Herr LehmannSven Regener2003

Berlin-Ouest, Septembre 1989. Frank Lehman va bientôt avoir trente ans. À son grand déplaisir, ses amis l'appellent désormais "Monsieur" Lehmann. Reconnaissance ? dérision ? On sait l'importance de cet âge fatidique pour la première génération pop/rock. Frank n'a pourtant rien d'un monsieur : il évolue avec aisance et satisfaction dans son quartier dont il répugne à sortir : le Kreuzberg des bars et de la bohême berlinoise. Sans ambitions intellectuelles ni professionnelles, il est content de sa vie, de son travail de son insignifiance revendiquée et héroïquement défendue, il ne souhaite que continuer à partager son existence entre son appartement d’une pièce et demie, le bistrot où il est employé et nombre d’autres où l’on sert sa marque favorite de bière.
Mais voilà que contrariétés et désagréments viennent perturber sa chère et sage routine, signes avant-coureurs d’un changement qui affectera sa vie personnelle et, sur un autre plan dont il ne se soucie guère, l’histoire allemande. C’est d’abord, au petit matin, la rencontre d’un chien qui semble résolu à l’empêcher de rentrer chez lui, puis l'appel téléphonique maternel de Brême, visite des parents pour le week-end, excursion le 5 novembre à Berlin-Est (pour apporter 500 Marks-ouest à une cousine) où il est refoulé au contrôle, les amours déçues avec Katrin, l'appétissante cuisinière, enfin la dépression nerveuse de Karl, son meilleur ami.
Le soir du 9 novembre, jour de son anniversaire, Monsieur Lehmann, qui se sent vieux et vide, fait la tournée des bistrots, noyant dans la bière le pressentiment qu’un chapitre de sa vie s’achève. Arrive alors la nouvelle de l'ouverture du mur et des scènes de liesse qui se déroulent ce soir là à Berlin. Frank décide d'aller voir - un peu tard : la foule a fait place à un flot de Trabants des Berlinois de l'Est qui se précipitent à l'Ouest.
Tel Fabrice à Waterloo, Monsieur Lehmann, trente ans, n'a rien vu.
Ce premier roman de Sven Regener n'a pas besoin de s'appuyer sur la notoriété musicale de l'auteur pour convaincre.
Sous l'apparence d'une comédie allègre, où perce peu à peu un arrière-goût amer, il nous livre un tableau truculent de la vie à Berlin juste avant la chute du mur avec son ambiance nonchalante typique et trop méconnue en France. Les dialogues sont cocasses, la galerie de personnages est irrésistible sans oublier une grande subtilité qui, mine de rien, laisse une place de choix au contexte historique. C'est un portrait touchant d'un pays désemparé et d'une génération inquiète de devoir renoncer à l'heureuse irresponsabilité de la jeunesse.