Le fief de la GaudièreCharles-Stanislas de Taisne1971

Ceci est une histoire des temps passés.
Au vrai, ce n'est même pas une histoire car on ne peut tenir pour telles ces quelques mois de la vie du jeune sire Robert.
An ce XIIIe siècle finissant, le roi de France besogne dur pour devenir et rester le seul maître.
Mais nous somme à la Gaudière et peut nous chaut s'il plaît au roi Philippe de mettre sous le fouet les grands vassaux du royaume et de faire régenter son propre comté par des clercs et des robins. C'est son droit, et ses affaires ne nous concernent pas. Hormis ses guerres, bien sûr, à l'occasion desquelles le jeu féodal nous amène parfois à boucler notre harnais.
Cette époque a déjà une brillante tenue intellectuelle.
La philosophie fleurit dans les universités turbulentes. Le verger de la Rose, la table du Roi Artus et la tendre Yseult enfièvrent la belle jeunesse dorée des cités. Mais cet épanouissement du bel esprit n'est pas pour nous. Il est le fait de ces villes que nous honnissons et dans lesquelles nous avons répugnance à poser le pied.
Nous ne nous sentons à l'aise que chez nous, à la Gaudière.
C'est ici même, sur notre territoire, que notre vie a trouvé son équilibre. Elle s'y égrène au rythme immuable des saisons et des générations, selon les coutumes du pays et des besoins de la terre. Sans doute cette vie est-elle menacée par le vent nouveau. Mais nous ne le savons pas et rien d'étranger n'est encore venu troubler son cours depuis la nuit des temps. Nous ne l'aurions d'ailleurs pas toléré.
Aujourd'hui, la poussière des galops est retombée.
Et de ces jours anciens, nous n'avons conservé que quelques clichés absurdes de seigneurs paillards et cruels, de serfs faméliques grattant un sol ingrat, de potences et d'oubliettes.
Puissent ces quelques pages aérer cet horizon sinistre en évoquant ce que fut réellement la vie de nos lointains devanciers, cette vie qui a tant plu à notre terre qu'elle s'en est épanouie et est devenue, grâce à elle, la première nation de la chrétienté.