Le nouveau-né
Chanee2011

écembre 2009

Cette nuit je suis à tes côtés. Tu viens de naître. Je suis ici pour toi. Arrivé ado, devenu papa, je veux être à la hauteur. Ton petit corps englué de sang ressemble à celui d'un nouveau-né gibbon. Sur le ventre de ta maman, ton lien avec elle vient d'être coupé. Tu n'es pas différent des singes qui m'ont appelé dans l'archipel. Ta peau encore violette; la ressemblance ne me choque pas.

Avant de dormir, ton frère a prié pour ta venue. Comme je l'ai fait pour lui, je vais répondre à tes questions. Tu dois comprendre mon choix; celui de te faire naître ici. Ta maman épuisée te regarde avec amour. Le médecin t'ignore. Il s'inquiète pour elle; moi aussi. Tu es devant moi. Je sais que la nuit sera longue. Le placenta ne vient pas...

C'est la meilleure clinique de la ville, mais cela ne te suffit pas.

L'Indonésie est mon choix; pas le tien. Je n'ai pas choisi le privilège de naître en France. L'avion pour l'Asie je l'ai pris volontairement. Je suis parti pour des animaux; pas pour une mission humanitaire, que certains jugent plus noble. Depuis l'âge de 12 ans, dans les zoos, je rêvais de ce départ. L'école n'était pas pour moi. Cinq ans devant les gibbons à ruminer... Ces singes détenaient le secret de mon existence. J'allais tout faire pour les aider. Ma Vie avait pris un sens.

La différence avec mes camarades, je la cultivais...

Des années à préparer mon émancipation; et aucune surprise pour tes grands-parents. Ils me soutenaient. Quelques mois après ma majorité, j'étais dans l'avion pour les jungles de ton pays.

Je rêvais de devenir «Monsieur Gibbon».
Je voulais devenir comme celles qu'on appelait «les trimâtes» (contraction des mots «three» et «primates» en anglais). Ces femmes exceptionnelles étaient devenues des icônes : Biruté Galdikas pour les orangs-outans, Dian Fossey pour les gorilles et Jane Goodall pour les chimpanzés. Elles avaient été recrutées par le célèbre paléoanthropologue Louis Leakey.

J'avais publié un livre à 16 ans (sur les gibbons en captivité) en pensant à elles. Elles étaient mes héros.