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    Enfileur de mots

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    #241 16 Septembre 2022 11:21:40

    Bonjour à tous!

    Décidément, malgré le fait que je suis à la maison H24 (enfin, ce n'est plus tout à fait vrai depuis la rentrée, mais en tout cas je ne travaille plus à l'extérieur pour l'instant), je n'arrive pas à trouver le temps de me pencher sérieusement sur tous mes commentaires en retard! Pour la plupart, j'ai noté au moins quelques mots sur un document Word, mais ça ne me satisfait pas ; on verra si j'arrive à tout clôturer, un jour peut-être...
    Mais en attendant, voici deux nouvelles critiques écrites assez récemment, sur des livres lus quant à eux assez récemment aussi. Un livre pour le prix LA, et un emprunt bibliothèque de cette rentrée littéraire, et surtout, deux bonnes surprises!

    Ainsi gèlent les bulles de savon de Marie Vareille,
    publié aux éditions Charleston en 2021, lu dans son format ebook - une belle surprise disais-je donc: 18/20

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    Synopsis : « Certains choix nous définissent à tout jamais, celui-ci en fait partie. À partir d’aujourd’hui, je peux bien écrire la neuvième symphonie, sauver le monde d’une troisième guerre mondiale ou inventer le vaccin contre le sida, on ne retiendra de moi que cet acte innommable : j’ai abandonné mon bébé, toi, mon minuscule amour aux joues si douces.
    Puisses-tu un jour me pardonner. »
    Trois pays, de vibrants portraits de femmes aux destins entrecroisés. Quel est le lien qui les unit ? Quelle est leur véritable histoire ?


    Mon avis :
    J'avais découvert cette autrice avec l'incontournable « La vie rêvée des chaussettes orphelines » (qui m'avait alors été conseillé par mon fils, 13 ans à l'époque !), et j'avais adoré ! Ainsi, dès qu'un nouvel opus est sorti, je l'ai précipité dans ma PAL… où il s'est vite retrouvé submergé (comme tant d'autres). Et puis, miracle : ce livre fait partie de la sélection pour le prix Livraddict, catégorie Contemporaine. Je ne pouvais pas manquer cette occasion de découvrir (enfin !) ces bulles de savon !

    Au risque de répéter ce qui a été dit 1.001 fois, ce livre présente donc les destins croisés de trois femmes : Claire, jeune publicitaire qui découvre sa grossesse le jour même où elle est virée de son emploi ; Océane, jeune femme d'origine française vivant aux États-Unis, ayant choisi de vivre avec son père (qui se révélera peu à peu un véritable pervers narcissique, y compris avec sa propre fille) après le divorce de ses parents, et se lançant dans des études pré-médicales alors que sa vraie passion est l'écriture ; et une femme inconnue, ses chapitres sont systématiquement écrits en italique, qui a fui son bébé de quelques semaines et une situation intenable, en partant à l'autre bout du monde, en Indonésie. Quelques autres femmes ont également voix au chapitre, dans des rôles secondaires bien travaillés : Éléonore la meilleure amie de Claire, ou Eva l'autrice-phare de la maison d'édition où travaille Éléonore ; mention aussi pour Mei, jeune étudiante originaire de Shangai qui va en quelque sorte prendre Océane sous son aile – une personnage que j'aurais aimé voir bien davantage développée !
    C'est ainsi que, dans une construction chorale, mais avec une voix qui joue un peu les trouble-fête, Marie Vareille parvient à conter l'histoire de plusieurs femmes à qui l'on peut s'identifier par bribes, ici ou là, tout en maintenant un certain suspense : j'ai fini par comprendre, ou plutôt deviner, qui pouvait être cette mystérieuse femme en italique, mais pendant au moins la moitié du livre, on absorbe cette histoire-là au même titre que les deux autres, avec le petit piment de l'inconnu. S'agit-il de Claire ? D'Océane ? (Certains petits éléments pourraient faire croire parfois que c'est l'une, parfois l'autre, éventuellement dans une autre temporalité.) Ou s'agit-il d'une autre femme encore ? mais alors qui ?
    Pour moi qui apprécie particulièrement les polars et autres thrillers, souvent caractérisés par la recherche d'un coupable inconnu du lecteur, ce petit goût de suspense, tout gentil (on est bien loin d'une histoire de meurtre !) mais avec son petit côté frustrant qui fait que le lecteur veut comprendre, c'était une excellente idée, une nouvelle preuve du talent de l'autrice, derrière une (triple) histoire à première vue banale.

    Ou pas ? c'est que les thématiques abordées sont, quand on y réfléchit, bien plus dures que pourrait le faire croire ce livre qui s'apparente par plusieurs points à un simple « feel-good ». À travers Claire en particulier, qui est certes une parmi trois protagonistes, mais probablement la personnage-clé entre elles trois (et les autres), l'autrice nous parle du fait d'aimer ou non sa grossesse, de la découverte du bébé à la naissance (qui n'est jamais le bébé idéal), de la difficulté à devenir mère – que ce soit parce que ce fameux lien soi-disant intuitif ne se fait pas forcément, eh non ! ou, de façon beaucoup plus basique, parce que le père continue quant à lui sa vie de tous les jours, et ne comprend pas pourquoi sa femme, nouvelle mère, est épuisée et à bout de nerfs certains soirs, alors qu'elle est quand même à la maison toute la journée (avec tous les sous-entendus que cela implique), tandis que lui bosse deux fois plus (dit-il) pour nourrir tout le monde ! (oui, oui, c'est du vécu…)
    Elle met des mots sur des situations que tant de femmes (et surtout mères, mais elle laisse également la porte ouverte aux belles-mères intrusives en croyant bien faire, aux meilleures copines qui ne trouvent pas forcément comment « être là », etc.) ont connues, de telle sorte que chacune peut retrouver peu ou prou un écho à son propre vécu – et c'est tellement juste qu'on ne peut que tressaillir, s'émerveiller de s'y retrouver si bien, et même (en partie) déculpabiliser de certaines situations qui ont laissé une vague trace de souffrance en nous…

    Oh ! j'ai vu dans les commentaires le regret que l'autrice aborde ici des sujets vus et revus – certes, mais qu'y a-t-il de plus universel que la maternité ? (sans que ce soit jamais une obligation pour aucune femme, ne me comprenez pas mal !) – ou, plus largement : perpétuer l'espèce, que l'on soit la mère, le père ou (je me répète) la meilleure copine qui s'efforce d'être toujours là ?
    Mais l'autrice va beaucoup plus loin que ça : elle nous parle de dépression post-partum, sujet connu mais tabou s'il en est (là aussi, je parle de vécu), qui peut s'exprimer par un blues profond que personne ne comprend vraiment, la première concernée encore moins que les autres (Claire), ou les formes graves que cette DPP peut prendre, allant jusqu'à l'abandon du bébé (la femme en italique) – qui n'est pas un abandon voulu et réfléchi, mais plutôt une fuite en avant face à une situation qui submerge et dont on ne sait plus (du tout) comment se sortir. Et là aussi, elle trouve les mots justes, elle parvient à rendre cette femme attachante, malgré ce tabou qui semble encore plus grand que la souffrance d'une nouvelle mère : comment une femme peut-elle abandonner son bébé ?? Marie Vareille a beau faire le parallèle avec tant et tant de pères (un bébé, ça se fait à deux) démissionnaires, parfois avant même la naissance de l'enfant, et que si certains le critiquent un peu, finalement ce serait presque « normal », tandis que la mère démissionnaire serait un monstre à jamais ?!…
    Eh bien non ! La DPP est une véritable maladie, qui nécessite une véritable prise en charge médicale, mais notre société qui idéalise tellement la naissance d'un enfant, en a fait un tabou et une honte… exigences sociétales qui, paradoxalement, finissent par empêcher la femme de devenir mère sereinement.

    Tout cela étant dit, oui j'ai adoré ce livre, mais je suis bien consciente de quelques faiblesses, et notamment une certaine caricaturisation (oups, ça existe ?) de certains personnages. Claire, par exemple, est terriblement gnangnan pendant toute sa grossesse, entre ses achats compulsifs de layette (je l'ai fait aussi, mais pas à ce point… ou bien si ?), et sa construction excessive d'un bébé idéal nommé « Coquillette » dont elle est gaga à un point bien un peu exagéré – elle a fini par m'agacer, parfois. Océane, quant à elle, n'est pas crédible dans son pseudo-désir de devenir médecin… voie qu'elle croit devoir choisir parce qu'elle est hyper-émotive !? Certes, on a bien compris que c'est son propre père qui l'empêche de se diriger vers une carrière littéraire ; certes, elle est complètement sous l'emprise de ce père pervers narcissique (très bien brossé, quant à lui !)… mais en plus elle serait carrément stupide, alors, de ne pas se rendre compte qu'on ne peut baser une envie de devenir médecin juste parce qu'on est empathique dans plein de situations ? À 19 ans, même sous une certaine emprise, on devrait quand même savoir que la médecine, c'est autre chose, non ?

    Parlons aussi de la diabolisation des hommes, entre le père d'Océane précité, le gentil Ben aux techniques de drague plus que douteuses, et le summum est atteint avec Thomas, le compagnon de Claire… C'est que l'autrice nous le présente comme un homme qui veut s'investir dans sa nouvelle paternité, et toute une série de petits détails le brossent effectivement comme tel d'une façon très réaliste ; dès lors, quand on nous dit qu'il ne lit pas une seule fois ce livre sur la grossesse expliquée aux hommes que lui a offert Claire, on est vraiment déçu, on se dit que c'est un goujat, et paf il tombe dans le cliché. Ensuite, quand il passe à son rôle de jeune père, qui croit bien faire parce qu'il bosse deux fois plus mais s'occupe une demi-seconde de son bébé en rentrant le soir, et ne comprend absolument pas sa compagne dépressive…, moi je sais qu'on n'est (hélas) plus dans le cliché et que c'est à nouveau du pur réalisme, et que son évolution est dès lors plausible, mais le mal est fait et le lecteur n'y croit plus tout à fait. Dommage !

    Mais rassurez-vous : si cette diabolisation est bien présente, elle reste légère et (presque) toujours tout à fait réaliste. Pour le dire autrement : on est très, très loin d'un discours féministe absolu comme j'ai parfois vu ailleurs – et qui m'aurait grandement irritée, mais décidément non, ce n'est pas le cas ! Ici, Marie Vareille rappelle tout simplement que les hommes ont aussi un rôle à jouer dans la naissance d'un enfant, rôle bien souvent « mis de côté » dans nos sociétés, et à peine reconnu par nos lois. Je ne sais pas en France (il me semble que l'autrice l'évoque), mais en Belgique, si les femmes n'ont que 15 semaines de congé de maternité (ce qui est déjà l'un des records européens vers le bas !), les hommes ont quant à eux en tout et pour tout 10 jours ouvrables de congé de paternité !! Il existe (heureusement !) diverses autres solutions sous forme de « congé parental », que les employeurs ne peuvent (théoriquement) pas refuser… mais qui restent pris, très majoritairement, par les femmes, avec tout ce que cela implique de perte de salaire et de non-avancement dans la carrière.

    Ainsi, dans ce livre où l'autrice met à l'honneur les maternités, comme autant de façons (plus ou moins faciles) de devenir mère, sans oublier la part (plus ou moins assumée) du père, chaque femme (que l'on soit mère soi-même, belle-mère, ou meilleure amie) peut trouver un écho, toujours touchant et réaliste, à son propre vécu. Elle explore aussi le sujet trop souvent tabou de la dépression post-partum grave, dans un portrait de femme saisissant et mené avec un brin de suspense tout à fait réussi. Une excellente lecture, dans le cadre du prix LA 2022.

    N.B. : je termine par une petite note car ça me turlupine… J'ai lu autrefois (il y a environ 20 ans, si pas davantage) un livre d'une autrice allemande, qui parlait également de dépression post-partum, mais j'ai complètement oublié le titre du livre, de même que le nom de l'autrice !!
    C'était l'histoire d'une jeune femme, allemande donc, atteinte de DPP dans les jours suivants l'accouchement, si bien qu'elle quitte bébé et domicile très rapidement, et commence à sillonner les routes de l'Allemagne – je me rappelle d'un passage où elle fait du stop, par exemple. Un autre passage m'avait alors interpelée : à un certain moment, elle doit faire face à sa montée de lait (je vous l'ai dit : elle quitte le bébé très peu de temps après l'accouchement)… et sera « soulagée » par un homme qu'elle rencontre en chemin (je ne sais absolument plus comment), avec qui on pense d'abord qu'elle va avoir une relation sexuelle… mais non, l'homme en question se contentera de téter ( !) ses seins gorgés de lait…
    L'un ou l'autre lecteur pourrait-il m'aider à retrouver de quel livre / auteur il s'agit ?





    Chien 51 de Laurent Gaudé,
    publié chez Actes Sud en août 2022, lu dans sa version ebook - un policier SF inattendu, peut-être pas hyper-convaincant pour les spécialistes de ces genres, mais "suffisant" pour ceux qui veulent y croire, et magnifiquement écrit ! 18/20

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    Synopsis : Autrefois, Zem Sparak fut, dans sa Grèce natale, un étudiant engagé, un militant de la liberté. Mais le pays, en faillite, a fini par être vendu au plus offrant, malgré l’insurrection. Et dans le sang de la répression massive qui s’est abattue sur le peuple révolté, Zem Sparak, fidèle à la promesse de toujours faire passer la vie avant la politique, a trahi. Au prix de sa honte et d’un adieu à sa nation, il s’est engagé comme supplétif à la sécurité dans la mégalopole du futur. Désormais il y est “chien” – c’est-à- dire flic – et il opère dans la zone 3, la plus misérable, la plus polluée de cette Cité régie par GoldTex, fleuron d’un post- libéralisme hyperconnecté et coercitif. Mais au détour d’une enquête le passé va venir à sa rencontre.

    Mon avis :
    Quel bonheur que la bibliothèque virtuelle en ligne belge francophone gratuite, Lirtuel, qui proposait il y a peu un choix important (et avec un nombre conséquent d'exemplaires disponibles pour chaque livre concerné) de romans de cette rentrée littéraire à laquelle aucun lecteur passionné ne peut échapper ces jours-ci ! J'ai fait une véritable razzia, peut-être un peu trop ambitieuse, parmi cette sélection, et ce livre-ci est le premier que je termine avec enthousiasme : je l'ai lu en à peine 24 heures ! Certes, il n'est pas bien gros (à peine un peu plus de 300 pages), mais je n'ai tout simplement pas pu le lâcher !

    Commençons par le commencement, cependant : j'avais déjà beaucoup entendu parler de l'auteur, qui publie quand même régulièrement et semble plutôt reconnu parmi les « bons auteurs » (même s'il n'écrit pas forcément dans les genres les plus en vogue actuellement – non, je n'ai pas parlé de feel-good ! ceci est un clin d'oeil à ceux qui connaissent mes goûts). Par ailleurs, je suis persuadée d'avoir déjà lu un de ses livres… mais impossible de me rappeler lequel – après tout, ça ne fait pas deux ans que j'ai recommencé à laisser une trace de mes lectures « quelque part » - et, pire encore : aucun de ses autres titres n'évoque rien en moi ! Dès lors, le plus cohérent est sans doute de considérer cette lecture comme une découverte d'un auteur que j'avais pourtant l'impression d'avoir déjà côtoyé (littérairement s'entend), et quelle découverte !

    L'histoire, malgré un tour éminemment politique qui s'accentue au fil des pages, est assez simple en réalité – et je vous remercie d'avance pour votre patience de relire ce qui a été dit et redit dans les nombreux commentaires, que l'on peut trouver un peu partout actuellement ! Nous sommes dans un monde futuriste (mais pas tant que ça, peut-être même pas du tout…) où quelques super-puissances économiques se partagent le monde, en lieu et place de l'ancienne notion de « pays » qui, quant à eux, en faillite les uns après les autres, se font racheter par l'un ou l'autre de ces consortiums financiers.
    La Grèce a été le premier pays à disparaître ainsi, malgré une sérieuse insurrection de ce peuple millénaire, à laquelle avait pris part notre alors jeune héros (ou anti-héros), avant de trahir et finalement obtenir un boulot dans la super-mégalopole du consortium qui a racheté son pays, GoldTex. Nous retrouvons (dès le 2e chapitre), 20 ans plus tard, celui qui se fait désormais appeler Zem Sparak, devenu « chien », c'est-à-dire flic de base dans la « zone 3 » où il évolue, traînant un mal-être qu'il laisse se dissiper dans une nouvelle drogue en vogue, dans un monde hyper-connecté et où le travail - soi-disant pour le bien de tous, en réalité pour entretenir des clivages sociaux qui rappellent étrangement notre société actuelle - est désormais la seule et unique « valeur » (mot qui n'est jamais utilisé ici, c'est moi qui le dis), au point qu'on ne parle plus que de « cilariés », contraction bien trouvée entre le citoyen de la mégalopole, et le salarié, car on ne peut rien être d'autre qu'un travailleur.

    La mégalopole est donc divisée en 3 « zones », numérotées tout simplement de 1 à 3 : la 1 où règne l'opulence, réservée aux nantis et aux puissants, où l'on ose à peine se mouvoir, quand on n'en est pas issu, même si on y est plus ou moins invité ; la 2, où vit ce que l'on pourrait appeler une espèce de classe moyenne, ce sont les cilariés qualifiés, jouissant de conditions de vie probablement très acceptables – dont un dôme climatique qui les protège d'une météo devenue plus que capricieuse - tant qu'ils se comportent en braves petites fourmis travailleuses ; enfin, la 3, mélange de nos cités déclassées ou même vagues bidonvilles, où vit la plèbe non qualifiée, dont un certain nombre travaillent en zone 2 sans être autorisés à y rester jamais.
    En cette période de pré-élections du futur maître de la mégalopole, où deux candidats très différents s'affrontent, Zem est appelé sur une scène de crime particulièrement sordide, et se retrouve étonnamment en tandem obligatoire avec Salia Malberg, une jeune et ambitieuse inspectrice de la zone 2, et dès lors sa supérieure hiérarchique…

    Présenté ainsi, je me suis posé d'emblée la même question que beaucoup d'autres : que va bien pouvoir donner un roman policier largement teinté de science-fiction, écrit par un romancier reconnu… mais plutôt au rayon de littérature dite « blanche » ?
    Alors, ma première remarque n'est pas la plus positive : certes il y a un aspect policier, une enquête policière ou du moins ce qui y ressemble, mais on est quand même très loin d'un « pur polar » comme ceux que je lis avec délectation tout au long des mois. On a certes tous les éléments qui suffisent au genre : une mort qu'il faut résoudre, un peu de sang, des antagoniste plus ou moins véreux, une ambiance sombre à souhait (oui, ce roman est très noir !) et des flics (dont un cabossé, et une jeune femme qui souffre d'un inévitable sexisme de la part de ses collègues tous plus macho les uns que les autres), que tout oppose a priori. À part ça, l'enquête est menée d'une façon qui m'a parfois paru confuse : par exemple, si Salia semble effectivement mener une enquête comme une lectrice de polars s'attend à ce qu'elle le fasse, les avancées de Zem, quant à elles, semblent aléatoires et sans aucune logique ou structure. Et je ne parle même pas de son rôle de « chien », qui pour moi est resté assez obscur du début à la fin (même quand on comprend enfin pourquoi le « 51 ») : je n'ai jamais réellement compris pourquoi on appelle son job celui d'un « chien », car si c'est parce qu'il « renifle » dans les bas-fonds comme on le laisse entendre à plusieurs reprises, je n'ai pas eu l'impression de le voir agir ainsi - tout au plus va-t-il voir quelques personnes avec qui il n'est pas forcément copain, mais ça semble à peine dévier de son quotidien habituel, largement désabusé, où il donne l'impression d'errer dans sa propre vie, sans réel but, si ce n'est oublier son passé qui ne cesse de le hanter.

    Pour le dire autrement, je n'ai pas trouvé dans ce livre cette tension narrative, le plus souvent « nerveuse », propre à une grande majorité de polars (du moins, à ceux que j'ai l'habitude de lire). L'auteur a beau proposer un certain nombre de rebondissements, quelques passages où nos héros sont vraiment en mauvaise posture, notre attention polaresque est surtout, définitivement détournée par cette écriture, qui en réalité serait presque « trop belle » pour le genre ! Petite précision quand même, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : il y a bien entendu des polars, bien davantage ancrés dans le genre, qui sont par ailleurs très bien écrits ! Mais ici, on est quand même dans une autre dimension… et c'est paradoxalement cette écriture qui, tout en nous écartant quelque peu de ce qu'on attend traditionnellement d'une enquête, nous emporte néanmoins et nous fait tourner les pages tout en vibrant !

    Après tout, on est davantage dans un thriller psycho-politique (que dans un polar « de base »), teinté d'une critique sociétale évidente, et c'est là aussi qu'intervient le côté science-fiction. Vous l'avez compris : on est dans une société dystopique, qui ne convaincra peut-être pas tout à fait les lecteurs les plus exigeants en SF, mais qui est quand même parfaitement maîtrisée et tout à fait crédible.
    Vous avez dit crédible ? En réalité, non : c'est pire que ça ! J'avais envie, en prenant quelques notes mentales en vue de la rédaction de ce commentaire, de parler de roman d'anticipation, qui présenterait un monde (dystopique, donc) vers lequel notre société pourrait bien finir par évoluer, si elle continue dans ses pires travers. Mais voilà : on n'est même plus dans l'anticipation, sachant que plus d'une situation décrites dans ce livre ont déjà eu lieu ?!

    Sans vouloir divulgâcher : on ne peut pas lire les scènes initiales, alors que le rachat de la Grèce par GoldTex est devenu officiel, ces scènes où toute une population tente de fuir un pays sur le point de basculer dans l'anéantissement… bref, on ne peut lire de telles scènes, sans revoir des images de l'Exode lors de l'invasion allemande en 1940… mais c'est loin, les plus jeunes lecteurs percevront-ils cela ? Alors appelons des images plus récentes, qui ont ébranlé le monde, l'été 2021, lorsque les Talibans ont « pris » Kaboul, et que toute une population affolée a voulu fuir un pays sans avenir, sans espoir, dans lequel elle ne pouvait plus se reconnaître. Qui ne s'en rappelle ?... On y ajoute une pincée des explosions qui ont eu lieu, un an plus tôt encore, dans le port de Beyrouth au Liban (après tout, Athènes est aussi un port, c'était dès lors encore plus réaliste et tout à la fois glaçant !), et le tableau est complet !
    Et c'est là, une fois encore, que tout l'art de Laurent Gaudé se révèle. Ces images de Kaboul, je crois que beaucoup les ont encore en tête, et qu'on ne les oubliera pas de sitôt… mais l'auteur, lui, même s'il les a détournées astucieusement pour l'usage de son roman, a posé des mots et des phrases terriblement réalistes et parlantes, exprimant ainsi avec une justesse terrible ce que nos yeux osent à peine retenir, tant de telles situations sont indicibles. (Je m'avance peut-être un peu trop, mais je ne peux imaginer qu'il ait pu (d)écrire ces scènes-là, sans avoir lui-même en tête, au moins un peu, Kaboul 2021…)

    Même chose dès lors qu'on parle de ces « checkpoints » qui séparent les différentes zones : les longues files de ceux de la zone 3, qui vont travailler dans la zone 2 le matin et rentrent chez eux le soir en sens inverse, avec au fond d'eux le rêve de rejoindre un jour cet autre monde, à jamais inaccessible, pourtant si proche et pourtant tellement différent. N'en sommes-nous pas déjà là ? Ô Israël ; ô Gaza, ô Cisjordanie ! ça ne vous évoque rien ?...
    Quant aux zones, relèvent-elles vraiment de l'anticipation ? Il est tellement évident que tant et tant de candidats réfugiés de ces pays que l'on appelle hypocritement « en voie de développement », sont clairement une espèce de zone 3, face à nos riches cités européennes et nord-américaines en zone 2 – des zones 2 qui ont d'ailleurs leurs propres zones 3 toutes proches, parfois même en leur propre coeur !

    Ainsi, même si ce roman policier, plus proche d'un thriller psycho-politique, manque parfois de la tension nerveuse propre à un polar ; si l'aspect SF, certes bien exploité, n'est en réalité pas futuriste mais a déjà eu lieu au moins en partie, et c'est glaçant ; on retiendra surtout la magnifique écriture de l'auteur, pour un livre qui s'éloigne de son registre habituel (paraît-il) mais qui n'en est pas moins tout à fait maîtrisé : un plaisir de lecture !

  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

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    #242 19 Septembre 2022 09:00:49

    Bonjour à tou.te.s!

    Je continue tranquillement mes lectures, essentiellement des emprunts bibliothèque que je crains de ne pas finir à temps - j'ai été trop gourmande, mais ma bibliothèque est intelligente ;) : j'ai interdiction d'emprunter un quelconque nouveau livre avant fin septembre, même si je rends tous ceux en cours et/ou même pas commencés entre-temps!

    Bref, je vous présente un nouvelle lecture pour le prix LA, catégorie SF - et j'avoue: je n'avais pas prévu de lire ce livre, je n'étais même pas persuadée de participer dans cette catégorie (j'aime bien la SF, là n'est pas le problème, mais ça fait beaucoup de livres à lire si je choisis trop de catégories...)!
    Mais voilà, outre la LC sur Les somnambules, proposée par Grominou, qui va commencer tout bientôt, le livre ci-dessous était l'un des rares (et le seul en SF) de toute la sélection du prix LA, qui soit disponible dans ma bibliothèque. Du coup j'ai tenté...

    L'autre lecture présentée ce jour avait été choisie pour plusieurs challenges (dont un que je n'ai même pas réussi à finir, finalement, mais j'évolue: ça ne m'affecte "pas plus que ça"!), et c'est la découverte d'un auteur que je ne m'attendais pas à apprécier autant.

    Voici donc :

    Projet Dernière Chance d'Andy Weir,
    publié chez Bragelonne en 2021, lu dans sa version ebook - une vraie réussite : 19/20 (et ne me demandez pas pourquoi je n'ai pas mis 20/20, je ne sais pas moi-même, et puis c'est quand même très bien, non?)

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    Synopsis : Ryland Grace est le seul survivant d'une expédition spatiale de la dernière chance. S'il échoue, c'est le sort de l'humanité et la Terre tout entière qui sera en péril.
    Mais pour l'instant, il ignore tout de cela. Il ne se souvient même pas de son propre nom, et encore moins des objectifs de sa mission. Il sait seulement qu'il est resté en sommeil très, très longtemps. Et il vient de se réveiller pour découvrir qu'il se trouve à des millions de kilomètres de chez lui, avec deux cadavres pour toute compagnie.
    Ryland se rend compte peu à peu qu'il doit faire face à une tâche impossible. Filant à travers l'espace, il lui faut trouver la clé d'un mystère scientifique insondable... et combattre un fléau qui laisse présager l'extinction de notre espèce.
    Alors que chaque minute compte et que des années-lumière le séparent de l'être humain le plus proche, il est seul pour relever cet incroyable défi...
    Mais l'est-il vraiment ?


    Mon avis :
    Voici un livre que je n'aurais sans doute jamais repéré, s'il n'avait été proposé pour le prix Livraddict 2022, catégorie SF – avec seulement 25 votes cela dit, moins de 6 chroniques, et il n'a pas l'air d'avoir été beaucoup plus lu sur les autres plateformes (148 notes sur Babelio, on a trouvé bien mieux pour d'autres livres, et seulement 21 critiques)…
    Pourtant, quel dommage ça aurait été de passer à côté !

    Ce livre commence de façon bien un peu énigmatique : un homme se réveille dans un vaisseau spatial, ayant tout oublié : qui il est, et ce qui l'a conduit là ! Il est par ailleurs fermement « surveillé » par des bras articulés, peut-être médicalisés, qui semblent avoir pris soin de lui – et continuent de le faire d'une façon automatique, même s'il ne demande rien. Il ne peut que constater qu'il n'est pas seul, il y a trois lits dans la « pièce » où il se trouve… mais il découvre bien vite que ses deux compagnons sont morts et momifiés : il est donc bien le seul survivant d'une expédition dont il ne sait plus rien.
    Ainsi, tandis qu'il prend peu à peu ses repères dans ce qui ressemble quand même furieusement à un huis-clos spatial, sa mémoire lui rappelle par bribes ce qui lui est arrivé pour se retrouver dans cette situation… Et, tandis qu'il réapprend peu à peu que la Terre est en danger et que sa mission est une dernière chance pour toute l'humanité, il apprivoise cet univers – dans tous les sens du terme ! – dans lequel il vit désormais.

    Le quatrième de couverture est un peu équivoque, à vrai dire : si le postulat de base dit la même chose que ce que j'ai transcrit ci-dessus avec mes propres mots, la dernière assertion, « (…), il est seul pour relever cet incroyable défi… Mais l'est-il vraiment ? » m'avait d'abord fait croire à un quelconque danger de type spatio-horrifique qui serait survenu à l'intérieur du vaisseau – puisque, comme je l'ai dit, on est quand même dans un huis-clos ! Or, cette idée s'inscrivait comme une deuxième (mauvaise) raison de ne pas lire ce roman, après le manque de publicité qui lui a vraisemblablement été fait, car décidément cette approche au vague parfum « d'horreur » ne m'attire absolument pas !
    Dès lors, est-ce divulgâcher de dire que l'auteur pose une question bien plus large : « sommes-nous seuls dans l'univers ? » et que, dès lors, son histoire n'a rien à voir avec un roman SF tirant sur l'horreur ? Andy Weir ne serait pourtant pas le premier auteur (de SF) à poser la question, et à y apporter sa propre réponse… qui n'a absolument rien d'horrifique comme le résumé proposé par l'éditeur aurait pu faire le croire ! Bon, on est bien d'accord que c'est là mon interprétation, mais pour le coup je ne remercie pas Bragelonne, qui a voulu entretenir un certain mystère, mais l'a fait d'une façon bien maladroite !

    Quoi qu'il en soit, on est plongé dans une aventure spatio-scientifique – car notre héros, peut-être un peu anti-héros, qui se souviendra assez vite de son nom : Ryland Grace ; bref, notre héros est un scientifique spécialisé en biologie moléculaire, ayant un certain nombre de connaissances plus ou moins approfondies dans un tas d'autres domaines scientifiques, et débrouillard pour le reste, par exemple pour aménager son labo en fonction des besoins spécifiques qui vont naître peu à peu au cours de son aventure.
    Autant dire que, pour moi qui n'ai pas du tout l'esprit scientifique, et n'ai pas que des bons souvenirs de mes cours (lointains !) du temps de l'école secondaire, j'ai parfois survolé certains passages trop « techniques » à mon goût. C'était le cas notamment quand il s'agissait physique, science qui est quand même souvent évoquée : après tout on est dans l'espace, et plusieurs notions d'astro-physique sont régulièrement (r)appelées ! L'auteur a pourtant veillé à ce que les choses restent accessibles (c'est moi qui fais un blocage sur ce genre de choses !) et, pour peu qu'on se concentre suffisamment, toutes ces notions font sens et sont vulgarisées avec grand à-propos – que ce soient des faits scientifiques réels et avérés… ou des inventions ad hoc de l'auteur pour cette histoire !
    Quoi qu'il en soit, j'ai été bluffée par la maîtrise que l'auteur semble avoir de tous ces sujets ! ou alors c'est le fruit d'heures et heures de recherches, qu'il parvient à mettre au service de son histoire, mais il le fait alors de façon magistrale : bravo !

    À part ça, j'ai trouvé les personnages fort bien travaillés. Si les détails de leur physique ne semblent pas au coeur des préoccupations de l'auteur, laissant au lecteur un loisir assez large de se les imaginer à peu près comme il veut à partir de quelques détails à peine, leurs caractères, leurs façons d'être et d'agir sont tellement bien exploités que, au bout de quelques pages, on a l'impression réellement de les « connaître » comme s'ils étaient nos proches !
    Je vous donne quelques exemples – pour ceux qui ont lu le livre, ça fera sens ; pour ceux qui ne l'ont pas encore découvert, pas de problème, je ne divulgâche aucun élément de la narration ! Ainsi, bien évidemment, on se sent très vite particulièrement proche de Ryland, puisqu'on partage réellement son quotidien, qu'il nous révèle au fil du temps en narrateur principal, à la 1re personne du singulier : avec lui on est anxieux de connaître le fin mot de son histoire, on a envie de comprendre comment et pourquoi il s'est retrouvé là, et bien entendu on a envie qu'il s'en sorte, de quelque façon que ce soit ! Bizarrement, j'ai aussi fini par ressentir une certaine sympathie pour le personnage d'Eva Stratt, personnage tellement peu amène, pourtant, que j'ai dû faire une recherche rapide pour retrouver son prénom, qui n'est quasi jamais utilisé et qui « ne lui va pas » ! Malgré son côté très autoritaire, se donnant des priorités qui ont toujours du sens mais qui n'en posent pas moins question, elle a une telle conviction du bien-fondé de sa mission qu'on finit par y croire… et son analyse de l'Histoire est tellement pertinente que, là aussi, on est bluffé. Et bien entendu, mention très spéciale à Rocky, que l'on n'oubliera pas de sitôt !

    Mais outre cette compétence technique impressionnante, et un travail tout à fait convaincant sur le caractère (en particulier) des personnages, on retiendra deux autres éléments, bien présents mais davantage en filigrane, qui font de ce livre une vraie réussite.
    D'abord, malgré sa situation qui pourrait sembler désespérée (sans spoiler puisque même le résumé de l'éditeur le dit : ça vous dirait de vous réveiller dans un vaisseau quelque part dans l'espace, ne sachant plus qui vous êtes, et entouré de deux cadavres momifiés ?), Ryland garde une espèce d'optimisme, tout empreint de quelque chose proche de l'autodérision… ce type d'humour très fin que j'apprécie particulièrement ! Ici, pas de gros comique comme on trouve parfois dans certains livres taggés « humour », pas de grands effets au résultat mitigé selon notre sensibilité à tel ou tel type d'humour, mais pas non plus de moqueries inutiles sur les uns ou les autres (comme on trouve chez trop d'auteurs qui se croient ainsi marrants !). Je pense notamment à ce chapitre-dialogue avec le scientifique canadien (référence faite pour que ceux qui ont déjà lu ce livre comprennent à quoi je fais allusion, tandis que ce n'est pas divulgâchant pour les autres) : le fait que le gars soit canadien semble anecdotique, par contre le dialogue est carrément surréaliste, et j'étais pliée de rire ! Par ailleurs, s'il utilise parfois l'une ou l'autre nationalité pour accentuer tel ou tel propos, mais sans en faire des masses au risque de ridiculiser lesdites nationalités, l'auteur (à travers Ryland, bien sûr) ne manque jamais non plus une occasion de se moquer de lui-même ! en témoignent ses nombreuses allusions à la confusion très américaine entre différents systèmes de mesure (parfois métrique, parfois à l'anglaise) selon l'objet à mesurer…
    L'autre point que je voulais soulever est très discret, mais bien présent malgré tout : à bien des égards, plusieurs passages de ce livre sont un véritable hommage, je trouve, à la profession de professeur d'école secondaire (collège et/ou lycée, pour mes amis français) : c'est assez rare en littérature, et carrément incongru dans un livre de SF m'a-t-il semblé, mais c'est aussi très touchant car c'est aussi vrai qu'important, mais tellement !

    Et pour finir, juste un petit mot sur la chute : je ne m'y attendais pas du tout, mais c'est tout à fait cohérent par rapport à tout ce qui précède … et parfaitement réjouissant, j'ai adoré !

    Ainsi, j'ai découvert un livre de SF qui propose une réponse tout à fait originale, teintée d'un humour fin, à l'éternelle question « sommes-nous seuls dans l'univers ? ». Les nombreux passages techniques ou scientifiques sont bluffants de maîtrise, les personnages (surtout leur caractère) sont extrêmement bien travaillés, et on apprécie le discret hommage à nos enseignants, pour finir par une chute bien sympathique : une réussite !





    Le chasseur de lucioles de Janis Otsiemi,
    publié chez Jigal en 2012, paru en poche chez Pocket en 2014 ; lu dans sa version GF - dépaysement et plaisir de lecture (malgré quelques petites réserves) garantis! : 16/20

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    Synopsis : Le corps d'un ex-flic retrouvé sur la plage, abattu au canon scié, calibre 22. Un fourgon blindé attaqué en plein Libreville, pour un butin d'une vingtaine de millions de francs CFA. Des prostituées assassinées par un tueur en série bien décidé à débarrasser la ville de toutes ses lucioles. Au Gabon, comme ailleurs, la nature a horreur du vide, surtout en matière de crime. Meurtres, chantage, corruption... ici, on tire àballes réelles, et puisque l'argent est le nerf de la guerre, les flics peuvent difficilement la gagner sans se salir les mains...

    Mon avis :
    Je commence ce commentaire (on est le 5 septembre) alors que je n'ai encore lu qu'un peu moins des deux tiers du livre, mais je suis provisoirement « bloquée », car l'exemplaire (en broché) que j'ai, passe de la page 128 à la page 145. Alors, dans l'attente du nouvel exemplaire commandé (en espérant que celui-là sera bon !), j'ai interrompu ma lecture, mais il y a déjà tant à en dire que je pense ne pas trop m'égarer en établissant mon ressenti dès aujourd'hui.
    Quelques jours plus tard, le 18 septembre… Je complète maintenant que j'ai (enfin !) terminé le livre : les quelques pages manquantes étaient, à mon sens, indispensables pour le sens global du livre, je suis donc bien contente d'avoir attendu de recevoir un exemplaire entier ; pour le reste, mes premières impressions notées ci-dessous dans un premier jet, restent entièrement valables, je n'ai désormais plus qu'à confirmer mon sentiment global.

    Ainsi donc, écrivais-je déjà en plein milieu de ma lecture, il est carrément impossible d'entamer un livre de Janis Otsiemi sans savoir que c'est un auteur africain, plus précisément un Gabonais, que plusieurs présentent comme un nouveau maître du polar. Ça tombe bien : j'aime beaucoup lire des polars, mais j'en ai parfois un peu marre des éternels français ou américains, ou même des nordiques (que je pratique pourtant beaucoup moins). Or, même s'ils sont loin d'être redondants et que la lecture de certains, en tout cas, apporte son lot de nouvelles surprises à chaque fois, on reste quand même dans un monde que l'on finit par connaître plutôt bien. Sans arriver pour autant à de la lassitude (je continue encore et toujours à lire des polars nord-occidentaux, la plupart du temps avec plaisir !), il fait bon parfois être confrontée à un dépaysement plus ou moins marqué – et ici, autant le dire tout de suite, c'est un véritable bouleversement, souligné au fluo et clignotant avec vivacité !

    Pourtant, on pourrait croire d'emblée qu'on sera dans un environnement potentiellement difficile (après tout, c'est un polar, n'est-ce pas ?) mais positivement poétique, en témoigne le joli titre. Eh bien, sachez-le : il n'en est rien ! (et je vous le dis en connaissance de cause : je m'étais bien un peu laissé piéger)
    Ce titre nous plonge d'emblée dans un monde dur, car « luciole », c'est l'un de ces mots imagés qu'emploient les Gabonais pour désigner… les prostituées ! Par ailleurs, ce seul titre suffit à nous plonger dans une langue riche et foisonnante, parfois à la limite du vulgaire – et je ne parviens pas à décider si c'est délibéré pour bien nous plonger dans un certain monde (après tout, c'est un polar, bis), ou si c'est tout simplement la façon de parler « là-bas », que le francophone européen considère d'un regard biaisé et bien un peu malveillant, alors que nos propres discours sont trop souvent émaillés de mots douteux, grossièretés et autres obscénités plus ou moins choquantes, y compris en littérature ! Mais, disais-je donc, c'est aussi et surtout une langue riche et foisonnante, pleine d'expressions locales, parfois immédiatement compréhensibles, parfois un peu plus tirées par les cheveux et/ou liées à des événements locaux dont moi, en tout cas, je n'avais pas les clés sans explications. Or, justement, Jigal a veillé à « traduire » chacun de ces mots, chacune de ces expressions, par une note de bas de page (sans avoir fait d'étude statistique rigoureuse, j'estime qu'il y en a au moins deux par page, surtout dans ces deux premiers tiers du livre) et, cerise sur le gâteau : le mot concerné, dans le texte, est écrit en italique, si bien qu'on ne peut vraiment pas le manquer !
    Seul petit bémol (qui me donne l'impression de dire quelque chose pour dire quelque chose…) : ces divers mots et expressions sont explicités une seule fois… mais certains reviennent ensuite dans le texte, et ne sont alors plus en italique, ni réexpliqués, ce qui m'a quelquefois posé problème, car je ne les ai pas forcément tous retenus, et comme je disais, tous ne sont pas facilement identifiables. Mais bon, c'est un moindre mal, qui aurait pu être « corrigé » avec – par exemple – un glossaire en fin de volume, solution qui présente aussi ses inconvénients, cela dit, comme l'obligation d'aller chaque fois à la fin du livre, alors qu'ici, (presque) tout est directement sous la main : bravo à l'éditeur pour ce travail !

    Outre la langue, ce polar nous plonge également dans un monde qui est inimaginable à nos yeux d'Occidentaux, et on en est presque à se demander si on a connu une telle situation à une quelconque époque antérieure d'une police très organisée mais gangrénée par la corruption politicarde (entre autres) et surtout, surtout, surtout, sans aucun de ces moyens techniques qui sont devenus tellement évidents et incontournables dans nos sociétés occidentales – et dont l'importance est mise en avant à travers tous les polars de chez nous, sans même parler des nombreuses séries télévisées – alors que, quelques milliers de kilomètres plus ou sud, ça ressemble à de la science-fiction.
    Ici à Libreville, pas de médecine légale, pas d'analyses ADN ou simplement de relevés d'empreintes digitales ; pas non plus la moindre délicatesse envers les prévenus, dont on extorque les aveux selon ce dont on a besoin, par passage à tabac…
    Pour citer un autre exemple : j'ai halluciné lors de la scène de l'attaque du camion de transports de fond ! C'est que, là-bas, on transporte les billets de banque dans une caisse sans système de sécurité particulier, que l'on dépose dans une cantine en fer, fermée par de simples cadenas !? Certes, de tels fourgons aussi peu sécurisés ont existé chez nous aussi… quand j'étais gosse (c'est-à-dire il y a longtemps !), ou même avant. Mais bon, ça fait des années que les transports de fonds, chez nous, sont tellement sécurisés qu'il faut appartenir au grand banditisme, être (très) lourdement armé et un peu cinglé (sachant que désormais les billets sont marqués, et/ou se marquent à la moindre ouverture du coffre) pour oser encore s'y attaquer… inimaginable pour un groupe de jeunes désoeuvrés sans envergure, et ayant (presque) tous une vague volonté de s'afficher dans une activité plus ou moins légale !

    Ainsi, l'auteur nous raconte une histoire, tout simplement, et une histoire double : celle de cet homme atteint du SIDA qui a décidé qu'il ne mourra pas seul, ou ce groupe d'amis d'enfance vaguement interlopes qui ont fait le casse du siècle. On en viendrait presque à trouver sympathiques les quelques policiers chargés de ces enquêtes, pourtant tellement corrompus qu'ils ne valent pas mieux que nos malfaiteurs qu'ils tentent de poursuivre – malfaiteurs dont l'histoire particulière nous est donc présentée elle aussi, le lecteur sait directement qui a fait quoi et pourquoi dans cette double histoire : il ne joue décidément pas sur le suspense que peut contenir un polar, mais ça ne manque même pas !

    Par ailleurs, Janis Otsiemi ne dresse pas un tableau noir de son pays. Il donne l'impression, tout en nous contant la vie à un instant T de ces quelques protagonistes dont l'un ne vaut pas mieux que l'autre, et tous ensemble sont attachants ; bref, il donne l'impression d'à peine effleurer toute une série de problématiques propres à son pays – que le lecteur européen présuppose d'emblée typiques de l'Afrique en général, or ici on voit pourtant quelques spécificités bien locales.
    Ainsi en est-il du SIDA, qui continue de sévir dramatiquement. Ce livre a aussi des allures d'étude sur la corruption, dont j'ai déjà parlé ci-dessus (et qui existe tout autant chez nous, mais est peut-être combattue de façon plus efficace désormais ? hum...). Il évoque aussi les conflits inter-ethniques, notamment entre les Fangs et les Batéké, tensions larvées mais bien présentes, au sein même de la police (et probablement d'autres administrations) – une situation qui n'est pas sans rappeler ce qu'écrit, avec beaucoup plus de pessimisme, un certain Deon Meyer en Afrique du Sud (entre Zoulous et Xhosas alors) ! Il est aussi régulièrement question d'événements politiques, dont je n'ai pas la moindre idée car la politique gabonaise fait très rarement la une des journaux par chez nous… mais si ce n'est que brièvement expliqué, et vaguement intelligible, ça n'entrave pas la compréhension de l'histoire.
    Plus surprenants sont, par exemple, l'évocation de la prostitution camerounaise au Gabon, quelques Congolaises ou Équato-guinéennes aussi, ces jeunes filles venues de leur pays encore plus pauvre, ne parlant souvent que leur langue tribale et à peine le français, car le Gabon leur offre de plus grandes « perspectives d'avenir »… Ou encore, si nombre de jeunes Gabonais espèrent obtenir une bourse d'études pour la France, le pays de rêve par excellence, obtenir une bourse pour la Tunisie semble une fameuse promotion quand même. (Honnêtement : qui, chez nous en Belgique ou en France, à moins d'avoir des connaissances spécifiques ou un projet particulier, rêverait d'avoir une bourse pour aller étudier en Tunisie, synonyme de pays de cocagne ?...)

    Avec tout cela, l'histoire avance peu à peu et on suit les policiers dans leurs investigations, comme je disais sans véritable surprise puisque le lecteur est au courant de tout depuis le début. Néanmoins, j'ai été un peu déçue de voir comme tout s'emballe d'un seul coup dans les dernières pages : alors que les situations semblaient inextricables, les forces de l'ordre trouvent tout à coup la solution de chacune des deux histoires d'une chiquenaude, c'est trop facile, au point qu'on se dit « tout ça pour ça » ! De plus, l'auteur nous sert tout à coup une guerre des polices, entre police judiciaire et gendarmerie, qui ont traité séparément chacune des deux affaires qui nous occupaient, sans aucune intervention croisée , alors qu'il y était peu fait allusion jusque-là (ou alors j'ai loupé cet aspect, toute accrochée que j'étais à découvrir un réel « nouveau monde » !), et que ça n'apporte pas grand-chose à la compréhension finale des choses, si ce n'est accentuer encore une fois une corruption très, très présente à tous les niveaux au Gabon, et certainement dans les forces de l'ordre, mais on en était avertis dès le début.
    Cette conclusion un peu abrupte donne une impression de précipitation, comme si l'auteur en avait eu assez d'écrire et avait tout résolu en quelques lignes sans plus aucune vraie surprise ni valeur narrative, pour en finir : dommage, car ça gâche une impression d'ensemble autrement très réussie, entre originalité et ce reflet d'une réalité bien dure, qu'on devine être le quotidien dans ce lointain Gabon…

    Ainsi, en refermant ce polar, je peux dire que l'intrigue même est peut-être un peu décevante, mais ce n'est pas pour ça qu'on lit un tel polar Je retiens surtout sa grande originalité liée à ses réalités gabonaises, qui peuvent paraître archaïques ou hallucinantes à nos yeux nord-occidentaux quand il s'agit de traiter une (double) affaire criminelle. J'ai apprécié la grande richesse d'un langage foisonnant, parfois à la limite du vulgaire, souvent très imagé, indéniablement très « couleur locale », qui participe à nous transporter dans un autre monde : dépaysement et plaisir de lecture garantis !

  • Grominou

    Modératrice

    Hors ligne

    #243 19 Septembre 2022 20:08:19

    Je partage ton appréciation de Projet Dernière Chance (à part que les parties scientifiques m'ont plu, ça c'est mon petit côté nerd!). Ce parfait mélange d'humour et d'émotion est assez rare en SF, je trouve!
  • FloXy

    Empereur des pages

    Hors ligne

    #244 19 Septembre 2022 20:43:58

    Bon et bien je vais être obligé de tenter Andy Weir du coup. Par ta faute. :euhnon:
    Si il me déçoit je ne manquerai pas de venir me plaindre. :chut:
  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

    Hors ligne

    #245 22 Septembre 2022 10:44:13

    Bonjour à tous,

    Grominou : ah! je n'ai pas lu ton avis sur ton blogue (si tu l'as publié), mais je vais aller fouiller du coup... ;)

    FloXy : pour le peu que je commence à percevoir de tes goûts, à travers ce que tu laisses filtrer ici ou là, ça ne devrait pas te déplaire, je n'ai donc pas pris un trop gros risque !


    Et me voici avec trois nouveaux livres : un "rentrée littéraire" très poétique et à la couverture que je trouve magnifique, un manga (eh oui, ça m'arrive!) tout mignon... et une grosse déception, sur un livre qui a pourtant eu un max de commentaires positifs - c'est même drôle: j'ai indiqué avoir fini ce livre vers minuit et demi, et ce matin j'avais deux "likes" ... mais un a disparu depuis que j'ai ajouté mon avis ! :ptdr: (comme je ne regarde que très rarement qui aime mes lectures, je n'ai aucune idée de qui s'est désisté, mais en tout cas je trouve ça drôle !)

    Ainsi donc :

    L'île haute de Valentine Goby,
    publié chez Actes Sud cet été 2022, lu dans sa version ebook - un très bon 18/20

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    Synopsis : Un jour d’hiver, le jeune Vadim, petit Parisien de douze ans, gamin des Batignolles, inquiet et asthmatique, est conduit par le train vers un air plus pur. Il ignore tout des gens qui vont l’héberger, quelque part dans un repli des hautes montagnes. Il est transi de fatigue quand, au sortir du wagon, puis d’un tunnel – l’avalanche a bloqué la voie –, il foule la neige épaisse et pesante, met ses pas dans ceux d’un inconnu. Avance vers un endroit dont il ne sait rien. Ouvre bientôt les yeux sur un décor qui le sidère, archipel de sommets entre brume et nuages, hameau blotti sur un replat. Immensité enivrante qui le rend minuscule. Là, tout va commencer, il faudra apprendre : surmonter la séparation, passer de la stupeur à l’apprivoisement, de l’éblouissement à la connais­sance. Con­fier sa vie à d’autres, à ceux qui l’accueillent et qui savent ce qui doit advenir.
    L’île haute est le récit initiatique d’une absolue première fois, d’une découverte impensable : somptueux roman-paysage qui emplit le regard jusqu’à l’irradier d’hu­­­milité et d’humanité. Images et perceptions qui nous traversent comme autant d’émotions, nous élèvent vers ces ailleurs bouleversants, ces montagnes dont la démesure change et libère les hommes – et sauve un enfant.


    Mon avis :
    Voici un nouveau livre de cette rentrée littéraire, qui était proposé par Lirtuel, « ma » bibliothèque virtuelle belge francophone gratuite – dont j'ai déjà tellement parlé que ceux qui me suivent vont finir par se lasser ! ;)
    Le lire était dès lors une évidence : la couverture est magnifique (n'est-ce pas ?), le titre est intriguant, et l'éditeur figure parmi ceux que je considère comme une valeur sûre et que je suis depuis très longtemps, depuis que je lis des livres « d'adultes » en tout cas alors que j'étais encore ado, à l'époque où je fréquentais une petite bibliothèque (déjà !) de quartier avec mes parents.

    Il ne se passe pourtant pas grand-chose dans ce livre : c'est un récit du quotidien, dans une vallée perdue et, au début de l'histoire, complètement isolée du reste du monde à cause de la saison hiver qui a tout recouvert avec menace d'avalanches. Nous sommes en 1942, et le jeune Parisien, Vincent, 12 ans, asthmatique, a été envoyé là-bas, à Vallorcine, dans ces montagnes qu'il n'a jamais vues (et puis, que sont des images dans un vieux livres, par rapport à la réalité d'une montagne que l'on découvre tout à coup ?) pour tenter de se soigner.

    Dès les tout premiers mots, on comprend que ce livre va être un hommage émerveillé à la montagne au fil des saisons, et aux hommes et femmes rudes (mais de coeur) qui l'habitent, qui en vivent au jour le jour, entre travail, école pour les plus jeunes, et Église omniprésente mais apparemment bienveillante. Le lecteur découvre ainsi, à travers les yeux de Vincent, un décor somptueux, que l'autrice évoque avec un grand art, dans un langage toujours très poétique mais non moins descriptif et réaliste, chargé d'une indicible émotion de toutes ces « premières fois » qui bouleversent notre petit Parisien… et tout autant le lecteur, pour peu qu'il soit au moins un peu sensible aux merveilles de la nature au fil des saisons. Les hommes et les femmes ne sont pas oubliés non plus, dans leurs tâches rudes qui les occupent inlassablement, du matin au soir, et ne leur laissent aucun de ces « loisirs » qui commencent à apparaître, notamment avec la venue des (rares) touristes qui viennent là l'été – pour autant, on ne ressent pas de sentiment d'injustice ou de révolte dans le chef des locaux, au mieux une vague incompréhension, pour eux qui vivent leur vie telle qu'elle est depuis toujours dans ce lieu peu accessible au reste du monde, gestes du quotidien et autres traditions que l'on se transmet de génération en génération, dès le plus jeune âge.

    Le tout est d'une beauté renversante, même si certains passages m'ont fait osciller entre le sentiment que l'autrice en fait peut-être un peu trop, à chercher tant et tant de mots pour décrire l'indescriptible d'une montagne toujours changeante, toujours imprévisible, et une émotion qui serre tout à coup le coeur car, même si on ne connaît pas cette région en particulier, comme je disais plus haut, on pense à n'importe quelle autre montagne qui nous a marqué d'une « première fois » comme le petit Vincent, et on en est tout retourné !

    Cela dit, ce livre ne serait qu'une description, certes magnifique, d'un cadre majestueux, s'il n'y avait aussi une histoire sous-jacente dans l'histoire, presque toujours en filigrane, mais tellement toujours présente et qui nous dit à chaque page tournée : « n'oublions jamais ! ».
    C'est que Vincent s'appelle en réalité Vadim. De père russe émigré en France et de tradition juive, et malgré une mère française athée, il est bel et bien étiqueté « juif » dans ce monde de 1942 occupé par l'Allemagne nazie. Or, tandis que sa famille, refusant de porter l'étoile jaune, s'est dispersée pour échapper aux rafles de plus en plus nombreuses, Vallorcine est un refuge pour notre jeune héros. Mais pour combien de temps ? Au début de l'histoire, Vallorcine est mollement occupée par les soldats italiens, les ennemis certes, mais surtout les voisins et compagnons de toujours, avec qui les locaux partagent tant et tant de traditions, un patois même, et cette rude vie de montagne qui n'a pas de frontières ; ils n'en restent pas moins une menace, mais voilée et bien loin des réalités que Vadim-Vincent aurait affrontées à Paris. Hélas, la guerre reste présente, toujours, jusqu'à un dénouement attendu, qu'on devinait en partie, mais auquel on ne voulait pas croire…

    J'ai ainsi terminé ce livre terriblement poétique avec émotion, hommage à ce décor somptueux qu'est une montagne toujours changeante, toujours imprévisible, au fil des jours et des saisons, avec ses habitants rudes mais au grand coeur qui se transmettent leurs gestes du quotidien de génération en génération dès le plus jeune âge. Il touche ainsi le lecteur au plus profond de ses propres souvenirs émerveillés. Mais c'est aussi un décor planté avec finesse dans la réalité de 1942, avec la présence en filigrane de la guerre, entre drame et absurdité, qui nous dit « n'oublions jamais » !





    Soupinou, tome 1 de Yuu Horii,
    publié aux éditions Komikku en 2020, lu dans sa version papier - un tout mignon 17/20

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    Synopsis : Tina et son frère Nicolas vivent dans un petit village cosy en Finlande. Ils y tiennent un magasin de soupe qui fait fureur auprès des habitants. Un jour, Nicolas voit un pissenlit qui flotte près de la fenêtre de leur maison. Il l’attrape puis l’enferme dans un bocal. Contre toute attente, la fleur se transforme en un petit être tout mignon ! Le frère et la sœur fondent littéralement devant lui et l’adoptent immédiatement. Affublé d’un petit pull qu’ils lui ont tricoté, Soupinou devient un membre de la famille et il va leur faire vivre plein de petites aventures toute plus drôles les unes que les autres dans Soupinou !

    Mon avis :
    Moh ! que de mignonnerie dans ce manga !...
    Mais voilà que je m'emballe déjà ! Pour la petite histoire : vous le savez, je ne suis pas lectrice d'illustrés, quels qu'ils soient – je lis certes une BD de-ci de-là en fonction des rares challenges qui en demandent explicitement, et encore moins de mangas, car ils ne m'attirent pas spontanément. Mais voilà : quand votre fils de pas tout à fait 10 ans, qui déclare lui-même ne pas aimer lire « quand il n'y a pas d'images » (alors qu'il a, vraiment, un tout bon niveau de lecture, mais bon…) ; bref, que ce gamin vous presse de lui offrir l'un ou l'autre manga, vous acceptez un inévitable Dragon Ball, et vous proposez un autre titre, parmi une petite sélection proposée par des copinautes, lectrices plus assidues de mangas.

    C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec ce fameux Soupinou dans les mains !
    L'histoire façon "tranche de vie" est extrêmement simple et clairement destinée aux enfants : Nicolas et Tina sont frère et soeur, ils vivent seuls (alors qu'ils sont à peine de très jeunes adultes) dans un chalet en Finlande ; Nicolas est bibliothécaire, mais soutient Tina dans son petit magasin de soupes dès qu'il le peut. Un jour de plein hiver, une toute petite boule duveteuse débarque chez eux depuis le néant (ou l'espace ?). Se basant sur une légende japonaise qui pourrait expliquer ce qu'est cette petite boule, ils décident de la nourrir et de la voir évoluer… et c'est ainsi que grandit celui qui deviendra Soupinou, comme un tout petit animal de compagnie adorable (et adoré, surtout de Tina), à la découverte de son environnement.

    Je l'ai dit : c'est tout plein de mignonnerie, avec une histoire faite de petites anecdotes de la vie au quotidien avec l'adorable petit Soupinou. On ressent à travers tout cela une grande complicité entre le frère et la soeur, qui se préoccupent réellement l'un de l'autre, et sont tous deux à l'écoute de l'évolution et des « désirs » de leur petit Soupinou, même s'ils ne savent pas exactement ce que c'est – et ne semblent pas s'en préoccuper outre mesure. On peut donc dire que l'autrice nous délivre, l'air de rien, un tout beau message plein de bons sentiments.
    Par ailleurs, elle profite de cette histoire pour glisser quelques mots sur cette légende japonaise des « kesaran pasaran », ou encore pour nous livrer quelques anecdotes sur la vie en Finlande : que ce soit le fait que ce pays compte un nombre incroyable de lacs, qu'on y mange tel ou tel type de soupe, ou que l'hiver y soit particulièrement long ! Ce n'est évidemment pas un guide touristique sur ce pays, qui a bien autre chose à offrir que quelques anecdotes à l'intérêt mitigé, mais ça donne déjà quelques petites idées bien sympathiques.

    Finalement, c'est le graphisme qui pose le petit bémol, qui ne casse en rien l'enchantement, cependant, mais qui interpelle le lecteur adulte. Bien évidemment, les dessins sont adorables de mignonnerie et participent de façon évidente au sentiment d'ensemble que dégage ce manga, rien à dire là-dessus !
    Mais voilà : il pose quelques menus problèmes de cohérence – qui n'ont aucune importance pour l'histoire, je me répète, c'est juste un bémol d'adulte, « pour dire quelque chose » ! Bref, Nicolas et Tina, sont-ils japonais ou finlandais ? Nicolas est assez typé asiatique (même si c'est un peu ambigu, comme souvent dans les mangas et autres dessins animés japonais que je regardais à la télé, déjà dans mon enfance !), tandis que Tina, avec ses grands yeux kawai et ses longs cheveux blonds, est carrément typée caucasienne, et probablement finlandaise. Mais alors, comment peuvent-ils être frère et soeur ? Et pourquoi cette référence à une légende japonaise, alors qu'on est au coeur de la Finlande, et que l'autrice s'attache à montrer plusieurs aspects de ce pays (si lointain pour elle) qu'elle semble apprécier ?! À nouveau : ce n'est absolument pas gênant, mais ce n'est pas tout à fait cohérent…

    Outre ces détails, je suis un peu déçue du travail autour des bouches des personnages… Alors que le dessin est tout tendre et ravissant, les expressions sont trop souvent bizarres, à cause des bouches ! En effet, Nicolas a une toute petite bouche, et est souvent présenté les lèvres pincées, ce qui lui donne un petit air grognon, qui contredit pourtant son amour (tout fraternel !) pour sa soeur… et puis il passe d'un instant à l'autre à une autre expression. En effet, l'autrice dessine trop souvent (surtout chez Tina, mais parfois aussi avec Nicolas, donc) des bouches grandes ouvertes, que ce soit de profil en ouverture, ou de face et c'est alors grisé. Malheureusement, ces bouches, « bées » presque en permanence, finissent par casser toute possibilité d'expressions plus fines : on a juste l'impression qu'ils sont hilares à longueur de journée, ou bien en train de crier malgré le sourire dans leurs yeux (très réussis quant à eux), ou peut-être même sont-ils un peu bêbêtes !? C'est le seul bémol qui m'ait vraiment choquée, et quelque peu agacée à la longue (vous restez la bouche ouverte à pseudo-rire toute la journée, vous?) : dommage, car un travail aussi fin sur les bouches, que sur le reste des traits du visage, en aurait fait un manga parfait !





    Le requiem des abysses de Maxime Chattam,
    publié en 2011 chez Albin Michel, également sorti en poche en 2013 chez Pocket, lu dans sa version ebook - un malheureux 04/20, étant entendu que cette note et cet avis sont strictement personnels et n'engagent que moi à cet instant précis de ma vie, et que ce livre n'est pas forcément "mauvais" pour d'autres lecteurs !

    <image>

    Synopsis : Pour oublier le criminel qui a terrorisé Paris lors de l’Exposition universelle de 1900 et se remettre de leurs aventures, l’écrivain Guy de Timée et Faustine, la belle catin, se sont réfugiés au château d’Elseneur dans le Vexin. Mais là, dans une ferme isolée, une famille est assassinée selon une mise en scène macabre, alors que l’ombre d’une créature étrange rode dans les champs environnants…
    Guy, dans sa soif de comprendre le Mal, de le définir dans ses romans, replonge dans ses vieux démons, endossant à nouveau ce rôle de criminologue, qui le conduit peu à peu, comme un profiler avant la lettre, à dresser le portrait du monstre. Pendant ce temps, à Paris, les momies se réveillent, les médiums périssent étrangement et les rumeurs les plus folles se répandent dans les cercles occultes...


    Mon avis :
    Décidément, Maxime Chattam n'est pas un auteur pour moi !
    Je l'avais découvert avec « L'Illusion », dont j'ai gardé un avis mitigé ; je parlais même de « relative déception » pour commencer mon commentaire – mais je ne vais pas vous le retranscrire ici !
    Un certain temps plus tard, dans le cadre d'une grille Loto d'un challenge, qui met donc l'auteur en avant, j'avais tenté « Léviatemps », c'est-à-dire le 1er tome de ce diptyque du Temps que le présent livre termine. Et donc, si mon avis sur « Léviatemps » était un peu moins pire que sur « L'Illusion », je n'étais pas tout à fait emballée non plus, mais j'avais apprécié l'ambiance bien rendue de l'Exposition universelle de 1900, tandis que le personnage principal m'agaçait au plus haut point…

    Mais voilà : la magie de l'Exposition universelle ne marche plus, puisqu'on n'est plus à Paris, mais à la campagne pour la plus grande partie du livre, face à des événements carrément démentiels qui sont l'oeuvre de ce qu'on n'appelait pas encore un tueur en série. Et, si l'auteur s'est visiblement bien renseigné sur les techniques et (toutes petites) avancées en criminologie et en profilage (qu'on n'appelait évidemment pas encore ainsi !) de l'époque, il reprend son personnage principal qui, pour moi, ne « marche pas ».
    Eh oui : ce fameux Guy m'a irritée plus que jamais, tandis que Faustine est mise en retrait, dans un rôle de potiche, définitivement, auquel elle avait pourtant échappé dans le premier tome ! Mais donc, Guy est désormais d'une fatuité sans égale : parce qu'il est écrivain ( !? j'ai envie de dire : ben voyons !), il sait tout mieux que tout le monde, est plus rigoureux et plus scientifique et plus pragmatique que des gendarmes qui paraissent dès lors à moitié débiles, alors que lui laisse parler son imaginaire et ose avoir une autre vision sur les choses. Cependant, lui le grand imaginatif qui va au bout de ses intuitions, refuse de croire au spiritisme (très en vogue à l'époque) et c'est tout juste s'il ne se moque pas ouvertement de ceux qui le pratiquent, même s'il semble les respecter vaguement par ailleurs.

    Bref, un type plein de contradiction, on l'est tous ok, mais à la lâcheté flamboyante et à la pédanterie harassante. Il m'a carrément choquée dans ce long (et inutile) passage où il évoque tout à coup, comme surgi d'un néant issu du 1er tome, un vague remords pour l'abandon de sa femme (soi-disant castratrice, mais on n'aura jamais que son point de vue à lui) et de sa fille (qu'il adorait pourtant, dit-il). Avec ça, il se sent encore et toujours trop lâche pour seulement leur expliquer en face les raisons de son départ… Bon, au moins il est capable d'avouer sa lâcheté… et de reconnaître que, en parallèle, il ne rêve que de batifoler avec Faustine !? Mouais… Pourquoi tourner ainsi autour du pot ? Ce mec a été incapable d'être fidèle à sa famille, il ne serait certes pas le premier, mais malgré ses grands airs dans une affaire tortueuse, il ne cesse de se donner de fausses bonnes raisons pour s'auto-excuser, et reste par ailleurs trop lâche pour affronter un éventuel divorce (ah ! les avocats de son beau-père ont bon dos !), tout en rêvant de s'envoyer une maîtresse a priori inaccessible – vous avez compris : je ne supporte pas cette lâcheté entachée de tant d'incohérences, dans le chef d'un type qui, par ailleurs, s'improvise super-profileur, meilleur que tous les autres qui s'y risqueraient, dans un monde qui ne connaît pas encore cette fonction…
    Il m'agace, il m'agace, mais il m'agace !

    Or, il semble bien que j'ai du mal, beaucoup de mal à apprécier un livre dont le personnage principal, que l'auteur semble réellement affectionner, me déplaît autant ! Par ailleurs, c'est désormais, bel et bien, lui le seul personnage principal… et il en fait des masses ! Dans les premiers 50% au moins, on a un peu d'action, beaucoup de sang et de boyaux, et beaucoup plus encore de réflexions (souvent redondantes, et qui ne semblent mener nulle part) de notre Guy. Et c'est long, et le langage est grandiloquent, voire pédant – comme si, à travers ce personnage que je trouve vraiment détestable, Maxime Chattam avait eu besoin de montrer qu'il sait écrire avec du vocabulaire… mais il en fait tellement trop que c'est tout simplement lassant !
    Et je m'ennuie, je m'ennuie, mais je m'ennuie !

    Bref, autant le dire clairement : si ce livre ne s'inscrivait pas dans l'exercice particulier d'un challenge, je ne l'aurais tout simplement pas terminé, car je n'ai pris aucun plaisir à le lire.
    Ai-je eu raison (de le poursuivre malgré tout) ? L'auteur finit par ramener nos personnages à Paris, après avoir pseudo-résolu la partie campagnarde de l'affaire, pour se retrouver plongé dans l'évocation du tome précédent – dont j'avais oublié un certain nombre de détails, mais comme ils sont rappelés en long, en large et en travers, ce n'est pas tellement un problème ! C'est, à mon sens, une partie inutile, que l'auteur n'a ajoutée, vraisemblablement, que pour coller à son idée originale du Temps dont il s'était quand même pas mal éloigné, mais ça ne colle pas vraiment, ça ne convainc plus… et on ne le lit plus que parce qu'on retrouve quelques personnages sympathique du 1er tome !

    Quant au coupable final, qui couronne les deux tomes, je l'avais déjà soupçonné dans le tome précédent, et c'est devenu tellement évident au fil de ce 2e tome (même si ses motivations resteront obscures), l'effet de surprise a été pour moi complètement raté, je n'ai pu que penser : « enfin on y vient ! » et juste après « est-ce que ça va enfin finir, maintenant ? ».
    Et je ne vais pas m'appesantir sur « l'épitaphe » (dans n'importe quel autre livre, on aurait dit épilogue), où on ne sait plus trop si c'est un Guy narrateur (au moins centenaire, alors, puisqu'il semble même connaître Internet ?!) qui parle, ou l'auteur à travers lui, mais certains propos – qui justifient plus ou moins la guerre, et là on parle des deux guerres mondiales ! – sont à vomir.

    Arf ! je suis vraiment désolée d'écrire un commentaire aussi négatif ! D'habitude, je m'efforce de trouver les points positifs d'un livre, même quand ledit livre m'a déçue (car il y en a toujours, du positif comme du négatif), ou au pire je l'abandonne avant d'en arriver à le lire comme une épreuve interminable !
    Alors, oui : clairement Maxime Chattam sait écrire, on sent les qualités d'un style agréable et potentiellement prenant et il a des idées à revendre. Mais ici, il s'est perdu dans des longueurs inutiles et grandiloquentes, à travers un personnage principal qu'il semble affectionner, alors que pour moi, c'est l'un des plus détestables que j'aie jamais rencontrés dans un rôle de « bon » dans un thriller ! La magie du contexte historique (du tome précédent) a disparu, la femme échoue dans un rôle de potiche, et la chute n'a eu aucun effet de surprise. Bref, je suis passée à côté, mais alors, complètement !

    Dernière modification par domi_troizarsouilles (22 Septembre 2022 10:58:59)

  • Vaness M Lire

    Grand chef libraire

    Hors ligne

    #246 31 Octobre 2022 17:12:01

    domi_troizarsouilles a écrit

    Les sept morts d'Evelyn Hardcastle de Stuart Turton[/b][/large],
    publié chez Sonatine en 2019, puis en poche chez 10/18 en 2020... et, une fois n'est pas coutume, je l'ai lu dans la version poche!
    12/20 pour ce livre archi-connu, auquel je n'ai pas accroché, et j'ai eu beaucoup, beaucoup de mal à le terminer...

    [img align=C]https://img.livraddict.com/covers/379/379332//couv29612965.png[/url]

    Synopsis (très spoilant, mais c'est ainsi) : Ce soir à 11 heures, Evelyn Hardcastle va être assassinée.
    Qui, dans cette luxueuse demeure anglaise, a intérêt à la tuer ?
    Aiden Bishop a quelques heures pour trouver l’identité de l’assassin et empêcher le meurtre.
    Tant qu’il n’est pas parvenu à ses fins, il est condamné à revivre sans cesse la même journée.
    Celle de la mort d’Evelyn Hardcastle.


    Mon avis :
    J'avais repéré ce livre depuis un moment, entre autres grâce à sa couverture, et parce que plusieurs lecteurs que je suis (sur Livraddict ou sur Babelio) l'ont lu plus ou moins récemment, ce qui m'avait interpelée. Et voilà : j'ai passé le pas de me lancer quand il a été proposé en lecture commune sur l'un des challenges auxquels je participe. Cependant, ce n'est qu'après l'avoir commencé (et m'être demandé dès les premières pages : mais c'est quoi ça ?) que mes co-lecteurs ont attiré mon attention sur le fait que, ce livre, on l'adore ou on le déteste !
    Je suis un peu plus nuancée, mais clairement je ne fais pas partie du clan « on adore » !

    Pour commencer, je n'avais que survolé le 4e de couverture (auquel beaucoup reprochent d'être trop spoilant, et en le lisant aujourd'hui, je m'aperçois qu'ils ont tout à fait raison !), Il semble aussi que la 1re parution en français portait de nombreux éloges, comparaisons avec certains "classiques", pourtant lesdites références qui sont citées ici ou là ne me parlent pas : bien sûr je connais Agatha Christie (comme « tout le monde ») mais grâce à sa renommée et les nombreuses adaptations télé ou ciné de ses livres, que je n'ai quant à eux jamais lus ; Dowton Abbey, connais pas non plus (si ce n'est de nom) et ça ne m'intéresse pas ; Cluedo, enfin, mes enfants adorent y jouer et je les rejoins de temps en temps, mais ce n'est pas l'un de mes jeux favoris – et si vous me demandiez d'y jouer là maintenant, je devrais d'abord relire les règles en long, en large et en travers !
    Bref, je n'avais aucun a priori en commençant ce livre, et aucun point de comparaison – qui, dans la plupart des cas, ont déçu ceux qui semblaient en attendre quelque chose…

    Et pourtant, j'ai eu beaucoup, beaucoup de mal à entrer dans ce livre ! (que j'ai lu dans sa version poche, 600 pages ! je crois bien que je n'ai jamais lu aussi lentement un petit format… moi qui n'ai pourtant jamais été effrayée par les « pavés » !)
    Je peux dire que, en comptant à la très grosse louche, on reste dans le brouillard le plus total, à l'image du personnage principal apparemment amnésique, pendant les 100 premières pages. D'emblée, ça m'a bien un peu déplu, moi lectrice habituée aux polars et thrillers (et par ailleurs je n'ai rien contre une touche de fantastique), mais ici on n'a rien de rien, pas un seul indice, on nage dans une purée de pois épaisse et on se cogne dans tous les recoins de ce vieux manoir en grande partie délabré, où on se retrouve sans même trop savoir pourquoi… Passé la 200e page, les choses se sont à peine éclaircies, de nouveaux personnages sont apparus, notamment ce « médecin de peste » bien énigmatique… et complètement anachronique ! sachant que cette figure est typique du moyen-âge et apparemment jusqu'au XVIIIe siècle, tandis que le contexte de l'histoire, qui parle par exemple de l'utilisation généralisée des calèches (et même d'une automobile privée !) ou d'un téléphone, nous amène plutôt à la fin du XIXe…

    À ce stade, j'avais déjà eu envie d'abandonner au moins 20 fois, mais je me suis entêtée – entre autres par respect pour mes co-lectrices, même si elles m'assuraient que ma défection ne les dérangerait pas. Ainsi, jusqu'à la moitié du livre, j'ai ramé, ramé, ramé… mais peu à peu, bizarrement, le voile de brouillard commence à se lever, et même si l'auteur ne nous laisse encore que très peu d'indices, on en a désormais juste assez pour se dire qu'on a peut-être quand même envie de comprendre le comment du pourquoi… et donc d'aller jusqu'au bout.
    Malheureusement, le rythme ne va jamais vraiment s'accélérer, les indices suivants sont donnés au compte-gouttes, dans un méli-mélo de repères temporels et de personnages, au point que j'ai fini par ne plus très bien comprendre ni le quand ni le qui, d'autant plus qu'on y a ajouté un certain nombre de personnages et de filiations diverses et variées. Et surtout, c'est long, long, long, et cette ambiance pluvieuse dans ce manoir dont on ne cesse de répéter le délabrement… comment dire ? on avait compris depuis un moment qu'il ne fait pas bon vivre à Blackheath, mais l'auteur s'est plu à insister encore et encore sur ce point !

    Et bien entendu, c'est dans les 100 dernières pages, que dis-je, dans les 50 dernières pages, que tout à coup tout fait sens, qu'un twist final vient tout éclairer, pour une « sortie » en eau de boudin – bref, tous les ingrédients qui font tout ce qui m'agace dans un vrai mauvais policier : l'auteur a gardé sa révélation finale sous le coude, et la ressort au bout de ce chemin aussi long que pénible ! Certes, j'avoue : si j'avais accroché un peu plus, peut-être aurais-je trouvé que ce fameux twist final, sans être prévisible, a été en quelque sorte amené… mais j'étais tellement lasse de cette lecture interminable, où les mots ne formaient plus que vaguement des phrases, et cette idée « mais est-ce qu'on va enfin arriver au bout ? », que je n'ai pas eu ce sentiment de satisfaction quand on comprend la soudaine évidence bien préparée par l'auteur.

    Pour le reste, disais-je, je ne fais pas partie de ceux qui ont détesté, car d'une certaine façon, je suis assez admirative de la maîtrise de l'auteur dans ce jeu de piste – qui, en réalité, ressemble bien davantage à une forme d'escape game, où les participants n'auraient à peu près aucune clé, mais doivent tout trouver par eux-mêmes… et bien entendu, font le nécessaire pour y arriver, dans la limite de toute une série de contraintes qu'ils découvrent au fur et à mesure.
    Le problème, c'est que je déteste les escape games...
    Mon côté claustrophobe ne supporte que très mal l'enfermement… or ici, on est quand même dans un fameux huis-clos (autant temporel que géographique), et j'ai réellement eu par moments un sentiment de suffocation, à la lecture de ce livre ! Paradoxalement, c'est précisément à cause de ce ressenti oppressant, un ressenti presque « physique » à la lecture d'un livre qui, pourtant, ne m'emballait pas, que j'en viens à dire que l'auteur a fait très fort – je dirais presque « bravo », si ça n'avait pas provoqué un sentiment plus proche du malaise que de l'adhésion !

    Par ailleurs, comme j'ai déjà soulevé à plusieurs reprises : c'est long, long, long ! Evelyn Hardcastle ne pouvait-elle pas mourir juste 4 ou 5 fois ? Bien sûr, l'auteur a réussi à trouver une quelconque utilité (parfois minime) à chacun des personnages, mais il aurait tout aussi bien pu le faire, en adaptant quelque peu l'intrigue, avec moitié moins de personnages : ça n'aurait pas moins bien marché, mais ça aurait limité la confusion, et surtout cette incommensurable ennui de voir que ça n'en finit jamais…
    Si seulement les personnages avaient été attachants ! mais non, même cela est enlevé au lecteur. Sans vouloir spoiler outre mesure, le tout premier serait presque sympathique dans son désarroi amnésique, mais quand on finit par comprendre qu'en fait c'est un sale type, on recule d'un pas… et les suivants seront de mal en pis, tous des gens antipathiques et/ou peu fréquentables d'une façon ou d'une autre !
    Pour le dire autrement : tout au long de ces interminables 600 pages, l'auteur ne m'a pas donné une seule fois l'occasion de me raccrocher à quoi que ce soit ! Ni un indice puisqu'ils sont distillés à une vitesse de compte-gouttes à la bave d'escargot, ni un personnage puisqu'ils se rendent tous peu aimables ou louches ou peu dignes de confiance, ni un repère temporel puisqu'on joue là-dessus aussi pour mieux perdre le personnage principal (et le lecteur). Je n'ai pas forcément besoin d'être tenue par la main quand je lis un policier (ni un quelconque livre), mais quand on veut en faire trop dans la non-divulgation d'éléments qui permettent de tracer une piste, on finit peut-être par se planter.

    Ainsi, sans me revendiquer de l'équipe qui « déteste » ce livre, je suis très, très loin d'avoir été séduite. J'ai une certaine admiration pour sa construction très maîtrisée et son ambiance très bien rendue, peut-être même à l'excès. Cependant, l'histoire est beaucoup, beaucoup trop longue, avec une multitude de personnages jamais attachants et qu'on finit par ne plus reconnaître, au fil d'indices semés avec une parcimonie insupportable, pour une révélation finale bien trop tardive et même pas convaincante.


    Coucou. Déjà bravo pour ce long résumé.
    Je  ne prends jamais le temps d'en faire d'aussi long.

    J'ai adoré ce roman. Voici mon avis.
    Un roman passionnant, intrigant et désarmant. L'auteur dépoussière le roman policier avec cette intrigue qui fait penser à un Cluedo grandeur nature. J'ai bien aimé le mélange entre Agatha Christie et Un Jour sans fin.

  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

    Hors ligne

    #247 08 Décembre 2022 10:47:44

    Bonjour à tous,

    Mon super-suivi :ptdr: est une nouvelle fois en train de s'enliser dans les tréfonds de Livraddict. Deux mois et demi que je ne suis plus venue !
    Certes, je lis beaucoup moins (toutes proportions gardées) que lors de ma reprise de la lecture après une "panne" de 15 ans ! C'est que, maintenant que les enfants sont de plus en plus autonomes, et que je m'autorise à vivre aussi en tant que moi-même (oui, c'est alambiqué, mais c'est tout à fait ça!) et pas seulement en tant qu'épouse et mère, je redécouvre mes passions. La lecture a été la première, très grande bénéficiaire de ce mouvement, dès fin 2021... mais depuis quelques mois, tout en restant (très) importante, cette passion-là doit laisser de la place à la musique - pour mon bonheur, même si je "râle" parfois en voyant mes statitistiques, pas tout à fait au beau fixe ! ;)
    Je passe désormais trois soirs par semaine à l'académie ou en école privée, et là nous sommes en route pour les auditions et autres concerts d'élèves de fin d'année - le trac monte petit à petit, moi qui n'ai plus joué ou chanté en public depuis... 1995 !!

    Bref, tout va bien :-) , et rassurez-vous (ou pas) : j'aime toujours autant lire, même si je le fais moins ; vous n'êtes pas encore débarrassés de moi ! :chut:

    Je viens vous parler aujourd'hui d'un petit livre, lu il y a quelques jours, qui m'a beaucoup touchée. Il a des avis tellement contrastés - surtout sur Babelio, il est beaucoup moins commenté sur LA et ne compte qu'une seule chronique "extérieure". Je vous le conseille néanmoins... ou, pour le moins, serais curieuse de connaître vos avis !

    Il s'agit de :

    La ligne de nage de Julie Otsuka,
    publié chez Gallimard en cette rentrée littéraire 2022, lu en version ebook (emprunt bibliothèque) - 17/20.

    <image>

    Synopsis : Nageurs et nageuses de cette piscine que tous appellent "là en bas" ne se connaissent qu'à travers leurs routines et petites manies, et les longueurs, encore, encore. Ils y viennent à heure fixe pour se libérer des fardeaux de "là-haut". Alice, tout spécialement, trouve un grand réconfort dans sa ligne de nage. Et puis un jour, une fissure apparaît au fond, dans le grand bain, en préfigurant d'autres, celles de son cerveau. Pour elle, l'inéluctable fermeture résonne comme un clap de fin. Remontent alors à la surface des souvenirs de jadis, de l'internement dans un camp pour Nippo-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, d'une enfant perdue très tôt, pourtant si parfaite... Mais Alice oublie chaque jour un peu plus. Là où il faudra bien se résoudre à l'enfermer, sa fille essaie de sauver quelques lambeaux du paysage fracturé qu'est devenue leur relation lacunaire.

    Mon avis :
    Voici un énième livre que je lis dans le cadre de la rentrée littéraire (même si cette dernière s’éloigne de plus en plus, tandis qu’approche peu à peu celle d’hiver !), encore une fois grâce à l’important choix de livres inspirants au catalogue de Lirtuel – la bibliothèque belge francophone gratuite virtuelle !
    On commence par être interpelé par sa note assez faible (surtout chez Babelio), et le fait que les commentaires sont très contrastés : soit on adore, soit on déteste, et pour le peu de commentaires que j’ai survolés, c’est toujours pour des raisons très personnelles !

    Alors, bien sûr, le but de cet avis n’est pas de faire un commentaire sur les commentaires – ce serait le comble ! – mais plutôt de m’inscrire dans cette continuité : si ce (petit) livre m’a tant touchée, c’est aussi pour des raisons, en partie du moins, assez personnelles.
    C’est que ce livre se divise clairement en deux parties : la partie « nage » au sens propre, avec cette fissure incompréhensible et jamais expliquée qui apparaît dans le fond de la piscine, puis toute la partie métaphorique et la fin de vie d’Alice en maison de retraite – oui, oui, j’ai bien dit « maison de retraite », je reviens là-dessus plus loin ! Il est à noter cependant que, même si la plupart des lecteurs, y compris les avis « officiels » publiés ici ou là, voient un lien qu’ils tentent de décrypter entre ces deux parties, l’autrice quant à elle est extrêmement évasive sur un tel lien, ne le fait tout simplement pas ! Ce lien est comme « suspendu », et seul le lecteur peut l’interpréter selon son propre ressenti. La seule chose explicite qu’on a entre les deux parties, c’est que Alice, notre « héroïne », faisait partie du groupe des nageurs… et que, après son départ vers sa fin de vie, lesdits nageurs (qui dès lors ne sont plus nommés) font partie des derniers qui continuent à lui rendre visite… et rien que ça, c'est tout simplement beau !

    Tout ça pour dire : il se trouve que je suis moi aussi nageuse, depuis l’enfance, et les piscines ont (presque) toujours fait partie de ma vie, de façon plus ou moins intensive selon les époques. De plus, je suis passée par plusieurs « profils » tels que décrits dans ce livre : nageuse compétitrice, nageuse loisirs qui allait au couloir des « rapides », puis à nouveau compétitrice en club pendant quelques années, et désormais nageuse loisirs occasionnelle mais encore au couloir des « moyens » (même si, parfois, je me dis que je devrais passer aux « lents »). Je peux donc dire que, à un moment ou un autre, j’ai vécu tout ce que l’autrice raconte ici, et notamment : ce sentiment, quel que soit notre profil ou la piscine qu’on fréquente, d’appartenir à un cercle particulier – ce fait, qui m’a bien fait rire, qu’on se reconnaît en tenue de nage, qu’on se salue, qu’on a nos petits rites… mais qu’on se sent presque perdus quand on se croise par hasard, ici ou là, en étant « habillés » ! Et ce n’était là qu’un exemple, parmi bien d’autres où je me suis tellement retrouvée !
    Alors, soit Julie Otsuka est une sociologue particulièrement avertie, soit elle est tout simplement nageuse elle aussi (et bonne observatrice), pour avoir su rendre cela avec une telle justesse ! et un humour sous-jacent, notamment à travers ces « listes » qui rendent l’écriture assez nerveuse, un peu à la Amélie Poulain (certains parlent d’inventaire à la Prévert, mais j’avoue que je ne connais pas assez !), de façon toujours très maîtrisée, et qui m’ont fait sourire plus d’une fois.

    Et puis on passe, presque abruptement, à l’histoire d’Alice. Elle faisait partie de ce « club » non-dit des nageurs de cette piscine fissurée, mais peu à peu elle oublie… jusqu’à ce que, désormais officiellement malade (d’une de ces nombreuses maladies proches d’Alzheimer, avec des symptômes semblables, mais qui n’est pas ça quand même), se voit conduite en maison de retraite par ses proches, qui ne peuvent plus la gérer, à la suite de trop nombreux petits incidents qui ont fini par s’accumuler.

    Et c’est là que je m’agace une première fois ! Ce livre est américain, écrit par une autrice très clairement d’origine japonaise, et Gallimard le publie dans sa collection « du monde entier » : on est en plein international ! Alors, expliquez-moi pourquoi le lieu où Alice va désormais vivre a été traduit par un acronyme strictement franco-français ? Par « chance », j’ai déjà entendu ce mot (si l’on peut dire), car j’ai une amie infirmière française qui travaille avec des personnes âgées ; autrement, j’aurais été bien en peine de savoir de quoi on parlait…
    Car, oui, Ehpad n’est même pas un substantif, c’est l’acronyme de (j’ai dû chercher) « Établissement d’Hébergement pour les Personnes Âgées Dépendantes » - qui le sait encore, d’ailleurs, même en France ? mais donc, c’est typiquement franco-français : en Belgique (et au Luxembourg semble-t-il), ce mot n'existe tout simplement pas! on parle de maison de retraite, on ajoute « et de soins » si c’est explicitement médicalisé ; on a aussi le terme « séniorie » (ou parfois « foyer seniors ») qui regroupe tous ces types d’établissements. Je serais curieuse de savoir comment on dit en Suisse, ou au Québec… (Je ne parlerai pas de l’Afrique francophone qui, je crois, compte beaucoup moins d’établissements du genre que dans nos pays occidentaux, mais c’est un autre sujet !). En outre, il paraît – ai-je lu sur l’un ou l’autre site - que « Ehpad » est différent de « maison de retraite », dans la mesure où ça désigne un établissement médicalisé – ce que ne dit pourtant pas l’acronyme, à moins que « (personnes âgées) dépendantes » signifie « ayant besoin de soins médicaux » ?...
    Bref, je ne vais pas épiloguer plus longtemps là-dessus, mais je reste toujours profondément choquée quand une traduction, qui en plus ici se veut explicitement « du monde entier », s’adresse exclusivement à un lectorat hexagonal, au mépris de tous les autres francophones… du monde entier !

    Cela étant dit, dans cette seconde partie, l’écriture de l’autrice perd de sa nervosité - même si elle garde une manie de lister certaines choses, mais désormais ça ne fait plus sourire, au contraire, on est bien plus proche d’une certaine émotion. Peut-être pas pour les personnages du livre, même si pour ma part j’ai trouvé Alice très touchante du début à la fin, mais parce que chaque situation décrite nous renvoie à notre propre vécu (et ici, plus besoin d’être nageur !) : on a tous eu un proche qui a peu à peu perdu de son autonomie, sa mémoire, et même son bonheur de vivre…
    Ainsi, Julie Otsuka nous entraîne dans une espèce de mélancolie : dans le chef du mari qui se retrouve seul et voit sa moitié tant aimée s’étioler petit à petit, dans le chef de la fille qui s’est éloignée de sa mère depuis tant d’années, et oscille entre ce qui ressemble à de la culpabilité, et un vraisemblable désir de ne pas trop s’approcher quand même.

    Les établissements précités y sont aussi très fortement dénoncés, de façon toujours indirecte mais tellement acerbe, pour leur souci commercial avant le bien-être des patients ; un « bien-être » qui est trop souvent asséné à coup de tranquillisants peu à peu déshumanisants. Les soignants en tant que personnes ne sont pas dénigrés, mais on entend clairement qu’ils ont des diplômes et compétences variables, et qu’ils sont choisis pour tel ou tel patient varie selon ce que la famille du veut bien payer.
    Ici aussi, j’ai lu certains commentaires, notamment de personnes travaillant dans ce genre d’établissements, tout à fait outrés, disant que ça ne se passe pas comme ça, que c’est sans doute une particularité américaine, etc. J’espère tant qu’ils disent vrai ! Pourtant, des scandales récents ayant éclaté, en Belgique et en France, sur une « chaîne » (oups, pardon, on dit « groupe » ! je ne dirai pas le nom, qui commence par O.) ; bref, ce scandale récent dans certaines maisons de retraite semble prouver que cette réalité-là existe bel et bien ! Alors, est-ce vraiment une particularité américaine, ou un coup de malchance pour Alice qui s’est retrouvée justement dans le « mauvais » établissement ? Nous ne le saurons jamais, le traducteur s’étant cantonné à la facilité française de l’Ehpad, au lieu de creuser un peu les choses, et proposer une petite note ici ou là, qui aurait tranquillisé bien des lecteurs francophones, réellement soucieux du bien-être de l’une ou l’autre personne âgée de leur entourage !

    Si ces deux parties font l’essentiel du livre, et devraient suffire pour mon commentaire, j’ajouterai toutefois un élément récurrent, qui me laisse quelque peu perplexe. Il s’agit de ces allusions, toujours discrètes mais assez nombreuses, à l’internement en camp dans le désert que la famille d’Alice – une famille japonaise vivant aux États-Unis, faut-il le préciser ? – pendant la deuxième guerre mondiale. Il est question, çà et là du désert, des scorpions, du départ obligatoire et quelque peu précipité, du voyage en train, des possessions perdues du jour au lendemain, des bijoux volés qui devaient pourtant assurer l’avenir, etc.
    J’avoue que, pour ma part, c’est un épisode de la guerre dont on ne m’avait jamais parlé à l’école, par exemple, car on en parle assez peu de ce côté-ci du globe – et pourtant, c’est une période de l’histoire à laquelle je m’intéresse, mais en Europe, on est tellement plus centrés sur l’avancée nazie à travers nos pays, qu’aux événements « annexes » qui ont eu lieu ailleurs dans le monde… Je suppose que c’est normal ! Ainsi, ce n’est que très récemment, dans un documentaire vu à la télé (mais j’ai complètement oublié de quelle émission il s’agissait !), que j’ai appris que les citoyens américains d’origine japonaise avaient été internés dans des camps (Wikipédia parle explicitement de « camps de concentration » !) après Pearl Harbour, déracinant des familles entières dans des lieux éloignés - et, pour la famille d’Alice, carrément désertique.
    Or, je n’ai pas bien compris l’intérêt de ces allusions dans ce livre – à part le fait qu’elles enracinent la famille d’Alice dans une Histoire bien précise, je ne vois pas ce que ça apporte réellement à l’histoire de notre héroïne, ni en tant que nageuse, ni dans le contexte de sa fin de vie, d’autant plus qu’elle ne se souvient peu à peu de plus rien, pas de ça davantage que du reste ! Ressentiment de l’autrice, qui dans sa culpabilité envers sa mère qui s’éloigne, ressasse aussi des souvenirs familiaux plus anciens ? Il y a là quelque chose qui continue de m’échapper…

    Bref, ce livre est en quelque sorte « à tiroirs », en deux parties principales dont le lien subtil ne doit pas forcément être explicité : j’ai beaucoup apprécié et me suis reconnue dans bien des passages en tant que nageuse, avec en plus un humour à la Prévert assez nerveux mais toujours juste ; j’ai été touchée par toute la partie, beaucoup plus mélancolique, sur la fin de vie déshumanisée d’Alice. Je reste perplexe face aux allusions à l’internement des Nippo-américains, et je suis très déçue d’une traduction bien trop franco-française pour un livre « du monde entier ». Ça n’en reste pas moins une belle découverte, une plume à suivre !
  • domi_troizarsouilles

    Enfileur de mots

    Hors ligne

    #248 12 Janvier 2023 11:49:03

    Bonjour à tous,

    Mon suivi ne redécolle décidément pas...
    Sans regret, enfin pas trop, vu que mon mois de décembre a été plus qu'occupé, augmentant encore un peu plus le retard dans la rédaction de mes chroniques - dont certaines risquent bien de n'être jamais rédigées, ou alors en quelques lignes seulement, sous peine d'oublier complètement ce que j'ai pensé des lectures concernées!

    Si je viens tout à coup aujourd'hui, c'est pour vous partager une chronique que j'ai quand même rédigée, pour un livre qui a été très peu lu, alors qu'il le mérite franchement! Dès lors, si ma petite participation peut décider l'un ou l'autre vous de franchir le pas, pourquoi pas ?
    Je ne lui ai mis "que" 17/20 - ne me demandez pas pourquoi, c'est la note qui s'impose à mon esprit! - mais j'ai bien l'impression que mon commentaire est meilleur que cette note! O_o
    Il s'agit de :

    La Bestia de Carmen Mola,
    publié chez Actes Sud fin 2022, lu en version électronique empruntée.

    <image>

    Synopis : Au printemps 1834, dans Madrid assaillie par les guerres carlistes et le choléra, surgit le cadavre d’une pré-adolescente, sauvagement démembrée. Elle porte à la bouche un insigne en or représentant deux masses croisées. Dans les quartiers miséreux affolés, on attribue le crime à un animal chimérique géant, vite dénommé “La Bête”.
    Les disparitions se multiplient et il n’y a guère qu’un journaliste idéaliste pour croire que “La Bête” est un homme. Aidés d’un policier borgne et désabusé et d’une jeune orpheline, il mène l’enquête depuis les bas-fonds jusqu’aux palais à colonnades.
    L’enfer n’est pas toujours là où on le pense.
    Ce livre a reçu le prestigieux prix Premio Planeta en octobre 2021, qui récompense d'année en année les romans inédits les plus originaux écrits en langue espagnole.


    Mon avis :
    J’avais repéré ce livre en librairie depuis un moment et l’avais aussitôt ajouté à ma wish-list, tant il m’attirait, autant par sa couverture, aussi jolie qu’intrigante, que par le résumé. Mais bon, ladite WL ayant désormais dépassé les 2.000 titres (oui, oui, il faudrait que je fasse un tri !), il y avait beaucoup de chances que ce roman s’y perde… jusqu’à ce qu’il apparaisse au catalogue de Lirtuel, la bibliothèque belge francophone gratuite en ligne : je n’ai donc pas hésité une seule seconde à l’emprunter, et bien m’en a pris !

    Certes, le résumé est quelque peu trompeur, dans la mesure où la véritable personnage principale n’est pas exactement le journaliste mentionné, mais la jeune Lucía, 14 ans (quand je pense que c’est l’âge de ma fille, à quelques jours près !), qui en plus n’est pas orpheline dès le début du livre, ce qui a une certaine importance. En outre, le fameux journaliste, Diego, s’il prend une grande place dans l’histoire au point d’en être lui aussi un acteur principal (mais derrière Lucía quand même), n’est en rien « aidé » ni par son ami policier borgne et désabusé (ça, c’est bien vrai), lequel sera consulté plus d’une fois mais ne s’intéressera jamais que de très loin aux choses, ni par Lucía, puisque Diego et elle ne se croiseront qu’à plus de 35% du livre, pour se reperdre vers la moitié, rendant leur interaction éphémère, en une esquisse de collaboration qui ne pourra pas aller bien loin…
    Cela dit, il est vrai que l’histoire est assez complexe et difficile à résumer en un synopsis qui donnerait envie aux lecteurs potentiels d’en savoir plus – la rédaction d’un 4e de couverture est tout un art, et si celui-ci n’est guère convaincant, ce n’est pas le plus important, puisque au final il m’avait attirée, et même s’il est « mensonger », le livre m’a plus, donc tout va bien !

    Sans vouloir me substituer aux rédacteurs d’Actes Sud, disons plus correctement que l’on se retrouve plongé dans le Madrid du XIXe siècle, à cette époque où une Espagne ravagée voit s’affronter (durement, on parle d’une véritable guerre civile !) carlistes et « isabéliens » à propos de la succession au trône et tout ce que cela impliquerait en traditionalisme ou non, tandis que sévit une grave épidémie de choléra incontrôlable, dans les balbutiements d’une médecine moderne encore terriblement teintée de superstitions. Dans ce contexte, la jeune Lucía fait ce qu’elle peut (à travers petits vols et autres larcins) pour permettre à sa famille, composée de sa mère, lavandière mourante car atteinte du choléra, et de sa sœur Clara, 11 ans, puissent survivre au jour le jour – car ces trois filles et femme font partie des (nombreux) miséreux, que la peur du choléra (qui se propage de toute façon !) a poussé les autorités à reléguer en-dehors des murs de la ville, si bien qu’elles vivent dans des conditions absolument inhumaines.
    En parallèle, on rencontre le journaliste (on dirait aujourd’hui « pigiste », car il vit selon les articles qu’il parvient à vendre ici ou là, même s’il est attaché à un journal en particulier) Diego qui, grâce à son ami policier Donoso (un type qui sera montré presque toujours comme éminemment antipathique, car aigri par la vie qui lui a fait perdre, entre autres, un œil), s’est retrouvé sur les lieux d’un crime particulièrement sordide : on a retrouvé les restes d’une jeune fille, complètement démembrée. Dans le même temps, divers cas de disparitions de jeunes filles sont signalés, mais n’intéressent personne car il s’agit presque systématiquement d’enfants issues des quartiers misérables, tandis que certains parlent d’une « Bête » (ours ? lézard monstrueux ?) qui aurait été vu là où disparaissent les jeunes filles… Diego est convaincu quant à lui que seul un homme – dans le sens d’être humain, et certainement pas un animal, aussi féroce qu’il soit - est capable de telles atrocités, et décide de mener l’enquête, envers et contre tous…

    Comme dit plus haut, les deux ne se rencontreront que tardivement, dans un échange d’informations qui va permettre un bond dans l’enquête de Diego, et une soudaine compréhension fine des choses (un peu trop pour être tout à fait vraisemblable) dans le chef de Lucía, avant de se perdre à nouveau, dans les méandres des réalités d’une ville qui a perdu toute figure humaine – les enfants et les religieux sont accusés d’être les propagateurs de l’épidémie, ce qui enflammera tout à coup les foules jusqu’à l’abject !

    À leurs côtés, plusieurs autres personnages vont être mis en place – un certain frère Braulio ou Ana Castelar par exemple, mais je ne peux rien en dire de plus sous peine de divulgâcher ! Ils sont tellement mis en avant, même, qu’ils en prennent un statut de « presque-principal », largement devant notre Donoso précité, et systématiquement avec la même technique « qui marche » : chacun d’eux apporte une ou plusieurs pièce.s au puzzle inextricable de l’histoire de ces jeunes filles disparues puis retrouvées démembrées (pour une partie d’entre elles du moins), une histoire qui prend un goût terriblement amer quand Clara (la jeune sœur de Lucía, donc), disparaît à son tour. De la sorte, le lecteur est mis dans la confidence et a ainsi toujours une petite longueur d’avance. Il peut alors tenter d’avancer dans la résolution de l’enquête, tandis que nos deux vrais personnages principaux, la plupart du temps séparément comme on l’a dit, ont bien moins d’éléments que le lecteur, et affrontent mille et un obstacles plus ou moins importants. Ils se heurtent à des revers constants dont certains semblent tout à coup insurmontables, des dangers de plus en plus menaçants au fil du livre et des morts à la pelle, et pas que du choléra ! et certains mêmes à qui on avait fini par s’attacher au moins un peu…

    Mais parler « d’enquête » pour un tel livre est réducteur : on est bien davantage dans un thriller historique où, comme dirait l’éclaireur de la FNAC (voir https://leclaireur.fnac.com/article/cp4 … -un-polar/), ce livre « relate couramment le côté corrompu et sombre de l’être humain ». On est très clairement dans un scénario de ce type, où l’Homme apparaît comme très noir, souvent sans espoir, et même les personnages « bons » auxquels on s’attache ont des parts d’ombre bien menaçantes et/ou disparaissent prématurément. De plus, comme je l’ai dit plus haut, ils sont placés dans des situations souvent très noires, voire glauques, et certaines scènes sont tellement glaçantes qu’on suspend sa lecture pour pouvoir digérer, au sens propre !

    C’est là la grande force du roman : le scénario est réellement désespéré, et semble ne tenir qu’à travers Lucía qui se faufile (littéralement !) dans la vie et dans la ville pour protéger ceux qu’elle aime, et en particulier sa petite sœur pour qui elle ressent et exprime un amour indéfectible ; on s’attache à toute une série de personnages dont certains, comme je disais plus haut, connaissent une fin brutale trop tôt dans l’histoire ! Ce n’est certes pas la première fois que je lis un thriller dans lequel l’un ou l’autre personnage important au récit, disparaît ainsi bien avant le mot « fin », alors qu’on ne s’y attendait pas du tout car on croit (ou espère) toujours que les héros mêmes secondaires vont s’en sortir comme par miracle. Cela montre surtout que les auteurs, en malmenant ainsi leurs personnages, ont osé malmener aussi leurs lecteurs, en les bousculant sans cesse, en leur montrant le plus noir de l’âme humaine et tout à la fois une petite lumière (le prénom de Lucía n’est, à mon sens, pas anodin) qui ne cesse de briller malgré tout, aussi faiblement que ce soit, dans un ballet de rebondissements incessants. Et « ça marche » !...

    Et si cela ne suffisait pas, le côté historique du roman est très soigné, sans jamais alourdir le texte pour autant. En effet, je me rappelle ma lecture de Le maître d’escrime d’Arturo Perez-Reverte, il y a plusieurs annéees : j’avais aimé l’écriture de l’auteur et le contexte « de cape et d’épée », mais j’avais été complètement perdue dans la foule de références historiques plus ou moins expliquées, qui en plus avaient – comme ici – une grande importance dans le contexte du roman ! C’est que je ne connais guère l’Histoire de l’Espagne (à part les événements les plus marquants pour l’international). Or, les écrivains (espagnols, mais c’est le cas des autres nationalités aussi) s’adressent d’abord, la plupart du temps, à leurs concitoyens, en présupposant que l’histoire de leur pays leur est connue.
    Pour ma part, si j’avais déjà entendu parler de « guerre carliste », je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait. Quelques clics sur Google permettent de voir très vite que, non seulement le mouvement carliste a été important (et subsiste aujourd’hui !), après avoir provoqué pas moins de trois guerres civiles en Espagne au XIXe siècle !

    Ainsi, dans ce livre, les auteurs sont parvenus à créer l’ambiance qui sévissait à cette époque, à travers des allusions, un mot ici ou là. Les antagonismes entre carlistes et « isabéliens » (je mets ce dernier mot entre guillemets car, si carliste est passé à la postérité, « isabélien » ne se trouve pas au dictionnaire, mais je ne sais comment traduire autrement ce mot que la traductrice a choisi de laisser en espagnol dans le texte : « isabelinos » - autrement dit les partisans d’Isabelle, par opposition à ceux de Charles) ; bref, ces antagonismes sont présentés petit à petit au lecteur, à travers l’attachement des différents personnages à l’un ou l’autre mouvement, et une analyse pas forcément très fouillée mais suffisante qui explique pourquoi tel ou tel a choisi la voie de Charles ou plutôt d’Isabelle, sans oublier les doutes que certains d’entre eux finissent par concevoir quant à leur allégeance à l’un ou l’autre mouvement. De la sorte, le lecteur, même ignorant de toutes ces affaires, peut s’approprier les éléments essentiels petit à petit, et les maîtrise suffisamment quand le scénario devient plus nettement politico-historique.

    J’ajouterai à ça (mais on l’a compris, non ?) que tous les aspects « épidémies de choléra », ces morts par centaines chaque jour, ces malades soignés par des méthodes oscillant entre médecine obsolète et barbare (des sangsues !) et superstitions vivaces dans ce contexte d’épidémie dévastatrice (qui, soit dit en passant, n’est pas sans rappeler une autre épidémie beaucoup plus récente…), mais aussi ces quelques médecins ou pharmaciens qui peu à peu se démarquent de leurs confrères traditionnels, en tentant des remèdes / des explications inspirés de ce qui se fait dans d’autres pays d’Europe où la médecin est plus avancée ; tout cela donc est également très bien rendu, avec des explications détaillées (mais, à nouveau, jamais lourdes ou incompréhensibles) qui permettent de voir que même, ou surtout ?, dans des périodes aussi troublées, quelques-uns continuent d’avancer pour tenter de sauver leurs concitoyens…

    Autrement dit, il s’agit d’un livre dans lequel on apprend quelque chose, cette dose d’histoire espagnole qu’on n’aurait probablement jamais abordée autrement, teintée des progrès de la médecine dans un contexte particulier, le tout d’une façon progressive, bien pensée et dès lors tout à fait digeste, en plus dans une trame narrative qui ne pouvait que plaire à l’amatrice de thrillers que je suis !
  • Grominou

    Modératrice

    Hors ligne

    #249 13 Janvier 2023 02:53:31

    Voilà qui est fort intrigant!  Je vais voir si je peux l'avoir en prêt numérique...