aussi quelques passages presque joyeux, comme lorsque Olina découvre la neige (complètement inconnue sur Osolis), ou bien quand elle voit pour la première fois une meute de chiens de traîneau ! Quelques moments d'émotion, aussi, liés à sa relation avec Kedrick dans la première partie, ou bien quand elle entend pour la première fois la musique d'un violon (les instruments de musique étant inconnus sur Osolis, seul le chant est toléré); ou encore lorsqu'elle découvre son propre visage pour la première fois, en fin de livre – et bien entendu, je ne vous en dirai pas plus !

    Bref, c'est un livre très sympathique, qui crée un monde fantasy absolument original et cohérent (à l'exception d'un tout petit passage) de bout en bout, avec une 2e partie particulièrement joyeuse malgré un environnement tissé d'intrigues politiques de cour, en partie grâce au choix de la situer dans un univers où les gens sont très chaleureux. le fait que l'héroïne soit aussi la seule et unique narratrice fait que certains personnages, toujours vus par son seul regard, sont très soignés, tandis que d'autres, potentiellement intéressants, restent en retrait – mais c'est un moindre mal, et peut-être seront-ils mieux développés dans les tomes suivants ? Avec ça, quelques scènes font sourire avec bonheur, tandis que d'autres touchent en apportant une indéniable émotion. Une belle réussite qui donne envie de découvrir la suite !





    On reste dans un pays très froid pour le dernier livre de ce post - et en même temps on se réjouit de ce "retour" à un vrai policier/thriller, ça commençait à me manquer! ;) :

    Tu me manqueras demain de Heine Bakkeid,
    publié aux éditions Les Arènes en 2020 (pour ceux qui préfèrent, il vient de sortir en poche chez Pocket), lu dans la version GF. Je suis conquise: 18/20

    <image>

    Synopsis : Que se passe-t-il quand vous cherchez vos démons et quand vous les trouvez ?Ancien enquêteur de la police des polices, Thorkild Aske vient de purger une peine de prison.Quand son psychiatre lui propose de retrouver le fils d'un couple d'amis, il ne peut refuser la mission : Le jeune homme, qui réhabilitait un phare en hôtel, n'a pas donné signe de vie depuis plusieurs semaines.Avec la nuit polaire arrivent les tempêtes d'automne. On dit qu'à cette saison il n'est pas rare de voir des êtres surnaturels voguer sur l'eau.Sur l'îlot du phare battu par les brisants, Aske s'aperçoit bientôt qu'il n'est pas seul.Formé aux meilleures techniques d'investigation et d'interrogatoire, Thorkild Aske, bourré d'antidépresseurs, perd pied entre chausse-trappes et apparitions qui défendent l'entendement. Peut-il encore faire confiance à ses sens ?

    Mon avis :
    J'avais repéré ce livre dès sa sortie, notamment à cause de sa couverture originale mais plaisante, son format un peu différent de la plupart des autres livres brochés (il est un peu plus large que la majorité des autres, pour une hauteur similaire à un broché standard), avec en plus une souplesse qui fragilise bien un peu ladite couverture… mais à l'époque j'avais encore quelques scrupules à agrandir ma PAL intempestivement, et je m'étais abstenue. Il a fallu la sortie du 2e épisode de cette nouvelle saga, avec une couverture qui me plaît encore davantage, pour que je me décide à l'acquérir enfin, et à le lire sans tarder – sans oublier qu'il entrera sans souci dans l'un ou l'autre challenge géographique auxquels je participe, car c'est ma toute première lecture d'un auteur norvégien !

    J'ai vu de nombreuses critiques (y compris sur un sticker collé sur la couverture même !) présenter cet auteur comme un "nouveau maître du polar norvégien" ou, plus généralement, commenter le livre par rapport à d'autres polars nordiques ou scandinaves – pour ma part, je reste perplexe face à cette espèce de classification en « genre » par le seul fait que les auteurs soient issus de pays proches du cercle polaire, d'autant plus que j'ai lu assez peu de polars portant cette étiquette.
    Il est vrai, toutefois, que le choix du cadre de l'intrigue est important, et particulièrement ici, où les éléments déchaînés, dans cet extrême nord de la Norvège, rude et sauvage, où il faut être fou ou amoureux pour vouloir y vivre, créent une ambiance particulière.

    On suit donc Thorkild Aske, anti-héros que j'ai trouvé d'emblée attachant – je ne pourrais même pas dire si c'est parce que l'auteur a réussi à créer ce lien, ou si c'est moi qui aime particulièrement ce genre de protagoniste complètement torturé, mais qui « avance » quand même, avec des hauts et des bas. Après tout, mes héros préférés de polars sont des Adamsberg (limite asocial), Servaz (cabossé lui aussi par la vie) ou Griessel (qui lutte contre son alcoolisme)…
    Ici, on a un ex-policier, et même ex-agent de la police des polices version norvégienne, tout juste sorti de prison où il a purgé une peine pour homicide involontaire sous emprise de stupéfiants. Le lecteur ne comprendra que peu à peu ce qui a réellement conduit Thorkild à cet accident dramatique de la route, qui a sérieusement ébranlé sa santé (tant physique que psychique) et coûté la vie à l'amie qui était avec lui en voiture ; c'est d'ailleurs tout un art d'en lâcher des bribes çà et là tout au long de l'histoire, qui font sens et qui donnent envie d'en savoir toujours plus. Radié à vie de la police, il n'a d'autre choix que de se mettre à la recherche d'un nouvel emploi auprès de l'organisme d'orientation professionnelle de son pays, qui ne trouve évidemment rien à lui proposer… Cependant, son psychiatre et ami, un type un peu douteux qu'il a rencontré en prison mais qui continue d'exercer avec aplomb et succès, lui propose de jouer au détective pour une connaissance, dont le fils est parti restaurer un phare loin au nord, et aurait disparu en mer. N'ayant d'autre choix, Thorkild finit par accepter à contrecoeur, et se retrouve ainsi dans une aventure qui va réveiller bien des démons, des secrets que certains ne veulent surtout pas voir dévoilés, avec une petite part de paranormal propre à ces régions hostiles où le jour existe à peine, tout à fait plausible et qui s'intègre au thriller de façon très naturelle.

    Les personnages sont dessinés au couteau, à l'image de ces paysages désolés, sans aucune complaisance – mais c'est peut-être cela même qui les rend terriblement humains dans ce qu'il y a de plus fragile, de plus dramatique en chacun de nous, avec toutefois toujours une note d'espoir, qu'il suffit d'un peu de réelle volonté, d'une main tendue et/ou d'un brin de chance pour s'en sortir malgré tout.
    L'écriture est descriptive et hyperréaliste, généralement linéaire (l'auteur ne cherche pas à faire des effets : il n'en a de toute façon pas besoin !), sans aucun état d'âme mais sans désir non plus de verser dans l'horrifique, et même parfois un certain humour (plutôt noir) dans les passages où on s'y attend le moins ! À mes yeux, le summum de ce style est atteint dans le chapitre, particulièrement réjouissant, sur une certaine autopsie : c'est médical, c'est décrit au scalpel (sans mauvais jeu de mots!) et ultra-détaillé, c'est horrible pour qui n'y connaît rien, et pourtant ça passe car c'est tout simplement technique, avec aussi cette touche d'humour que je mentionnais – il faut voir comme l'étudiant brillant, qui essaie d'impressionner le pathologiste depuis le début, se fait tacler sur une mauvaise réponse ! Moi qui n'y connais rien et qui étais quand même un peu dégoûtée par cette autopsie si visuelle qu'on avait l'impression d'y être en direct, tout à coup j'ai éclaté de rire ! et ça dédramatise tout.
    En outre, ce choix délibéré d'une écriture très directe n'empêche pas quelques moments de réelle émotion : j'avais le coeur en miettes lors d'un passage où Thorkild se retrouve à partager un repas avec quelques résidents d'une maison de retraite, ayant bien un peu perdu la tête… On reste dans l'hyperréalisme apparemment assez froid, mais tout à coup on pense à l'un ou l'autre de nos anciens avec qui on vit ou on a vécu une situation similaire, si bien que, même si ce ne sont que quelques mots insignifiants et à peu près inutiles dans cette enquête assez complexe, c'est d'une intensité rare !

    Ainsi, j'ai été tout à fait conquise par cette découverte norvégienne ! J'ai beaucoup apprécié cette écriture hyperréaliste, directe et visuelle, presque toujours teintée d'un humour pourtant bien caché mais qui éclate çà et là quand on s'y attend le moins, et non exempte de quelques passages extrêmement touchants, dans ce qui reste une enquête rude et assez complexe, où l'auteur manipule le lecteur jusqu'à la dernière ligne, car tout est construit et amené comme les pièces d'un puzzle qui s'emboîte parfaitement. Hâte de lire la suite !

  • Olive-oued

    Tourneur de pages compulsif

    Hors ligne

    #207 23 Mars 2022 08:31:03

    domi_troizarsouilles a écrit

    En outre, je l'ai vu passer plus d'une fois ces derniers temps chez l'un ou l'autre des bookstagrammeurs que je suis (merci Olive, parmi d'autres ;) ) : c'était donc plus que jamais l'occasion de m'y lancer.


    De rien, ravie qu'il t'ai plus ! Je dois dire que la fin m'avait laissé perplexe quand à la suite et finalement le tome 2 était un cran au dessus. Le tome 3 est clairement mon préféré et le tome 4 (seul tome qu'il me reste à chroniquer sur insta) est une très très bonne conclusion à cette saga !

  • domi_troizarsouilles

    Propriétaire d une PAL boulimique

    Hors ligne

    #208 23 Mars 2022 23:50:48

    Hello,

    Olive-oued a écrit
    domi_troizarsouilles a écrit

    En outre, je l'ai vu passer plus d'une fois ces derniers temps chez l'un ou l'autre des bookstagrammeurs que je suis (merci Olive, parmi d'autres ;) ) : c'était donc plus que jamais l'occasion de m'y lancer.


    De rien, ravie qu'il t'ai plus ! Je dois dire que la fin m'avait laissé perplexe quand à la suite et finalement le tome 2 était un cran au dessus. Le tome 3 est clairement mon préféré et le tome 4 (seul tome qu'il me reste à chroniquer sur insta) est une très très bonne conclusion à cette saga !


    Waouh! tu en es déjà si loin!
    Bon, moi je ne lis que très rarement les différents tomes d'une même saga à la suite, si bien que je ne sais pas du tout quand je poursuivrai (même si je suis tentée de ne pas tarder!). Hum, c'est vrai que la fin m'a laissée carrément perplexe... mais maintenant tu as titillé ma curiosité! ;)

    C'est pourtant un autre livre que je viens vous présenter ce soir (avec la petite histoire introductive, de comment j'y suis arrivée ;) ) - même si vous ne connaissez rien au sport qui y est illustré, je vous le recommande chaudement! 18/20
    C'est donc:

    Touchées de Quentin Zuttion,
    BD (ou plus probablement roman graphique) publié chez Payot Graphic en 2021.

    <image>

    Synopsis : Lucie dort un couteau à la main. La crainte l'habite, les hommes l'effraient. Tamara, elle, se bat, se débat : pour ne plus être victime, elle devient agresseur. Quant à Nicole, c'est l'isolement. Elle s'efface, disparaît pour ne plus être visée. Les trois ont été victimes de violences sexuelles. Pour remonter la pente, trois femmes prennent les armes. Attaquer, défendre, toucher, se faire toucher... Elles vont se reconstruire et reprendre une vie sociale grâce à un programme d'escrime thérapeutique. Un programme d'un an pour se sauver et reprendre la maîtrise de sa vie.

    Mon avis :
    Les chemins vers les livres sont parfois bien inattendus ! N’étant pas particulièrement attirée par les BD, et parfois un peu lasse de l’escrime qui fait un peu trop partie de ma vie à mon goût (mon mari étant tout à la fois maître d’armes et président de son club), je n’aurais jamais imaginé le lire. Mais voilà : une élève de mon mari, devenue notre amie au fil des années, a fait connaissance avec une dame impliquée dans l’escrime thérapeutique en France, qui s’attache désormais à diffuser le concept en Belgique. La politique des sports de mon pays étant aux antipodes d’une fierté nationale comme ça semble être le cas en France, j’ai un doute qu’un tel projet aboutisse jamais, si ce n’est à un niveau très local et sans aucune reconnaissance officielle (ce qui veut dire aussi : sans aucun moyen quel qu’il soit !). Quoi qu’il en soit, mon mari s’est montré intéressé et a donc rencontré cette dame et est désormais inscrit à une formation qui aura lieu dans quelque temps… en France. Cette dame lui a notamment parlé du film « Touchées », et l’a encouragé à le regarder pour avoir une idée de ce dont il s’agit.
    Et puis voilà : Internet étant ce que c’est (vous savez, big brother etc.), au hasard de mes navigations sur la toile, je suis tombée tout à fait par hasard sur la BD du même nom… et ai bien sûr aussitôt décidé de l’offrir à mon cher et tendre ! À son tour, il m’a encouragée à le lire : comment refuser ?

    Dans ce contexte, et sachant que mon homme m’avait déjà raconté les choses dans les grandes lignes, je suis assez incapable de dire si l’histoire est réellement compréhensible à travers la BD seule, car en réalité elle m’a semblé un chouïa décousue par moments : on passe de l’histoire d’une des trois « héroïnes » à l’autre parfois sans réelle transition, on mêle leur présent sur ce chemin thérapeutique à des bribes plus ou moins importantes de leur passé, également avec peu de transitions, mais un jeu de couleurs qui m’a semblé faire le job – même si, j’avoue, j’ai parfois dû me référer au synopsis pour réellement comprendre de quoi il s’agissait, notamment dans les passages mettant en scène Tamara – peut-être parce qu’elle une personnage carrément exubérante, et qu’on ne s’attend pas à un comportement de ce type-là chez quelqu’un qui a vécu des violences sexuelles, ce qui est évidemment un a priori non fondé. On rencontre ainsi Lucie, Tamara et Nicole, trois femmes qui ont vécu des violences sexuelles (évidemment très graves) qui ne sont dévoilées que peu à peu dans le livre : si on décrypte assez vite la violence au sein d’un couple, on est beaucoup plus surpris des viols répétés vécus par une petite fille puis jeune ado par son propre frère, majeur ; ou la violence apparemment anodine vécue par une lycéenne, mais tellement inacceptable qu’elle en est restée marquée des années plus tard et ne parvient pas à s’en sortir.

    J’ai un peu regretté que le livre ne dise pas comment elles sont arrivées à s’inscrire tout à coup à ce cours d’escrime thérapeutique… mais c’est un détail, car l’important est de les suivre tout au long d’une année, dans leur découverte de cette discipline sportive – et exclusivement au sabre, seule arme d’estoc et de taille de l’escrime sportive actuelle (on peut toucher de la pointe ou du tranchant de l’arme, le tout en étant protégé bien entendu !) et qui demande/permet une grande explosivité.
    Tout cela étant dit, il n’est pas nécessaire de connaître l’escrime pour apprécier ce livre, je pense ! Il y a certes des passages entiers consacrés à ce sport (et c’est normal puisque ça fait partie du sujet), mais ce n’est jamais rébarbatif m’a-t-il semblé. Il suffit de savoir que ce sport se pratique en étant entièrement protégé (en blanc !) et masqué (ce n’est pas anodin) ; et donc ce choix du sabre, qui est clairement présenté, comme arme la plus « rapide et instinctive ». Et surtout, on s’attache terriblement à nos trois protagonistes, dans un mélange d’empathie (et de soulagement de ne pas avoir vécu de telles choses soi-même !), d’incompréhension parfois, et peu à peu de véritable compassion mêlée de joie quand peu à peu elles reprennent confiance en elles. On aime les accompagner sur ce chemin où elles s’apprivoisent d’abord, se rapprochent peu à peu sans forcément parler de ce qui fait mal mais apprennent à s’apprécier telles qu’elles sont à ce moment de leur vie. Tout cela les amène aussi à « revivre » ces moments douloureux, avec l’aide du maître d’armes qui est spécifiquement formé à cette discipline particulière de l’escrime, et d’une psychologue, également escrimeuse, qui est toujours disponible et dont la présence aux séances est tout aussi obligatoire que la formation du moniteur. Mais peu à peu, ces femmes vont s’avérer capables d’affronter leur propre vie – que ce soit en osant faire front à leurs parents toujours « bienveillants » (et sans doute bien démunis) mais qui les ont pourtant enfoncées, ou en allant enfin porter plainte, par exemple.

    Avec tout ça, il y a évidemment des moments très durs (peut-être encore davantage parce qu’ils ne sont jamais « que » suggérés), d’autres extrêmement touchants, et puis ces quelques moments du quotidien qu’on dirait presque que « tout va bien » pour ces femmes… mais paf aussitôt un petit détail (une visite de la maman de Lucie par exemple, venue garder son petit-fils) replonge le lecteur au cœur de ce sujet terrible.
    Mon mari a trouvé le dessin très sombre – pour ma part, je l’ai trouvé tout à fait adapté à son sujet, avec effectivement des planches qui jouent sur le registre des gris foncés, des bleus grisés également foncés ou des sépias orangés à la limite du flippant ! mais d’autres passages sont beaucoup plus lumineux, et notamment chacune des séances d’escrime, justement ! Je ne suis pas ultra-fan du dessin même (mais je suis vraiment très, très, très difficile à ce sujet), mais indéniablement tout se joue sur les expressions : elles sont réellement ciselées, que ce soit sur les visages ou dans les gestes (notamment dans l’un ou l’autre assaut – j’ai adoré par exemple la « libération » de Nicole !) ; ce sont comme des photos saisies sur le vif, très parlantes. J’ai aussi apprécié le fait qu’aucune des cases de la BD ne soit jamais « encadrée », ce qui rend l’histoire très ouverte et participe à l’idée que ces femmes sont sur un véritable chemin de libération.

    C’est donc un livre très expressif et parfois glaçant, mais pas informatif cependant, même si c’est une introduction très intéressante au sujet. Peut-être parce qu’il est plein d’espoir aussi, sur le chemin d’une réelle libération pour ces femmes qui ont vécu des violences sexuelles inacceptables, et qui, à travers ce sport qui leur permet autant de « se cacher » (notamment sous le masque) que d’exploser, vont peu à peu retrouver la confiance, réapprendre à s’aimer.

  • domi_troizarsouilles

    Propriétaire d une PAL boulimique

    Hors ligne

    #209 28 Mars 2022 14:20:09

    Coucou,

    J'espère que vous allez bien? ;)

    Je viens aujourd'hui vous présenter deux lectures complètement différentes, dont une qui a fait l'objet du tout dernier Book club - n'hésitez pas à aller voir! Les avis sont assez partagés... tandis que le mien est assez tranché (ce que j'assume entièrement =D ).

    Voici donc:

    Douve de Victor Guilbert
    publié chez Hugo Thriller en 2021, lu en GF (mais pour ceux et celles que ça intéresseraient, il vient de sortir en poche chez J'ai Lu!). Sympa et plutôt bon: 15/20

    <image>

    Synopsis : "Le gamin a Douve dans les veines."
    Cette phrase, prononcée par son père quand il n'était encore qu'un enfant, l'inspecteur Hugo Boloren ne l'a jamais oubliée. Alors quand il apprend qu'un meurtre a eu lieu à Douve, il y voit un signe. Son père est mort, l'Alzheimer a dilué les souvenirs de sa mère ; c'est sa dernière chance de comprendre en quoi ce village perdu au milieu d'une forêt de sapins lui coule dans les veines.
    Tout ce qu'il sait, c'est que son père, policier lui aussi, a été envoyé à Douve il y a quarante ans pour enquêter sur la fuite médiatisée d'un Islandais accusé de meurtre, et que sa mère, journaliste, l'a accompagné pour écrire un livre sur l'affaire.
    Que s'est-il passé là-bas et pourquoi ont-ils toujours refusé d'en parler ?
    Armé du livre écrit par sa mère, Hugo Boloren va plonger dans ce village peuplé d'habitants étranges, tous unis par un mystère qui semble les hanter. Au fil de son enquête, une question va bientôt s'imposer : et si le meurtre qui a récemment secoué le village était lié au séjour de ses parents, quarante ans plus tôt ?


    Mon avis :
    Remporter le livre « Terra Nullius » lors d'une masse critique privilégiée de Babelio… et me rendre compte à la réception qu'il s'agit en fait de la deuxième enquête d'un flic dénommé Hugo Boloren : surprise ! À vrai dire, je ne sais plus si c'était clairement indiqué dans la présentation du livre (et alors j'aurais zappé l'info), ou si ce n'était même pas mentionné (et je n'ai pas cherché à en savoir beaucoup plus avant de cliquer pour le recevoir). Toujours est-il que je suis assez psychorigide (n'ayons pas peur des mots !) à ce sujet : je ne p/veux pas lire un 2e opus d'une quelconque série, si je n'ai pas d'abord lu le premier… et dans les rares cas où j'aurais quand même lu les choses dans le désordre, c'est soit par pure ignorance, soit délibérément pour les besoin d'un challenge ou l'autre (eh oui !). Dans le cas présent, rien ne justifiait que je commence par un numéro 2, si ce n'est l'échéance (alors encore lointaine) de la rédaction d'un commentaire. Je devais donc d'abord acquérir et lire « Douve » !... et il ne me reste désormais plus que 13 jours pour commenter sa suite…

    Mais voilà : Hugo Boloren est décidément un flic plein de surprises ! Quelque peu obnubilée par cette idée de lire « Douve » en premier lieu, je n'avais même pas trop lu le résumé du livre, mais j'étais en quelque sorte en confiance : après tout, c'est Hugo Thriller qui publie. Thriller, l'un de mes genres préférés, donc je pouvais y aller les yeux fermés… ou pas !
    Ceci est un avertissement : amateurs de vrais thrillers, bien sanglants et/ou bien flippants, pleins de tension et de suspense, passez votre chemin ! En effet, ce livre n'est pas un thriller, pas vraiment ; la meilleure classification que je pourrais lui donner est à la frontière du cosy mystery. On aurait donc un « cosy thriller » (je sais, ça n'existe pas, pas encore jusqu'à ce livre du moins), voire un thriller humoristique, même si je préfère ma première dénomination.
    Cela dit, pour moi ce n'est pas un problème : j'aime autant les thrillers purs et durs, que la plupart des cosy mysteries ; et puis, comme je ne savais pas à quoi m'attendre, je ne pouvais pas être déçue, et me suis laissé surprendre sans a priori !

    Ainsi, on trouve ici tous les ingrédients qui font le succès – et la définition (voir par exemple http://www.lesromantiques.com/?a=1271/Cozy-Mystery qui est ma foi très bien fait) – du « cosy mystery ». On n'a pas le village anglais typique (ne cherchez pas Agatha…), mais on a bien le village français un peu perdu, où il ne fait pas particulièrement bon vivre mais en tout cas tous ceux qui y sont nés finissent par y retourner, et tout le monde se connaît. On n'a pas une femme détective amateure à la (limite de la) retraite, mais on a un homme, qui plus est policier… mais en vacances ! (pour la première fois de sa vie, en plus, nous dit-on) D'ailleurs, il passe son temps à boire des bières, parfois dès 10h du matin, et à croquer des carrés de chocolat noir haut de gamme, seul remède qu'il ait trouvé pour arrêter la cigarette. On a certes quelques passages un peu violents et même du sang… mais ces scènes-là sont chaque fois très brèves et peu descriptives, si bien qu'on n'a même pas le temps d'avoir un début de nausée. de plus, elles sont pauvrement exploitées, perdant ainsi le peu de crédibilité réaliste qu'elles auraient pu avoir.

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    Par exemple, quand Hugo se fait passer à tabac, la scène n'est pas ultra-dure, il reçoit quelques coups et puis c'est tout… et par la suite, certes tout le village s'inquiète pour son visage tuméfié, mais l'auteur semble avoir complètement oublié que son « héros » est censé avoir eu l'une ou l'autre côté fêlée ! Ciel, ça fait mal pourtant, et pendant plusieurs jours… mais ici, c'est complètement passé sous silence.



    L'écriture est plaisante, légère (j'y reviens) et pourtant travaillée : on sent d'emblée que l'auteur va nous mener là où il veut bien, même si les chemins qu'il prend ne sont décidément pas ceux qu'on pourrait attendre pour le genre annoncé. Pour commencer, on a cet humour omniprésent. Oh ! on ne passe pas son temps à rire, c'est plutôt un humour pince-sans-rire qui transpire de partout, l'air de rien et qui, surtout, donne une indéniable légèreté à ce livre - il y a tant et tant de menus exemples que je ne peux en fixer un seul à titre pour illustrer mon propos, il faut se laisser happer par l'histoire pour le découvrir au fil des phrases !
    J'ai aussi noté un certain humour de répétition, en deux points particuliers (et d'autres je pense, mais ceux-ci sont les plus marquants) : d'une part, il y a cette répétition du plaisir de « la première gorgée de bière »… Alors, n'ayant jamais lu Philippe Delerm, je suis incapable de dire s'il y a une quelconque allusion à ce livre qui avait beaucoup fait parler de lui lors de sa sortie, mais en tout cas, Victor Guilbert revient encore et encore sur cette première gorgée de bière, qui donnerait envie de décapsuler une bonne bouteille pour ressentir ce plaisir qui a bien quelque chose d'obsédant ! D'autre part, il y a le climat de Douve : il y pleut (quasi) tout le temps, alors que le soleil rayonne partout ailleurs en France ! Hugo sort de Douve, paf il fait ensoleillé ; Hugo retourne à Douve, et est accueilli par une pluie serrée… L'auteur voulait-il ainsi renforcer le côté potentiellement oppressant du village entouré de cette forêt de sapins impénétrable ? Eh bien c'est raté (du moins sur ce point-là), car très vite c'est une toute autre image qui m'est venue à l'esprit en parallèle : c'est cette scène mythique (parmi d'autres) de « Bienvenue chez les Ch'tis », quand Kad Merad, en route vers sa nouvelle affectation, passe le panneau « Nord Pas-de-Calais » (car à l'époque on ne parlait pas encore de Hauts de France) et se retrouve instantanément sous un rideau de pluie ! (pour les nostalgiques, on la trouve ici : https://www.youtube.com/watch?v=T_H4aB5vtmE ) On est d'accord que, avec une telle image en tête, on est davantage dans le comique que dans le thriller… même s'il y a un petit côté désenchanté.

    Parmi les autres éléments qui éloignent ce roman d'un vrai thriller, on notera aussi l'utilisation du présent de l'indicatif à la première personne du singulier, Hugo étant le narrateur. Or, à moins de vouloir jouer sur un effet fantastique qui mettrait en scène le fantôme du personnage (ouf, ce n'est pas le cas !), un narrateur qui s'exprime ainsi ne peut pas subitement disparaître. Ainsi, même si on s'inquiète parfois pour lui, on sait que ça ira mieux demain quoi qu'il arrive – d'ailleurs, il a un deuxième livre qui l'attend, n'est-ce pas ? Il y a aussi le fait que l'auteur ait choisi, à quelques exceptions près, de nommer les différents protagonistes quasi-exclusivement par leurs prénoms – à tel point que, quand leurs noms complets apparaissent en fin de livre, j'étais tout à coup bien un peu perdue ! Je me rends compte que cet effet de style n'est pas innocent : cela rend les personnages plus proches du lecteur, leur donne une aura sympathique, moins méchante qu'ils ne sont peut-être en réalité ; en tout cas, on est loin de ces polars durs et insoutenables, dans lesquels les noms de famille sont privilégiés.

    Parlons-en, de ces personnages : ils sont tous extrêmement typés, à la limite de la caricature parfois… mais je dirais alors que c'est un cliché calculé, voulu, permettant au lecteur de les identifier instantanément avec leurs qualités ou leurs travers, créant sympathie ou antipathie d'une façon qu'on croirait instinctive alors que chacun de ces sentiments est habilement suscité. Aucun des personnages ne m'a paru particulièrement attachant, pas même Hugo lui-même, mais ils ont tous un petit quelque chose d'interpelant (au minimum) et agissent au service de ce grand puzzle mêlant passé et présent, qui peu à peu se met en place.
    Paradoxalement, Hugo m'a semblé le moins travaillé des personnages. On en sait relativement peu sur lui : peut-être conçu à Douve lors d'une enquête dans une affaire sordide menée alors par son père, flic lui aussi, et accompagné de sa mère, journaliste, on ne sait même pas trop son âge ; on sait qu'il appartient à un quelconque commissariat de Paris mais on ne sait rien de ses enquêtes passées, de ses succès professionnels ou autres. On sait juste qu'il a été en couple mais n'a pas été capable de retenir sa compagne, et il ressasse les arguments qu'elle lui a jetés à la figure quand elle l'a quitté, sans trop se remettre en question – si tant est qu'il était vraiment en tort… En fait, il apparaît plutôt comme un personnage lisse, passif aussi bien dans son enquête improvisée que dans sa vie privé ; il est plutôt du style à laisser venir les choses, à attendre qu'elles se passent, avec cette histoire de « bille » qu'il a en tête. À mon sens, ce n'est rien de bien original : certes, j'ai aimé l'image, de cette bille qui parcourt un circuit comme ceux créés par un enfant (mes deux garçons adorent ça !) jusqu'à atteindre le « ding » final qui marque la fin de son parcours… et la résolution de l'enquête ! mais quand on réfléchit un peu plus loin, on se rend compte qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'une version très imagée d'un mélange d'intuition, de flair policier et d'événements qui tout à coup prennent sens… L'image est belle et sympathique, mais la réalité qu'elle recouvre n'a rien de bien original !

    Il n'y a finalement que le décor, mais il est ô combien important ! qui rattache ce roman au genre du thriller.
    C'est cette forêt de sapins précitée, qui revient elle aussi comme un leitmotiv, et comme un élément principal de toute l'histoire, peut-être même une espèce de personnage sans âme. Bien entendu, plusieurs scènes y ont lieu, et ce sont chaque fois de ces scènes peu agréables. Cette forêt sombre renvoie chacun des habitants de ce petit village à ses démons passés, elle est pleine de mystères – qui n'ont rien de surnaturel ! on est davantage dans l'idée qu'elle est impénétrable, inexploitable en plus, ce qui la rend particulièrement antipathique, sans espoir d'un quelconque essor économique pour ce village perdu, oppressante pour tout qui s'y hasarderait.

    Je ne peux conclure sans mentionner la résolution de l'enquête : elle apparaît sur les différents chapitres de fin, à la façon des pièces d'un puzzle qui s'assemblent tout à coup au fil de différents tableaux. Tout est assez inattendu, et pourtant tout se tient, on est surpris mais pas déçu, car on comprend tout à coup toute l'ampleur de la manipulation de l'auteur depuis le début ! Et n'oublions pas le twist final, peut-être pas tout à fait utile, mais que j'ai apprécié à sa juste valeur car c'est la première (et unique) partie où j'ai un peu tremblé pour un personnage !

    Ainsi, de façon générale, j'ai plutôt bien aimé ce livre étrange qui crée le genre du « cosy thriller », avec ses personnages très typés à la limite de caricature, son ambiance villageoise marquée plus proche d'une étude de moeurs que d'un climat oppressant, ce dernier étant cependant assuré par le décor forestier angoissant et si proche. Je retiens avec plaisir cet humour omniprésent qui prend plusieurs formes, donnant à l'ensemble une légèreté qui confirme qu'on est dans une lecture « douillette », agréable, et où on aimerait que le personnage principal soit un peu moins lisse.
    Je continue de me demander si cette ambiance « cosy » dans un thriller était réellement voulue, ou si c'est un effet collatéral imprévisible de cette plume légère même dans la manipulation du lecteur, mais en tout cas on en redemande. Et puis vous le savez : il me reste désormais à me plonger dans la suite !





    Le bal des folles de Victoria Mas,
    publié chez Albin Michel en 2019, lu en version ebook. Un rendez-vous manqué, mais je continue de croire que l'autrice est capable de bien mieux: 10/20.

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    Synopsis : Chaque année, à la mi-carême, se tient un très étrange Bal des Folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Réparti sur deux salles – d’un côté les idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques, les folles et les maniaques – ce bal est en réalité l’une des dernières expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de la Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie, Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle.

    Mon avis :
    Et voici, encore !, un livre qui a été bien mis en avant, qui a dès lors été lu par énormément de monde, et qui a récolté des critiques très enthousiastes. Ceux et celles qui me suivent le savent : je me méfie toujours un peu de ces livres ayant un tel succès… et une fois de plus, mon avis final confirme que j'aurais mieux fait de m'abstenir… mais je précise d'emblée, notamment pour les esprits chagrins, que cet avis n'engage que moi, et concerne exclusivement un livre qui ne m'a pas plu ; il n'est en aucun cas dirigé contre l'autrice en tant que personne, et encore moins contre les autres lecteurs qui, ma foi, ont autant le droit que n'importe qui, moi compris, d'avoir leur propre avis !
    Bref, je n'avais pas l'intention de lire ce livre que j'ai vu passer ici et là plus d'une fois, il n'était même pas dans ma liste de souhaits ! mais voilà : il a été proposé pour le Book club de mars, sur le thème « Maladie mentale et neuroatypie », thème qui m'intéressait beaucoup, j'ai donc finalement craqué. Alors, autant le dire tout de suite : ce livre ne traite que très, très peu dudit sujet – c'était dès lors pour moi une première, grosse déception ! - ; c'est tout au plus un décor (ah ! les fameuses « folles » !), mais ça se limite à ça…

    Pour le reste, on est à la fin du XIXe siècle à Paris. On le sait (ou pas), c'est une époque bouillonnante à tous points de vue *, mais dans certains milieux, rien ne change vraiment : c'est une société qui reste profondément patriarcale. Que ce soit à l'hôpital de la Salpêtrière, où sont internées de force, par un mari, un père, un frère, ou une belle-mère, des femmes qui sont considérées comme « hystériques » pour 1.001 raisons, le plus souvent parce qu'elles dérangent, tout simplement ; ou que ce soit dans les milieux bourgeois où les fils sont priés de reprendre le cabinet ou l'étude du père médecin ou notaire, tandis que les filles se plieront à la volonté d'un père autoritaire et d'une mère soumise, et feront à leur tour un bon mariage qui assurera la fortune et la renommée des deux parties.
    Partant de ces réalités, l'autrice crée une histoire où son imaginaire intègre quelques faits historiques réels. Parmi eux, on peut citer les études, et notamment les séances publiques, du professeur Charcot, et toute l'horreur d'un internement à l'hôpital pour aliénées de la Salpêtrière, à une époque où la médecine psychiatrique et autres psychothérapies n'en étaient qu'à leurs balbutiements, et où ces femmes ( certaines ayant vécu de véritables traumatismes) étaient laissées à elles-mêmes, sous la surveillance d'infirmières dont un certain nombre ressemblaient plutôt à des garde-chiourmes, en attendant le temps qui passe…

    Il y avait là un sujet profondément intéressant, malheureusement l'autrice est passée à côté : elle ne fait que survoler les choses, elle n'approfondit rien, et certainement pas ce fameux « bal des folles », dont il est fait mention mais qui ne prend finalement que quelques pages à la fin du livre. Elle esquisse certes quelques portraits de femmes touchantes, sans qu'aucune ne soit tout à fait attachante : j'ai apprécié les portraits de l'ancienne putain Thérèse qui a trouvé une certaines sécurité entre ces murs ; ou la jeune Louise, dont la guérison d'un important stress post-traumatique (« maladie » complètement inconnue à l'époque) semble très improbable mais que le lecteur espère jusqu'au bout. Je suis plus dubitative face à une Eugénie, qui arrivera là contre son gré à cause de son « don » particulier, qu'on se demande ce qu'il vient faire dans l'histoire !; et bien sûr j'ai été interpelée par Geneviève, femme forte en apparence mais qui cache bien des blessures qui vont peu à peu se réveiller, pour le meilleur ou pour le pire.
    Cependant, à part Geneviève peut-être, ces personnages sont trop vite esquissés, avec en plus un point de vue ultra-féministe complètement anachronique : l'autrice semble avoir transplanté son souci féministe de femme du XXIe siècle, dans les pensées et le quotidien de cette poignée de femmes et jeunes filles de la fin du XIXe siècle, et à la louche, "quitte à se rouler dans les pires clichés", comme disait l'une des co-lectrices du book club (Merci Riz-Deux-ZzZ!) – j'ai tellement apprécié l'expression que je me permets de la reprendre !

    En gros : les hommes sont tous mauvais, autoritaires ou, au moins pire, complètement lâches face à l'autorité paternelle ou le qu'en-dira-t-on ; les femmes sont toutes soumises, sans espoir, voire traitresses quand il s'agit de garder un secret, et les seules qui semblent avoir un brin d'intelligence, les prémices d'un désir d'émancipation (ou un « don »), agissent à la façon d'une princesse Disney, avec plein de rêves dans la tête mais pas une once de pensée pragmatique.
    Côté hommes notamment, on donne au professeur Charcot, nom que j'avais déjà entendu mais dont je ne connaissais pas grand-chose, un rôle tellement caricatural que je me suis brièvement demandé s'il n'était pas un Mengele de son temps (rien que ça !). Mais je ne voulais pas garder cette sensation de froid dans le dos, alors j'ai décidé de vérifier par moi-même… et il s'avère que la distorsion entre ce que présente l'autrice et la réalité historique est importante ! Certes, au risque de me répéter, je ne suis pas (du tout) spécialiste ; heureusement, le nom de ce médecin est connu d'Internet, et plusieurs articles tout à fait abordables et suffisamment neutres ont pu me détromper d'une telle idée !

    En effet, le présent livre ne parle ici que des célèbres cours publics de Charcot : ses fameuses séances d'hypnose au cours desquelles il re-provoquait des crises d'hystérie chez l'une ou l'autre des aliénées, dans un but d'étude. Bien évidemment, ici c'est dramatisé : le nombreux public, exclusivement masculin bien sûr, assistant à ces séances aurait été conquis ! et ne réagit en rien quand un « accident » survient. Une telle image accentue immanquablement, mais faussement, cette idée d'hommes qui se repaissent de l'image de pauvres femmes dont on reproduit les crises d'hystérie ! Par exemple, pas un mot n'est dit sur le fait que ces séances précitées connaissaient déjà des détracteurs en leur temps, et bien présents lors de ces « leçons » ! Ou bien, on nous présente brièvement le docteur dans un face-à-face avec l'intendante, espèce d'infirmière en chef : il y apparaît comme un type imbu de lui-même et méprisant même vis-à-vis de cette infirmière d'expérience, dont l'avis aurait pourtant dû compter… Était-il un tel monstre machiste ? Mystère, mais l'autrice a tranché sans aucune base vérifiable. Et pour le reste, on oublie allègrement toutes les avancées que les travaux de Charcot ont réellement permises dans ce domaine encore tellement nébuleux qu'était alors la neuropsychiatrie !

    À part ça, j'ai trouvé la plume plaisante. Certes, elle n'est pas éblouissante, mais elle se lit vite et facilement ; toutefois, elle ne fera pas partie de mes inoubliables de la littérature francophone, même si je pense qu'il y a « quelque chose » qui ne demande qu'à être travaillé. Après tout, ceci est un premier roman, et peut-être que l'approfondissement de ses sujets permettrait à l'autrice de déployer cette même plume prometteuse mais alors avec plus de relief ? Ici, j'ai l'impression qu'elle a été bridée de facto par un manque criant de connaissance du contexte historique de son sujet… ou alors elle a vraiment travaillé les choses en amont, ce que j'aime croire, mais hélas cette connaissance préalable a été véritablement écrasée par le point de vue résolument féministe mais anachronique que je déplorais plus haut. Ainsi, c'est l'écriture même qui apparaît finalement plaisante, comme je disais, mais bien un peu plate.
    Quant à l'aspect « spiritisme » (dont je ne dirai guère davantage, car là je suis déjà à la limite du spoil, mais il faut savoir qu'un tel aspect est bien présent, et même beaucoup !), je cherche encore à quoi il sert réellement dans l'histoire. Un prétexte pour un internement, certes, et puis pour faire bouger l'un ou l'autre des personnages, mais il y aurait eu tant d'autres motifs ou occasions plausibles ! Or, avec cette touche de paranormal, l'autrice crée une histoire dans l'histoire, qui à mon sens est inutile… mais aurait peut-être mérité un autre roman ?

    Oui, c'est bien ça l'impression finale que me laisse ce roman : ce sont deux fils conducteurs, pleins de potentiel dramatique, dont l'un est évident et dominant, tandis que l'autre apparaît plus subtilement (au point d'être à la limite de la divulgation quand on en parle), mais ils ne marchent pas l'un avec l'autre. Traitées par une plume plaisante mais qui manque encore de relief, aucune de ces idées n'est réellement approfondie, et celle de la condition des femmes à la fin du XIXe siècle est complètement biaisée par une vision féministe moderne excessive, qui fausse carrément certaines données historiques réelles, si bien que je n'ai pas pu accrocher à ce livre.

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    * j'ajoute ici une « note de bas de page », car l'autrice ne présente que très peu le contexte historique de son histoire, pourtant il est indéniablement très intéressant, et aurait sans aucun doute valu d'être beaucoup mieux exploité – ou, pour le moins, mentionné ici ou là ! - tout en permettant de recadrer les choses, mais non.... Pourtant, nous sommes en 1885 nous dit-on : la révolution industrielle bat son plein, on a découvert l'électricité, on commence à parler de l'exposition universelle et de la tour Eiffel, tandis les premières femmes investissent peu à peu les universités (au prix de longs « combats » cela dit ! mais rappelons aussi que, à l'époque, l'université était réservée à une élite, certes essentiellement masculine, mais même chez les hommes, tout le monde n'y allait pas comme aujourd'hui !). Et je ne cite là que les événements les plus marquants qui auraient donné un peu plus de relief à ce livre, mais qui en sont cruellement absents…

    Dernière modification par domi_troizarsouilles (28 Mars 2022 15:12:53)

  • FloXy

    A moitié noyé sous sa PAL

    Hors ligne

    #210 28 Mars 2022 15:04:40

    Et bien merci de me conforter dans ma décision de ne pas participer à ce BC parce que je craignais exactement ce genre de défauts :goutte:
    Suis-je devin ? Non, je suis seulement habitué à voir mis en avant par mon épique époque opaque ce qui ne vaut pas un kopeck.:euhnon: