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    Enfileur de mots

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    #181 18 Février 2022 11:48:41

    Hello,

    Une énième semaine se termine, la semaine prochaine mes enfants seront en congé (en décalage par rapport au reste de la Belgique, ainsi fait l'école européenne...), alors je profite de ces dernières heures de "répit" :ptdr: pour venir compléter ce suivi.

    Mypianocanta a écrit

    Ton avis sur Azul m'a aussi titillé sur le challenge ABC et j'avoue que je comprends parfaitement ton "hélas" - j'ai lu plusieurs essais d'histoire de l'art dans lesquels il n'y avait pas non plus les œuvres je trouvais déjà ça frustrant - mais il me tente malgré tout alors je le mets en wish-list.
    Bonne fin de dimanche.


    Même dans un essai?! c'est hallucinant...

    FloXy a écrit

    C'est bien parce que j'avais développé une certaine curiosité matinée de doutes à propos de 2 titres que tu as récemment chroniqué : Les étincelles et The midnight library.
    Maintenant je sais que je peux déjà en retirer un de ma WL tellement tu confirmes mes pires craintes à son propos ! :goutte:
    Quand à l'autre, il bénéficie par la présente d'un sursis rogatoire. Mais son cas n'est pas encore réglé. :rules2:

    Enfin bref merci. :salutation:


    Pas de quoi... ;) et je ne doute pas que tu te feras ton avis toi-même si tu te lances dans l'un ou l'autre de ces livres!


    Quant à moi, ce ne sont que trois livres que j'ai à vous présenter cette fois.
    On commence par un petit livre (petit car c'est un poche, et il ne fait "que" 235 pages), qui serait sans doute resté très longtemps dans ma PAL si on n'avait pas décidé de le lire en LC avec ma binôme zoeline dans la cadre du challenge Apprends à connaître ton binôme (qui se termine, et je ne sais pas s'il y aura une autre édition...).

    Je suis là de Clélie Avit,
    publié chez J.C. Lattès, repris en poche en 2016 chez LLDP. Une histoire d’amour juste assez improbable pour qu’on y croie! 16/20

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    Synopsis : Elsa n'a plus froid, plus faim, plus peur depuis qu'un accident de montagne l'a plongée dans le coma. Thibault a perdu toute confiance le jour où son frère a renversé deux jeunes filles en voiture. Un jour, Thibault pénètre par erreur dans la chambre d'Elsa et s'installe pour une sieste. Elle ne risque pas de le dénoncer, dans son état. Mais le silence est pesant, même face à quelqu'un dans le coma.
    Alors, le voilà qui se met à parler, sans attendre de réponse. Ce qu'il ignore, c'est que pour Elsa, tout est fini, jamais elle ne se réveillera. Mais tandis que médecins, amis et famille baissent les bras, Thibault, lui, construit une relation avec Elsa. Est-il à ce point désespéré lui-même ? Ou a-t-il décelé chez elle ce que plus personne ne voit ?


    Mon avis :
    Voici un petit livre qui ne révolutionnera sans doute pas la littérature française, mais il se déguste comme un bonbon tout sucré plein de saveurs, à l'image de cet arc-en-ciel plein de couleurs qu'on peut y découvrir (mais je n'en dirai pas plus !), avec plein d'émotions sur des sujets graves, mais qui sont ici abordés avec douceur et délicatesse, un petit goût de débat peut-être aussi mais sans en faire des tonnes, c'est au lecteur de débattre avec sa conscience.

    L'histoire est simple et, pour ce que j'en sais, n'est pas d'une grande nouveauté (d'autres auteurs se sont déjà risqués dans ce registre d'une façon ou d'une autre, me semble-t-il). Thibault, trentenaire sans histoire, si ce n'est qu'il vient de rompre d'une relation de plusieurs années et en est encore affecté dans le sens où il espérait fonder une famille, accompagne plusieurs fois par semaine sa mère l'hôpital, où son frère est à peine sorti du coma, après avoir tué deux adolescentes qu'il a renversées en état d'ivresse. Thibault refuse de « renouer » avec ce frère à qui il ne peut pardonner, tandis que leur mère s'emploie à réunir malgré tout ceux qui restent ses deux enfants, quoi qu'ils aient fait… En essayant d'échapper à une rencontre inéluctable avec ce frère désormais honni, Thibault se retrouve par erreur dans la chambre d'une jeune femme dans le coma depuis plusieurs semaines, Elsa. Cette dernière, victime d'un accident de montagne, est devenue un cas désespéré pour les médecins, qui incitent de plus en plus (et pas toujours très humainement) les parents à accepter de la « débrancher » – car elle (sur)vit sous assistance respiratoire constante, ses propres poumons ne pouvant fonctionner qu'environ 2 heures, seuls… Pourtant, Elsa, qui reste inerte en apparence, entend ce qui se passe autour d'elle, car ses sens se réveillent petit à petit, très, très, très, trop lentement…

    Ainsi, l'histoire de Thibault et d'Elsa nous est contée par leurs propres voix (à la 1re personne du singulier) à tour de rôle. Et si le langage choisi ne les différencie guère l'un de l'autre, on sait de suite si on a affaire à l'un ou à l'autre, puisque l'une pense depuis son lit d'hôpital sur lequel elle est clouée, tandis que l'autre vaque à ses occupations du moment dans une vie (presque) normale.
    Alors, pour moi qui n'y connais rien au coma, je ne peux dire si l'autrice a fait un magnifique travail de recherche sur les perceptions des personnes dans un coma apparemment sans espoir, ou si elle s'est servie de sa seule imagination, mais c'est certainement original, parfois glaçant, et le plus souvent poignant, d'entrer ainsi dans la tête d'Elsa, qui ne peut qu'entendre ce qui se passe autour d'elle. Grâce à ses propres pensées et aux interventions dans sa chambre (car quelques amis, et sa famille bien sûr, vont la voir régulièrement), on en apprend peu à peu davantage sur elle, sur sa vie « avant » l'accident, etc. et on s'attache malgré tout, même si un petit coin de notre cerveau nous rappelle sans cesse qu'il s'agit d'une jeune fille devenue « légume », entourée de tubes divers et variés sans lesquels elle ne peut vivre plus de deux heures – ce qui pose aussi la grave question de : débrancher ou ne pas débrancher ? Sachant aussi toute l'horreur du fait que, débrancher, c'est laisser mourir un être aimé sous ses yeux, jusqu'au moment où le corps arrêtera de fonctionner, ce qui n'est pas instantané !

    Paradoxalement, le personnage de Thibault m'a semblé moins construit que celui de la jeune comateuse. Certes, on sait qu'il vit seul mais, dans le contexte de l'accident de son frère, retourne régulièrement chez sa mère, ou va parfois épancher sa peine chez son meilleur ami, Julien, marié et papa depuis peu d'une petit Clara – petite famille qui aura un joli rôle secondaire tout au long du livre. On sait aussi, comme dit plus haut, qu'il en veut terriblement à son frère d'avoir fauché deux jeunes vies, pour n'avoir pas pu s'empêcher de reprendre le volant après avoir bu… Mais, à part le fait qu'il travaille « dans l'écologie » dans un quelconque bureau, sujet qui est parfois abordé avec juste ce qu'il faut d'esquive pour ne pas devoir approfondir, on ne sait rien de ses activités en-dehors de ce boulot toujours éludé et de ses visites à l'hôpital ; on ne sait rien non plus de ses éventuelles passions, si ce n'est qu'il adore le jus de poire, c'est un peu « faible »… Ainsi, ce personnage m'a semblé manquer d'une certaine « épaisseur », qu'on trouvait pourtant sans problème chez l'autre protagoniste, dans le coma, alors que pour elle ça aurait dû être beaucoup plus difficile !

    Et avec ça, oui, on peut trouver un peu bizarre qu'un jeune homme, certes un peu bousculé par la vie (puisqu'il est dans un double contexte de rupture : avec son ex qu'il a quittée il n'y a pas très longtemps, et son frère qu'il refuse donc de voir), mais a priori sain d'esprit et menant une vie tout ce qu'il y a de plus lambda ; bref, c'est bizarre que ce jeune homme tombe amoureux d'une jeune femme dont il ne sait absolument rien, qu'il ne peut voir qu'à travers une forêt de tubes sur un lit d'hôpital, et dont il ne comprend pas la passion pour la montagne ! D'ailleurs, Thibault ne manquera pas de se répéter lui-même à plusieurs reprises que son sentiment naissant n'est pas « normal »…
    Partant de ce constat, il est sans doute possible de considérer ce livre comme trop improbable pour mériter une attention plus poussée. Mais on peut aussi se rappeler, surtout en ce jour de Saint-Valentin après tout (j'ai rédigé ce commentaire le 14 février ;) ), que l'amour frappe là où il veut et de préférence quand on ne l'attend pas… alors pourquoi pas dans cette situation précisément, tellement improbable ?

    Moi en tout cas, je me suis laissée séduire par cette plume très fluide et toujours agréable, chaleureuse même, qui n'hésite pas à aborder des sujets (très) graves avec une grande délicatesse : le coma d'une jeune femme bien sûr, les réactions de son entourage, et l'attitude des médecins (la froideur soi-disant professionnelle du chef de service, ou l'humanité qu'un jeune interne ne veut pas tout à fait abandonner), mais aussi le drame de l'alcool au volant, ou le ressenti d'une mère, et par-dessus tout, de très belles histoires d'amitié qui s'entrecroisent. J'ai apprécié, par exemple, que l'autrice ne semble jamais tout à fait juger le frère de Thibault, devenu meurtrier par l'alcool ; après tout, il est à l'hôpital en attente de son jugement, et si on l'espère lourd, si on comprend (et même à 200% !) le rejet qu'éprouve désormais Thibault, on ne peut s'empêcher de vibrer avec la mère, qui continue de le voir comme son enfant malgré tout – car tout cela est très juste, rien n'est jamais tout blanc ou tout noir, sauf la vie des deux jeunes ados qui ont été tuées, mais qui ne seront guère exploitées dans ce livre (par brefs moments je l'ai regretté, mais j'ai bien compris que cette histoire-là est autre chose, et clairement pas l'objet de ce roman-ci).

    Les dénouements (car, oui, à mon sens il y a plusieurs dénouements) s'éloignent un chouïa de la ligne générale du livre pour tomber dans un certain mélo, que l'autrice avait pourtant réussi à éviter jusque-là. Dès lors, cette chute gâche bien un peu la sensibilité subtile qui caractérise le livre, au profit d'un sentimentalisme beaucoup plus « téléphoné », dommage…
    Quoi qu'il en soit, mon sentiment général reste positif, pour ce qui est avant tout une histoire d'amour, juste assez improbable pour qu'on y croie, servie par une plume fluide, agréable et chaleureuse, qui présente avec une subtile sensibilité et grande délicatesse des sujets graves comme le coma ou l'alcool au volant quand il tue. La personnage principale, dans le coma, est vraiment bien travaillée, tandis que son vis-à-vis masculin manque un peu d'épaisseur mais reste touchant, et les quelques très beaux rôles secondaires en font un petit livre à découvrir pour le plaisir d'une jolie lecture sans prétention !




    Complots au Vatican, tome 1 : Le dernier pape de Luís Miguel Rocha,
    publié aux éditions de l'Aube (noire) en 2015, lu en version ebook. Pas convaincue par ce thriller ésotérique: 13/20.

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    Synopsis : 29 septembre 1978 : le monde apprend que le pape ­Jean-Paul Ier a été retrouvé mort dans son lit, 33 jours après son élection. Pourtant, jamais jusque-là un pape n’est mort sans témoin. Et le Vatican ordonne que le corps soit ­embaumé dans les 24 heures, excluant toute autopsie...
    2006 : Sarah Monteiro, journaliste portugaise installée à Londres, vient à peine de découvrir dans son courrier une liste de noms – dont celui de son propre père – qu’elle subit une première agression. À coup sûr, cette liste la met en danger. Aiguillée à distance par son père, elle se retrouve aussitôt embarquée dans une course-­poursuite incroyable entre l’Angleterre, le Portugal, les États-Unis et le Vatican.
    Protégée par le très mystérieux Rafael, confrontée à des hommes prêts à tout pour mettre la main sur cette liste, Sarah va, bien malgré elle, se retrouver mêlée à un véritable et terrifiant complot, qui ne serait pas sans rapport avec le décès de Jean-Paul Ier…


    Mon avis :
    Quelques jours après avoir terminé ce livre, je reste perplexe et plutôt pas convaincue par ce récit qui m'attirait pourtant… Je l'avais choisi car il complète idéalement l'une ou l'autre consigne des différents challenges auxquels je participe (par exemple: En 2022, je voyage... ;) ), et le résumé m'avait l'air tout à fait intéressant. Je précise aussi d'emblée : j'ai remarqué que d'innombrables commentaires, peut-être même tous (en tout cas une très grande majorité), comparent ce livre au célébrissime « Da Vinci code ». Pas de chance pour moi – ou au contraire, si ? – je n'ai jamais lu ce livre-là, ni vu le film… tout simplement parce qu'il ne m'a jamais intéressée (je n'étais pourtant pas encore en « panne de lecture » à sa sortie !) ; je suppose que je n'avais, à l'époque, pas d'attrait particulier pour les thrillers, et encore moins ésotérico-historiques. À ma décharge (s'il en faut une), je suis restée longtemps sur une impression d'échec plus ancienne, car des années plus tôt, j'avais déjà été complètement déroutée par un autre succès phénoménal du genre : « Le nom de la rose » (certes placé à une autre époque) - j'avais essayé le livre comme le film, mais n'étais arrivée au bout ni de l'un, ni de l'autre. Il faut dire : les deux sont sortis à une époque où j'étais sans aucun doute bien trop jeune pour pouvoir les appréhender, et je n'ai jamais retenté l'expérience par la suite, me fermant dès lors la porte, par effet de ricochet, à un certain nombre d'autres romans du genre.

    C'est donc avec un esprit vierge de toute référence que j'ai entamé ce livre-ci, même si certaines de mes lectures récentes, tout à fait par hasard, traitaient également de manipulations souterraines, mais dans d'autres domaines, sans lien avec le Vatican ou la religion en général.
    Tout tourne donc autour de la mort, considérée comme suspecte, du pape Jean-Paul Ier, après seulement 33 jours de pontificat. Des années plus tard, des documents secrets, potentiellement explosifs, annotés de sa main, sont retrouvés par un brave évêque dans les Archives du Vatican… Cet évêque prend alors une série de mauvaises décisions, mais tente néanmoins de mettre lesdits papiers à l'abri, ou en tout cas entre de meilleures mains que le panier de crabes que représente le Vatican à ses yeux… Entrent ainsi en scène Sarah Monteiro, jeune journaliste portugaise vivant à Londres, et l'énigmatique Rafael, agent surentraîné appartenant à on ne sait pas trop à quelle obédience, qui protège Sarah autant qu'il la malmène, au fil des événements et d'un voyage à travers les continents, qui ressemble bien davantage à une fuite en avant sans cesse renouvelée, qu'à une réelle quête ou tentative d'établir la vérité que semblent receler ces fameux documents.

    Ce livre prétend s'appuyer sur des faits réels, ou en tout cas de personnages réels, qui sont d'ailleurs détaillés en fin de volume, indépendamment de l'histoire même. Les liens du Vatican avec des banques plus ou moins douteuses, avec la mafia ou la maçonnerie aussi (entre autres), semblent donc avérés… mais bizarrement, ne m'ont pas choquée, dans le sens où les malversations financières et éthiques de l'institution de référence de la chrétienté catholique, ne sont (hélas) pas une grande nouveauté. le centre du pouvoir séculier de l'Église catholique traîne de telles casseroles depuis sa création ou presque (on parle des croisades ? ou de son silence pendant la 2e guerre mondiale ?), et s'est vraisemblablement adaptée aux malfrats financiers de son époque – au moins pour ça, elle est « à la page » ! Que les catholiques du monde entier continuent d'y croire « malgré tout » est une affaire de foi, après tout, qui transcende très certainement ces aspects cachés (mais pas tant que ça), qui sont très peu excusables (dans la mesure où ils sont bien éloignés du message des Évangiles, mais l'auteur ne s'est pas risqué dans ce débat-là), et surtout, prouve que cette Église n'est jamais rien d'autre qu'une institution bien humaine… et très masculine. ;) Dès lors, ce livre laisse entendre que Jean-Paul Ier aurait pris un énorme risque en remettant en cause l'infaillibilité papale et en voulant réformer les choses de l'intérieur, avec cependant une intelligence et une volonté mêlées de tellement de naïveté, qu'il aurait presque lui-même signé son arrêt de mort. On doute bien un peu de la véracité des faits exposés, tout en se disant que, après tout, c'est tout à fait possible !

    Partant de là, l'auteur dresse une réelle aventure bien un peu rocambolesque, allant de rebondissement en rebondissement pour ses personnages, dont cette fameuse Sarah qui semble constamment dépassée, mais qui emmagasine à une vitesse stupéfiante (survie oblige) les informations et autres conseils de son ange gardien, l'insaisissable Rafael. Ces personnages manquent quelque peu d'épaisseur et ne sont pas réellement attachants, mais ils assurent une présence forte, qui fait qu'on suit leurs péripéties presque toujours musclées avec une certaine inquiétude constante. À travers eux, outre les pseudo-secrets de l'Église que l'auteur révèle ici, il dénonce à véritables coups de hache les manipulations de la presse – ou, peut-être davantage encore, cette brèche dans laquelle la presse, même la plus sérieuse, s'engouffre sur base d'allégations parfois hasardeuses venant d'on ne sait trop où, du moment qu'il y ait un scoop ou, pour le moins, de quoi remplir la une… C'est un constat au vitriol, masqué derrière ces aventures qui apparaissent bien un peu sans queue ni tête, et qui présentent çà et là quelques longueurs.

    Quoi qu'il en soit, on est plongé dans une histoire évoquant le cinéma d'action avec des hommes en noir qui tirent à tout bout de champ, des courses-poursuites de voitures (éventuellement avec hélico) de la mort qui tue, des bombes qui explosent à tour de bras, des couloirs et autres souterrains glauques secrets, des faussaires qui aident les héros puis craquent en un instant rien qu'en voyant les méchants, des héros mal embouchés qui se retrouvent dans des situations plus invraisemblables les unes que les autres mais qui trouvent toujours une porte de sortie… et un cliffhanger final qui ouvre la porte au 2e tome de ces « Complots au Vatican », que je ne lirai pas, car je n'ai pas suffisamment été convaincue.
    L'écriture est certes rythmée, passant d'une époque à l'autre, d'un continent à l'autre avec ses assez nombreux personnages, et elle est suffisamment visuelle pour que l'aspect cinématographique cité ci-dessus vienne aussitôt à l'esprit du lecteur.

    Mais justement : balader le lecteur d'une époque à l'autre, d'un personnage à l'autre, peut être intéressant pour créer une certaine ambiance. Mais ce procédé, fréquemment utilisé dans les thrillers, qui marche dans la plupart des cas, doit néanmoins être utilisé avec prudence et à-propos. Or, ici, l'auteur l'a surexploité, ou mal exploité, créant une vague impression de fouillis où le lecteur ne se retrouve plus tout à fait.
    Je ne suis pas certaine d'être hyper-claire, alors disons-le autrement : au début de chaque chapitre, l'auteur pose d'abord le décor de façon très impersonnelle, avec en plus l'utilisation de l'indicatif présent qui renforce l'effet que ça se passe « à côté de nous », tout en créant une ambiance quelque peu mystérieuse qui dit comme en voix off : où sommes-nous ? que va-t-il se passer ? et la tension commence à se faire sentir puis augmente petit à petit. Or, si cette approche est intéressante en début de roman, même sur plusieurs chapitres, elle devient redondante et lassante quand elle continue d'apparaître à plus de la moitié du livre ! Pire : au fil de l'avancée de l'histoire, un certain nombre de chapitres terminent en cliffhanger – ce qui est un autre procédé classique du genre – mais hélas, l'auteur ne rebondit ensuite pas dessus ! Soit la « chute » du cliffhanger apparaît après trop d'autres détours, soit elle recommence par une nouvelle description détachée du lieu, de l'environnement etc., cassant ainsi l'attente qu'il avait pourtant réussi à créer ! Oh ! il y a bien quelques passages où un pont est mieux établi d'un chapitre à l'autre, même avec interruptions : ce sont alors, par exemple, des dialogues où l'un ou l'autre personnage explique les choses à Sarah (et ainsi indirectement au lecteur), comme un cours magistral dont on aurait interrompu le fil le temps d'un autre chapitre plus « actif », pour ne pas paraître trop soporifique… mais ça ne suffit pas à convaincre.
    Une écriture rythmée, donc, oui, mais avec trop de cassures qui créent peu à peu un certain ennui.

    Bref, ce sont trop de personnages, trop mystérieux pour certains, dont les aventures respectives sont trop étirées entre les chapitres, avec des bonds dans le temps qui ne semblent pas toujours utiles. le mélange entre personnages réels et de fiction reste intéressant et bien mené, la base historique n'est même pas surprenant même si elle est choquante, mais les procédés du thriller sont trop visibles et mal exploités, si bien que le livre n'accroche pas, malgré son potentiel de départ.





    Marius de Marcel Pagnol,
    lu dans la version poche des éditions de Fallois, illustrée par Sempé. Magnifique! 20/20 (eh oui!)

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    Synopsis : À force d'observer les grands voiliers qui font escale dans le Vieux-Port, en face du bar de son père César, Marius n'a plus qu'une obsession : partir. Cette envie est si forte qu'elle l'empêche de voir l'amour que lui porte Fanny, la petite marchande de coquillages qui tient éventaire sur la terrasse du Bar de la Marine. Ce n'est que lorsqu'un des clients, Maître Panisse, la serrera d'un peu trop près qu'il en prendra conscience. Pour garder Marius, Fanny se donnera à lui, mais en vain. Elle lui fera alors croire qu'elle en aime un autre. Mais la mer restera la plus forte et Marius embarquera sur "La Malaisie".

    Mon avis :
    Magnifique !
    Je commençais pourtant ce petit livre avec une certaine appréhension car, autant j'aime bien aller au théâtre (et nous y allions régulièrement, avec mon mari, avant l'apparition des enfants… puis du covid), autant je n'aime pas du tout lire le texte d'une quelconque pièce dans un livre, comme si les mots destinés à la scène s'y trouvaient « enfermés ». Mais voilà : ce cher Marius pouvait compléter l'une ou l'autre consigne des différents challenges auxquels je participe, alors je me suis lancée.

    Le début de ma lecture, aisée d'emblée, m'a transportée dans un mélange assez improbable : bribes de souvenirs d'enfance, car je suis certaine de n'avoir jamais vu cette pièce en particulier au théâtre, mais sans doute ai-je bien vu une quelconque rediffusion du film (de 1931 quand même !) ou peut-être celui de 2013 ? à la télévision ; et atmosphère qui m'a rappelé d'autres films ou émissions télé, que ce soit l'un ou l'autre film de Fernandel à l'enfance (car ma maman aimait beaucoup cet acteur) ou « Plus belle la vie », série que j'ai suivie non pas depuis le début, mais avec assiduité pendant plusieurs années, avant de m'en désintéresser, tout récemment, du jour au lendemain, sans raison particulière pourtant.
    Et puis peu à peu ce petit livre a continué de faire son oeuvre et de me faire quitter même ce mélange de références rassurantes, pour entrer de plein pied dans une histoire certes dramatique, mais tellement, merveilleusement contée qu'on ne peut plus lâcher un seul instant ! Et tout en le lisant, on entend réellement les personnages parler, avec cet accent marseillais chantant si typique (et connu internationalement je crois, re-merci à Fernandel et à Michel Cordes – le fameux Roland de PBLV) ; on entend le vent siffler dans les hunes et les cordages claquer contre les mâts, on entendrait même le clapotis de l'eau toute proche…

    Oh ! certains aspects du texte sont désormais désuets – pour ne citer qu'un exemple : on comprend qu'il était normal dans les années 1920, voire attendrissant, qu'un jeune homme ait une maîtresse en ville ; mais si une jeune fille d'à peu près le même âge se permettait la moindre incartade à sa vertu, hop il fallait la marier au plus vite ou c'était le déshonneur assuré ! Cette vision de la (jeune) femme n'est plus acceptable de nos jours, du moins dans nos pays (et encore !), mais au moins ça permet de constater le chemin parcouru en presque 100 ans, ce n'est pas rien !
    Mais surtout, cette pièce est un mélange incroyablement réussi de drame et de comédie. Drame, je préciserai toutefois que je n'y ai pas vu le « triangle amoureux » que certains soulèvent… ou alors la mer est une maîtresse féroce avant même qu'on l'ait prise ! Car le triangle est bien là : Fanny aime Marius, et Marius aime Fanny, mais il aime la mer plus encore, et vu le contexte de l'époque (on naviguait encore à voile, même vers de lointaines destinations !), ces deux amours-là sont incompatibles… Dans ce contexte, le personnage de Panisse n'est, à mon sens, qu'un élément assez secondaire, qui offre une potentielle porte de sortie à Fanny (même si ça ne se conclut pas dans ce livre-ci, il faudra que je me lance dans la suite de la trilogie très vite !) mais n'entre pas réellement dans le triangle ; en revanche, il participe avec brio à tout l'aspect « comédie ».

    C'est que, en lisant cette pièce, on rit beaucoup ! Il y a des moments d'anthologie, comme par exemple les différents « tiers » d'un mandarin-citron-curaçao – j'ai relu ce passage plusieurs fois tellement j'étais pliée de rire ! le jeu de cartes m'a moins touchée ; cependant, il dénote, comme tant d'autres passages dans ce livre, de l'extraordinaire maîtrise de la langue et du dialogue de Marcel Pagnol. Maîtrise de la langue, car tout est poétique dans cette histoire ; tout est dit et touche à des sentiments universels et profonds, à travers le format pourtant très restrictif que représente une pièce de théâtre à l'écrit – le jeu des acteurs fera le reste, mais ici, on a ce « reste » même sans voir la pièce sur scène !
    Et sens du dialogue, car pas un seul instant, pas une seule réplique ne paraît artificielle, mal placée, trop ampoulée ou au contraire trop simple ! Chaque personnage a son registre de langage, chacun tient son rôle à travers quelques mots d'une langue tout à fait accessible, et qui vont pourtant jusqu'au coeur du lecteur. Et ça va même plus loin : Marcel Pagnol s'est permis quelques déformations de mots (pour imiter l'accent… ou la non-connaissance de l'anglais par exemple), ou quelques passages dans le patois local (je suppose) que l'éditeur n'a pas jugé utile de « traduire »… et pourtant, même pour moi qui vis aux antipodes de Marseille, ça passe, c'est compréhensible, d'ailleurs ça participe à l'effet « exotique » mais tout à la fois tellement proche de chacun de nous, de ce livre inclassable et intemporel malgré ses quelques aspects désuets.
    Un enchantement !

  • Grominou

    Modératrice

    Hors ligne

    #182 18 Février 2022 15:27:13

    Dans Marius, j'avais beaucoup aimé la partie de cartes car cela m'a rappelé mon père, qui aimait citer ces dialogues!  «Tu me fends le cœur!» :lol:  J'ai beaucoup aimé la suite, Fanny, et ça me fait penser qu'il faudrait bien que je mette la main sur le tome 3, César, lors d'un prochain arrêt à la bibliothèque.

    Tu penses lire Da Vinci Code un jour?  Si ça peut te rassurer, Dan Brown a un style très accessible, ça ne se compare absolument pas à celui de Umberto Eco! ;)
  • stephanius

    Lecteur professionnel

    Hors ligne

    #183 19 Février 2022 00:32:12

    Ho j'ai bien e'vie de découvrir le dernier pape tient
  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

    Hors ligne

    #184 26 Février 2022 22:08:30

    Hello,

    Roh là là! je viens de me rendre compte que je ne suis (à nouveau) plus venue depuis trop longtemps, depuis Marius j'ai lu... 6 autres livres! :O Je ne me rendais même pas compte que je n'avais plus rien partagé ici depuis lors! Faut dire, avec les enfants à la maison, et malgré le fait qu'on a décidé de ne rien faire de particulier (mon ado ne veut que "dormir" et jouer sur son téléphone, ma fille est partie à la mer (du Nord) avec une de ses copines, et le petit passe ses journées en pyjama, à recréer mondes après mondes en inventant des jeux :pink:); bre,f on ne fait pas grand-chose, mais je passe du temps avec eux, au moins les garçons, et du coup je ne m'occupe qu'assez peu de mes lectures... à part la rédaction de commentaires, mais après faut les partager! ;)

    Alors, avant de me lancer:

    Grominou a écrit

    Dans Marius, j'avais beaucoup aimé la partie de cartes car cela m'a rappelé mon père, qui aimait citer ces dialogues!  «Tu me fends le cœur!» :lol:  J'ai beaucoup aimé la suite, Fanny, et ça me fait penser qu'il faudrait bien que je mette la main sur le tome 3, César, lors d'un prochain arrêt à la bibliothèque.

    Tu penses lire Da Vinci Code un jour?  Si ça peut te rassurer, Dan Brown a un style très accessible, ça ne se compare absolument pas à celui de Umberto Eco! ;)


    Entre-temps j'ai lu Fanny aussi, il fait partie des livres que je vais présenter ce soir ; quant à Dan Brown, je me suis rendu compte après coup que j'ai lu (sans avoir que c'était lié) le tome 5 mettant en scène Robert Langdon, Origines. Alors, j'ai lu ce livre à une époque où je ne partageais pas sur mes lectures, et je suis bien incapable de dire aujourd'hui avec précision si ça m'avait plu, et encore moins pourquoi... mais en tout cas j'en ai un (vague) souvenir plutôt positif! Donc, pourquoi pas? ;)
    Cela dit, il n'est pas dans mes priorités, il n'est même pas dans ma PAL; et si c'est pour poursuivre dans l'ésotérique, alors je choisirai bien plus volontiers ton compatriote Hervé Gagnon et sa saga Damné!

    J'attaque maintenant mes commentaires, dans l'ordre de lecture "bêtement" ;)

    13 heures de Deon Meyer,
    publié aux éditions du Seuil, lu en version ebook. Le plaisir de retrouver cette ambiance sud-africaine post-apartheid! 18/20

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    Synopsis : Le Cap. 5h36: une Américaine monte la côte de Lion's Head en courant. Elle est jeune, belle, et terrifiée. Parce que traquée. Comme une bête. 5h37 : l'appel réveille l'inspecteur Benny Griessel. Il y a eu meurtre. Une femme, la gorge tranchée, à deux pas de St. Martin, l'église luthérienne de Long Street. 7h02: saoule, l'ex-sensation du chant Alexa Barnard découvre le cadavre de son mari volage par terre. Et un pistolet juste à côté d'elle. 9h00: avec deux meurtres à résoudre et une insupportable envie de boire, Griessel comprend que former une nouvelle génération de flics risque d'être plus compliqué que prévu. Passé 12h00: la course contre la montre engagée pour sauver une jeune touriste de la mort vire au cauchemar. Et à 5h30, on tire sur Griessel, en plein coeur. Soit treize heures ordinaires dans la vie d'un inspecteur des homicides du Cap.
    N.B.: ce livre est le tome 2 de la saga mettant en scène le policier afrikaans Benny Griessel.

    Mon avis :
    Quel plaisir de retrouver la plume incisive et directe de Deon Meyer, dans une nouvelle (et double) enquête de son personnage récurrent qui compte le plus de tomes à son actif : l'ex-alcoolique Benny Griessel, en cours de désintoxication, et toujours profondément passionné (malgré les difficultés) par son métier de policier dans la ville du Cap, dans une Afrique du Sud post-apartheid en plein bouleversement !

    L'inspecteur Benny Griessel en est à un peu plus de 5 mois de sobriété et, toujours profondément amoureux de sa femme (qui l'a littéralement « mis dehors », dans le tome précédent, pour une période de probation de 6 mois sans alcool), il espère pouvoir la reconquérir… tout en se rendant compte qu'il s'y retrouve pas si mal, dans cette vie en solo sans surveillance féminine réprobatrice constante, certes justifiée à cause de son alcoolisme, mais qui devenait pesante ; vie qui lui a permis par ailleurs de « renouer », différemment, avec ses enfants désormais jeunes adultes.
    Sur ce point de départ « privé », c'est le policier Benny qui entre très vite en scène, appelé pour le meurtre d'un homme, connu dans l'industrie du disque, dont le corps a été retrouvé à son domicile par son épouse, ex-rock star devenue… alcoolique ! Parallèlement à ça, une jeune fille, qu'on identifiera très vite comme une touriste américaine, tente d'échapper à une bande de jeunes qui veulent vraisemblablement sa peau, après avoir tué sa meilleure amie – mais on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants de l'affaire, car si Rachel (la jeune fille) cherche de l'aide ici ou là, sans grand succès, elle refuse d'appeler la police quand elle en a l'occasion, ce qui finit par la rendre bien un peu suspecte ; tandis que la tension, ce besoin de survivre dans une situation de plus en plus inextricable, une véritable course contre la montre, contre la peur et contre ses poursuivants, prend réellement le lecteur aux tripes !

    Et c'est tout l'art maîtrisé de l'auteur qui se révèle ainsi, dans treize heures de la vie d'un policier, découpées en plusieurs tranches – d'où le titre, sans grand mystère. Inutile de répéter à quel point le suspense est réussi : comme dit plus haut, la tension (surtout avec Rachel) est omniprésente. L'enquête autour de ce meurtre dans le monde du disque est certes moins excitante que la chasse à la jeune fille, mais permet de mettre en scène des personnages particulièrement marquants. Car c'est là que réside l'un des formidables atouts de Deon Meyer : ses personnages sont terriblement réalistes, touchants ou au contraire détestables, avec leur physique et leur caractère esquissé en quelques mots à peine, mais tellement justes et tout simplement humains qu'on a l'impression de les voir s'animer à côté de nous. Ce sont tout à coup notre voisin, ou ce chef d'entreprise un peu hautain qu'on croise dans la rue, ou encore ce policier doué mais tellement timide qu'il faut le voir à l'oeuvre pour qu'on en prenne toute la dimension. Bref, je dis chapeau !

    Tout cela se déroule avec la cerise sur le gâteau : le lecteur se demande jusqu'au bout pourquoi on a une double enquête, Benny ne cessant de passer de l'une à l'autre au gré des caprices et soudaines priorités politiques de ses supérieurs, et on se demande si les deux auraient peut-être un quelconque lien insaisissable ?... Réponse (s'il y a) dans le livre !
    Sans vouloir la révéler, je noterai cependant que la chute est bien un peu décevante. Côté affaire dans le monde du disque, oui c'est assez évident au final ; mais côté Rachel, si on finit par se poser des questions qui vont dans le sens de la résolution, peu à peu au fil de l'enquête, tout le contexte que l'auteur assène un peu trop abruptement à la fin, comme tombant des nues (en tout cas aucun élément ne permettait d'en voir venir toute l'ampleur), m'a bien un peu déçue, à l'image de ces polars qui choisissent ce procédé final sorti du néant… mais c'est le seul, tout petit bémol que je peux relever après avoir tourné la dernière page de ce roman !

    Pour le reste, outre la grande maîtrise de la langue, des personnages et d'une intrigue à la tension dosée tellement efficacement, c'est aussi tout ce qui « entoure » le livre qui fait son succès. Il y a des aspects liés à la lectrice que je suis, et d'autres plus « généraux » qui ne manqueront pas de toucher un large public, peu ou prou intéressés par cette Afrique du Sud du début des années 2000.

    Pour ce qui me touche personnellement, il faut rappeler que Deon Meyer écrit ses livres en afrikaans. Ils sont traduits seulement ensuite en anglais d'Afrique du Sud, tandis que la version française est traduite à son tour depuis l'anglais (et pas depuis l'original afrikaans !). Cela explique sans doute pourquoi cette traduction française est émaillée de toute une série d'expressions ou morceaux de dialogues dans d'autres langes : certaines interjections en xhosa ou en zoulou (j'y reviens), mais aussi quelques petites parties sont restées dans l'original en afrikaans ! Et c'est là que ça devient touchant pour moi. Certes je ne parle absolument pas afrikaans et le sens de la plupart de ces mini-parties restées en vo m'a échappé. Cependant, ceux qui me suivent savant que j'ai des racines flamandes (ma maman) et que, comme tant d'autres petits Belges de ma génération, j'ai appris le néerlandais depuis l'enfance ; et pour ceux qui ne savent pas : le néerlandais des Pays-Bas et le flamand du nord de la Belgique sont une seule et même langue, même si les différences, à l'oral notamment, sont très marquées… Or, il se trouve que l'afrikaans est un petit frère éloigné du néerlandais, et que certains mots ou expressions sont exactement les mêmes… et évoquent entre autres ces « mots doux » que ma maman utilisait spontanément quand j'étais petite. Pour ne citer qu'un exemple : quand une femme interrogée, dans le cadre du meurtre de ce magnat du disque qui a été abattu, appelle tout à coup son compagnon « Beertje », c'est un flot de souvenirs qui remonte tout à coup ! C'est que le mot signifie littéralement « ourson », mot de genre neutre qu'une maman utilise volontiers pour son enfant… ou qu'un adulte pourrait utiliser envers son compagnon, dans un couple où c'est le premier qui porte la culotte, ce qui est bien le cas ici ! Mais comment dire ? la traduction proposée ici en note de bas de page, « Mon nounours », est sans aucun doute la plus appropriée… mais sonne encore différemment, avec plus d'acuité peut-être, dans cet original que l'on perçoit tout à coup… et bien sûr, pour moi qui suis sensible à cela, ça ajoute au plaisir général du livre !

    Plus intéressant encore, c' est tout le contexte socio-politique de cette Afrique du Sud post-apartheid, mais pas idéale pour autant, que Deon Meyer présente. Ce contexte est tellement bien intégré à la trame et aux personnages de l'histoire que ce n'est jamais lourd ou ennuyeux ! Nous sommes donc désormais en 2008. Les Noirs ont retrouvé leur place justifiée et majoritaire dans tous les services publics, dont la police – qui par la même occasion a changé de nom. Les quelques « anciens » Blancs ont quitté cette police dans laquelle ils ne se reconnaissent plus, par exemple pour fonder des agences de détective – dont l'ancien ami et supérieur de Benny, qui est sur le point de rejoindre l'une de ces agences. La hiérarchie ne sachant plus trop que faire de Benny, respecté pour sa longue expérience et le nombre d'affaires résolues, mais dont l'alcoolisme a irrémédiablement entaché la carrière, l'a nommé « tuteur » pour toute une nouvelle génération d'inspecteurs, engagés selon les nouvelles lois basées sur des quotas et la discrimination positive – deux façons de procéder qui ont sans doute des bienfaits, mais qui sont aussi très discutables (comme partout !), ce que l'auteur ne cesse de dénoncer. On a ainsi une palette de personnages secondaires aussi présents qu'attachants : Vusi, jeune Xhosa timide et tellement respectueux de l'autre qu'il ose à peine adopter un ton tranchant avec les criminels ; il ne s'en révèle pas moins un précieux allié de plus en plus confiant en ses capacités. Ou bien Mbali, qui cumule les points négatifs : elle est la seule femme dans cette police encore très masculine (et mysogine), elle souffre d'obésité probablement morbide mais ne semble pas s'en soucier, et en plus elle est de l'ethnie zouloue, en passe de devenir majoritaire au sein du gouvernement, ce qui ne plaît pas à tout le monde ; mais son QI très nettement supérieur, qui lui permettra d'avoir une longueur d'avance sur tous les autres, va mener (certes indirectement) à la résolution de l'enquête. Citons encore Fransman, qui adore se victimiser : métis dans un monde qui n'a jamais vraiment laissé de place aux « sangs-mêlés », ni du temps de l'apartheid où il était trop blanc pour les Noirs, mais pas assez pour les Blancs, et le nouveau régime n'a guère changé cet état de fait, ne lui laissant pas davantage de place ni de respect, ce qui le rend particulièrement amer et nerveux, mais non moins efficace quand il apprend à se dominer…

    À travers ces quelques personnages extrêmement bien typés sans jamais tomber dans la caricature, tous attachants malgré leurs défauts, l'auteur dénonce donc ce système où une pseudo-égalité reste en constante recherche d'elle-même, une illusion qui semble bien difficile à atteindre. Il ne semble pas soulever d'antagonisme sévère entre Xhosas et Zoulous (les deux ethnies principales en Afrique du Sud), mais ne manque pas de souligner que les élus des uns ou des autres favoriseront d'office « leur » ethnie, au gré des variations politiques. À côté d'eux, les Blancs devenus minoritaires doivent affronter la perte de leurs privilèges (ce que personne ne regrette vraiment) et le mépris de certains de la nouvelle classe dirigeante, avec en plus un constant complexe d'infériorité, semble-t-il, de la part des Afrikaners par rapport à tout ce qui est anglophone – ce qui ressort ici, notamment, quand Benny se sent tellement mal à l'aise d'avoir un accent afrikaans marqué quand il parle avec les parents américains de la jeune Rachel, lui qui maîtrise de toute façon assez mal, semble-t-il dire, l'anglais de son propre pays… mais après tout ce n'est pas sa langue !

    Le tout fait de ce livre un polar aux multiples facettes, complètement imprégné de culture africaine inter-ethnique à travers ses personnages marquants, qui ne manque pas de relever tous les bienfaits et les limites d'un régime post-apartheid qui continue de se chercher. La double enquête est passionnante et pleine de rebondissements, faisant de ce livre qui commence comme un polar assez noir mais d'emblée prenant grâce à un dosage efficace de la tension, un véritable page-turner qu'on ne peut plus lâcher.





    Quand sonne l'heure de Kirby Williams,
    publié aux éditions BakerStreet 2021, lu en GF. Un livre reçu via la "Masse critique" de Bablio, une thématique qui m'intéressait beaucoup, mais pas 100% convaincue: 15/20

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    Synopsis : Le 14 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris. En quelques jours, ils posent leur empreinte sur une ville déjà désertée de près de deux tiers de ses habitants. Parmi ceux-ci, le jazzman noir Urby Brown, exilé quelques années plus tôt de La Nouvelle-Orléans, et sa compagne juive Hannah Korngold, qui s'efforcent eux aussi par tous les moyens d'échapper à l'oppression nazie. Confrontés à l'antisémitisme et au racisme, poursuivis par un groupe de néo-fascistes, ils se lancent dans un périple qui manque à plusieurs reprises de leur être fatal. Il leur réserve, de Paris à Bordeaux, d'étonnantes rencontres, jusqu'à un éphémère échange avec le général de Gaulle qui leur propose de les embarquer dans son avion pour Londres...
    Ce récit nous restitue de façon très originale l'ambiance particulière du Paris d'avant-guerre et de la débâcle de 1940, à travers le regard d'un jazzman noir américain. Dans ce roman historique et politique haletant, aux multiples péripéties, l'auteur nous offre aussi, à travers une chronique saisissante de la période précédant l'entrée des Allemands dans la capitale et de la panique qui s'ensuit, précipitant sur les routes des milliers de gens, l'occasion d'une réflexion sur l'intolérance et la haine raciales, sujets qui restent aujourd'hui d'une inquiétante actualité.


    Mon avis :
    Je remercie Babelio et les éditions BakerStreet pour m'avoir offert ce livre dans le cadre de la masse critique « Littératures » de janvier dernier. le sujet m'intéressait particulièrement, car d'après le résumé, ça parle de jazz et de la 2e guerre mondiale, deux sujets qui ne me lassent jamais, et l'idée de les associer dans un même roman ne pouvait que me séduire !

    Cependant, même si ma lecture a été plutôt une bonne expérience, je ne suis finalement pas aussi emballée que j'aurais espéré. Tout commence par une 1re partie (écrite en gras italique, un choix de police de caractère assez inhabituel, mais qui reste heureusement tout à fait lisible) qui relate les jeunes années de notre héros, Urby Brown, dans ce même orphelinat pour enfants de couleurs, à La Nouvelle-Orléans, Louisiane, où un certain Louis Armstrong a grandi et a appris la musique ; tous deux se seraient connus et auraient même joué ensemble, l'un du cornet, l'autre de la clarinette (ce qui ne pouvait que me réjouir !). Ils sont cependant très différents : tandis que Louis Armstrong est bien foncé de peau, Urby – issu de l'union improbable d'un Français blanc de passage et d'une prostituée « quarteronne » (ayant, selon les appellations de l'époque, seulement un quart de « sang noir ») – est considéré comme « octavon », et a la peau suffisamment claire pour se faire facilement passer pour un blanc…
    Ainsi, dès l'introduction, un premier aspect très prenant du livre est esquissé : on découvre l'habileté de l'auteur à créer des personnages fictifs aux côtés de personnages réels. On notera Louis Armstrong, plus tard ce seront De Gaulle ou le ministre Paul Reynaud et sa jeune maîtresse Hélène de Portes. Mais alors, le tour de force de l'auteur est que ces personnages fictifs d'une part, et historiques bien réels d'autre part, ne sont pas seulement cités au gré du texte et des événements, mais ils interagissent réellement les uns avec les autres, avec un certain naturel qui leur donne une grande crédibilité. Ils sont ainsi (tous !) tellement bien ancrés dans cette relation de l'Histoire (oui, celle avec un grand H) qu'on finit par se demander, parmi les noms un peu moins connus, s'ils n'ont pas quand même existé, si on peut les trouver sur Google, et on se prend à les y chercher… sans succès pourtant (et pour cause !). Cet aspect-là du livre est donc une vraie réussite, dès les tout premiers chapitres, et ne se démentira pas par la suite.

    Malheureusement, cette habileté narrative autour des personnages ne suffit pas à faire un livre extraordinaire. Certains éléments sont plus difficiles à appréhender, et dès lors gâchent un peu le plaisir de la lecture. Je pense notamment à la temporalité de l'histoire : après le 1er chapitre précité, qui ressemble donc bien davantage à une introduction, on se retrouve dès le 2e chapitre à Paris, où Urby Brown vit désormais, non loin de chez son mentor Stanley Bontemps, clarinettiste noir américain également, qui l'avait pris sous son aile déjà à La Nouvelle-Orléans. L'auteur poursuit alors son récit, partant de début avril 1938 à Montmartre, mais avec un certain nombre de flashes-back quelque peu désordonnés, si bien que ça donne une impression générale de « fouillis » sur la suite des événements qui ont amené Urby et sa compagne à arriver à Paris… et en tout cas, maintenant que je suis au bout du livre, je suis incapable de me rappeler pourquoi et comment il est arrivé en France, si seulement c'est dit ?

    À la décharge de l'éditeur, il est bien mentionné sur le 4e de couverture que ce roman-ci (je cite) « retrouve certains des mêmes personnages » qui apparaissaient dans « Les enragés de Paris », roman précédent de l'auteur… et qui, effectivement, selon le résumé que l'on peut trouver sur les plateformes de lecteurs, raconte bien ce voyage d'Urby, de la Nouvelle-Orléans à Paris.
    Cela dit, je ne pense pas qu'il soit absolument indispensable d'avoir lu le roman précédent pour aborder celui-ci. Cependant, de façon indéniable, la lecture du précédent aurait éclairé certains détails qui semblent ici un peu confus, dès lors la compréhension globale des choses aurait été facilitée – hélas je m'en suis rendu compte trop tard, et je ne suis pas certaine d'avoir envie de lire cet autre livre.

    Je constate en effet que je n'ai ressenti aucun attachement pour les personnages. Ils manquent tous de cette profondeur qui aurait relevé leur côté « humain », tout simplement, et par ailleurs ils semblent même complètement écervelés par moments, ce qui est bien un peu irritant ! Cela dit, je me rends bien compte que je les considère avec le recul que peut avoir une femme blanche européenne de mon âge, qui a beaucoup lu sur cette fameuse 2e guerre mondiale, mais qui n'y était pas. Il faut donc réellement entrer dans la peau d'Urby, ses choix et décisions qui paraissent parfois irréfléchis à mes yeux, mais qui avaient sans doute du sens pour un personnage tel que lui, au milieu des horreurs nazies qui ne se sont dévoilées que petit à petit. C'est ce sentiment que semblent avoir eu pas mal de Français (et d'émigrés tels qu'Urby et sa compagne juive américaine Hannah) d'être « protégés » durant la drôle de guerre ou les premiers mois de l'Occupation à Paris : qui par un parent suffisamment proche du pouvoir nazi, qui par un jeu de relations plus ou moins mafieuses supposées écarter tout danger, et tous (ou presque) par l'assurance d'un Pétain…
    J'ajouterai à ça que l'aspect musique / jazz est beaucoup moins présent que ce à quoi je m'attendais. Certes, on sait qu'Urby et Hannah ont ouvert un club de jazz, l'ancêtre de nos boîtes de nuit, et plutôt bas de gamme. Mais on est davantage dans la comptabilité autour de ce club, le recrutement de (bons) musiciens, leur attitude au fil des événements… et finalement la musique même ne vibre que bien trop peu à mon goût !

    Ainsi, ce livre, dont l'épicentre est un club de jazz à Montmartre, aborde toute une série de sujets liés à la 2e guerre mondiale « de l'intérieur », vus par les yeux d'un étranger à Paris, mais suffisamment intégré pour être bien un peu représentatif : ce sont les combats de rue entre sympathisants communistes et paramilitaires pronazis ; c'est la silence assourdissant de la France ou de l'Angleterre face aux actions de Franco en Espagne ; c'est la terreur de l'exode massif vers le Sud lorsque l'armée allemande est aux portes de Paris, et ces Sukas qui bombardent femmes et enfants, dans ces interminables files de civils fuyant la capitale qu'ils craignent désormais plus que tout ; ce sont les premières déportations de Juifs « vers l'est », sous l'oeil impassible des gendarmes français...

    C'est aussi un autre sujet tout à fait méconnu, car on en parle très rarement quand on évoque 39-45, d'ailleurs ça reste sans doute assez marginal dans l'Histoire (à nouveau celle avec un grand H), mais ça n'en est pas moins déchirant : un certain nombre de Noirs américains (dont Urby et Stanley par exemple) qui vivaient en France se sont retrouvés dans une situation intenable en ce début de guerre. Ils semblaient alors encore plutôt bien acceptés en France (certains ayant été, comme Urby, médaillés de la 1re guerre, à laquelle il avait participé notamment dans la Légion), mais commençaient à trembler à l'idée de plus en plus tangible que les nazis ne seraient pas tendres envers « les Noirs », pas plus qu'avec « les Juifs », leur cible principale. Mais retourner aux États-Unis signifiait aussi, du moins pour ceux issus du Sud, retrouver un statut de sous-homme, à une époque marquée par les lois de ségrégation selon Jim Crow. Pour tous, c'était alors un véritable choix cornélien ! de la sorte, les pseudo-décisions et autres hésitations d'Urby vont le mener à un périple abracadabrantesque à travers la France – bien décidé à rentrer aux États-Unis, et pourtant pas tout à fait, et assez fou pour retourner dans Paris occupé avec sa compagne juive, par exemple !

    Quant à l'écriture, elle est généralement d'un niveau assez élevé, mais ne m'a paru ni fluide, ni tout à fait agréable : ce n'est pas une lecture facile pour le pur plaisir, et ce n'est pas seulement lié aux événements dramatiques qui y sont relatés. Oh ! l'auteur ne tombe à aucun moment dans le travers d'une plume dramatisante qui ferait pleurer dans les chaumières ; il est même plutôt sec et détaché (ce qui contribue sans aucun doute à la distance qui persiste entre les personnages et le lecteur).
    Mais certains choix de traduction et/ou éditoriaux, assortis d'une certaine incohérence de l'auteur notamment dans les dialogues, alourdissent très clairement le tout. En effet, je ne sais comment ça se présente en vo, mais j'imagine assez bien que l'auteur aura choisi une retranscription littérale de l'accent louisianais. Je ne sais si ça passe en anglais… Ce que je sais en revanche, c'est que ce genre de dialogues représentant une oralité particulière en vo, faisait déjà l'objet de débats lors de mes études en traduction : quand on traduit, on peut garder le même niveau de langage que le reste du livre, en reprécisant à chaque fois « avec l'accent untel » (ce qui peut devenir lassant) ; on peut, et c'est l'approche la plus lisible pour le lecteur francophone, jouer sur différents registres dans la langue-cible, mais à condition de maîtriser ces derniers et avec le risque de perdre la saveur de l'original ; enfin, on peut tenter une retranscription alors bien artificielle en pseudo-français, en assumant fautes et ellipses. C'est ce dernier choix qu'a fait la traductrice, à mon sens le plus désastreux, car ça rend les dialogues du premier chapitre, et ensuite avec Stanley à Paris, difficiles à comprendre et très désagréables à lire !

    Un exemple ? Stanley expliquant certaines choses à Urby : « Es le fils qu'j'aurais aimé avoir. Ai jamais eu l'temps pour tout c'truc d'la famille, cause ai la musique. Quand notre musique elle est en toi, elle t'consume corps et âme. Ai su qu't'avais la ‘zique en toi dès qu'j'tai entendu emboucher. » etc., etc. ; on n'a là qu'une infime partie de la tirade de Stanley, et ce n'est qu'un exemple parmi de nombreux autres dialogues, Stanley étant un personnage secondaire assez important. Ce genre de retranscription, proche d'une phonétique qui n'existe pas en français, est réellement pénible à lire !
    Mais alors, à côté de ça, le personnage même d'Urby, qui est quand même issu des bas-quartiers de la Nouvelle-Orléans, qui n'a jamais reçu de vraie éducation et dont le seul véritable don est lié à la clarinette, s'exprime dans un langage châtié, digne d'un jeune bourgeois qui aurait été dans les meilleures écoles – car tout le livre est écrit par Urby à la 1re personne du singulier ! Pire : sa façon de s'exprimer devient carrément artificielle dans les dialogues. Ici aussi un exemple (dans le même passage avec Stanley) : « Tu avais des raisons de te taire et je ne serais pas le musicien que je suis sans ce que le père Gohegan et toi m'avez enseigné. Je suis content d'avoir pu apprendre la vérité quand j'étais prêt à l'entendre. » Sérieusement ? Qui parle comme ça spontanément en français dans un dialogue avec un ami, qui en plus maîtrise beaucoup moins bien la langue ? C'est complètement incohérent dans la façon de traiter les personnages !

    Enfin, pour terminer côté déceptions : la partie finale du livre, quand Urby et Hannah sont finalement de retour aux États-Unis (ce qui n'est pas un grand spoil : on comprend dès le début qu'ils y arriveront tôt ou tard malgré toutes leurs tergiversations et autres aventures rocambolesques, mais en l'occurrence ils y arrivent vraiment tard !), aurait mérité un plus long développement, car c'est là que les personnages deviennent enfin « vrais » et touchants… mais c'est à peine esquissé à coup de quelques dialogues, et paf on passe à la parade finale aux côtés de Louis Armstrong réapparu, et de Sydney Bechet qui surgit tout à coup.

    Bref, ce livre avait, selon son résumé, un énorme potentiel, mais je reste un peu sur ma faim. La partie « jazzy » est trop peu présente à mon goût, avec des personnages qui laissent une impression de superficialité qui fait qu'on ne s'y attache jamais tout à fait, si ce n'est à la fin tout à coup bien trop courte. de même, la judaïté d'Hannah est assez peu exploitée, le seul personnage principal étant réellement Urby lui-même. Cependant, sa vision de la 2e guerre mondiale, lui le musicien de jazz noir américain vivant à Paris, est très intéressante et dévoile quelques aspects méconnus réellement touchants.





    Fanny de Marcel Pagnol,
    toujours aux éditions de Fallois, version poche de 2004. Une langue toujours aussi enchanteresse, mais j'ai moins accroché qu'à Marius: 16/20

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    Synopsis : II y a deux mois que Marius est parti, il n'a donné aucune nouvelle. Dans l'atmosphère lourde et pesante du Bar de la Marine, César est taciturne. Lorsque Fanny annonce qu'elle attend un enfant de Marius, Honorine, sa mère, est anéantie. Panisse, qui l'avait demandée en mariage, est aux anges : il accepte la jeune mère et son enfant.
    Le bébé est né. Un soir, quelque temps après le mariage, Marius réapparaît. Il est guéri de son désir d'évasion et veut reprendre son bien : Fanny et le bébé.


    Mon avis :
    Quelques jours et quelques livres après Marius, voici donc Fanny, qui se présente comme la suite directe du précédent, même si cette deuxième pièce a été écrite deux ans plus tard. Si on y retrouve avec bonheur toute la verve que j'avais tant appréciée dans le premier opus, ce numéro-ci ne présente plus à 100% le même ravissement qui m'avait saisie à la lecture de Marius.

    C'est que, peut-être, l'histoire même ne s'y prête plus. Malgré quelques passages qui font toujours bien rire, l'ensemble est, de façon générale, plus sombre, plus dramatique que ce à quoi on pouvait s'attendre après la lecture de Marius. Mais le plus gênant sans doute, pour la lectrice de ce début de XXIe siècle que je suis, c'est cette place que l'auteur assigne à la femme et qui est désormais au centre de l'intrigue. Certes, comme je disais déjà lors de ma lecture de Marius, on sait qu'on est au tout début des années 1930, l'émancipation de la femme est encore très loin, on n'y pense même pas encore, d'ailleurs elles ne pourront voter que 14 ans plus tard (et même en 1948, en Belgique !). On sait qu'il s'agit d'un classique de la littérature française, qui a presque 100 ans, et on le prend comme tel, autant que possible.
    Il n'empêche : tout tourne désormais autour de ça ! La pauvre Fanny est à la limite du déshonneur car elle a eu un amant hors mariage – ce qui était alors « normal » pour un jeune homme, est source de condamnation pour une jeune femme. Et, pire, elle attend de lui un enfant, alors qu'il vogue sur les mers lointaines ! Il faut donc « la caser »… et revoilà notre (veuf) maître Panisse, avec son argent, sa réussite et son envie d'avoir –enfin- un héritier, prêt à ce sacrifice bienveillant d'accueillir celle qui serait autrement une fille-mère, car c'est aussi dans son intérêt – cela nonobstant le fait que Panisse a effectivement un bien beau rôle dans cette pièce ! Probablement l'un de mes personnages préférés…

    Ainsi, on a beau savoir que c'est daté, on a beau vouloir se plonger dans l'ambiance de l'époque sans jugement, la pilule a quand même du mal à passer. On a envie d'aller secouer Honorine qui en fait des tonnes à propos de sa fille, et on déteste tout à coup la lâcheté de Marius qui ne daigne même pas écrire à Fanny dont il se prétend, pourtant, encore amoureux, et à peine à son père… Même Fanny, dans l'histoire, a un rôle presque effacé, de pauvre petite chose qui a certes du caractère, mais une fenêtre de choix tellement réduite qu'elle en bien un peu est écrasée, et se conforme très (trop) rapidement à son sort, malgré un sursaut d'honnêteté qui n'était pas forcément prévu…

    Bref, si l'histoire est désormais attendue et davantage ancienne dans son contexte patriarcal, que juste désuète, et dès lors déçoit bien un peu, il n'en reste pas moins que l'on y retrouve toute la saveur, toute la maîtrise tant de la langue que des dialogues, toute l'analyse fine des relations entre les personnes, avec toute la gouaille marseillaise qui avaient fait tout le succès de Marius déjà ! Et malgré le petit bémol que j'ai ressenti cette fois, une telle lecture est toujours un très grand plaisir !… Il me reste désormais à lire la suite, qui sera un véritable bond dans le temps semble-t-il, je pense que je ne vais pas tarder à m'y lancer !





    Tes notes pourpres d'Angel Arekin,
    publié aux éditions Black Ink en 2020, lu en version ebook. Une déception malgré la musique: 9/20.

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    Synopsis : Depuis sa plus tendre enfance, Souline est bercée par le son du violon.
    Lorsqu’à l’adolescence, Evi l’entend jouer pour la toute première fois, il en tombe éperdument amoureux. Leur amour naît à Fersac, cette obscure école où règnent la terreur et la honte.
    Pour la sauver, Evi se sacrifie et la laisse partir. Ils se sont juré de se retrouver une fois dehors. Mais aucun d’eux ne peut tenir cette promesse.
    Quinze ans plus tard, Souline est devenue une grande violoniste. Alors qu’elle s’accorde quelques vacances sur les pentes enneigées des Pyrénées, elle tombe par hasard sur son premier amour. Foudroyée par ses souvenirs, elle cherche à tout prix à le revoir, mais Evi refuse. Loin de renoncer à lui, Souline tente de découvrir les secrets que cache la sombre cicatrice sur son visage et au-delà, les raisons pour lesquelles ils ne se sont jamais revus.
    Mais c’est sans compter l’entêtement incompréhensible d’Evi à chasser la jeune femme hors de son existence.
    Pourquoi tant d’obstination ?
    Parviendra-t-elle à le comprendre et à entrer de nouveau dans sa vie ?


    Mon avis :
    Ce livre m'a été imposé dans le cadre du challenge Les Pages de Belle, pour un bonus particulier ce mois-ci. Je suppose que je l'ai acquis lors d'une promo Kindle ; je ne connaissais pas l'autrice, mais j'ai un a priori favorable pour les éditions Black Ink, que j'ai découvertes lors de ma « période romances », car la plupart de leurs publications m'ont alors bien plu.
    Mais cette fois, quelle déception !
    Déception qui, une fois de plus, va à l'encontre des notes dithyrambiques qu'a récoltées ce livre… Il faut dire aussi que, en lisant en diagonale les différents commentaires, ces notes ont été données par un public conquis d'avance (la plupart semblaient déjà connaître l'autrice, quelques autres parlent de SP de la part de la maison d'édition), ce qui fausse peut-être un peu les choses… ou bien est-ce moi qui cherche à me donner « bonne conscience » à l'avance, pour un avis qui va clairement à contre-sens ?

    Bref, ça commençait (très) mal : je trouve cette couverture horrible ! Certes, le modèle est plutôt mignon (et pour cause : sinon il ne serait pas mannequin !) ; certes, dans le livre le protagoniste masculin fume comme un pompier… mais était-ce obligatoire de faire une couverture avec une cigarette au bec ? Même si ça colle (au moins en partie) avec l'histoire, ce genre de couverture (comme je l'avais déjà dénoncé pour un tout autre livre, Les gens heureux lisent et boivent du café)
    <image>, à mes yeux c'est tout simplement obscène.
    Ensuite, les prénoms… Nathanaël Evirt est appelé affectueusement « Evi » par son amie d'enfance, et c'est au point qu'on ne parle quasi jamais de lui que sous ce surnom. Sauf que, Evy (oui, avec un i grec alors, mais ça se prononce exactement pareil), c'est le prénom –féminin- d'une de mes meilleures amies ou de la fille d'une de mes anciennes collègues. Dès lors, dans ma tête, il y a comme une impossibilité à associer cet « Evi » à un homme viril et séduisant, je vois aussitôt mon amie ou la petite de ma collègue ! Quant à Souline… J'adore le prénom Soline (oui, oui, avec juste un o), mais la déviation en « ou » me fait penser à une copine d'origine tchèque de ma fille, qui à chaque retour de Tchéquie (quand elle va voir sa famille), ne sait plus prononcer correctement le français et ma Lucile devient alors « Loucile », ce que je n'aime pas du tout ! Bref, vous l'avez compris : ces deux remarques sont strictement personnelles et n'ont rien à voir avec la qualité (ou pas) du livre même… mais voilà, c'était un blocage pour moi dès le tout début, ce qui n'a sans doute pas facilité mon approche du roman.

    Passons alors à l'intrigue… Je ne vais évidemment pas dévoiler les choses, mais disons que le point de départ est une histoire d'amour aussi profonde qu'impossible entre deux ados, l'une violoniste déjà extrêmement douée, l'autre pianiste moins doué mais instinctif. le truc, c'est que ces deux ados sont pensionnaires d'une école catholique dirigée par un véritable sadique, partisan des châtiments corporels dégradants et/ou humiliants sous motif « d'éducation » ; en outre, l'autrice place cette histoire initiale dans les années 1990, époque où, selon elle, on n'écoutait pas les enfants…
    Sauf que… son institution catholique est un ramassis de clichés mettant en scène une bande de prêtres pédophiles en association, avec quelques complices parmi leur personnel laïc (dont une infirmière ou un jardinier) ; bon, ce n'est peut-être pas impossible, mais c'est décrit de telle sorte qu'on se sent transporté dans un (mauvais) remake du célèbre film « Les choristes » - qui, quant à lui, a lieu bien avant les années 1990 ! D'ailleurs, le nom de la fameuse Souline, comme par hasard, c'est Moranger. Souline Moranger, violoniste de génie… Pierre Morhange, à la voix d'or, qui dans le film devient chef d'orchestre : ça ne vous rappelle rien ? Quelle proximité étonnante dans les noms ! Hasard ?...

    Par ailleurs, il suffit de se renseigner un peu sur l'évolution des moeurs, en matière de parole des enfants notamment, et on peut voir que, contrairement à ce que l'autrice assène ici, la voix des enfants a commencé à compter dès les années 1980 ! (voir le très bon article ici : https://www.santementale.fr/2015/04/evo … -histoire/) . Ainsi, même si certaines institutions catholiques ont eu encore quelques « belles heures » (de violence et autres abus sur mineurs) dans les années 1990, ici on nous explique quand même que Souline a été retirée de cet enfer par sa mère à qui elle aurait tout à coup raconté son vécu horrible… et ça en serait resté là ? Bon sang, moi aussi j'ai été ado (à la fin des années 1980), et ma maman aurait remué ciel et terre pour obtenir réparation, si j'avais vécu telle expérience ! mais ici, rien de rien, on se contente de retirer sa fille, et les autres (ses copains depuis plusieurs années, et son amour soi-disant éternel) n'ont qu'à crever ? Mon coeur de mère ne parvient pas à y croire, et je suis outrée par ce silence presque aussi terrifiant que la malveillance mise en scène de ces prêtres bien éloignés d'un quelconque esprit chrétien…

    À part ça, la première moitié du livre m'a paru tout simplement interminable ! C'est long et ça n'en finit pas… Souline a donc bien quitté l'enfer de ce pensionnat de Fersac (nom inventé – il existe bien un village nommé Fersac… mais en Bretagne ! or ici on est dans les Pyrénées), et revient dans la région 15 ans plus tard (précisément à Saint-Lary-Soulan) pour des vacances d'hiver avec quelques amies. Elle retrouve « Evi » et retombe amoureuse comme au premier jour – alors qu'elle est en couple avec un autre, sans passion certes, mais elle a fait sa vie et ne s'est jamais plus occupée de son passé, comme dit plus haut, elle ne connaît pas l'homme que cet « Evi » est devenu, et tout à coup c'est la passion retrouvée ? Sérieusement ? Bien entendu, « Evi » la rejette, pour des raisons qu'on ne comprend pas à ce stade, mais elle ne veut rien entendre. Pire : elle retourne l'été suivant à Saint-Lary, cette fois pour donner des cours de musique lors d'un stage renommé, et dans le but très clair de continuer de « poursuivre » son amour d'enfance. de nos jours, on appelle ça du harcèlement, pas de l'amour… On est à 31% du livre (presque le tiers !) quand elle finit par admettre qu'il ne veut pas d'elle, mais elle continue dans son entêtement, en souvenir de cet amour d'enfance qui aurait tout transcendé. Comble de l'incohérence : elle affirme à un moment donné que c'est l'homme qu'il est devenu qu'elle aime, même si elle ne le connaît pas vraiment, et pas l'ado qu'il a été… ou bien j'ai raté un épisode ? Il est vrai que, comme je m'ennuyais tant, j'ai sans doute sauté l'un ou l'autre paragraphe !

    Ainsi, on est à plus de 50% du roman quand les choses bougent enfin, qu'on commence à comprendre pourquoi « Evi » a voulu à ce point éloigner Souline de sa vie - indépendamment du fait que 15 ans étaient passés et que tous deux avaient largement passé l'âge de leurs amours adolescentes, aussi fortes et touchantes qu'elles aient été ! On poursuit donc une intrigue un peu plus « vivante » avec une Souline constamment gentille, réfléchie, cherchant des solutions à tout et n'importe quoi, un archétype de la femme parfaite – car en plus, bien sûr, elle est jolie, bien formée, et juste assez fragile pour qu'un homme soit touché ; tandis que « Evi » se révèle de plus en plus torturé, à la limite de la folie ou d'un certain pathétique.
    Là, en tout cas, je peux retrouver ce que disait la lectrice qui m'a imposé ce livre en parlant de l'autrice, je la cite : « elle a une façon de créer des personnages complètement torturés, d'exprimer les émotions… ». En effet, « Evi » est complètement torturé, à la limite de la folie comme je disais, sa seule soupape étant qu'il en a encore une vague conscience… et la personne même de Souline – car tout à coup il admet qu'il est lui aussi amoureux de la femme qu'elle est devenue… Et c'est vrai aussi que les émotions exprimées sont fortes, malgré de nombreuses redondances et la longueur que j'ai relevée plus haut.

    Pour moi, les émotions ont réellement surgi quand il s'agit de musique. Certes, ce livre n'est pas un traité sur le violon ou sur la musique classique, mais c'est quand même toute la vie de Souline… et l'autrice en parle avec brio ; on baigne dans cette musique, même si elle est relativement peu présente, mais elle imprègne tellement le livre d'émotions diverses et variées, toujours fortes, qu'elle paraît omniprésente. Dans ces moments-là, je me suis laissé prendre par une plume effectivement bouleversante et renversante, et c'est aussi la seule raison pour laquelle je mets une note pas tout à fait dramatique à ce livre. J'aurais aimé apprécier cette belle plume à travers tout le livre, malheureusement, elle est diluée et se noie dans toute cette non-intrigue.
    À ce sujet, d'ailleurs, il faut noter que l'autrice parsème son texte de nombreux flashes back (toujours notés en italique pour bien les différencier) qui insistent sur l'amour des deux ados ou sur l'horreur de ce qu'ils ont vécue à Fersac. J'ai remarqué que, comme par hasard, ces passages de souvenirs de Fersac se passent systématiquement en hiver… comme si l'autrice avait eu besoin d'en rajouter avec un climat rude et froid !? Quand je parlais de redondances…

    Bref, je suis déçue de ne pas avoir réussi à accrocher à une histoire d'amour sombre mais forte, ancrée dans la souffrance mais aussi dans la musique, et qui aurait transcendé les années malgré le pire qu'on peut avoir en nous. Les personnages, trop lisse pour Souline, trop torturé pour « Evi », ne m'ont pas convaincue. Certes, l'autrice parle de musique avec brio et fait passer des émotions fortes et même bouleversantes, malheureusement sa plume si intéressante m'a paru étouffée dans une non-intrigue et trop de longueurs.




    Quand les vautours approchent de Miguel Miranda,
    publié aux éditions de l'Aube en 2012, lu en version GF. Un polar (portugais) complètement atypique: 15/20.

    <image>

    Synopsis : Mário França, un des meilleurs détectives du monde, vit à l'intérieur de ma tête" ou bien, "Je ne suis qu'un détective de troisième ordre qui délire" ? La vérité est plus complexe, comme toujours ! Dans ce premier polar d'une série passionnante, nous faisons la connaissance du portugais Mário França, un privé pas comme les autres, qui évolue dans la belle ville de Porto... ou sur les plages paradisiaques du Brésil. Les événements, les personnages et les solutions viennent à lui avec une facilité déroutante, comme par enchantement, et nous laissent presque vexés de ne pas être à sa place. Mais rira bien qui rira la dernière !

    Mon avis :
    Quand on cherche « polar portugais » au hasard sur Google, on tombe assez vite sur cet auteur apparemment prolifique, mais peu traduit en français. D'ailleurs, le présent titre, que les éditions de l'Aube présentent comme « la première enquête de Mário França », est effectivement son premier livre qui ait été traduit en français, mais dans la série mettant en scène ce fameux détective, il n'est en fait que le 2e chronologiquement parmi les traductions : L'étrange affaire du cadavre souriant, par exemple, le premier en réalité, a été publié en 1998 au Portugal, mais traduit seulement en 2014 – tandis que les présents Vautours, publiés quant à eux 6 ans plus tard au Portugal (en 2004), avaient été traduits dès 2011 en langue française… Et avec ça, une chronologie exacte des aventures de Mário França semble introuvable en ligne, que ce soit en français ou en portugais, tandis que seuls quatre titres (les quatre liés à notre détective) ont bel et bien été traduits, dans l'ordre pour les deux suivants.

    Quoi qu'il en soit, je pense que ces livres peuvent se lire indépendamment les uns des autres ; en tout cas, cette prétendue « première enquête » met en scène le détective de façon à ce que le lecteur ait l'impression de le découvrir – ou alors il est particulièrement redondant… oui, il l'est ! – avec en plus un excès de détails, qui manquent parfois dans certaines traductions, mais qui ici frisent l'inutile. Par exemple, dès qu'un nom portugais apparaît, le traducteur s'est cru obligé de mettre en note de bas de page comment le prononcer… Alors, pour moi qui ai quelques notions de portugais (j'ai suivi quelques cours dans une autre vie, c'est vite devenu du « portugnol », mais disons que je sais comment prononcer la langue de façon générale), c'est rédhibitoire, tandis que le lecteur francophone lambda s'en fout un peu, non ? du moment qu'il s'y retrouve dans les (très nombreux) différents personnages, ce qui est tout de suite moins aisé, quoi qu'il en soit de la prononciation respectueuse de l'original…

    À part ça, je me rends compte que je retarde le moment d'expliquer la perplexité dans laquelle me laisse ce livre… D'enquête, on n'a qu'une parodie au 36e degré au moins, ce que certains appellent de l'humour peut-être, mais tellement éloigné de l'humour qui me touche vraiment, que je ne sais qu'en penser ! Pour sûr, ce n'est pas de l'humour qui fait travailler les zygomatiques, je ne pense pas avoir ri une seule fois. On est bien davantage dans une longue et éternelle digression sur tout et sur rien, dans un langage parfois presque poétique, parfois engagé, parfois au contraire très léger. L'aspect polar se perd dans cette rêverie souvent languide, il ne faut certainement pas attendre du suspense de cette « enquête » ! et si on se demande parfois ce qu'il en est de l'avancée de Mário dans ladite enquête, il ne faut pas trop s'attendre à la suivre à la façon d'un policier classique. Pour le dire autrement : je ne qualifierais pas une telle lecture de plaisante, d'ailleurs j'ai lu ce livre en parallèle à quelques autres, et ce n'était jamais celui qui m'emballait le plus… Pourtant, il y a quelque chose qui accroche, on a envie de savoir, mais quoi exactement ?... Ou peut-être s'est-on habitué à suivre les divagations (certes tellement sensées, parfois), mais alors à petites doses, de ce protagoniste qui n'est jamais attachant et dont la fatuité agace, tandis que son côté atypique intrigue.

    C'est un protagoniste tout à fait hors normes, il faut bien le dire ! Mário França est un détective privé qui se prétend tout à la fois quelconque et passe-partout dans tant et tant de situations, mais en même temps il aime se mettre en avant-plan et s'auto-déclare « meilleur détective au monde » ! On l'imagine insignifiant, voire frêle et sans envergure, mais il est souple et agile au point de mettre ko trois « gorilles » en trois coups de cuiller à pot. Il déborde de super-pouvoirs, que l'on peut certes rencontrer chez l'un ou l'autre individu – il est un « nez » et reconnaît n'importe quel parfum ; il peut reconnaître les différentes races de chiens qui donnent un concert d'aboiements ; il est spécialiste de l'interprétation du langage non-verbal ; etc., etc. Mais donc, il en rassemble un tel nombre qu'on arrête très vite d'en faire la liste, en fait il tient du super-héros de légende avec tous ces super-pouvoirs rassemblés en un seul homme, qui vont lui permettre de résoudre une double affaire sans qu'il y ait vraiment d'enquête, à proprement parler.

    En fait, l'histoire commence comme un polar sans grande surprise : Paula Dagostine, une peintre d'origine croate, a disparu, et son riche amant du moment engage Mário França pour la retrouver. Parallèlement à ça, lors d'une réunion publique du « Conseil des sages », groupe rassemblant différents universitaires de haut niveau, leur président meurt empoisonné en buvant un vieux porto qui avait été servi à tous (et tous les autres se portent bien!). Comme Mário était présent à cette réunion, et avec la conviction qu'il y a un lien entre les deux affaires, il se sent investi de la mission de découvrir le meurtrier. Partant de cette double affaire somme toute assez classique, on s'éloigne très vite dans une longue digression surréaliste (comme j'expliquais plus haut), avec les trois acolytes plus bizarres les uns que les autres qui aident Mário dans ses pseudo-recherches (mais de quoi exactement ?), et souvent très sensuelles, voire érotiques… ou inspirées de « jeux » comme la corrida par exemple. Je ne sais pas trop comment ces lignes ont pu passer en 2011, mais dans le puritanisme exacerbé qui caractérise ces 2-3 dernières années, je doute que ce livre eût été aussi bien accepté.
    Parmi ces passages très ambigus (si l'on peut dire), je me plais à relever une certaine description de la ville de Porto, à la page 160, chapitre Vingt-trois (chaque chapitre étant titré d'un numéro écrit en toutes lettres) :

    « La nuit, de temps en temps, Porte se vêt de brouillard. Comme si la ville se parait d'une longue robe satinée ourlée des perles de verre et des paillettes scintillantes de l'éclairage public. Comme si elle était une courtisane languissante allongée, mielleuse, sur la berge du fleuve, s'offrant aux passants, les tentant par la vision furtive de ses parties les plus intimes, les formes généreuses de ses immeubles séparés par de voluptueux vallons où les yeux se perdent, la respiration haletante de son trafic, la pilosité publique de ses jardins suggérée au regard par quelques touffes plus sombres. »


    On est d'accord (n'est-ce pas ?) qu'un tel passage est à la limite du très choquant, plus encore quand on sait que tout le livre est émaillé de (très nombreuses) allusions aux formes du corps féminin, comme un leitmotiv obsessionnel de l'auteur, ou du moins de son personnage ; mais en même temps, ça a quelque chose de terriblement sensuel, de magnifique dirais-je même !

    Bref, je ne peux pas dire que j'aie passé un bon moment de lecture avec ce livre, qui reste assez peu plaisant à lire, si ce n'est à petite doses. Certes, c'est un polar, mais tellement atypique qu'on ne peut pas tout à fait le qualifier de « bon », ni même de prenant, et pourtant on ne peut pas le lâcher, tout en décidant très vite qu'on ne lira probablement pas un quelconque autre opus de la série. En quelque sorte, on est réellement envoûté ! Pourtant, la pseudo-enquête est émaillée (et même noyée sous) de multiples digressions, dont un certain nombre ont un caractère sensuel voire érotique puissant, à la limite du choquant parfois, et se résout de cette façon qui semble tout à coup sortir du chapeau alors que rien n'y préparait (ici encore moins qu'ailleurs, puisqu'il n'y avait pas de suspense, ni de réelle intrigue policière !). Mais alors, le twist final (beaucoup moins inattendu que la résolution de l'enquête à vrai dire, mais on en reste baba quand même !) laisse croire que cet auteur a bien quelque chose de génial !




    L'Outsider de Stephen King,
    publié chez Albin Michel en 2019, lu en version ebook. Une très bonne lecture: 17/20.

    <image>

    Synopsis : PARFOIS, LE MAL PREND LE VISAGE DU BIEN.
    Le corps martyrisé d'un garçon de onze ans est retrouvé dans le parc de Flint City. Témoins et empreintes digitales désignent aussitôt le coupable : Terry Maitland, l'un des habitants les plus respectés de la ville, entraîneur de l'équipe locale de baseball, professeur d'anglais, marié et père de deux fillettes. Et les résultats des analyses ADN ne laissent aucune place au doute.
    Pourtant, malgré l'évidence, Terry Maitland affirme qu'il est innocent.
    Et si c'était vrai ?


    Mon avis :
    Moi qui disais ne pas aimer Stephen King, après une expérience « traumatisante » (avec « Simetierre ») quand j'avais 15 ans, je suis assez bluffée par cette nouvelle rencontre avec la plume de l'auteur ! Pourquoi « L'Outsider » plutôt qu'un autre, dans la longue liste de ce qu'il a déjà écrit ? Tout simplement parce que j'ai prévu de lire… « Si ça saigne » dans le cadre d'au moins deux challenges ; mais j'ai découvert dans le résumé de ce livre-là que l'une des nouvelles qui le composent serait une suite de cet Outsider. Ainsi, il me semble logique de commencer par ce dernier, tant qu'à faire…
    Et pour boucler la boucle : je découvre, au moment d'écrire ceci et après avoir fini le livre, qu'il s'agirait en quelque sorte d'un spin-off de la trilogie mettant en scène le policier Bill Hodges (Mr Mercedes, Carnets noirs et Fin de ronde). En effet, il est question à plusieurs reprises de ce fameux Bill, ou plutôt de son souvenir, car dans l'Outsider on en parle comme d'un personnage marquant mais décédé entre-temps, et c'est son ex-associée (qu'on devine, même si ce n'est jamais dit, ex-amante) qui apparaît ici dans un rôle d'abord secondaire, puis très important !
    Résultat ? Stephen King me convainc plus que jamais, et je crois bien que je vais me lancer sans trop tarder (cette notion étant toute relative, vu la taille de ma PAL) dans cette trilogie « Bill Hodges » !

    Mais revenons à L'Outsider
    L'histoire commence comme un polar d'emblée très maîtrisé. On a d'une part les faits en direct, dans cette écriture « cinématographique mais pas trop » qui caractérise l'auteur (entre autres qualités) : il dit juste ce qu'il faut pour que le lecteur se fasse son film avec réalisme, mais sans jamais imposer tout à fait ses propres images – pour moi c'est du grand art ! – et, d'autre part, divers extraits de dépositions auprès des services de police, dans le cadre de l'affaire qui nous occupe.
    Le corps d'un jeune garçon de 11 ans a été retrouvé, affreusement mutilé et violé… tandis que de nombreuses empreintes et traces d'ADN, de même que les différentes dépositions, désignent (trop) facilement et quasi sans aucun doute le coupable de ce crime odieux : le très respecté et très connu Terry Maitland, entraîneur de l'équipe de football (américain, évidemment) des jeunes, et professeur d'anglais par ailleurs. L'équipe d'enquêteurs, soutenue et/ou poussée par un jeune procureur carriériste et imbu de lui-même, décide d'arrêter Terry en plein match, de le menotter devant la foule et sa famille, tant le crime commis est impardonnable. Les preuves scientifiques sont tellement évidentes que tous ont « oublié » un détail : l'éventuel alibi de Terry n'a pas été vérifié…

    Or, il s'avère que Terry a bel et bien un alibi, dont la fiabilité reste discutable dans un premier temps, mais suffisamment sérieux pour que le doute s'instille, d'autant plus que Terry maintient envers et contre tout, et notamment contre la haine grandissante de toute une communauté qui le vénérait la veille encore, qu'il est innocent.
    Et ainsi se pose la question a priori insoluble : comment un homme peut-il se trouver à deux endroits à la fois, à des centaines de km de distance ? Tandis que les enquêteurs patinent, la piste surnaturelle semble s'imposer peu à peu…

    Donner plus de détails serait déjà divulgâcher, mais disons que King parvient sans peine à accrocher complètement le lecteur, puis à le retourner violemment, avant de le balader, lui mettre le doute, le terroriser bien un peu aussi… On s'attache à Terry, car on veut croire à son alibi, on ne peut admettre qu'une telle figure de cette communauté, père de deux fillettes, soit un tel monstre… effet renforcé par le fait que le principal souteneur de la culpabilité de Terry restera, et presque jusqu'au bout, le fameux procureur, Bill Samuels, que King a réussi à rendre juste assez antipathique pour qu'on rejette ses idées !
    Cela dit, les vrais personnages principaux sont plutôt, en premier lieu, l'enquêteur en charge de l'affaire : Ralph Anderson, celui-là même qui a menotté Terry devant la foule, mais qui ne cesse de s'en vouloir de cette décision par la suite. Il est assisté au jour le jour par sa femme Jeannie, grande amatrice de romans policiers : à travers la sagacité qu'il prête à cette Jeannie, King semble adresser un très grand clin d'oeil à tous les passionnés du genre – sans oublier la référence bien sympathique à Harlan Coben (sont-ils donc amis ?) qui offre indirectement le fameux alibi à Terry, car c'est en allant à une conférence de ce célèbre auteur dans une ville éloignée que Terry peut tenter de prouver qu'il était bien "ailleurs" au moment du crime.
    À leurs côtés apparaît celle qui, à mon sens, est le pendant féminin de Ralph, et donc le second personnage principal : Holly Gibney, femme névrosée mais qui se soigne, c'est la fameuse ex-associée du fameux Bill Hodges qui fait la trilogie citée plus haut ; elle est engagée par l'avocat de la bande pour enquêter sur l'un des déplacements antérieurs de Terry… avec un tel succès qu'elle va être intégrée dans le groupe de ceux qui cherchent à rétablir l'innocence de Terry, et va prendre de plus en plus d'importance dans l'histoire. En effet, elle est la première à assumer complètement la possibilité de surnaturel dans l'histoire, et malgré son côté asocial mais plein de surprises, ne va cesser de tenter de convaincre les autres grâce à une analyse rigoureuse de faits.

    Aussi rigoureuse qu'elle soit, cette analyse se base entre autres sur de vieilles légendes mexicaines… même si on comprend bien vite que chaque culture a l'un ou l'autre monstre capable de faire ce mal insoutenable qu'a vécu la petite victime ; monstre qui sert à faire peur aux enfants le soir… et c'est même tellement réussi que, à partir d'un certain moment, je n'ai plus été capable de lire ce livre le soir, au risque de faire des cauchemars ! Certes, on n'est pas dans un récit horrifique, le plus horrible est sans aucun doute la description (que King nous sert au compte-gouttes) du crime initial contre ce gamin de 11 ans ! Mais justement, ce doute, ce mystère, cette impossibilité « d'autre chose » pourtant possible, ça pose tout à coup question et ça fait frémir, et même pire… Sans doute suis-je moi-même, tout simplement, sensible à cette possibilité de surnaturel ? à l'image d'une Holly (personnage que j'ai vraiment beaucoup apprécié), avec le sang-froid en moins…

    Tout ça pour dire : malgré une ambiance souvent pesante, toujours extrêmement bien rendue, on s'attache peu à peu à ces différents personnages, tous très typés et très humains (mention au passage au flic d'origine mexicaine, Yunel Sablo, qui n'a qu'un rôle assez secondaire mais un énorme capital de sympathie) … et pour moi c'est nouveau car, dans les (encore rares) livres de King que j'ai lus récemment, j'avais trouvé quelque froideur à son écriture et n'avais pas réussi à réellement m'attacher à ses personnages. Or, ici c'est tout le contraire ! On a vraiment l'impression d'être à leurs côtés, on vibre avec eux au fil de leurs découvertes et de leur acceptation du surnaturel, on est peiné par leur passé respectif, leurs erreurs plus ou moins récentes, et on a envie de les soutenir sur leur chemin de rédemption, car tous sans exception vivent quelque chose de cet ordre (en négatif pour certains !).

    C'est un livre qui se lit avec un plaisir mêlé d'angoisse, car l'enquête très policière, et finalement assez classique dans le genre malgré le contexte qui n'a, quant à lui, rien de « normal » pour un polar ; bref, l'enquête est très bien menée, cohérente de bout en bout, et très prenante pour le lecteur. La touche surnaturelle s'insinue tranquillement et parvient à marquer l'esprit des lecteurs en même temps que celui des enquêteurs, pour certains plus vite que pour d'autres, mais au final même les plus sceptiques vont adhérer à l'idée… peut-être par dépit face à toutes les autres possibilités qui sont autant d'impasses.
    Après les quelques passages qui m'ont réellement fait trembler, on peut dire que la fin est bien un peu « rapide », et pourrait même sembler bâclée pour les amateurs d'un fantastique plus marqué. Pour ma part, j'ai eu davantage l'impression qu'il servait de prétexte un peu extraordinaire pour énoncer ces notions de Bien et de Mal qui participent à l'infini de l'univers, et que nous portons tous en nous-mêmes par ailleurs… mais ça, c'est déjà de l'interprétation.
    Bref, c'est une très belle réussite, et je crois que désormais je lirai d'autres King (tant que ça ne dévie pas trop vers l'horreur) avec grand plaisir !

  • stephanius

    Lecteur professionnel

    Hors ligne

    #185 27 Février 2022 20:50:47

    Bonne semaine livresque à toi

    Si tu veux continuer à me suivre j'ai ouvert un nouveau suivi lecture
  • FloXy

    Empereur des pages

    Hors ligne

    #186 28 Février 2022 11:08:45

    Argh pourquoi t'as lu L'outsider avant la trilogie précédente ! :ohlecon:
    Cela va tellement te gâcher le plaisir de découvrir Holly petit à petit maintenant que tu sais comment ça finit. :pleur:

    Spoiler (Cliquez pour afficher)

    Parce que ce n'était pas gagné au départ, Holly apparait vraiment comme un personnage secondaire (pour ne pas dire tertiaire) dont on n'attend rien de spécial... L'auteur lui-même ne comptait pas lui faire prendre une telle place mais il s'en est entiché alors il a enchainé les histoires l'incluant.
    Par contre Bill n'est pas son amant, juste son ami et mentor. :chut:
    Au point où tu en es, je pense que je peux te le dire. :chaispas:
    Parce qu'il y a pire qu'entamer une lecture en s'étant spoilé, il y a entamer une lecture en ayant de fausses attentes. :euhnon:

  • stephanius

    Lecteur professionnel

    Hors ligne

    #187 07 Mars 2022 04:08:39

    bonne semaine de lecture
  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

    Hors ligne

    #188 07 Mars 2022 14:06:45

    Hello,

    Je ne voulais pas venir pour un seul livre après mon dernier (long) post, alors j'ai attendu d'en finir au moins un autre... mais les jours se suivent et ne se ressemblent pas! et j'ai terminé plusieurs autres livres en peu de jours... Ajoutez à ça que mon ordi habituel est vraisemblablement crashé (je vais l'amener sans tarder chez un réparateur), que je n'ai donc momentanément (ou définitivement :pleur:) plus accès à mes différents documents de suivi des challenges ou swaps auxquels je participe - heureusement que je poste régulièrement mes commentaires au moins sur Babelio, sinon j'aurais perdu ça aussi! :O En attendant, je pianote sur le portable du taf: beaucoup plus petit, pas de pavé numérique, et puis bon, je ne suis pas censée l'utiliser "pour le plaisir", d'autant plus que je suis en arrêt de travail depuis plusieurs semaines désormais... Mais je ne peux apparemment pas me passer de venir vous faire coucou ;) et depuis le téléphone c'est trop pénible!

    Bref, ce sont à nouveau 5 livres que je viens partager avec vous, sachant en plus que je viens de terminer à l'instant Nouvelle Babel... mais je ferai le commentaire plus tard!
    Mais je commence par répondre à la question:

    FloXy a écrit

    Argh pourquoi t'as lu L'outsider avant la trilogie précédente ! :ohlecon:
    Cela va tellement te gâcher le plaisir de découvrir Holly petit à petit maintenant que tu sais comment ça finit. :pleur:


    Eh bien, par pure ignorance... (ce qui me frustre quelque peu, je dois dire, car j'ai un côté psychorigide pour ça: même quand on prétend que tel ou tel livre d'une même série peut se lire indépendamment, moi j'ai besoin de lire "dans l'ordre"!)
    Il faudrait demander aux gestionnaires de la BBM de lier les livres d'une façon ou d'une autre, mais je ne suis pas assez connaisseuse pour m'y risquer à ce stade! Demander à ajouter L'Outsider comme un HS dans la série Off-Ret Hodges? (pourquoi "Hoff-Ret", d'ailleurs? pour moi c'est Bill, mais je n'ai pas encore lu...) Et puis on fait quoi de Si ça saigne, sachant qu'une des nouvelles est considérée comme la suite de L'Outsider, mais peut se lire indépendamment (tiens, tiens...), et que les autres n'ont rien à voir? Je t'avoue que, suivant la conception de la BBM, je ne vois pas trop de solution magique pour que d'autres lecteurs ne fassent pas cette même "erreur"... :chaispas:

    Ou alors il faut lire tous les King dans l'ordre de parution... et découvrir les éventuels personnages récurrents d'un livre à l'autre? D'autres auteurs jouent aussi ce jeu-là, je peux te faire un "exposé" ;) sur les protagonistes intercroisés dans les livres de Deon Meyer par exemple... et au final il faut lire tous ses livres pour faire le tour complet - ce que je n'ai pas encore fait, mais comme j'aime bien, j'envisage effectivement de le faire! à mon rythme bien lent, car j'ai plein d'autres lectures d'autres auteurs à intercaler...

    Et à part ça, pas de souci, je n'ai pas ressenti ton spoiler... comme un spoil ;) et à vrai dire je n'attendais rien de particulier, mais c'est vrai qu'on pouvait se poser des questions sur la relation entre Holly et Bill en ne lisant que L'Outsider.

    Tout ceci étant dit, passons donc maintenant à mes lectures récentes, la première datant de tout fin février, les quatre autres ont toutes été terminées en ce tout début de mois de mars:

    Le gourou des Terres Froides de Nicole Provence,
    publié chez Ravet-Anceau en 2007, lu en ebook - et j'avoue que, pour le coup, j'ai eu de la "chance": quelques jours après mon achat Kindle, il a disparu d'Amazon sous ce format, et n'est désormais plus disponible qu'en GF... et en occaze uniquement! Cela dit, ce n'est pas le polar du siècle (malgré son potentiel): 12/20.

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    Synopsis : Enfant, Graziella a vécu dans une secte avec sa mère où elle a été violée par le gourou jusqu'à l'âge de 14 ans, quand cette dernière est décédée. Profondément marquée, il a fallut tout l'amour de son grand-père et l'aide de nombreuses thérapies pour surmonter le choc et enfin se décider à parler. Aujourd'hui, l'ancien chef de la secte du Soleil Levant attend son procès derrière des barreaux mais la jeune fille a besoin de se venger. Et puisque le gourou est en prison, elle le touchera en plein coeur à travers son fils, un jeune peintre qui semble tout ignorer des atrocités perpétrées par son père.
    Parallèlement, un homme poursuit le même but qu'elle mais ses motivations sont plus obscures. On le surnomme « l'homme en gris » et il nourrit une haine farouche à l'égard du violeur des enfants de la secte.


    Mon avis :
    J'avais repéré ce livre car le challenge Apprends à connaître ton binôme #2 (challenge qui s'est terminé le jour même où j'ai terminé ce livre : ce 28 février... mais on a une petite marge pour encoder quelques dernières lectures, merci Julie27! ;) ) me demandait, parmi une série de consignes, de lire un livre ayant lieu dans la région de mon binôme. J'ai donc axé mes recherches du livre idéal sur le mot-clé polar (mon genre préféré) et la région Rhône-Alpes (vous avez compris pourquoi), et je suis tombée sur celui-ci.

    L'intrigue telle que présentée en résumé est intéressante et la région est magnifique, en plus j'aime beaucoup cette couverture avec un champ de tournesols, qui s'avèreront avoir une grande importance dans l'histoire ! Bref, tous les ingrédients semblaient rassemblés pour avoir un bon petit polar régional, emblème de la collection dans laquelle ce livre a été publié.
    Malheureusement, même si on tourne les pages avec intérêt, ce texte ne prend pas comme un "vrai" polar…

    Pour le dire très simplement : j'ai eu l'impression d'avoir entre les mains un texte tel que l'on pouvait trouver, dans les quelques ateliers d'écriture auxquels j'ai participé il y a plusieurs années, en début de processus. L'écriture est agréable, gentillette et polie dirais-je même, mais c'est bien dommage car il s'agit quand même d'un polar (en théorie). Or, de la sorte, ça semble plutôt plat, il n'y a aucune tension, si bien qu'on n'y croit pas vraiment. Mais surtout, on trouve tous les défauts que l'on pouvait reprocher dans ce type d'ateliers précités, avant le retravail tout au long d'une année.
    En premier lieu : les choses sont dites mais rarement « montrées », on ne les sent pas car rien n'est tout à fait suggéré, c'est juste l'autrice qui dit que tel ou tel personnage ressent ceci ou cela, mais on ne parvient pas à entrer dans leur peau, à ressentir nous aussi en tant que lecteur toute l'horreur de ce qu'ils ont vécue/ continuent de vivre.
    De façon très concrète, cela rend les personnages assez peu cohérents, et amoindrit, voire efface leur potentiel dramatique. Pour ne citer qu'un exemple : Graziella, qui a grandi dans une secte, qui s'est rendu compte à l'adolescence qu'en réalité elle a été violée à répétition depuis l'enfance, et qui a dû suivre une psychothérapie qui ne l'a probablement pas tout à fait guérie car de telles blessures ne se guérissent jamais tout à fait ; bref, cette jeune fille ourdit tout à coup un plan de vengeance hyper-structuré, parvient à le mettre en place avec une froideur terrible et sans aucun état d'âme, allant jusqu'à « se donner » à sa cible… et en chemin rencontre quelques personnages bien sympathiques qui sortent du chapeau de l'auteur pour tout à coup bien servir les intérêts de cette héroïne, et leur fait confiance au point d'aller passer quelques nuits chez l'un d'eux (ok un vieux retraité, mais quand même !), qu'elle ne connaissait pas le moins du monde quelques jours avant… Alors, déjà, moi qui me considère comme « équilibrée » (en tout cas je ne traîne aucune blessure d'enfance d'une telle gravité), jamais je ne ferais assez confiance à un inconnu, aussi sympathique qu'il semble au premier abord, pour aller tout à coup dormir chez lui, ainsi sur un coup de tête, quand je me sens tout à coup paumée… mais en plus, là on parle d'une jeune fille traumatisée, en plein processus de reconstruction !? Elle devrait au contraire être hyper-méfiante !

    On peut citer quelques autres maladresses. Par exemple, l'autrice prend résolument le point de vue d'un narrateur omniscient posé sur Graziella, mais à plus d'une reprise elle dévie tout à coup sur Marco (le protagoniste masculin, la fameuse « cible » de la jeune fille) le temps d'un paragraphe, pour revenir sans transition sur Graziella. Certes, rien ne l'oblige à rester attachée à un seul personnage, mais ici le procédé semble mal maîtrisé, si bien que ça paraît surtout un peu brouillon, et décrédibilise l'ensemble.
    Par ailleurs, l'autrice met en place quelques retournements de situations, mais avec des ficelles tellement « grosses » que, au moment où c'est sensé éclater, on rit juste (un peu jaune) d'avoir vu venir la chose des pages et des pages à l'avance – je parle ici de « l'homme en gris », un autre personnage récurrent, théoriquement assez mystérieux, sauf qu'on devine d'emblée de qui il s'agit, et même si quelques éléments çà et là tentent de semer le doute, son identité est quand même tellement évidente que le mystère qui l'entoure est tout à fait raté !
    Enfin, parmi les défauts récurrents, on soulignera les dialogues tellement travaillés qu'il ont perdu tout naturel : à plus d'un moment on se dit que personne ne parlerait réellement comme ça, à moins d'être érudit… et alors on a un paquet d'érudits dans ce livre !

    Ajoutons à ça une faute d'orthographe qui revient deux fois, rien de grave par rapport à ce que j'ai parfois vu ailleurs (y compris dans des livres à compte d'éditeur !), mais qui m'a choquée d'emblée, et plus encore lors de sa répétition : faire une pause, dans le sens de prendre un moment de repos, s'écrit donc bien avec « au », et pas comme (je cite) « Ils firent de fréquentes poses (sic), cueillant des petites gerbes d'orge aux longues moustaches brunes, … » ou « Ah oui ! Mélanie fait une pose (sic, sachant qu'on parle du service d'une infirmière à l'hôpital) dans un quart d'heure. Elle sait que vous venez. Patientez dans la salle d'attente ! » Il suffisait d'aller voir le site https://www.projet-voltaire.fr/regles-o … e-ou-pose/ , par exemple… et tant d'autres sans doute !

    Enfin, un dernier point à mon avis n'est pas favorable à l'intrigue : c'est l'accentuation trop agréable du contexte régional. Certes, on sait qu'on est dans un « polar en région », et cette histoire de tournesols (dont je ne vais rien dire de plus ici, car ce serait divulgâcher) est très intéressante dans le contexte. Malheureusement, ici aussi, c'est mal ou insuffisamment exploité. En fait, l'autrice aime clairement sa région et la met en valeur, et cet aspect-là est réussi « dans l'absolu » : on a envie de découvrir ces quelques villages, ces moulins, ces rivières etc. Sauf que, justement : l'autrice présente tout cela avec un regard idyllique et rêveur, alors qu'un polar, basé sur des faits aussi graves qu'un embrigadement dans une secte pratiquant le viol rituel d'enfants, aurait nécessité une vision beaucoup plus noire, voire angoissante de ce décor. Oh ! l'autrice évoque bien les mauvais souvenirs de Graziella quand elle se retrouve face à ces champs de tournesol, mais là encore : elle le décrit, et on n'y croit pas, car on entend surtout la beauté de ces champs, et on ne ressent pas un seul instant l'horreur qui devrait y être liée dans l'esprit de l'héroïne…

    Bref, au risque de me répéter : l'intrigue de ce livre est réellement intéressante, mais son traitement manque terriblement de cette tension que l'on attend d'un polar, tandis qu'on voit venir les rebondissements et même les retournements de situation à la grosse louche. Ainsi, cette vengeance d'une jeune fille autrefois victime d'une secte, dans un décor régional très accentué mais trop idyllique par rapport au contexte, mériterait un sérieux retravail dramatique, et déploierait alors tout son potentiel.





    Birmanie : La révolution de printemps de Frédéric Debomy,
    publié aux éditions Syllepse fin 2021, format carré (lire plus loin...). Pas tout à fait convaincant: 12/20.

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    N.B.: j'avais fait un "montage" pour présenter ce livre sur Insta, mais ça aussi j'ai perdu... du moins pour l'instant! D'habitude je ne fais pas ma pub vers Insta, mais si vous voulez le voir, c'est ici

    Synopsis : Birmanie, 1er février 2021. Après le coup d’État militaire, le mouvement de résistance prend forme : manifestations, auto-organisation, grève générale, solidarités, lutte armée…
    L’histoire récente de la Birmanie et de son mouvement de désobéissance civile contre la dictature militaire par un auteur impliqué dans le soutien à la lutte du peuple birman.


    Mon avis :
    Pour commencer, tous mes remerciements à Babelio et aux éditions Syllepse pour l'envoi de ce (tout petit) livre dans le cadre de l'opération Masse critique « non-fiction » de février dernier.
    Ce livre m'avait interpelée (parmi quelques autres que j'avais présélectionnés) à cause de son titre. C'est que je travaille pour l'une de ces institutions internationales présentes à Bruxelles, où le nom de pays "Birmanie" n'est plus utilisé depuis plusieurs années désormais, au profit de "Myanmar" ; dès lors, je voulais voir si ce livre présentait une quelconque explication à ce sujet. Mais j'y reviens…

    J'ai donc reçu ce (tout petit) livre il y a quelques jours, et j'ai aussitôt été interpelée par le format. C'est un (petit, désolée pour la répétition) carré de 15 cm sur 15 cm, et à peine un demi cm d'épaisseur. Mais il suffit d'ouvrir le livre et, dès la 1re page de gauche, les choses s'expliquent ! L'éditeur y présente sa collection « Coup pour coup ». Je ne vais pas vous recopier toute cette mini-page ici, mais en tout cas elle revendique une approche radicale aux questions majeures, et précise que (je cite) : « le format est carré, comme les idées qui s'y expriment. ». Quant au format très court, il est justifié juste après (je cite également) : « En moins de 100 pages, tout sera dit, comme un pavé dans la mare. »

    Et paf, aussitôt mon esprit me transporte au tout début des années 1990 et ma toute première visite, tellement marquante, lors d'un voyage scolaire en Allemagne, d'un ancien camp de concentration : Dachau… Je ne vais pas entrer dans les détails d'une visite aussi impactante, mais s'il y a bien une chose qui m'avait alors marquée : c'était l'église (évangélique) de la Réconciliation qui a été construite sur le site du camp de Dachau, entre autres par d'anciens détenus de ce camp. Parmi les caractéristiques de cette église, outre sa situation exceptionnelle et sa vocation oecuménique affichée, la guide n'avait pas manqué de souligne un trait architectural importantissime de cette construction : c'est « la volonté de prendre le contrepied du plan symétrique et rectangulaire de l'ancien camp de concentration » (cf. le site https://www.kz-gedenkstaette-dachau.de/ … ciliation/). En effet, il n'y a aucun angle droit dans cette église, comme l'explique aussi le site suivant : https://www.versoehnungskirche-dachau.d … francaise, et en particulier le paragraphe « L'angle droit », qui souligne justement l'absence de tels angles, car « La forme de l'église de réconciliation doit faire être à l'antipode de ces équipements rectangulaires [nazis] de la terreur. »

    Vous l'avez compris : cette visite de Dachau a laissé une empreinte indélébile sur la jeune adulte que j'étais alors, et en tout cas, depuis lors, je me méfie presque instinctivement de tout ce qui se veut un peu trop "à angle droit " un peu trop carré. Autant dire que l'approche proposée ici par l'éditeur pour sa collection « Coup pour coup », avant de lire la moindre ligne du livre même, m'a profondément dérangée… Toutefois, je précise aussi, au cas où mon propos prêterait à confusion : loin de moi l'idée de considérer Syllepse comme ayant une approche qui s'apparenterait à une quelconque idéologie d'extrême-droite !! C'est vraiment l'idée d'angle droit, cette approche revendiquée d'idées carrées, qui me heurte… à cause d'un souvenir extrêmement fort, vécu il y a plus de 30 ans, voilà tout (mais c'est beaucoup).

    Et voilà, ça fait déjà une bien longue introduction à mon commentaire, et je ne suis même pas encore entrée dans le vif du sujet, en l'occurrence le livre même ! Allons-y donc… mais restons un peu sur le format quand même. Je n'ai pu m'empêcher de me demander : quel public cette collection (et les auteurs qui y écrivent) vise-t-elle ? C'est que ce petit format (à peine plus large et plus court qu'un poche) ne laisse guère de choix : la police de caractère est petite, très petite même, pour mes vieux yeux d'astigmate et presbyte… Ainsi, toute corrigée que soit ma vue, une telle lecture devient très vite pénible car les caractères se mettent rapidement à "danser" sans me demander mon avis, m'obligeant à interrompre ma lecture jusqu'à un moment plus opportun, et je ne parle même pas des notes de bas de page, qui sont restées en grande partie indéchiffrables pour moi ! Pourtant, une fois n'est pas coutume dans un essai, ces notes étaient réellement intéressantes, car l'auteur ne se contentait pas d'y citer d'innombrables ouvrages qu'on ne consultera quand même pas, mais bien de préciser l'un ou l'autre point, en parlant par exemple de son expérience personnelle en Birmanie.
    Tout ça pour dire : des lecteurs plus âgés, ayant potentiellement une mauvaise vue (même corrigée) sont donc exclus de facto d'une appréhension complète et aisée d'un livre dans un tel format. Si c'est voulu, c'est incompréhensible et de toute façon regrettable ; si c'est un accident que l'éditeur n'avait pas prévu, il serait peut-être utile de réviser la chose – ne serait-ce qu'en ajoutant 1 ou 2 cm, ou en adoptant un format poche plus traditionnel, qui ne serait dès lors plus carré… mais on a compris que cela ne me dérange pas !

    Ce point de format étant mis sur le tapis, je m'attaque désormais au contenu. Et c'est un autre détail (mais en est-ce vraiment un ?) qui me dérange très vite : l'auteur ne propose aucune introduction historique de ce pays si peu connu par chez nous. Certes, le titre est très clair, il s'agit bel et bien de la révolution de printemps (2021) … mais peut-on expliquer une quelconque révolution sans puiser au moins un peu dans l'Histoire (celle avec un grand H) ? Certes aussi, puisque la collection « Coup pour coup » prétend tout dire en moins de 100 pages, il fallait respecter ce format et ne pas trop digresser – si expliquer un contexte historique est une digression… Cependant, le livre ne fait au total que 92 pages ; en outre, l'essentiel de la 1re page de texte est une présentation géographique de ce pays… ce qui laisse penser que l'auteur envisage que ce livre pourrait se trouver entre les mains de lecteurs qui, comme moi, ne connaissent que très peu de choses de ce pays ! Il y avait donc la place (8 pages !) et l'opportunité de développer un tout petit mieux, sachant en plus que le dernier tiers du livre est composé de trois annexes, dont une très longue, qui sont certes intéressantes, mais qui me semblent (et c'est un avis très personnel, comme tout le reste de ce commentaire) moins indispensable que ne l'eût été un éclairage contextuel plus complet, ce qui n'a donc pas été fait.
    Je ne demande pas qu'on me raconte les occupations successives de cette (grande !) bande de terre d'Extrême-Orient, mais je déplore d'avoir dû compléter cette lecture, dès les toute premières pages, par diverses recherches sur Wikipédia (entre autres), pour mieux cerner le sujet sous un éclairage un peu plus complet que le comptage des km carrés ou du nombre d'ethnies…

    Parmi les points que j'aurais voulu voir éclaircis, même dans une courte introduction, j'espérais que l'auteur expliquerait cette histoire de dénomination du pays, mais il n'en est rien. J'ai bien compris que ce n'est pas l'objet de ce livre ! mais moi je veux savoir, y compris pour ce commentaire. Je me suis donc tournée vers Wikipédia – ça vaut ce que ça vaut, mais, définitivement, c'est mieux que rien ! J'apprends ainsi que le nom de Birmanie a été d'usage depuis l'indépendance du pays en 1948, mais a été modifié en Myanmar en 1989 par les généraux au pouvoir, dénomination qui a été acceptée par certaines autres nations, mais continue d'être rejetée, pour des raisons politiques, par d'autres - dont la France. Ceci explique cela… mais à nouveau, ça me pose question, car moi je suis belge, or mon pays, ainsi que l'ONU ou les Institutions européennes par exemple, reconnaît officiellement le nom de Myanmar !
    Les choses sont d'autant plus complexes quand on découvre, si Wikipédia dit vrai, que Birmanie vient (je cite) « de "Bama", le nom de l'ethnie majoritaire birmane. » , tandis que Myanmar serait un terme « dont la première trace remonte au roi Kyanzittha en 1102 » et « "Myan Ma" signifierait le pays merveilleux créé par ces "esprits-habitants mythiques" ("Bya Ma"). Avec cette dénomination et l'usage du mot "Union", le caractère multi-ethnique de l'État est souligné. » - la dénomination complète du pays étant République de l'Union du Myanmar.
    Ainsi donc, si je résume : dans son idée de rejeter la dictature militaire des généraux depuis 1989, la France rejette une appellation qui englobe toutes les populations d'un pays multi-ethnique, et préfère continuer d'utiliser le nom qui désigne la seule ethnie dominante ?! Je ne suis absolument spécialiste en géopolitique internationale et ne me risquerais à me penser plus intelligente que les dirigeants – ou cet auteur – français qui ont fait ce choix ; il me semble néanmoins qu'il y a comme un petit problème logico-linguistique…

    Enfin, citons un dernier point qui me pose question… sans pour autant prétendre avoir les mêmes clés que l'auteur pour résoudre quoi que ce soit. Dans ce livre, on parle d'abord un peu, et puis de plus en plus des Rohingyas. Ce nom est (hélas !) bien connu dans les milieux humanitaires, on a même assez longtemps parlé de "crise oubliée", jusqu'à ce qu'elle revienne brutalement sur le devant de la scène en 2017, lorsque la junte au pouvoir a tout à coup commis diverses exactions contre cette population particulière, forçant à un exode massif dans la jungle et/ou vers les pays limitrophes qui, quant à eux, n'ont ouvert leurs frontières qu'au compte-gouttes, quand il les ont ouvertes… Et très vite, les médias occidentaux, tout comme ce livre, ont dénoncé un presque-génocide (ce terme étant actuellement controversé pour désigner ce drame humain) de la méchante et écrasante majorité bouddhiste, en partie extrémiste, contre les malheureux, pauvres Rohingyas, musulmans…
    Alors, bien entendu, RIEN ne justifie jamais les exactions telles que celles qui ont été perpétrées contre cette ethnie, je ne discuterai jamais cela ! Mais résumer cette grave crise à un antagonisme religieux est tristement simpliste, et dommage dans un livre qui se veut aussi développé que celui-ci, car le contexte est bien plus compliqué que ça… En effet, comme on peut s'y attendre, cette crise a des racines historiques, qui ne sont même pas mentionnées. Or, il n'aurait fallu que quelques lignes pour rappeler, comme le fait Wikipédia, que les Rohingyas, durant la colonisation britannique jusqu'en 1948, ont bénéficié de privilèges que les Anglais n'ont octroyés à aucune autre ethnie. « Diviser pour régner », un vieil adage que l'occupant anglais a bien mis en place… au point que, lors de la guerre d'indépendance de la Birmanie, les Rohingyas ont choisi de combattre aux côtés de l'occupant ! Choix infiniment malheureux, que les autres ethnies, et certainement pas la dominante, bouddhiste, ne leur ont jamais pardonné… Alors, à nouveau, cette explication historique ne justifie en rien les souffrances actuelles de ce peuple, mais donne un autre éclairage sur un problème qui semble présenté comme tout blanc d'un côté, et tout noir de l'autre.
    Cela dit, parmi les quelques points qui ressortent de ce livre, outre la position parfois ambiguë de la très célèbre leader Aung San Suu Kyi (prix Nobel de la Paix 1991) à propos de la situation de cette minorité, il semble que le putsch du 1er février 2021, qui a provoqué le très large mouvement de désobéissance civile, cette fameuse révolution de printemps au coeur de ce livre, aurait eu au moins un mérite : c'est que le problème des Rohingyas a été remis sur le devant de la scène et semble, pour la première fois peut-être depuis 1948, préoccuper le pouvoir (non militaire) du pays vers une solution humaine et respectueuse de tous…

    Tout cela étant dit, je suis confuse si tout ce qui précède paraît assez négatif… J'en oublie presque de dire que, malgré tous ces bémols cités plus haut, j'ai plutôt apprécié cette analyse pointue et éclairée d'une révolution méconnue dans nos pays. On sent, sans aucune hésitation, que l'auteur sait de quoi il parle, qu'il est impliqué émotionnellement, et qu'il ne s'en est pas moins sérieusement documenté, ce qui permet une présentation certes tranchée mais toujours éclairée. le langage est tout à fait abordable et permet une vaste compréhension des événements de ces dernières années en Birmanie (ou au Myanmar…). Je pense ainsi que ce livre est sans aucun doute un complément précieux pour tout qui s'intéresse à ce pays et à son évolution politique de ces toutes dernières années, mais comme je l'ai soulevé en long et en large, il faut absolument le compléter par son contexte (notamment historique)… à trouver dans d'autres livres ou médias, car ce livre-ci en fait complètement l'impasse, ce que je regrette, car quelques mots auraient suffi, sans dénaturer la volonté de l'éditeur de tout dire en moins de 100 pages.





    César de Marcel Pagnol,
    publié et réédité de nombreuses fois, lu dans la version poche proposée par de Fallois en 2004. Tout est bien qui finit bien! 17/20.

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    Synopsis : Panisse est mourant. Vingt ans ont passé depuis son mariage avec Fanny. Avant de s'éteindre, il confie à son ami Elzéar, le curé, une lettre à remettre à Fanny, après sa mort. Puis, il demande à Césariot, leur fils rappelé à son chevet, de veiller sur sa mère. Plus tard, pour respecter les dernières volontés de son mari, Fanny apprend à Césariot que Panisse n'était pas son vrai père et qu'il est en réalité le fils de Marius. Ce dernier travaille maintenant dans son garage, à Toulon, avec un associé, individu peu recommandable qui, pour plaisanter, fournit à Césariot de bien mauvais renseignements sur son père.
    Césariot met en garde Fanny quand il lui parle de Marius pour qui il éprouve, malgré tout, une sympathie grandissante. Lorsqu'il viendra voir son père, César, Marius trouvera les mots pour convaincre Fanny qu'il n'a jamais cessé de l'aimer.


    Mon avis :
    Et voilà, la trilogie est bouclée ! Comme ça avait déjà été le cas entre Marius et Fanny, j'ai lu plusieurs autres livres avant de me lancer dans celui-ci… mais en quelque sorte c'est moins gênant puisque, comme annoncé, on fait ici un véritable bond dans le temps !
    Césariot, le fils de Marius et de Fanny, adopté de fait par Honoré Panisse avec qui Fanny s'était mariée dans une certaine urgence, et ignorant tout de son géniteur, a désormais 20 ans. L'accident cardiaque, suivi du bref rétablissement et puis de la mort de Panisse, donnent lieu – à mon sens – aux passages les plus savoureux et, surtout, les plus émouvants de ce dernier opus, avec notamment une critique voilée sur l'Église, voilée mais pleine de tendresse pour ses représentants, dont le vieux curé Elzéar, nouveau personnage qui en plus n'apparaît que peu, ici, mais qu'on comprend très vite ami d'enfance de la bande des anciens, homme plein de bon sens et d'humanité comme on voudrait que les curés aient toujours été…

    Le reste du livre m'a semblé, de façon générale, plus « dispersé » - dans le sens où, contrairement aux précédents, on n'a plus d'unité de lieu (autrefois Marseille et surtout le bar de César, même si les personnages se déplaçaient aussi chez Panisse ou chez Honorine et Fanny – désormais on va aussi à Toulon ou à Cassis, par exemple), ni d'unité de temps (puisqu'on commence avec la mort de Panisse, 20 ans après les deux épisodes précédents, puis on passe encore deux ans, etc.). Ainsi, on glisse d'une scène à l'autre, d'un lieu à l'autre, en très peu de pages – le format total du livre restant concentré sur moins de 200 pages – mais tout à coup ça semblerait presque trop rapide, peut-être un peu décousu même.

    Avec ça, si on compare avec les deux pièces précédentes, je trouve qu'on « sent » ici que l'original du texte n'était plus destiné au théâtre, mais au cinéma, avec sans doute des effets variés etc. qui changent quelque peu la façon de concevoir une pièce. Rappelez-vous : pour Marius surtout, mais également (quoique de façon peut-être moins marquée) pour Fanny, j'avais eu le sentiment que les dialogues se suffisaient à eux-mêmes, à tel point que, moi qui n'aime pas (en général) lire une pièce car je préfère infiniment la voir jouée, je n'avais pas été gênée. Or, ici dans César, on a envie de voir la pièce ou le film ; certes, l'écriture est très largement visuelle, et dès lors suffisante pour que le lecteur voie son propre film se dérouler dans sa tête ! mais le pur enchantement que j'avais ressenti à la lecture de Marius n'est plus au rendez-vous.
    Le moment où un tel manque se fait particulièrement ressentir, c'est la scène de la rencontre entre Marius et Césariot, et plus encore celle où Marius se rend compte qu'il s'agit bien de son fils : dans aucune des deux je n'ai trouvé l'émotion que j'aurais espérée. Clairement, dans ces deux scènes essentielles de la pièce (outre le retour de Marius à Marseille, et ses retrouvailles avec les uns et les autres), c'est sans aucun doute le jeu des acteurs qui pouvait apporter toute cette part d'émotion, et qui l'a sans doute effectivement apportée… tandis que le texte seul ne suffit plus tout à fait.

    Du côté des bons points, il faut souligner que, même si quelques années seulement séparent l'écriture de cette pièce-ci des précédentes (du moins la version cinéma, car il a fallu encore 10 ans supplémentaires pour la présente version théâtre), on sent une réelle progression dans les moeurs, notamment en ce qui concerne le regard de la société sur la femme ! Ici, Fanny n'est plus une pauvre petite chose qui doit se marier vite fait pour éviter tout déshonneur. Certes, son fils continue de se soucier d'elle, de son veuvage et des dernières recommandations de Panisse à son sujet, avec cette attention toute masculine d'un fils de bonne famille qui se sent tout à coup responsable, mais Fanny quant à elle ose enfin se défendre, et même l'entourage de Césariot (dont César, justement) lui laisse entendre qu'elle est une femme capable de faire ses propres choix… et qu'elle l'était déjà à 18 ans ! C'est une évolution prometteuse, qui semble faire un pied-de-nez à la vision plus ancienne que certains défendent encore.

    Tout cela étant dit, je ne peux que répéter que la qualité du texte, avec cette grande maîtrise de la langue française, et des dialogues en particulier, que j'avais déjà relevée dans les deux opus précédent, ne se dément pas : cette lecture, même un peu plus décousue et avec parfois l'impression de "répétition" de ce qui avait marché dans les deux pièces précédentes, reste un très grand plaisir !





    Relic de Douglas Preston & Lincoln Child,
    publié aux éditions de L'Archipel en 2008, mais lu dans la version ebook de 2013. Un excellent thriller mâtiné de fantastique: 18/20

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    Synopsis : Une équipe d'archéologues massacrée en pleine jungle amazonienne...
    Les caisses contenant leurs découvertes acheminées au Muséum d'histoire naturelle de New York... et oubliées dans un sous-sol. Meurtres au Muséum d'histoire naturelle de New York. Quelques années plus tard, le musée annonce une exposition consacrée aux superstitions et croyances mystérieuses des peuples primitifs. Mais les préparatifs sont troublés par une série de crimes aussi sanglants qu'inexplicables.
    Le criminel : un homme ou une entité inconnue ? Une menace terrifiante hante les couloirs et les salles du Muséum, un meurtrier d'une force et d'une férocité inouïes. On parle même d'un monstre. De quoi éveiller la curiosité d'Aloysius Pendergast, du FBI, expert en crimes rituels...


    Mon avis :
    Ce livre se trouvait dans ma « PAL proche » depuis quelque temps déjà… Quésaco ? c'est-tout simplement cette pile quelque peu séparée de la « PAL générale », et qui rassemble les quelques livres que je souhaite lire à plus ou moins court terme. Cependant, ladite PAL générale ne cessant de s'amplifier, les livres mis en avant pour être lus dans un délai assez court finissent toujours par reculer ! Pourquoi l'ai-je quand même pris tout à coup ? parce que j'avais vraiment envie de le lire, pour une fois assez indépendamment des trop nombreux challenges auxquels je participe… (même si, on s'en doute, il complètera sans souci l'une ou l'autre consigne, ici ou là !)
    Un point précis, toutefois, me posait problème à l'avance : c'est que ce livre est censé être le premier tome d'une série mettant en scène l'agent spécial (du FBI) Aloysius Pendergast. Or, ce prénom rare qu'est Aloysius était le prénom de mon papa, décédé il y a un peu plus de 4 ans ; prénom tellement rare que je ne l'avais encore jamais rencontré en littérature, ni dans la vraie vie d'ailleurs (même si j'ai parfois croisé l'une ou l'autre personne portant le prénom d'Aloys ou Aloïs, diminutif que mon papa utilisait au quotidien), à tel point que j'appréhendais tout à coup de m'y trouver confrontée. Mais finalement pas de problème : Pendergast n'est jamais appelé autrement que par son nom (j'ai vérifié sur ma Kindle!), à croire que ce personnage n'a même pas de prénom ! La confrontation viendra plus tard, dans un tome ultérieur, si je poursuis la série, ce qui est fort possible…

    On a donc une histoire mêlant sciences, thriller avec une vraie enquête policière, et des éléments fantastiques qui vont prendre de plus en plus d'importance. Tout commence par une expédition scientifique du Museum d'histoire naturelle de New York, dont un scientifique obstiné à rechercher une tribu peut-être inexistante, quelque part en Amazonie. le chapitre s'arrête avec la probable disparition de ce scientifique resté seul dans la jungle, tandis que les caisses contenant divers échantillons de plantes qui avaient été prélevées, des objets ethniques variés, ses notes etc. sont envoyées vers New York, où elles arriveront après plusieurs détours, pour se retrouver enfermées, et plus ou moins oubliées, parmi des tas et des tas d'autres ressources à étudier par le Museum. Mais un jour, dans le cadre de l'organisation d'une super-exposition appelée « Superstition », ces caisses-là sont déménagées vers un endroit plus accessible, car l'une des statuettes sera une pièce-maîtresse dans l'exposition. C'est alors que commencent une série de meurtres inexplicables et d'une grande violence…

    La première chose qui m'a très vite frappée dans ce livre, c'est le soin que les auteurs mettent à rendre les personnages proches et attachants, même les plus « insignifiants », le temps d'une scène ! le scientifique qui se perd (ou pire) en Amazonie en est un premier exemple, mais ensuite il en va de même pour d'autres personnages qui n'ont pourtant qu'un rôle mineur, comme les deux premières petites victimes, que l'on suit pas à pas dans leur errance dans le Museum. Ainsi, même quand on comprend (très vite) qu'ils ne vont pas s'en sortir, on espère encore que ça n'ira pas jusque-là, car en quelques mots à peine, on s'est déjà attachés à eux, à leurs jeux innocents, et puis on comprend et on a tout à coup le coeur qui se noue…
    Cela dit, je tiens à le préciser d'emblée : ce livre ne verse jamais dans l'horreur ni dans le psychodrame, pas même de façon suggérée, et je tiens à le souligner car pour moi ça aurait été rédhibitoire. On a des faits, rien que des faits, les indices qu'on retrouve et les diverses avancées (ou pas) des quelques personnages qui vont assurer l'enquête ou graviter autour, mais en tout cas on ne se trouve jamais directement en présence du tueur - si ce n'est à la fin, où le livre prend un côté davantage « grand spectacle » et pourrait sans doute faire frémir, j'y reviens plus loin. Certes, des meurtres atroces ont lieu, mais ils sont à peine évoqués à la découverte d'un corps, avec quelques détails sanglants parfois, mais qui sont alors couverts d'un voile d'explications médico-légales, très pointues d'ailleurs (comme les meilleurs épisodes de la série des Experts… que je connais très peu à vrai dire, mais elle a cette réputation !), ce qui les rend tout à coup presque « acceptables ».

    Et bien sûr, si les auteurs partagent avec le lecteur quelques heures, quelques minutes presque intimes de ces quelques personnages (très) secondaires que l'on croise au fil de l'histoire, les personnages principaux sont traités, quant à eux, aux petits oignons ! On en sait assez peu sur leur physique – et, si c'est décrit, ce n'est en tout cas pas ce que j'ai retenu. En revanche, on les suit au jour le jour, dans leurs problèmes professionnels quotidiens, leurs espoirs, leurs doutes, leurs déboires et leurs mini-succès. Parmi eux, j'ai eu le sentiment que la véritable personnage principale est la jeune Margo Green, jeune chercheuse stagiaire en biologie, plus particulièrement dans le domaine des plantes, qui va se retrouver impliquée dans l'histoire à cause d'un mélange de curiosité scientifique et de gentillesse pas toujours opportune. On a aussi le lieutenant de police D'Agosta, qui paraît un peu rustre au premier abord, mais qui va se révéler bien intéressant tout au long de l'histoire, de même que le journaliste-écrivain Smithback, engagé par le Museum pour écrire un livre sur la fameuse exposition, mais sérieusement bridé par les responsables qui voudraient presque lui dicter ce qu'il peut écrire ou pas. Autour d'eux, on a toute une série de personnages secondaires récurrents, des bons et des moins sympathiques, des douteux et des carrément antipathiques qui jouent tous leur petit rôle dans cette intrigue qui se déroule, finalement, en vase assez clos – et les auteurs ne manquent pas de souligner, çà et là, d'une part la « guerre des polices » entre police locale de New York et FBI, ou les guerres d'influence au sein même du FBI par exemple, et d'autre part, les guéguerres de pouvoir, parfois très virulentes, entre scientifiques au sein du Museum, l'un cherchant à obtenir un poste plus important dans la hiérarchie complexe de cette institution, un autre cherchant plutôt à rester « les mains dans le cambouis » de la recherche sans devoir s'élever dans les arcanes trop administratives de la hiérarchie, ou un autre encore ayant perdu tout crédit, malgré un esprit considéré comme brillant, car il continue de défendre une hypothèse quelque peu farfelue que le reste de la communauté scientifique considère avec dédain…
    Face à tout ce petit monde extrêmement bien mis en place, chaque personnage étant bien typé et apparaissant comme particulier, facile à identifier parmi un assez grand nombre d'intervenants, Pendergast apparaît bien un peu comme un ovni. Originaire de la Louisiane, très (trop) au sud pour certain des New-Yorkais qui ne l'accueillent pas tous de gaité de coeur, il traîne un accent reconnaissable (et je remercie le traducteur de ne pas nous avoir infligé une pseudo-imitation dudit accent !), un flegme qui serait typique de sa région d'origine (pour les quelques livres que j'ai lus mettant en scène des « héros » venus de la même région, je veux bien y croire !), tandis qu'une capacité d'autoritarisme couve et ressort tout à coup brutalement par moments. Avec ça, les auteurs lui prêtent un look immédiatement reconnaissable, portant toujours un costume impeccable, ses cheveux blancs-blonds peignés vers l'arrière avec grand soin… sans oublier une immense culture qu'il débite par petites bribes dans les moments les plus inattendus.
    Cependant, comme je disais, à part sa relative excentricité, et son efficacité exceptionnelle que les auteurs suggèrent d'emblée, lui conférant aussitôt une évidente sympathie aux yeux du lecteur, il paraît bien un peu en retrait, ou à la périphérie de l'histoire. En tout cas, il me semble à vue d'oeil (mais je n'ai pas fait d'analyse statistique !) qu'il apparaît moins qu'un Smithback ou qu'un D'Agosta, et indéniablement beaucoup moins que Margo ; néanmoins, on sent qu'il joue un rôle d'importance, qu'on espère voir s'accentuer dans les prochains opus.

    À côté de cet énorme travail sur les personnages, on trouve aussi un grand souci de vraisemblance et d'accroche pour le lecteur, pour tout ce qui concerne le contexte dans lequel ils évoluent. On a réellement l'impression de se promener avec les protagonistes à travers les couloirs du Museum, dont toute une série de souterrains que personne ne semble connaître vraiment et dont les plans seraient inexistants, ou en tout cas disparus. Les aspects scientifiques des recherches menées par les protagonistes impliqués au Museum sont émaillés de détails techniques, par exemple dans le domaine de la recherche génétique des différents êtres vivants, ou bien de par l'usage de termes pointus sur telle ou telle spécialité scientifique, dont chaque lecteur a plus ou moins déjà entendu parler mais sans avoir jamais approfondi à moins d'être dans le domaine. Pour citer l'exemple qui m'a le plus « choquée » (quant à mes propres connaissances), c'est quand je suis tombée sur le mot « ichtyologie » - j'étais tout à la fois persuadée de connaître ce mot, mais très frustrée d'être incapable sur le coup de me rappeler ce que ça signifie exactement ! (pour ceux qui, comme moi à la lecture de Relic, auraient tout à coup un doute, c'est (je cite le Robert en ligne) la « partie de la zoologie qui traite des poissons. »). Tout cela donne un aspect réaliste et sérieux aux choses – bien entendu, je suis quant à moi bien incapable de dire si ces listes présentant les caractéristiques génétiques de tel ou tel échantillon étudié (par exemple) sont réellement plausibles, ou si c'est juste de la poudre aux yeux pour le lecteur lambda, mais je penche pour la 1re hypothèse, et dans tous les cas on peut dire que « ça en jette ».

    Enfin, l'intrigue même est le point qui paraît le moins travaillé – ce qui ne veut pas dire qu'il ne l'est pas, au contraire ! Ces quelques meurtres qui se suivent, le lien que Pendergast va faire avec d'autres plus anciens survenus en Louisiane justement, ont d'emblée un côté prenant qui va faire qu'on a envie de savoir ce qu'il en est… mais là, les auteurs prennent leur temps : on va de petit indice en petit indice, on est partagés entre la raison froide qui prévaudra longtemps chez Pendergast, et les questions que se posent d'autres (notamment Margo il me semble, mais je ne jurerais plus que ça ait été son instinct d'emblée) sur la possibilité de surnaturel, hypothèse favorisée par le contexte de cette fameuse exposition, « Superstition ». Au milieu de tout ça on a quelques chapitres qui s'attachent à la vie quotidienne de notre bande de chercheurs, à tel point qu'on ne sait pas trop ce que ça vient faire dans l'histoire, si ce n'est retarder un peu les choses ; on a aussi quelques fausses pistes auxquelles on a pourtant cru autant que Margo ou Smithback. Ainsi, si l'ensemble se tient sans aucun souci tout au long du livre, il présente quand même quelques longueurs, surtout dans la première moitié - rien de grave ! mais ce n'est qu'au fil de ma lecture que je me suis réellement trouvée emballée. Et peu à peu, on se rend compte que l'histoire va crescendo, les différentes pistes semblent se recouper au moins en partie, les choses s'accélèrent, et tout à coup, comme je mentionnais brièvement plus haut, on entre dans une écriture qui s'approche bien davantage d'un « grand spectacle », façon film catastrophe où tous les personnages sont en mauvaise posture et on se demande s'ils vont vraiment s'en sortir ; on sait que oui pour Pendergast, sinon il n'y aurait pas de série, mais on se pose réellement la question pour les autres ! et à ce moment-là, je n'avais pas été vérifier les synopsis des numéros suivants, pour voir si on retrouve ou pas l'un ou l'autre de ces personnages... Et j'avoue : quand le danger s'approche de l'un ou l'autre personnage que les auteurs avaient réussi à rendre particulièrement antipathique, on a tout à coup presque envie que ça se termine mal pour lui (ou elle) ! Quoi qu'il en soit, cette histoire devient terriblement visuelle : on voit réellement nos personnages dans des situations dramatiques (car en plus ils sont séparés, en groupes de tailles variées) et provoquant chez eux une panique intense – que j'aurais sans doute ressentie moi aussi si j'avais lu cela en soirée, mais j'ai eu la bonne idée de terminer ce livre, et donc de lire ces passages intensément palpitants, en journée, car tout à coup c'était devenu un véritable page-turner ! Sans divulgâcher, je peux dire toutefois qu'on est entrés à presque-100% dans le fantastico-catastrophique (il reste juste un peu de % pour souligner la bêtise de certains dirigeants policiers quand ils veulent garder le commandement en dépit de tout bon sens), sans oublier la toute fin qui, après un épilogue qui remet quelque peu les pendules à l'heure, nous sert un fameux cliffhanger pour le 2e tome de la série…

    Bref, je ne pourrais dire pourquoi un tel livre n'est pas tout à fait un coup de coeur, mais c'est comme ça, pourtant on n'en est pas loin, et on en a tous les ingrédients : des personnages travaillés aux petits oignons, que ce soient les protagonistes tels que la jeune chercheuse Margo, le véritable ovni qu'est l'agent spécial Pendergast, ou les personnages secondaires qui n'apparaissent que très brièvement ; un contexte extrêmement travaillé et rendu très réaliste jusque dans les détails scientifiques (cependant invérifiables pour moi) ; et une intrigue qui présente quelques petites longueurs au début, mais qui s'emballe en véritable page-turner très visuel dans un univers désormais très fantastique, jusqu'au cliffhanger final.





    Sacrées mémés de Jacky Goupil,
    autoédité en 2021, lu dans la version ebook. Très bon policier humoristique malgré un gros bémol (très personnel): 17/20

    <image>

    Synopsis : Un roman policier très drôle !
    Découvrez comment le célèbre commissaire Goupil rencontre l'étonnant Gédéon !
    Le préquel de 20000 balles pour mourir !
    Quand le dirlo m’envoie sur une affaire de dégradation de local poubelles, je me dis qu’il y a erreur de casting ! Moi, Stanislas Goupil, le super poulet élevé au grain, l’élite de la police, le fleuron de la crim’, on me colle sur une affaire aussi minable ? Ce n’est pas possible !
    Eh bien si ! Les peaux de banane et les pots cassés, c’est pour ma pomme !
    Heureusement, je ne suis pas solo à me taper cette corvée. Môssieur le directeur m’adjoint une nouvelle recrue de poids : l’inspecteur Gédéon, un quintal de muscles et de rigolade. À nous deux, on va affronter un gang de mémés et porter secours aux Men in Black. Ou l’inverse, tu verras.
    Ce que je te promets, c’est que ça va envoyer du lourd.
    Si tu n’as pas peur des coups de pompe, des coups de poing et des coups fourrés, embarque avec nous, tu ne le regretteras pas, c’est du 100 % Feel good polar !


    Mon avis :
    Voilà un (petit) roman policier, mais surtout un écrit complètement déjanté, composé d'une succession de calembours et autres jeux de mots, je me demande si une seule phrase est écrite d'une façon « normale » ! Plus d'une sont d'un niveau en-dessous de la ceinture, voire carrément scatologique, mais l'auteur manie tout cela avec un aplomb extraordinaire, sans jamais tomber dans la vulgarité (du moins c'est mon avis, mais le degré d'acceptation du vulgaire est sans doute variable d'une personne à l'autre) ; d'ailleurs il a prévenu le lecteur d'emblée, dès une espèce de prologue numéroté bien à propos « chapitre 0 ».
    Alors, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, il faut surtout lire ce livre au 86 ou 87e degré (ce qui doit correspondre à l'âge moyen de nos fameuses mémés), sinon ça risque de déplaire profondément, et c'est peu de le dire. Je n'ai pu m'empêcher de me demander : aurais-je autant apprécié si ce livre avait été plus long ?... La réponse se trouve peut-être dans une expérience similaire, faite il y a quelques mois, quand j'avais lu Le mystère Sherlock de J.M. Erre : on avait aussi un humour complètement décalé et omniprésent, avec le risque de devenir lassant – ce qui n'avait pas manqué, mais la recette avait été simple : il suffisait de le lire par petits morceaux, afin de ne pas trop frôler l'indigestion, et alors ça passait sans souci. Car, il faut bien le reconnaître : ça fait du bien de rire, et ici j'ai dû m'arrêter à plusieurs reprises pour une mini-crise de fou rire !

    La vraie différence avec le Sherlock précité, c'est que, ici, contrairement à Sherlock que je n'avais jamais lu, je maîtrisais (enfin, je crois) les codes des nombreuses références citées à tout-va dans l'histoire. Pour ne citer que quelques exemples : outre une allusion gentiment irrévérencieuse à un Honoré de Balzac ou un Victor Hugo, l'auteur nous offre au passage un réel hommage à Frédéric Dard – dont j'ai relativement peu lu, et pas récemment, mais j'ai gardé un souvenir plaisant des quelques aventures de San Antonio, découvertes autrefois ! et je ne parle pas de nombreuses allusions à la politique, à la télévision, à la bande dessinée, et j'en passe – le tout toujours accessible, à moins de vivre sur une autre planète. En outre, certaines phrases, toujours sous le couvert de cet humour dévastateur en rafales, posent de vraies questions qui font tout à coup réfléchir – c'est assez inattendu, et ça touche d'autant plus.
    Dans cet esprit, le seul truc qui m'a fait bisquer –évidemment !-, c'est l'inévitable blague belge « une fois » : était-ce vraiment nécessaire de s'en prendre, pour l'auteur, à ses voisins du nord ? J'étais complètement sous le charme, jusque-là, mais cette seule phrase a gâché une grande partie du plaisir ; ces attaques répétées de certains auteurs français envers leurs voisins (parfois ce sont les Suisses ou les Anglais qui en prennent pour leur grade), même sous le voile d'un humour qui par ailleurs me plaît beaucoup, ça agace profondément la Belge en moi.
    Eh oui ! on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui et, si j'ai trouvé tout à fait acceptable le niveau sous le slip qu'il instille (et qui ne m'a pas semblé vulgaire, juste très imagé !), l'auteur m'a déçue à cause d'une seule petite expression, en cédant à la facilité idiote d'une « blague belge ». Ou peut-être s'imagine que seuls les Français vont lire son délire à tenue policière ? C'est dommage, vu la publicité qu'il ne manque pas de faire autour de sa production, toujours avec cette touche d'humour qui dit « ne me prenez pas au sérieux, mais lisez mes livres quand même ! », car la langue française, même ainsi maniée, dépasse les seules frontières de l'Hexagone…

    Quant à l'intrigue, je ne vais pas développer un quelconque pseudo-résumé ici, le livre est tellement court qu'il n'en a même pas vraiment besoin. Sachez aussi qu'il se termine par une espèce de quizz qui prolonge le plaisir d'une telle lecture, ainsi qu'une invitation à converser avec… Goupil (le héros ou l’auteur ? Mystère…), et de quelques extraits du premier tome des aventures de ce fameux Goupil, le présent ouvrage étant en réalité un préquel.
    Mais donc : l'intrigue. J'ai envie de dire, rien de bien nouveau sous le soleil. L'histoire d'un gang de mémés qui parvient à mettre en déroute un gang de caïds, certes c'est original, mais c'est du déjà-vu – même si, là tout de suite, je ne retombe plus sur le ou les titre.s qui s'inspire.nt du même type de scénario. Ce n'est clairement pas le besoin de connaître les tenants et aboutissants de l'affaire qui tient en haleine dans cette pseudo-enquête, mais plutôt la manière dont elle va être menée : quand ces « sacrées mémés » vont intervenir, comment elles vont interagir avec les caïds et avec notre duo de flics, etc. – et ces aspects-là sont menés de main de maître !

    Je pense donc que je lirai le premier (vrai) tome mettant en scène le commissaire Goupil et son lieutenant Gédéon, avec plaisir, mais aussi avec l'espoir (j'espère pas vain) de ne pas y retrouver une quelconque « blague belge » qui m'irrite tant, et de ne pas me lasser trop vite de cet humour complètement barré qui anime la moindre phrase.

  • stephanius

    Lecteur professionnel

    Hors ligne

    #189 07 Mars 2022 17:07:36

    Dommage pour le gourou des terres froides il avait l'air intéressant.
    Bonne lecture et bon courage pour ton ordi
  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

    Hors ligne

    #190 10 Mars 2022 00:11:03

    Hello!

    Comme promis, je vais essayer d'être un peu plus régulière ici, et voici donc un seul livre pour ce soir... mais quel livre! C'est l'un de mes auteurs préférés, et le fait qu'il soit parfois controversé (on lui reproche par exemple une certaine mysoginie...) n'y change rien! Et aussi, c'est l'un de ces livres qui sort quelque peu de son genre habituel - il a pris un risque, les avis que j'ai lus ici et là sont parfois mitigés, mais pour moi c'est un coup de coeur... même si je n'ai mis "que" 19/20!

    Voici donc:

    Nouvelle Babel de Michel Bussi,
    publié il y a à peine un peu plus d'un mois aux Presses de la Cité, lu en GF.

    <image>



    Synopsis : "La méthode, calme et systématique, du tueur terrifia les trois enquêteurs. Qui était cet assassin progressant à visage découvert ? Déjà, leurs tabletas se connectaient aux bases de données planétaires de reconnaissance faciale. Plus personne ne pouvait rester anonyme dans le monde actuel. Dans quelques secondes, ils connaîtraient l'identité de ce monstre.
    La suite du film fut plus sidérante encore."
    2097. Sur une île privée paradisiaque inaccessible, de paisibles retraités sont assassinés...
    Trois policiers, un journaliste ambitieux et une institutrice nostalgique s'engagent dans une folle course contre la montre pour préserver l'équilibre d'un monde désormais sans frontières, où la technologie permet aux humains d'être à la fois ici et ailleurs.


    Mon avis :
    Qu'est-ce qu'il s'est fait attendre, ce livre ! Il est vrai que, un livre étant un objet commercial comme un autre (hélas ! ai-je envie de dire, mais ce n'est pas le sujet ici…), certains auteurs ont appris à « se vendre » sur les réseaux sociaux ; c'est le cas de quelques-uns que je suis avec une certaine assiduité, notamment Instagram qui a ce côté d'immédiateté, provocant même une certaine fièvre. Michel Bussi a su faire monter cette fièvre, sachant en plus que ce beau livre (car j'aime beaucoup la couverture !) a été disponible dans ma petite librairie de quartier, ici à Bruxelles, la veille de la date de sortie officielle. Je l'ai aussitôt acquis… et puis j'ai attendu un mois avant de le lire ?! Cherchez l'erreur… ;)

    Mais donc, vous l'avez compris : j'aime beaucoup cet auteur, je ne suis donc en rien objective et j'avoue sans aucune fausse honte que j'espérais une fois de plus tomber en amour avec l'une de ses histoires. Et je le dis de suite : c'est tout à fait réussi !
    Je dois quand même préciser, avant de me lancer plus avant : en réalité, j'ai très peu lu de sa production, mais il faut croire que ce peu a suffi à créer ma fan-titude ! Je peux signaler l'énorme coup de coeur qu'avait été mon premier Bussi, Le temps est assassin, déniché par hasard chez Belgique Loisirs à une époque où je ne lisais presque plus et ne partageais rien sur les réseaux, puis l'envoûtement du roman bien un peu étrange qu'est N'oublier jamais, ou le thème classique mais traité de main de maître dans Au soleil redouté, sans oublier un détour inattendu par La dernière licorne qui m'avait emballée (malgré une majorité, m'avait-il semblé, d'avis déçus d'autres lecteurs). Ajoutons à ça que mon fils, alors âgé de seulement 11 ans (mais déjà grand lecteur) avait adoré le tome 1 de N.E.O. (que je lui avais offert sans rien lui dire de mes propres goûts), et a dévoré le 2e tome dès sa sortie – en m'enjoignant de les lire moi aussi, ce que je n'ai toutefois pas encore fait. Tout cela suffisait pour que je ne tarde guère (même avec un petit mois de décalage) à me lancer dans cette « Nouvelle Babel » !

    Dans ce nouveau livre, Michel Bussi se joue à nouveau des codes et de son registre plus habituel (si tant est qu'on puisse relever un quelconque trait habituel dans ses livres), un peu à l'image d'une « Dernière licorne » (voir plus haut) qui avait surpris beaucoup de lecteurs – et ici c'est encore complètement différent. À mes yeux, ce livre-ci mélange (habilement) le thriller et la science-fiction, mais avec des accents de conte philosophique qui hurlent en arrière-fond… et il faut les écouter, car les amateurs de thrillers et/ou de SF pur.e.s risquent d'être fort déçus s'ils espéraient un ouvrage bien ancré dans leur genre favori.
    D'ailleurs, l'auteur le dit d'emblée sans le dire. Michel Bussi se base sur une réalité scientifique : la téléportation quantique de photons (c'est-à-dire des corpuscules qui n'ont pas de masse, ne sont même pas considérés comme de la matière !) a été réalisée en laboratoire depuis plusieurs années – dès 1997, selon l'auteur lui-même, ce qui semble se confirmer dans l'un ou l'autre article de vulgarisation consulté sur Internet - et continue d'être développée. Cependant, même si les sciences et les techniques avancent désormais à une vitesse ahurissante, on est très, très loin de pouvoir réaliser une quelconque téléportation de matière, et encore moins d'êtres vivants ! Ainsi, placer cette histoire, dans laquelle la téléportation serait devenue aussi naturelle que l'est aujourd'hui Internet pour les jeunes générations, à la fin de notre XXIe siècle, partant du principe qu'une Constitution mondiale serait entrée en vigueur dès 2058 (c'est-à-dire demain !), c'est nous dire implicitement que tout ceci ne se veut pas réaliste. On est bien davantage dans une histoire de l'ordre du : et si ?...

    Et si, grâce à cette téléportation devenue le seul et unique moyen de transport, mais alors très largement utilisé (malgré quelques accidents de tâtonnement les premières années), le monde était devenu unique ? Un seul peuple, une seule terre, une seule langue (l'espagnol !), une seule monnaie, et une seule heure (car les fuseaux horaires ont été abolis, indépendamment des notions de jour et de nuit) ; plus de frontières, plus de religions, plus d'états-nations… la Terre appartient à tous, seuls les espaces privés –en clair : la maison où l'on dort- sont inviolables. Et donc plus de guerres, plus que très peu de crimes, plus de danger écologique majeur pour la planète puisqu'on n'exploite plus aucune ressource énergétique. En un mot : une utopie où tout le monde est heureux, où tout le monde trouve sa place, où tout est plus ou moins harmonisé au point que la couleur de la peau des hommes tend à s'uniformiser petit à petit.
    Mais la question se pose très vite : une utopie est-elle vraiment un monde idéal ?

    Dans ce qui apparaît comme tel, une série de meurtres inexplicables sont commis sur une île paradisiaque où vivaient quelques retraités. En parallèle, une menace d'attentat fait évacuer à la seconde tout un stade de foot – dernier rempart de « compétition », où la notion d'états-nation a été maintenue entre deux équipes le temps d'un match à chaque fois (ah le foot !…) -, tandis que seule une institutrice un peu rêveuse et ingénue, ainsi qu'un journaliste carriériste, ne se sont pas immédiatement téléportés : bizarre ! Il n'en faut pas plus pour qu'une fine équipe du Bureau d'Investigation Criminelle de l'Organisation Mondiale des Déplacements (vous avez suivi ?) se mette sur la piste du tueur et des potentiels fauteurs de trouble. C'est le début d'une course effrénée d'un continent à l'autre, d'une seconde à l'autre, ce qui peut sembler vertigineux par moments – pour moi toutefois, cette impression que tout va très vite et d'être partout à la fois, faisait intégralement partie du plaisir de la lecture.

    Cela dit, on a beau être sur une seule Terre, les divers lieux de la planète ont gardé leurs anciennes appellations dans une espèce de souvenir commun – et sans doute, surtout, pour ne pas complètement perdre le lecteur, car le TPC (j'ai oublié, et n'ai pas noté, le nom complet qui est ici abrégé), ce bracelet que chacun reçoit à la naissance et qui permet de se téléporter partout, ne reconnaît que des données latitu- et longitudinales. Ces divers lieux sont pour la plupart connus dans « l'inconscient collectif » du lecteur lambda, et généralement décrits en quelques mots par l'auteur, si bien qu'il n'est pas forcément nécessaire d'aller vérifier sur Internet (ou dans un atlas, soyons fous !) où ça se trouve exactement et/ou à quoi ça ressemble, si ce n'est par pure curiosité.
    On a beau représenter désormais un seul peuple en voie d'uniformisation apparemment naturelle, chacun garde encore les traits – et un brin d'histoire – de son lieu de naissance. Les personnages sont ainsi très typés, et dès lors facilement reconnaissables, parfois à la limite d'une certaine caricature : le chef du BIC précité, Artem (de Chypre) est sans doute le moins marqué ; tandis que Babou (du Sénégal) est le traditionnel grand flic Noir (cela dit sans aucune considération de type raciste ! c'est juste que toutes les séries policières, de Julie Lescaut à Candice Renoir pour les plus féminines, ont eu le leur !) ; bref, Babou est désormais âgé, fier de et très attaché à sa famille, et il utilise encore, avec succès, des méthodes d'investigation « à l'ancienne ». À leurs côtés, on a la jeune Mi-Cha (de la frontière, désormais inexistante s'il faut le rappeler, entre les deux Corée), avec sa féminité exacerbée dans le but de séduire (probablement Artem, qui quant à lui ne la regarde pas de ce regard-là), mais qui tout à la fois est férue d'informatique et agile comme une ninja…
    Face à eux, l'institutrice Cléo (de France) est notre ingénue, qui a le rôle bien trouvé d'expliquer au lecteur, quand elle le fait pour les enfants de sa classe à l'occasion d'une téléportation au Musée de la Locomotion (entendez : des transports « anciens »), comment fonctionne le monde dans lequel ils vivent ! Quant au journaliste, Lilio de Castro (son origine de référence n'est pas précisée, ou alors je l'ai loupée), il apparaît d'emblée dans une certaine fadeur gentillette, malgré sa recherche du scoop à n'importe quel prix…
    Ainsi, ces personnages sont brossés à gros traits et leur psychologie n'est pas ultra-fouillée, mais suffisante pour qu'ils soient tous attachants, ou juste assez douteux pour qu'on se méfie instinctivement d'eux, même quand ils apparaissent sympathiques au premier abord.
    Quelques autres personnages-clés, de ces « secondaires-principaux » dont une intrigue ne peut se passer pour avancer, évoluent aux côtés des précités, mais rien que dire les noms de l'un ou de l'autre serait déjà un spoil – mais en gros, ils sont du même acabit, avec une capacité forte d'attachement ou de rejet, dans cet univers qui est quand même assez manichéen.

    Quant à l'intrigue, on l'a compris, sa principale particularité est qu'elle nous fait (énormément) voyager, sur des sites tour à tour paradisiaques, banals ou chargés d'histoire et/ou particulièrement symboliques – comme par exemple Baïkonour ! L'auteur ne pouvait l'avoir prévu (je ne pense pas que, parmi ses qualités, il ait celle de devin), mais la référence à cette ville à haut potentiel de dévastation, cogérée par le « gentil » Kazakhstan… et la Russie !, résonne tout particulièrement au regard de l'actualité dans cette partie du monde…
    Pour le reste, les ressorts du thriller sont assez « classiques » : des meurtres tandis qu'on pose gentiment le contexte, l'absence de pistes tandis qu'on présente (gentiment) les personnages, puis l'entêtement des policiers (qui n'ont plus exactement ce titre, mais c'est un détail) et les choix apparemment hasardeux des peut-être anti-héros, et ensuite les indices arrivent quand même par petits bouts, le scénario s'emballe et capte de plus en plus l'attention du lecteur, jusqu'à des pas-tout-à-fait-révélations qui laissent entrevoir que le vrai coupable n'est sans doute pas celui qu'on croit, et même pire ! Classique, disais-je donc, ça n'en reste pas moins réellement accrocheur, sur un rythme qui va crescendo, faisant de la deuxième moitié (peut-être même déjà plus tôt) un véritable page-turner.

    Et donc oui, ce nouvel opus de Michel Bussi est pour moi un nouveau coup de coeur, un plaisir de lecture sans prise de tête. La fin ? Non je n'en dirai rien, si ce n'est qu'elle est carrément gentille au vu du reste de l'histoire, une espèce de réponse qui n'en est pourtant pas une, à cette question philosophique (l'utopie est-elle le bonheur de l'humanité ?) qui continue de tarauder l'esprit, plusieurs heures après avoir tourné la dernière page.