Un archipel dans mon bainJean-Euphèle Milcé2006

Malade du hasard et des bonheurs qui ne s'annoncent pas, je fais de mon mieux pour fuir, éviter d'entrer en collision avec l'histoire fosse commune. Cette histoire vénérée, qui empêche la floraison de l'imaginaire, nous emprisonne dans sa prétention d'être universelle et indémodable. Si île soit-elle, on aborde une terre d'instincts et d'envies. A en croire les quatre pages du dossier que j'ai pu lire, tous les traumatismes et victoires d'Haïti sont attachés corde courte à la France. On dirait, on penserait que tous les Haïtiens sont couchés face contre terre sur des mitraillettes. Veillant au grain. Traquant le Français. Scrutant l'horizon de tous les dangers. Les frontières cèdent sous le poids des conflits. De tout temps. Ici, il est temps d'abandonner. Mes secrets sont massacrés, saignés à même la racine. Tonnerre de Dieu ! Quelle misère plus gluante que celle qui vous oblige à vous envelopper sous le châle de la honte ? Incapable de soutenir le regard de la boulangère. Se justifier devant les juges. Patrick était un artiste largement médiatisé. Je tremble déjà à l'idée des choux gras qu'en fera la presse. Les grands titres dans " La Tribune ", au café du commerce : La menteuse dévoilée, Une vieille dame suisse rejetée par son mari pour une aventurière de trente ans sa cadette, Chronique d'une richesse spoliée, A bas les masques ! La virginité à hauteur permise contre les assauts d'un avocat décidé à obtenir ma chute. Je partirai. Loin de la Suisse, de la France et de l'Europe lénifiées. Mon île sera Haïti. Point. Merde. Mon pays s'il le faut.