J'avais 11 ans en 1944
Gilbert Rouzin2015

"Arrive le 26 juin. La nuit a été pluvieuse, triste et froide pour la saison. Comme nous n'avons pas couché dans un lit depuis dix-huit jours et que nous dormons tout habillée et assis sur ce qui nous sert de banc - qui est en fait le résultat de la découpe de la tranchée -, nous sommes imprégnés d'une odeur de terre et de sève. Cette dernière provient d'un orme dont nous avons coupé les racines en creusant l'abri à son pied, et elle suinte en permanence.
Notre abri est couvert de tôles ondulées recouvertes d'une petite couche de terre, en plus de fagots de bois.
Au petit matin comme à la coutume, nous quittons cet abri pour aller manger à l'intérieur de la maison. Tout à coup, un déluge de feu s'abat sur la ferme et aux alentours. Enfermés dans nos murs, nous ne voyons rien, et il est désormais trop tard pour regagner la tranchée.
Nous ignorons que soixante mille hommes, qui n'ont pas dormi et peut-être pas mangé, l'estomac noué par la peur pour certains, seront fauchés par la mitraille dès le déclenchement de l'attaque."