Citations 2022

Outlander (éd. J'ai lu, intégrale), tome 06 : La neige et la cendre (A Breath of Snow and Ashes) de Diana Gabaldon

Le livre couvre la période de 1773 à 1776 et place nos héros aux prémices de la Révolution américaine.
La tonalité quasi naturaliste reste présente, entre nature writing et retranscription historique toujours très documentée.
Malgré des événements dramatiques dont certains peuvent sembler redondants, je ne me lasse pas de suivre les aventures de Claire, Jamie et leurs proches avec un intérêt grandissant pour certains personnages secondaires comme Ian.
J ai donc vraiment apprécié mon retour à Fraser s Ridge.

Le chien les repéra le 1er.

Il y avait encore des choix à faire, des décisions à prendre et des actions à entreprendre. Beaucoup. Mais en un jour, en 1heure, en une seule déclaration d intention, nous avions franchi le seuil de la guerre.

Ils vivent par leur serment, ils meurent par lui.

Mouais... De toute façon ce n est pas bien grave. Après tout, ils sont déjà tous morts, non?

Genre : Romance - Historique

Le livre de l'intranquilité (Livro do desassossego) de Fernando Pessoa

Il s agit d une "autobiographie sans événements" de Bernardo Soares, un des nombreux hétéronymes de Pessoa.
Mélange décousu de descriptions sublimes, de réflexions sur l art et l écriture, d aphorismes plus ou moins convaincants; ce livre sans intrigue est axé sur l intériorité du narrateur, avec qui l intranquille que je suis n a pas toujours été en accord, notamment dans le rapport aux autres où transparaît parfois un complexe de supériorité déplaisant. Ça reste un très beau texte mais qui n a résonné en moi que par intermittence.

Dans ces impressions décousues, sans lien entre elles (et je n en souhaite pas non plus), je raconte avec indifférence mon autobiographie sans événements, mon histoire sans vie. Ce sont mes Confessions, et si je n y dis rien, c est que je n ai rien à dire.

J écris plein de tristesse, dans ma chambre paisible, seul comme je l ai toujours été, seul comme je le serai toujours. Et je me demande si ma voix - en apparence bien peu de chose - n incarne pas la substance de milliers de voix, la faim de se dire de milliers de vies, la patience de millions d âmes soumises, comme la mienne dans son destin quotidien, à leur rêve inutile, à l espérance qui ne laisse pas de traces.
En de tels moments, mon coeur bat plus fort, conscient que je suis de son existence. Je vis plus, car je vis plus grand. Je sens dans ma personne une force religieuse, une sorte de prière, presque une clameur. Mais la réaction à mon encontre descend du haut de mon intellect... Je me vois dans mon 4e étage de la rue des Douradores, spectateur de moi-même alourdi de sommeil; je regarde, sur ma feuille de papier à moitié remplie, mon existence vaine et sans beauté, la cigarette à bon marché - tout ce que j expose longuement sur ce sous-main usé. Moi du haut de mon 4e étage, interpellant la vie! exprimant ce que ressent l âme des autres! et faisant de la prose, comme les génies et les célébrités! Moi ici, ni plus, ni moins!...

Et si mon bureau de la rue des Douradores représente la Vie pour moi, mon 2e étage, là où j habite, dans cette même rue des Douradores, représente l Art. Oui, l Art, qui habite la même rue que la Vie, mais en un lieu différent, l Art qui soulage de la vie sans pourtant soulager de vivre, et tout aussi monotone que la vie - simplement en un lieu différent. Oui, cette rue des Douradores contient pour moi tout le sens des choses, la solution de toutes les énigmes - sauf du fait qu il ait des énigmes, car c est précisément l énigme qui ne peut recevoir de solution.

J ai conquis, un petit pas après l autre, le territoire intérieur qui était mien de naissance. J ai réclamé, un petit espace après l autre, le marécage où j étais demeuré nul. J ai accouché de mon être infini, mais j ai dû m arracher de moi-même au forceps.

La seule façon de nous trouver en accord avec la vie, c est d être en désaccord avec nous-mêmes. L absurdité, c est le divin.

Je me suis relu? Faux ! Je n ose pas, je ne peux pas me relire. A quoi cela servirait il? Celui qui est dans ces pages, c est un autre. Je ne comprends déjà plus rien...

La conscience de l inconscience de la vie est l impôt le plus ancien que l intelligence ait connu.

Ce qui produit en moi, me semble-t-il, ce sentiment perpétuel et profond de discordance avec les autres, c est que la plupart des gens pensent avec leur sensibilité, et que moi je sens avec ma pensée.

Non il n est pas de regret plus lancinant que le regret des choses qui n ont jamais été!

Je me suis créé écho et abîme, en pensant.

Je vis d impressions qui ne m appartiennent pas, je me dilapide en renoncements, je suis autre dans la manière même dont je suis moi.

Je vis toujours au présent. L avenir, je ne le connais pas. Le passé, je ne l ai plus. L un me pèse comme la possibilité de tout, l autre comme la réalité de rien. Je n ai ni espoir ni regrets. Sachant ce que ma vie a été jusqu à maintenant - c est à dire, si souvent et si largement, le contraire de ce que j ai voulu - que puis je prévoir de ma vie future, sinon qu elle sera ce que je ne prévois pas, ce que je ne souhaite pas, et qu elle m arrivera du dehors, parfois même par le jeu de ma propre volonté? Rien non plus, dans mon passé, que je puisse me remémorer avec l inutile désir de le revivre. Je n ai jamais été que la trace et le simulacre de moi même. Mon passé, c est tout ce que je n ai pas réussi à être. Même les sensations des momentd enfuis n éveillent en moi aucune nostalgie : ce qu on éprouve exige le moment présent; celui-ci une fois passé, la page est tournée et l histoire continue, mais non pas le texte.

Je ne m indigne pas, car l indignation est le fait des âmes fortes; je ne me résigne pas, car la résignation est le fait des âmes nobles; je ne me tais pas non plus, car le silence est le fait des grandes âmes. Or, je ne suis ni fort, ni noble, ni grand. Je souffre et je rêve. Je me plains parce que je suis faible et, comme je suis artiste, je me distrait en tissant des plaintes musicales et en disposant mes rêves de la façon qui plaît le mieux à l idée que je me fais de leur beauté.

Je regrette seulement de ne pas être un enfant (je pourrais croire à mes rêves), ni un fou (je pourrais écarter de mon âme tous ceux qui m assiègent).

Lire, c est rêver en se laissant conduire par la main.

L art nous délivre de façon illusoire de cette chose sordide qu est le fait d exister.

L amour, le sommeil, la drogue et les stupéfiants sont des formes d art élémentaires, ou plutôt des façons élémentaires de produire le même effet que les siens. Mais amour, sommeil ou drogues apportent tous une désillusion particulière. L amour lasse ou déçoit. Après le sommeil, on s éveille, et tant qu on a dormi, on n a pas vécu. Les drogues ont pour prix la ruine de l organisme même qu elles ont servi à stimuler. Mais en art, il n y a pas de désillusion, car l illusion a été admise dès le début. En art, il n est pas de réveil, car avec lui on ne dort pas - même si l on rêve. En art, nul prix ou tribut à payer pour en avoir joui.
Le plaisir que l art nous offre ne nous appartient pas, à proprement parler : nous n avons donc à le payer ni par des souffrances, ni par des remords.

Certains jours sont à eux seuls toute une philosophie, une interprétation de la vie, comme des notes marginales, pleines d une critique amère, ponctuant le livre de notre destin universel. Je me trouve aujourd hui dans l un de ces jours. Il me semble absurdement que c est avec ces paupières lourdes et ce cerveau vide, comme avec un crayon absurde, que vont être tracées les lettres de ce commentaire, aussi profond qu inutile.

A cet âge métallique de barbares, il nous faut prendre un soin méthodiquement exagéré de notre capacité à rêver, à analyser et à captiver, si nous voulons sauvegarder notre personnalité et éviter qu elle ne dégénère, soit en s annulant, soit en s identifiant à celle des autres.

Au fond, croyez moi, ce que nous sommes de plus douloureux, c est ce que nous ne sommes pas réellement, et nos plus grandes tragédies se déroulent dans l idée que nous nous faisons de nous mêmes.

La vie est une hésitation entre une exclamation et une interrogation. Dans le doute, il y a un point final.

Rien ne révèle mieux l indigence mentale que de ne savoir faire de l esprit qu aux dépens des autres.

L orgueil est la certitude, toute émotive, que nous avons de notre propre grandeur. La vanité est la certitude, tout aussi émotive, que les autres nous reconnaissent, ou nous attribuent, cette même grandeur.

Devant le cours inexorable des choses, devant la vie que nous avons reçue sans savoir comment, et que nous perdons sans savoir quand, devant l échiquier innombrable qu est la vie en société, cette lutte perpétuelle, et la lassitude de méditer inutilement sur ce qu on ne réalise jamais - que peut faire le sage sinon aspirer au repos, n être pas contraint de penser à vivre, car c est bien assez que de devoir vivre, demander une petite place à l air et au soleil, et l illusion, tout au moins, que la paix règne au delà des monts.

A force de vivre avec des ombres, je me suis changé moi même en ombre - dans ce que je pense, ce que je sens, ce que je suis. Le regret lancinant de l etre normal que je n ai jamais été pénètre alors jusqu à la substance de mon être.

A la clepsydre de notre imperfection, des gouttes régulières de rêves marquaient des heures irréelles...

Les voici consumées, mon amour, dans l âtre de notre vie, les bûches de nos rêves...

Dandy en esprit, il a promené cet art de rêver à travers ce hasard d exister.

Genre : Classique - Philosophie

Un palais d'épines et de roses, tome 4 : Un Palais de flammes d'argent (A Court of Silver Flames) de Sarah J. Maas

Ce tome lance un arc narratif centré sur la soeur aînée des Archeron, Nesta. Elle est dure, hargneuse, fière mais aussi loyale. Difficile à aimer, elle fait pourtant partie de mes personnages préférés.
Du coup, j attendais avec impatience une histoire qui lui laisse le 1er plan.
On assiste à sa déchéance puis sa renaissance.
Le côté sexy des volumes précédents devient plus graphique, érotique, et ce, pas toujours de manière réussie et opportune.
En revanche, l univers, les personnages et leurs liens, notamment ceux qui s approfondissent mais aussi la sororité familiale et amicale, continuent de captiver.

L eau noire qui léchait ses talons ruant frénétiquement était glacée.

- Rhys m a dit qu Eris veut se fiancer avec moi. Il est prêt à faire tout ce que nous voulons si je lui accorde ma main.
La lumière des siphons de Cassian vacilla.
- Tu n as quand même pas l intention d accepter, dit il.
Elle ne répondit rien, le laissant croire au pire.
- Je vois, gronda-t-il. Dès que je m approche d un peu trop près, tu me repousses à une distance plus confortable pour toi. Tu préfères épouser une vipère comme Eris plutôt que de rester avec moi.
- Je ne suis pas avec toi, coupa-t-elle. Je couche avec toi, nuance.
- C est tout ce qui convient à une brute et à un bâtard, pas vrai?
- Ce n est pas ce que j ai dit.
- C était inutile : tu me l as déja dit 1000 fois.
- Alors pourquoi est ce que tu t es imposé au bal ?
- Parce que j étais jaloux par tous les dieux ! rugit il tandis que ses ailes se déployaient. Tu ressemblais à une reine et il était clair qu un petit prince comme Eris te conviendrait mieux qu un moins que rien comme moi ! Parce que je ne supportais pas de te voir ainsi avec lui, parce que ça me renait malade! Mais si c est ce que tu veux, Nesta, épouse le, bon sang, et bonne chance!
- C est Eris la brute, riposta-t-elle. C est une brute et une ordure! Et si j accepte de l épouser, c est parce que je ne vaux pas mieux que lui!

- Tu n épousera pas Eris, dit il d une voix rauque.
- Non, souffla-t-elle.
Les yeux de Cassian étincelèrent.
- Il n y aura personne d autre pour moi, et personne d autre pour toi, reprit il.
- Oui, chuchota-t-elle.
- Jamais, promit il.

Rien ne peut nous abattre.
L univers parut marquer un temps d arrêt à ces mots, comme si le destin qui avait jusqu ici suivi son cours bifurquait dans une nouvelle direction. Dans 100 ans, dans 1000 ans, cet instant serait encore gravé dans la mémoire de Cassian. Il raconterait alors à ses enfants et à ses petits enfants : "c est là bas et à cet instant que tout a changé."

Elle leur rendit leur sourire et ce fut d un pas léger qu elle redescendit vers elles.

Genre : Fantasy - Erotisme

Les justes de Albert Camus

J ai lu successivement 2 pièces de théâtre : Les mains sales de JP Sartre parue en 1948 puis Les justes d Albert Camus parue en 1950.
Les 2 se situent donc dans l immédiat après-guerre. Les 2 ont un synopsis quasi identiques : le membre d une faction communiste est désigné pour assassiner un traitre/opposant. Mais il est pris de doutes.
L occasion est parfaite pour lire de manière comparative les vues des 2 philosophes phares français sur la question de l action politique : une cause juste mérite-t-elle qu\'on se salisse les mains ?

Sartre, connu pour être un partisan de l adage selon lequel la fin justifie les moyens, livre un débat brillant et incisif opposant idéalisme et pragmatisme politiques dans un style intense, reflet de son absolutisme.

Dans Les justes, la question est un peu différente : peut on rester juste si on a les mains sales ? En ce sens, le fait que Camus désigne la faction comme des terroristes est significatif.
Le style de Camus est tout aussi brillant que celui de Sartre mais plus "tendre", soulignant son profond humanisme.

Les 2 pièces sont des grandes oeuvres littéraires qui permettent de saisir la finesse et l engagement de leurs auteurs, leurs points de convergence (l absurdité de la vie, la nécessité de l action) et de divergence (l importance ou pas de la morale par rapport au but politique poursuivi).

L appartement des terroristes.

La liberté est un bagne aussi longtemps qu un seul homme est asservi sur la terre.

Kaliayev : Seulement la vie continue de me paraître merveilleuse. J aime la beauté, le bonheur! C est pour cela que je hais le despotisme. Comment leur expliquer? La révolution, bien sûr! Mais la révolution pour la vie, pour donner une chance à la vie, tu comprends ?
Dora, avec élan : Oui... (Plus bas, après un silence) et pourtant, nous allons donner la mort.
K: Qui, nous? ...Ah tu veux dire... Ce n est pas la même chose. Oh non! ce n est pas la même chose. Et puis, nous tuons pour bâtir un monde où plus jamais personne ne tueras! Nous acceptons d être criminels pour que la terre se couvre d innocents.

Mourir pour l idée, c est la seule façon d être à la hauteur de l idée. C est la justification.

D: Ouvre les yeux et comprends que l organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolerait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes.
Stepan : Je n ai pas assez de coeur pour ses niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera.
D: Ce jour-là, la révolution sera haïe de l humanité entière.
S: Qu importe si nous l aimons assez fort pour l imposer à l humanité entière et la sauver d elle-même et de son esclavage.
D: Et si l humanité entière rejette la révolution? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués? Faudra t il le frapper aussi?
S: Oui, s il le faut, et jusqu a ce qu il comprenne. Moi aussi, j aime le peuple.
D: L amour n a pas ce visage.
S: qui le dit?
D: Moi, Dora.
S: Tu es une femme et tu as une idée malheureuse de l amour.
D, avec violence: Mais j ai une idée juste de ce qu est la honte.

K: Les hommes ne vivent pas que de justice.
S: Quand on leur vole le pain, de quoi vivraient ils donc, sinon de justice?
K: De justice et d innocence.
S: L innoncence? Je la connais peut être. Mais j ai choisi de l ignorer et de la faire ignorer à des milliers d hommes pour qu elle prenne un jour un sens plus grand.
K: Il faut être bien sûr que ce jour arrive pour nier tout ce qui fait qu un homme consente à vivre.
S: J en suis sûr.
K: Tu ne peux pas l être. Pour savoir qui, de toi ou de moi, a raison, il faudra peut être le sacrifice de 3 générations, plusieurs guerres, de terribles révolutions. Quand cette pluie de sang aura séché sur la terre, toi et moi serons mêlés depuis longtemps à la poussière.
S: D autres viendront alors, et je les salue comme mes frères.
K: D autres... Oui! Mais moi, j aime ceux qui vivent aujourd hui sur la même terre que moi, et c est eux que je salue. C est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. Et pour une cité lointaine, dont je ne suis pas sûr, je n irai pas frapper le visage de mes frères. Je n irai pas ajouter à l injustice vivante pour une justice morte. (Plus bas mais fermement) Frères, je veux vous parler franchement et vous dire au moins ceci que pourrait dire le plus simple de nos paysans : tuer des enfants est contraire à l honneur. Et si un jour, moi vivant, la revolution devait se séparer de l honneur, je m en détournerais. Si vous le décidez, j irai tout à l heure à la sortie du théâtre, mais je me jetterai sous les chevaux.
S: L honneur est un luxe réservé à ceux qui ont des calèches.
K: Non. Il est la dernière richesse du pauvre.

Je croyais que c était facile de tuer, que l idée suffisait et le courage. Mais je ne suis pas si grand et je sais maintenant qu il n y a pas de bonheur dans la haine.

Mais c est cela l amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour.

Il y a trop de misère et trop de crime. Quand il y aura moins de misère, il y aura moins de crimes.

Dieu ne peut rien, la justice est notre affaire.

On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police.

Une idée peut tuer un grand duc mais elle arrive difficilement à tuer des enfants. Voilà ce que vous avez découvert. Alors une question se pose : si l idée n arrive pas à tuer les enfants, mérite t elle qu on tue un grand duc?

Quel crime? Je ne me souviens que d un acte de justice.

Il y a quelque chose de plus abject encore que d être un criminel, c est de forcer au crime celui qui n était pas fait pour lui.

D, elle pleure: Yanek! Une nuit froide, et la même corde! Tout sera plus facile maintenant.
Rideau

Genre : Classique - Drame

Les mains sales de Jean-Paul Sartre

Les armées allemandes battent en retraite sur toute la largeur du front.

Ce sont les enfants sages, Madame, qui font les révolutionnaires les plus terribles. Ils ne disent rien, ils ne se cachent pas sous la table, ils ne mangent qu un bonbon à la fois, mais plus tard ils le font payer cher à la Société. Méfiez vous des enfants sages!

On dirait que chaque lettre est une petite île; les mots, ce seraient des archipels.

Je vis dans un décor.

Karsky: J ai rencontré votre père la semaine dernière. Est ce que ça vous intéresse encore d avoir de ses nouvelles?
Hugo: Non.
K: Il est fort probable que vous porterez la responsabilité de sa mort.
H: Il est à peu près certain qu il porte la responsabilité de ma vie. Nous sommes quittes.

Ils ont beau jeu: là bas, quand ils décident qu un homme va mourir, c est comme s ils rayaient un nom sur un annuaire: c est propre et c est élégant. Ici, la mort est une besogne. Les abattoirs, c est ici.

Le Parti a un programme: la réalisation d une économie socialiste et un moyen: l utilisation de la lutte des classes. Vous allez vous servir de lui pour faire une politique de collaboration de classes dans le cadre d une économie capitaliste. Pendant des années, vous allez mentir, ruser, louvoyer, vous irez de compromis en compromis; vous défendrez devant nos camarades des mesures réactionnaires prises par un gouvernement dont vous ferez partie. Personne ne comprendra: les durs nous quitteront, les autres perdront la culture politique qu ils viennent d acquérir. Nous serons contaminés, amollis, désorientés; nous deviendrons réformistes et nationalistes; pour finir, les partis bourgeois n auront qu à prendre la peine de nous liquider.

Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars! Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur! A qui cela servira t il et pourquoi viens tu parmi nous? La pureté, c est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi, j ai les mains sales. Jusqu aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après? Est ce que tu t imagines qu on peut gouverner innocemment?

Il n y a rien à prouver, tu sais, la Révolution n est pas une question de mérite, mais d efficacité; et il n y a pas de ciel. Il y a du travail à faire, c est tout. Et il faut faire celui pour lequel on est doué: tant mieux s il est facile. Le meilleur travail n est pas celui qui te coûtera le plus; c est celui que tu réussiras le mieux.

Hugo ouvre la porte d un coup de pied.
Hugo crie : Non récupérable.
Rideau.

Genre : Drame

Pyongyang de Guy Delisle

Et ça c est quoi ?
George Orwell 1984

A un certain niveau d oppression, peu importe la forme que prend la vérité, car finalement plus le mensonge est énorme et plus le régime montre l étendue de son pouvoir.
Et plus il plonge sa population dans la terreur.
Une terreur enfouie, une terreur sourde.

Vas y! vas y!

Genre : Histoire vraie

Un palais d'épines et de roses, tome 3.5 : Un palais de glace et de lumière (A Court of Thorns and Roses, book 3.5: A Court of Frost and Starlight) de Sarah J. Maas

C est le solstice d hiver et on assiste aux préparatifs et au déroulé de la fête.
Tome de transition qui se veut à la fois un épilogue au cycle précédent et un début d introduction au suivant, ce 4e volet souffre d une absence de réelle intrigue même si les enjeux de la reconstruction (des personnages et des lieux) sont posés.
J y ai presque trouvé une caricature des tomes précédents : le titre vire au too much, la romance principale idem. Seuls certains personnages tirent leur épingle du jeu comme Lucien.
En bref : une sorte de fan fiction de Noël

Les rafales des 1es neiges de l hiver balayaient Velaris depuis 1h.

La vérité est ton pouvoir. La vérité est ta malédiction.

- Tu pourras te laisser mourir quand nous aurons bâti le monde dont nous rêvons, lui dis-je.

Aux étoiles qui entendent les voeux, Feure, me dit-il.

Aux rêves exaucés, Rhys.

Genre : Fantasy - Erotisme

The Expanse, tome 3 : La Porte d'Abaddon (The Expanse, book 3: Abaddon's gate) de James S. A. Corey

On y retrouve notre cher équipage du Rossinante, toujours embringué dans des aventures spatiales surprenantes et des conflits politiques sensibles.
Quelques questions sont enfin posées par les personnages sur la nature de la protomolécule qui est abordée pour la 1e fois de façon spirituelle et plus seulement sur le plan de ses capacités.
Mais j ai trouvé ce tome légèrement en deçà des précédents, la faute à des personnages secondaires moins charismatiques.

Maneo Jung-Espinoza -Neo pour ses amis, sur la station Ceres- était recroquevillé dans le cockpit du petit appareil qu il avait baptisé le Y Que.

L arme avait été conçue pour kidnapper une forme de vie simple, sur Terre, quelques milliards d années plus tôt. Or elle s était retrouvée confrontée à un écosystème complexe des corps humains et des structures destinées à les maintenir en l état dans la fournaise toxique qu était Vénus. Peut être la protomolécule avait elle mis plus de temps que prévu à accomplir son plan. Peut être que travailler sur une forme de vie complexe lui avait facilité les choses. Tout paraissait indiquer qu elle en avait terminé avec Vénus. Et la seule chose qui comptait vraiment était qu elle avait lancé un anneau capable de s auto assembler dans le vide au delà de l orbite d Uranus, et d y rester stationnée, aussi inerte qu une pierre.

Est ce que tu écoutes ce que je te dis? Tu vois une pièce pleine d os, la seule certitude, c est que quelque chose s est fait tuer. Tu es le prédateur, jusqu à ce que tu sois la proie.

Ça fait vieillir d être celle qui reste en arrière.

C était une leçon qu il n avait jamais oublié. Les humains n avaient pas une énergie émotionnelle inépuisable. Si intenses que soient les circonstances, si puissants que soient les sentiments, il était impossible de se maintenir indéfiniment dans un état émotionnel extrême. Vous finissiez toujours par vous lasser, et souhaiter que la situation prenne fin.

Quand on la questionnait sur l Apocalypse, elle répondait à ses paroissiens que Dieu lui-même s était montré circonspect sur ce sujet, et qu en conséquence, il n était pas utile de trop s inquiéter. Croire que Dieu fera ce qu il y a de mieux et éviter Sa vengeance contre le gens mauvais aurait dû être la raison la moins convaincante de L adorer.

On ne demande pas la permission, on demande le pardon.

Curieux que de tous les endroits où des humains vivaient, la Terre soit celui ayant la gravité la plus élevée. Comme si, dès que vous pouviez vous échapper de votre foyer vous pouviez échapper à n importe quoi.

L héroïsme est une étiquette qu on colle à des gens qui font des trucs délirants qu ils n auraient jamais faits s ils avaient bien réfléchi avant d agir.

Il n y a rien qui tue plus de gens que la peur de passer pour des poules mouillées.

La violence est le dernier recours des gens quand ils ont épuisé toutes les idées raisonnables. Elle est séduisante parce qu elle est simple, directe et parce que c est une option presque toujours disponible. Quand vous ne trouvez pas de réfutation valable des arguments de votre adversaire, vous pouvez toujours le frapper au visage.

Dans le sillage de la protomolécule, chacun avait perdu quelque chose. L espèce en tant que telle avait perdu le sens de sa propre importance, de sa prééminence sur le plan universel. Holden avait perdu ses certitudes.

Une sorte de nihilisme insidieux s était installé en lui. Le sentiment que la protomolécule avait brisé le genre humain d une manière qui ne pourrait jamais être guérie. L humanité avait bénéficié d un sursis de 2 milliards d années pour une sentence de mort dont elle ignorait l existence, mais le glas avait sonné. Il ne lui restait plus que l agitation et les cris.

Le dieu en qui je crois est plus grand que tout ça. Rien de ce que nous pourrons apprendre ne sera un affront pour lui, tant que ce sera vrai.

Quoi qu elle trouve là-bas, souvenez-vous simplement que cet avenir, c est vous qui l avez choisi pour elle.
Ses paroles étaient pleines d espoir et de menace.
Comme les étoiles.

Genre : Science-Fiction

Un palais d'épines et de roses, tome 3 : Un palais de cendres et de ruines (A Court of Thorns and Roses, book 3: A court of wings and ruin) de Sarah J. Maas

Le cycle centré sur Feyre s achève en apothéose avec ce 3e tome qui nous réserve son lot de politique, de mythes et de batailles. On en apprend beaucoup sur Prythian et les enjeux esquissés auparavant aboutissent.
Mais ce sont encore les personnages -leurs interactions, leurs dynamiques, leurs relations (l aspect found family notamment)- qui m ont happé.
Je me suis tellement attachée à eux que je ne tarderai pas à les retrouver dans cet univers si fascinant.

Rhysand 2ans avant le mur
Le bourdonnement des mouches et les hurlements des survivants avaient depuis longtemps succédé au martèlement des tambours de guerre.

- Je ne crois pas que Nesta me pardonnera ce qui est arrivé en Hybern.
- Vos ailes étaient en lambeaux et vous étiez presque mort. Vous n étiez plusven mesure de secourir personne.
Il était rongé par un sentiment de culpabilité.
- Je lui ai fait une promesse, mais le moment venu j ai été incapable de la tenir, reprit il.
Je le voyais encore dans mes rêves ramper vers elle, tenter de la saisir dans l état de semi inconscience provoqué par la douleur. Comme Rhysand l avait fait pour moi au cours de notre confrontation finale avec Amarantha.
- Pourquoi est ce si important pour vous, Cassian? demandai je alors que quelques battements d ailes à peine nous séparaient de la terrasse.
Son visage se ferma tandis que nous nous posions en douceur. Je crus qubil ne me répondrait pas, car nous entendions déjà les voix des autres dans la salle à manger. Rhys, qui avait gracieusement atterri, passa devant nous en nous adressant un clin d oeil.
- Parce que je suis incapable de rester loin d elle, répondit doucement Cassian alors que nous nous dirigions vers la salle à manger.

Ce que nous prenons pour notre plus grande faiblesse peut se révéler notre meilleur atout, expliqua-t-il en me voyant hausser un sourcil. Et la personne qui en parait le moins susceptible peut changer le cours de l histoire.

Ce n étaient pas seulement les morts qui vous détruisaient. C étaient aussi les ravages que la guerre exerçait sur l âme, la pensée que je reverrais peut être Velaris et connaîtrais peut être de nouveau la paix, mais que cette bataille me transformerait à jamais.
Je savais que la guerre me poursuivrait encore longtemps après sa fin, me laissant une cicatrice qui palîrait sans jamais disparaître.
Mais pour mon pays, pour Prythian, pour les mortels et tant d autres...
Je nettoierais mes épées avant de repartir combattre.

Le triomphe de la nuit et l éternité des étoiles...
Si mon âme soeur incarnait les douces et terrifiantes ténèbres, j étais la lumière scintillante que seules ses ombres révélaient.

Les dents serrées, ma soeur tenta encore de soulever Cassian et lui arracha un cri de douleur.
- Sauvez vous ! aboya-t-il.
- Je ne peux pas, murmura-t-elle d une voix qui se brisait.
Cassian poussa un grognement de douleur, leva ses mains maculées de sang et les posa sur les tempes de ma soeur.
- Je ne regrette qu une chose: le temps que je n ai pas pu passer avec vous, Nesta.
Elle ne le repoussa pas quand il se redressa pour l embrasser doucement.
- Je vous retrouverai dans l autre monde... dans une autre vie, où nous aurons le temps, je vous le promets, reprit il en essuyant une larme sur le visage de Nesta.

Elle s interposa en couvrant le corps de Cassian du sien.
Cassian se figea, puis caressa son dos.
Ensemble. Ils partiraient ensemble.

La main du roi s abaissa... et se figea. Un râle fusa de ses lèvres.
Pendant un bref instant je crus que le Chaudron avait répondu à ma prière.
Puis je vis la lame transpercer la gorge du roi dans une gerbe de sang, et je compris que quelqu un d autre s en était chargé.
Surgissant de l ombre derrière le roi, Elain enfonça le Révélateur de Vérité dans sa nuque jusqu à la garde.
- Ne touchez pas à ma soeur, gronda-t-elle.

Et son aile effleura la mienne, simplement parce qu il pouvait le faire, parce qu il était libre et que nous étions vivants, et que nous aurions une éternité de nuits pour voler ensemble et pour tout voir ensemble...
Tout cela nous était offert.

Genre : Fantasy - Erotisme

Poèmes et poésies de John Keats

entre volupté ardente, lyrisme pensif et gravité parnassienne

La poésie de la terre ne meurt jamais

Ainsi causent une vertigineuse souffrance ces merveilles
Dans lesquelles on trouve mélangées la grandeur Grecque avec la rude
Destruction du vieux Temps - avec une masse agitée -
Un soleil, une ombre d une magnitude.

le fier automne qui teinte d or mat la nature entière

mais au sommet
Est suspendue, par d invisibles fils, une sphère
De lumière, c est l amour : son influence,
Frappant nos yeux, engendre un sens nouveau,
Qui nous agite et nous use; jusqu à ce qu enfin
Nous dissolvant dans son rayonnement, nous nous confondions,
Nous melions, nous en devenions une partie -
Avec rien d autre notre âme ne peut se lier

Non non j en suis certain,
Mon esprit inquiet ne supporterait jamais
De couver si longtemps une volupté,
S il n épiait, quoique craintivement
Une espérance derrière l ombre d un rêve.

Les rêves des Dieux sont des réalités: paisiblement ils jouissent
De leurs plaisirs en un long rêve immortel.

Astre brillant ! puissé-je, immobile comme tu l es –
Non pas, resplendir à l écart suspendu dans la nuit,
Et surveiller, les paupières éternellement redressées,
Tel un forçat de la Nature, Ermite sans sommeil,
Les eaux mouvantes dans leur tâche lustrale,
Purifiant de leur ablution les rivages des hommes,
Ou contempler le masque floconneux, que, fraîchement tombée,
La neige impose aux montagnes et aux bruyères,-
Non – mais puissé-je, toujours immobile, toujours immuable,
Posséder comme oreiller le sein mûrissant de ma bien-aimee,
Pour le sentir à jamais doucement se soulever puis s abaisser,
Eveillé à jamais en une délicieuse insomnie,
Pour entendre encore, et encore, sa tendre respiration,
Et vivre ainsi toujours - ou sinon m évanouir dans la mort!

This living hand, now warm and capable,
Of earnest grasping, would if it were cold
And in the icy silence of the tomb,
So haunt thy day and chill thy dreaming nights
That thou would wish thine own heart dry of blood
So in my veins red life might stream again,
And thou be conscience - calm d - see here it is -
I hold it towards you.

Genre :

Un palais d'épines et de roses, tome 2 : Un palais de colère et de brume (A Court of Thorns and Roses, book 2: A Court of Mist and Fury) de Sarah J. Maas

On retrouve Feyre à la Cour du Printemps.
Mais la découverte du royaume des Immortels, Prythian, se poursuit dans d autres Cours, notamment l envoûtante Cour de la Nuit alors qu une guerre s annonce.
Ce tome-ci apporte un nouvel éclairage sur le précédent et j avoue que j ai été plutôt emballée.
En effet, cette fantasy féerique et sexy qui n évite malheureusement pas toujours la mièvrerie et peut parfois manquer de subtilité et de finesse s avère malgré tout terriblement addictive, au point que j enchaîne avec le tome suivant.

Peut être avais je toujours été malsaine.

Il y a différentes sortes de ténèbres, reprit Rhysand. Certaines sont effrayantes, d autres apaisantes ou reposantes. Les ténèbres des amants, celles des assassins... Elles ne sont ni entièrement bonnes ni entièrement mauvaises. Elles sont ce que leur porteur désire.

La Cour des Rêves...
Tous ceux qui y vivaient connaissaient le prix à payer pour réaliser leurs rêves... tous, les guerriers bâtards, les sang-mêlé illyriens, le monstre prisonnier d un frêle corps féminin, la rêveuse née à la Cour des Cauchemars... et la chasseresse à l âme d artiste.

Il y a 500 ans j ai combattu non loin de ce manoir, raconta t il d une voix rude. J ai fait la guerre aux côtés de mortels et d immortels et versé mon sang avec eux. Je reviendrai combattre ici, Nesta Archeron, afin de protéger les vôtres. Je ne peux concevoir meilleure fin que de mourir pour défendre ceux qui en ont le plus besoin.

- J allumerai moi même vos bûchers funéraires pour ce que vous avez fait à mes soeurs, leur promis je.

-Tamlin a offert au roi l accès à Prythian par ses terres et nos têtes sur un plateau s il capturait Feyre, brisait son lien d amour et la faisait revenir à la Cour du Printemps. Mais Ianthe a trahi Tamlin en révélant au roi où il trouverait les soeurs de Feyre. Le roi les a capturées afin de prouver aux reines qu il pouvait les rendre immortelles. Comme il nous avait jeté un sort, nous n avons rien pu faire quand il les a plongées dans le Chaudron pour les transformer.

Et ce fut ainsi que, sans le soupçonner, il mena la Grande Dame de la Cour de la Nuit au coeur de son territoire.

Genre : Fantasy - Erotisme

La Comédie des erreurs (The Comedy of Errors) de William Shakespeare

Poursuivez Solinus, consommez ma perte et, par un arrêt de mort, terminez mes maux, terminez tout pour moi.

Genre :

Un palais d'épines et de roses, tome 1 (A Court of Thorns and Roses, book 1) de Sarah J. Maas

Feyre est une humaine qui chasse pour nourrir sa famille. Mais en croyant tuer un loup, elle abat un Fae métamorphe. En guise de réparation, elle devient la prisonnière de la Cour dont il dépendait.
A 1e vue, il s agit d une réécriture de la Belle et la Bête dans un univers fantasy. Mais au fil de la lecture, Sarah J. Maas s écarte de ce scénario.
Dans un univers féerique envoûtant mais cruel, elle confronte son héroïne aux immortels Fae et à leurs intrigues politiques.
Feyre m a d abord agacée par son esprit de contradiction puérile, son impulsivité irréfléchie, son effronterie et sa condescendance. Puis son évolution vers plus de maturité a eu raison de mon antipathie et je l ai apprécié un peu plus vers la fin.
Mais ce sont les personnages secondaires qui m ont particulièrement plu: chacun laissant entrevoir une profondeur qui, je l espère, sera explorée par la suite (Lucien, Nesta, Rhys). Car je compte bien poursuivre cette saga qui m a agréablement surprise malgré mes a priori.

La forêt n était qu un labyrinthe de neige et de glace.

- Rentrons, dis je à Tamlin en prenant sa main.

Genre : Fantasy - Erotisme

La maison des feuilles (House of Leaves) de Mark Z. Danielewski

C est l histoire de l étrange maison dans laquelle vivent les Navidson... Non c est l histoire du documentaire sur cette maison intitulé le Navidson record tourné par un photoreporter, M.Navidson, cherchant à fixer l image des ténèbres ... Mais c est aussi l étude effectuée sur ce film tout en étant le journal de lecture de cette étude par un paumé qui en a hérité...
Bref c est tout ça à la fois, une histoire dans l histoire, une histoire et toutes ses perceptions et retranscriptions et mises en abîmes.
La maison devient l occasion d explorer toutes nos peurs : le vide, le vertige, la folie, la perte de repères, l obscurité, l inconnu, la claustrophobie, la mort etc...
Roman à tiroirs avec une construction unique où la forme répond au fond : bizarre, impénétrable, hermétique, obscur, indéchiffrable, hypnotique, obsédant, labyrinthique.
Nous voilà donc lecteur devenu explorateur. Une expérience inédite qui a malheureusement viré à l épreuve un peu lassante pour ma part.

Je fais encore des cauchemars.

Ainsi que je l ai découvert, il y avait des liasses et des liasses de papiers. D infinis enchevêtrements de mots signifiant parfois quelque chose, parfois rien, qe fracturant souvent, pour bifurquer sans cesse vers d autres morceaux qur j ai trouvé par la suite - de vieilles serviettes, les bords déchirés d une enveloppe, et même une fois le dos d un timbre poste; tout et n importe quoi, mais rempli; chaque fragment entièrement recouvert par le déferlement d années et d années de déclarations encrées; surchargées, barrées, corrigées; à la main, à la machine; lisibles, illisibles; impénétrables, lucides; déchirées, maculées, scotchées; certains morceaux encore impeccables, d autres effacés, brûlés ou pliés et repliés rant de fois que des passages entiers de dieu sait quoi avaient fini par s effacer - du sens ? une vérité? une supercherie? un héritage prophétique, dément, ou rien de tout cela? finissant par achever, désigner, décrire, recréer... trouvez vous même les bons termes; je n en ai plus; ou alors des tonnes mais à quoi bon? et tout ça pour dire : quoi?

Je sais qu il y a eu un moment où j ai su avec certitude que cette noirceur inflexible était capable de tout, même de jaillir, d éventrer le plancher, d assassiner Zampano, de nous assassiner, peut être même de vous assassiner. Puis c est passé. L etonnement et la façon dont l inimaginable est parfois suggéré par l inanimé se sont soudain estompés. La chose est redevenue chose.
Et je l ai rapportée chez moi.

Et alors, pour le meilleur et pour le pire, vous vous retournerez, incapables de résister, tout en essayant quand même de le faire, vous lutterez de toutes vos forces pour ne pas faire face à la chose que vous redoutez le plus, et qui est maintenant, qui sera, qui a toujours été là avant, la créature que vous êtes réellement, la creature que nous sommes tous, enfouie dans l obscurité anonyme d un nom.
Et alors les cauchemars commenceront.

Il laisse passer et disparaître le cortège, puis cadre la route déserte, sa courbe pâle disparaissant dans les bois où rien ne bouge et où la lumière d un lampadaire tremblote puis s éteint alors que l obscurité se referme sur toutes choses telle une main.

Faible est le réconfort
que tirent ceux qui se désolent
quand les pensées continuent de dériver
alors que les murs continuent de bouger
et que ce vaste monde bleu qui est le nôtre
ressemble à une maison de feuilles
quelques instants avant le vent.

Genre : Fantastique - Horreur

Sorcery of Thorns, tome 1 (Sorcery of Thorns) de Margaret Rogerson

Elisabeth se prépare à devenir bibliothécaire ou plutôt gardienne de grimoires enchantés dans une des grandes Bibliothèques. Mais quand un de ses livres se libère et entraîne mort et destruction, elle se retrouve en 1e ligne, contrainte de trouver l origine de ce phénomène pour se disculper.
Un univers dans lequel les bibliothèques sont magiques et les livres vivants: que demander de plus ! Avec un rythme constant et un équilibre entre aventure, enquête, romance et humour, ce one shot de fantasy s est révélé très entraînant !

La mort pénétra dans la Grande Bibliothèque d Estive à la nuit tombée, à bord d un coche.

- La plupart des gens ne croient plus aux contes de fées en grandissant. Pourquoi avez vous continué, quand le reste du monde n y prétait plus foi ?
Elisabeth n était pas sûre de connaître la réponse à cette question qui n avait pas vraiment de sens pour elle, ou qui du moins ne l intéressait pas.
- Quel est l intérêt de la vie si vous ne croyez en rien? demanda-t-elle plutôt.

- Vous aimez cet endroit ?
- Bien sûr. Il y a des livres.

Et les 5 bougies s eteignirent de concert.

Genre : Fantasy - Romance

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Énard

Où il est question de processus créatif, de rivalité artistique, d amitié troublante, de désir et d Orient fantasmé... Exotique et dépaysant, idéal pour une lecture de vacances estivales!

Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d éléphants et d anges, mais n omets pas de leur parler d amour et de choses semblables.

La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher à l aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants. Nous sommes un peuple de relégués, de condamnés à mort. Je ne te connais pas. Je connais ton ami turc ; c est l un des nôtres. Petit à petit il disparaît du monde, avalé par l ombre et ses mirages ; nous sommes frères. Je ne sais quel douleur ou quel plaisir l a poussé vers nous, vers la poudre d étoile, peut être l opium, peut être le vin, peut être l amour ; peut être quelque obscure blessure de l âme bien cachée dans les replis de la mémoire.
Tu souhaites nous rejoindre.
Ta peur et ton désarroi te jettent dans nos bras, tu cherches à t y blottir, mais ton corps dur reste accroché à ses certitudes, il éloigne le désir, refuse l abandon.
Je ne te blâme pas.
Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage où tu penses pouvoir être porté en triomphe ; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant, lorsque la nuit arrive, tu trembles. Tu ne bois pas, car tu as peur ; tu sais que la brûlure d alcool te précipite dans la faiblesse, dans l irrésistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l enfance, la satisfaction, le calme face à l incertitude scintillante de l obscurité.
Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité, ce que tu souhaites sans le savoir, c est la disparition de tes peurs, la guérison, l union, le retour, l oubli. Cette puissance en toi te dévore dans la solitude.
Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l autre dans la nuit.

Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, la peur dans l amour ; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d éléphants et d êtres merveilleux ; en leur racontant le bonheur qu il y aura au delà de la mort, la lumière vive qui a présidé à leur naissance, les anges qui leur tournent autour, les démons qui les menacent, et l amour, l amour, cette promesse d oubli et de satieté. Parle leur de tout cela, et ils t aimeront ; ils feront de toi l égal d un dieu. Mais toi tu sauras, puisque tu es ici tout contre moi, toi le Franc malodorant que le hasard a amené sous mes mains, tu sauras que tout cela n est qu un voile parfumé cachant l éternelle douleur de la nuit.

La ville balance entre l est et l ouest, comme lui entre Bayazid et le pape, entre la tendresse de Mesihi et le souvenir brûlant d une chanteuse éblouissante.

D Istanbul, il lui reste une vague lumière, une douceur subtile mêlée d amertume, une musique lointaine, des formes douces, des plaisirs rouillés par le temps, la douleur de la violence, de la perte : l abandon des mains que la vie n a pas laissé prendre, des visages qu on ne caressera plus, des ponts qu on n a pas encore tendus.

Genre : Historique

Sur la plage de Chesil (On Chesil beach) de Ian McEwan

Un roman si court mais si riche qui aborde la question de la sexualité dans le couple (les insécurités et appréhensions qu elle soulève), et de manière plus large la difficulté à s ouvrir à l autre. D incompréhensions en malentendus, de frustrations en maladresses, le manque voire l absence de communication mène ce couple inexpérimenté et si attachant à un terrible moment de vérité. Subtil et fin!

Ils étaient jeunes, instruits, tous les 2 vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels étaient manifestement impossible.

C était encore l époque - elle se terminerait vers la fin de cette illustre décennie - où le fait d être jeune représentait un handicap social, une preuve d insignifiance, une maladie vaguement honteuse dont le mariage était le 1er remède. Presque inconnus l un de l autre, ils atteignaient, étrangement réunis, un des sommets de leur existence, ravis que leur nouveau statut promette de les hisser hors de leur interminable jeunesse - Edward et Florence, enfin libres!

Lui avait il donc fallu tout ce temps pour découvrir qu il lui manquait une simple aptitude mentale que tout le monde possédait, un mécanisme si ordinaire que personne n en parlait jamais, un rapport immédiat et sensuel aux êtres et aux choses, ainsi qu à ses propres besoins, à ses propres désirs?

Voilà comment on peut radicalement changer le cours d une vie : en ne faisant rien.

Au lieu de quoi il était resté là, glacial et muet, sûr de son bon droit, dans ce crépuscule estival, à la regarder fuir le long de la grève, tandis que le bruit de sa course laborieuse se perdait dans celui du ressac, jusqu à ce qu il ne reste plus d elle qu un point flou, toujours plus petit, sur l immense route de galets, droite et luisante dans la lumière blafarde.

Genre : Contemporain

Rien n'est noir de Claire Berest

Cette biographie de Frida Kahlo ne se prétend ni exhaustive ni inédite. Non, sa force réside dans sa construction. De manière ingénieuse, Claire Berest esquisse par touche de couleurs un tableau de la relation orageuse entre la fée Frida Kahlo et son "ogre messianique", Diego Rivera : un tableau chatoyant, sensuel et sensoriel (morbide aussi), comme un reflet de la peinture de Frida en somme. Je regrette un peu cette place centrale donnée à la relation de couple même si c est la place que lui a donnée Frida Khalo, car j ai beaucoup aimé les passages sur son inspiration, sa créativité et l interprétation des oeuvres.

Elle ne voit que lui sans même avoir à le regarder.

Un trophée de cirque que chaque femme voudrait s épingler au corsage - s empaler au corps sage.

Elle se rêvait médecin. Tant pis. Elle se rêvait valide aussi. D ailleurs non, elle ne se rêvait pas : elle avait été valide. Qu elle est cruelle la conscience de ce qui a été perdu et dont on ignorait la simple jouissance.

Tu sais pourquoi je pleure ? Parce que j ai été victime de 2 horribles accidents dans ma vie, Diego, le 1er c est le tramway. L autre c est quand je t ai rencontré.

Frida faussement légère, ironie vitale. C est comme si elle était une incarnation du tragique qui haïrait toute tragédie.

A force de vouloir m abriter en toi, j ai perdu de vue que c était toi, l orage. Que c est de toi que j aurais dû vouloir m abriter.
Mais qui a envie de vivre abrité des orages?

Il tient la poignée de cendres bien compacte, pour l empêcher de s envoler, il ferme les yeux, et l avale.

Genre : Historique - Histoire vraie

La folle allure de Christian Bobin

Christian Bobin livre le portrait d une femme insaisissable car fuyante, libre de manière totale, avec légèreté, confiance mais aussi inconséquence. Malgré la poésie et la délicatesse qui se dégagent de l ensemble, je n ai pas été touchée par cette héroïne qui ne m a ni inspirée ni enthousiasmée.

Mon 1er amour a les dents jaunes.

Tu sais ce que c est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse? Eh bien c est ça : la lune qui se glisse devant le coeur, et le coeur qui ne donne plus sa lumière. La nuit en plein jour. La mélancolie c est doux et noir. Il en a guéri à moitié : le noir est parti, le doux est resté.

J ai appris ça en écoutant le gros : le bonheur, ce n est pas une note séparée, c est la joie que 2 notes ont à rebondir l une contre l autre. Le malheur, c est quand ça sonne faux, parce que votre note et celle de l autre ne s accordent pas. La séparation la plus grave entre les gens, elle est là, nulle part ailleurs : dans les rythmes.

Mon coeur, entre 10 et 17 ans, un vrai courant d air : on y entre, on en sort. Dans un carnet, je tiens la liste des passages.

C est une pensée désolée, désolante. C est la pensée que tous nos liens sont faux et pire encore, comiques. Oui, il me semble parfois que tous nos sentiments, même les plus profonds, ont une part indélébile de comédie. Leur profondeur ne doit souvent rien à l amour - et tout à l amour propre.

Le temps passé à lire n est pas vraiment du temps. Allant d une page à l autre, je passe des frontières, j entre dans des maisons endormies, c est la fugueuse en moi qui lit et aucun gendarme ne peut la retrouver avant qu elle ait atteint la dernière phrase, levé la tête sur un ciel qui était bleu au début du 1er chapitre et qui maintenant est noir. J ai 27ans mais les lecteurs n ont pas d âge. Devant le livre ouvert il n y a qu une enfance laissée à ses jeux dans la rue, bien après 10h du soir.

...et je me suis dit que la folie venait peut être à la place des larmes qu on ne sait pas pleurer.

Enfin quelque chose comme ça :
(notes de sonate)

Genre : Contemporain

Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar

Il s agit d une longue lettre adressée par l empereur Hadrien au jeune Marc Aurèle, au soir de sa vie.
Se dessine alors un portrait historique soigné, avec une dimension philosophique dense notamment sur l amour, la mort, le sommeil, le deuil...
Mais si l aspect introspectif et rétrospectif m a plu, je n ai pas été emportée par les réflexions politiques et militaires.
Reste le style éblouissant de Marguerite Yourcenar qui apporte beaucoup de poésie même aux passages les plus prosaïques.

Mon cher Marc,
Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène, qui vient de rentrer à la Villa après un assez long voyage en Asie.

Comme le voyageur qui navigue entre les îles de l Archipel voit la buée lumineuse se lever vers le soir, et découvre peu à peu la ligne du rivage, je commence à apercevoir le profil de ma mort.

Ainsi, de chaque art pratiqué en son temps, je tire une connaissance qui me dédommage en partie des plaisirs perdus. J ai cru, et dans mes bons moments je crois encore, qu il serait possible de partager de la sorte l existence de tous, et cette sympathie serait l une des espèces les moins révocables de l immortalité.

La tradition populaire ne s y est pas trompée, qui a toujours vu dans l amour une forme d initiation, l un des points de rencontre du secret et du sacré.

Que de fois, levé de très bonne heure pour étudier ou pour lire, j ai moi-même rétabli ces oreillers fripés, ces couvertures en désordre, évidences presque obscènes de nos rencontres avec le néant, preuve que chaque nuit nous ne sommes déjà plus...

Le véritable lieu de naissance est celui où l on a porté pour la 1e fois un coup d oeil intelligent sur soi-même : mes 1es patries ont été des livres.

Notre grande erreur est d essayer d obtenir de chacun en particulier les vertus qu il n a pas, et de négliger de cultiver celles qu il possède.

Et c est de la sorte, avec un mélange de réserve et d audace, de soumission et de révolte soigneusement concertées, d exigence extrême et de concession prudente, que je me suis finalement accepté moi-même.

c est avoir tort que d avoir raison trop tôt.

Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... Tâchons d entrer dans la mort les yeux ouverts...

Retrouvé dans un volume de la correspondance de Flaubert, fort lu et fort souligné par moi vers 1927, la phrase inoubliable :
Les dieux n étant plus, et le Christ n étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l homme seul a été.
Une grande partie de ma vie allait se passer à essayer de définir, puis à peindre, cet homme seul et d ailleurs relié à tout.

Genre : Historique - Histoire vraie

La vie devant soi de Émile Ajar et Romain Gary

A Paris, le jeune Momo nous raconte sa vie, son quartier, ses voisins et surtout sa relation avec Mme Rosa. Avec une langue imagée, il nous décrit la vieillesse et le déclin de cette dernière. Que ce soit les questions de racisme ou d euthanasie, tout est vu par la lorgnette de ce titi parisien gouailleur et malin. Mais le style m a lassé et les émotions ne m ont jamais totalement submergée. Un peu déçue que ce ne soit pas le coup de coeur attendu...

La 1e chose que je peux vous dire c est qu on habitaitvau 6e à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu elle portait sur elle et seulement 2 jambes, c était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines.

Les années passaient, je ne l oubliais pas. J avais parfois peur car j avais encore beaucoup de vie devant moi et quelle parole pouvais je donner à moi même, moi, pauvre homme, alors que c est Dieu qui tient la gomme à effacer?

Elle était si triste qu on ne voyait même pas qu elle était moche.

On a dormi à côté du sommeil du juste. Moi j ai beaucoup réfléchi là dessus, et je crois que Monsieur Hamil a tort quand il dit ça. Je crois que c est les injustes qui dorment le mieux, parce qu ils s en foutent, alors que les justes ne peuvent pas fermer l oeil et se font du mauvais sang pour tout. Autrement ils seraient pas justes.

- C est là que je vais quand j ai peur.
- Peur de quoi Madame Rosa?
- C est pas nécessaire d avoir des raisons pour avoir peur, Momo.
Ça, j ai jamais oublié, parce que c est la chosela plus vraie que j ai jamais entendue.

Monsieur Hamil aussi, qui a lu Victor Hugo et qui a vécu plus que n importe quel autre homme de son âge, quand il m a expliqué en souriant que rien n est blanc ou noir et que le blanc, c est souvent le noir qui se cache et le noir, c est parfois le blanc qui s est fait avoir.

Moi, l héroïne, je crache dessus. Les mômes qui se piquent deviennent tous habitués au bonheur et ça ne pardonne pas, vu que le bonheur est connu pour ses états de manque. Pour se piquer, il faut vraiment chercher à être heureux et il n y a que les rois des cons qui ont des idées pareilles. Moi je me suis jamais sucré, j ai fumé la Marie des fois avec des copains pour être poli et pourtant, à 10 ans, c est l âge où les grands vous apprennent des tas de choses. Mais je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur, c est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre.

Maintenant il devient de plus en plus con mais c est parce qu on est pas prévu pour vivre si vieux.

Je voudrais aller très loin dans un endroit plein d autre chose et je cherche même pas à l imaginer, pour ne pas le gâcher. On pourrait garder le soleil, les clowns et les chiens parce qu on ne peut pas faire mieux dans le genre. Mais pour le reste, ce serait ni vu ni connu et spécialement aménagé dans ce but. Mais je pense que ça aussi ça s arrangerait pour être pareil. C est même marrant, des fois, à quel point les choses tiennent à leur place.

Il ne faut pas pleurer, mon petit, c est naturel que les vieux meurent. Tu as toute la vie devant toi.

Pourtant je connais des tas de Juifs à Belleville qui ont des cartes d identité et toutes sortes de papiers qui les trahissent mais Mme Rosa ne voulait pas courir le risque d être couchée en bonne et due forme sur des papiers qui le prouvent, car dès qu on sait qui vous êtes on est sûr de vous le reprocher.

Moi je trouve qu il n y a pas plus degueulasse que d enfoncer la vie de force dans la gorge des gens qui ne peuvent pas se défendre et qui ne veulent plus servir.

Le docteur Ramon est même allé chercher mon parapluie Arthur, je me faisais du mauvais sang car personne n en voudrait à cause de sa valeur sentimentale, il faut aimer.

Genre : Contemporain

Réinventer l'amour de Mona Chollet

Il s agit plus d un texte de non fiction que d un essai rigoureux.
Didactique, accessible et fluide mais ni révolutionnaire ni percutant.
La journaliste conserve sa tendance au témoignage ce qui peut avoir son charme et recourt à l autocitation ce qui a fini par m agacer.
La structure est bancale avec une intro et un prologue mais pas de vraie conclusion.
Et je crois qu on touche ici à ce qui m a frustré : le titre fait office de cette conclusion manquante au lieu de tenir la promesse qu il contenait.
J ai bien envie de lire Révolution amoureuse de Coral Herrera Gomez en espérant que ça collera plus à mes attentes.

Dès que j ai eu mon 1er smartphone, j ai choisi d afficher cette image sur l écran de veille, et je n en ai jamais changé depuis.

Si les femmes peuvent si souvent passer pour des créatures capricieuses et tyranniques, aux demandes affectives exorbitantes, et les hommes pour des êtres solides, autonomes, à la tête froide, c est parce que les besoins émotionnels des seconds, contrairement à ceux des 1es, sont pris en charge et comblés de manière aussi zélée qu invisible. Quand une femme est cataloguée comme trop exigeante, elle ne fait bien souvent que réclamer la réciprocité des attentions qu elle prodigue. Nous avons d ailleurs vu au chapitre précédent à quel point les émotions des hommes sont la grande affaire des femmes, des hommes eux mêmes, de la société tout entière. Pour quelque chose dont ils nient parfois l existence, ou qu ils prétendent maîtriser parfaitement, les émotions des hommes prennent vraiment beaucoup de place.

Espérons qu elles seront de plus en plus nombreuses à parler de plus en plus fort. Et que leurs voix prendront enfin toute leur place dans la définition de ce que nous appelons l amour.

Genre : Sciences humaines et sociales

Belle du Seigneur de Albert Cohen

Solal, haut fonctionnaire juif à la SDN, rencontre Arianne, l épouse protestante d un de ses sous-fifres arriviste et feignant. Et c est le coup de foudre.
Avec ce roman, Albert Cohen voulait écrire le livre de l anti Amour, le livre sur la Passion amoureuse. Une passion sublime, ridicule, décadente, destructrice et toxique....
Avec moults effets de style (logorrhées mentales des personnages, chapitres sans ponctuation...), Cohen nous démontre l impossibilité mais aussi le refus pour les amants magnifiques et maudits de passer de cette Passion ardente à l Amour véritable. L agonie inéluctable du couple qui fait écho à la déchéance de Solal est parfaitement retranscrite mais pas seulement.
Le contexte de montée du fascisme et de l antisémitisme, les prémices de l échec de la SDN, l esprit petit bourgeois étriqué et pudibond participent à la richesse du roman en créant un contexte dense.
A la fois farce sentimentale dans laquelle les héros se retrouvent piégés par leurs propres rêves de romantisme et d absolu; et satire politique et sociale intéressante, psychologiquement très fine; le tout aboutit à une expérience de lecture presque déplaisante tant les personnages sont antipathiques (pervers narcissique, midinette, tire-au-flanc...) Un roman fort dont on ressort vidé par son cynisme presque misanthrope voire misogyne.

Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des 2 chevaux que le valet d écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d une victoire.

Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d un battement de paupières. Dites moi fou mais croyez moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle, ni Adrienne ni Aude ni Isolde ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes d elle annonciatrices et servantes.

Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d un battement de paupières. Dis moi fou mais crois moi. Un battement de tes paupières, et tu me regardas sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant toi, ni Adrienne ni Aude ni Isolde ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes de toi annonciatrices et servantes.

Aimé, hier soir je lisais un livre et soudain je me suis aperçue que je ne comprenais rien et que je pensais à vous.

D ailleurs, qu est ce que le sens de l honneur sinon la peur méprisable du qu en-dira-t-on, ce qui rend un peu comique les tragédies de Corneille!

car il faut essayer de se divertir lamentablement dans le malheur, affreusement se divertir en tirant sur une ficelle, en prononçant des mots idiots, se divertir pour supporter le malheur, pour continuer à vivre.

Devenus protocole et politesses rituelles, les mots d amour glissaient sur la toile cirée de l habitude.

On s aime de haïr ensemble.

Du joli, la passion dite amour. Si pas de jalousie, ennui. Si jalousie, enfer bestial. Elle, une esclave, et lui, une brute. Ignobles romanciers, bande de menteurs qui embellissaient la passion, en donnant l envie aux idiotes et aux idiots. Ignobles romanciers, fournisseurs et flagorneurs de la classe possédante. Et les idiotes aimaient ces sales mensonges, ces escroqueries, s en nourrissaient.

Chancelant soudain, et un froid lui venant, il la remit sur le lit, et il s étendit auprès d elle, baisa le visage virginal, à peine souriant, beau comme au 1er soir, baisa la main encore tiède mais lourde, la garda dans sa main, la garda avec lui jusque dans la cave où la naine pleirait, ne se cachait pas de pleurer son beau roi en agonie contre la porte aux verrues, son roi condamné qui pleurait aussi d abandonner ses enfants de la terre, ses enfants qu il n avait pas sauvés, et que feraient ils sans lui, et soudain la naine lui demanda d une voix vibrante, lui ordonna de dire le dernier appel, ainsi qu il était prescrit, car c était l heure.

Genre : Classique

Les trois lumières (Foster) de Claire Keegan

Une petite fille est confiée par ses parents à un couple âgé de la campagne irlandaise.
Parfois quelques pages suffisent pour nous emporter comme avec cette petite histoire contée à hauteur d\'enfant... C était beau, c était touchant, c était tout en retenue. Format minimaliste pour émotions maximales !

Genre : Contemporain

Paris est une fête (A Moveable Feast) de Ernest Hemingway

L auteur revient sur sa vie de bohème à Paris pendant l entre-deux-Guerres.
Livre sur le travail d écrivain, traversé de quelques portraits d autres auteurs contemporains d\'Hemingway, il laisse transparaître le Paris des années folles et ce qu était la génération perdue, sans malheureusement approfondir ces thèmes. Trop anecdotique pour me marquer, surtout que je suis restée insensible à la plume.

Et puis, il y avait la mauvaise saison.

"Vous êtes tous une génération perdue."
"C est ce que vous êtes. C est ce que vous êtes tous, dit Miss Stein. Vous autres, jeunes gens qui avaient fait la guerre, vous êtes tous une génération perdue."

Lorsque 2 êtres s aiment, sont heureux et gais, et qu ils font vraiment du bon travail, soit l un, soit l autre, soit tous les 2, les gens se sentent attirés vers eux aussi sûrement que les oiseaux migrateurs sont attirés, la nuit, par un phare puissant. Si tous 2 sont aussi solidement construits que le phare, il n y a guère de dommage, sauf pour les oiseaux.
Mais ceux qui attirent les autres par leur bonheur ou leur valeur sont généralement inexpérimentés. Ils ne savent pas comment supporter le choc, ou comment l esquiver. Ils ne se méfient pas toujours des riches, si bons, si sympathiques, si charmants, si séduisants, si généreux, si compréhensifs, qui n ont aucun défaut, ou qui savent donner à chaque journée un air de fête, mais qui après leur passage, lorsqu ils ont prélevé l aliment dont ils avaient besoin, laissent toute chose plus morte que la racine de n importe quelle herbe qu aient jamais foulée les sabots des chevaux d Attila.

Il n y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu en gardent tous ceux qui y ont vécu diffère d une personne à l autre. Nous y sommes toujours revenus, et peu importait qui nous étions, chaque fois, ou comment il avait changé, ou avec quelles difficultés - nous pouvions nous y rendre. Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous donniez. Mais tel était le Paris de notre jeunesse, au temps où nous étions très pauvre et très heureux.

Genre : Contemporain

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

Ifemelu quitte le Nigeria et son amoureux, Obinze, pour poursuivre ses études aux USA. Elle s y découvre noire et décide de créer un blog sur les questions de race et de racisme aux USA.
L exil, l immigration, le choc des cultures, le racisme, le sexisme, l amour, l acceptation de soi, l identité... voilà tous les thèmes abordés dans ce roman dense au ton impertinent qui frappe juste.
Un savant équilibre entre analyses et roman est entretenu pendant tout le livre grâce, notamment, aux articles de blog parsemés dans le récit.
L autrice nous confronte alors à une photographie critique mais réaliste des USA des années 90-2000 et de l Afrique actuelle, égratignant les hypocrisies des uns et vidant de leur substance les dénégations des autres.

Princeton en été, n avait pas d odeur, et si Ifemelu appréciait le calme verdoyant de ses nombreux arbres, ses rues propres et ses majestueuses maisons, ses magasins aux prix subtilement exagérés et son air tranquille, immuable de grâce méritée, c était cette absence d odeur qui la séduisait le plus, peut être parce que les autres villes américaines qu elle connaissait dégageaient toutes des effluves caractéristiques.

...car leur pays était maintenant un endroit indistinct entre ici et là bas

Et au fur et à mesure de ses lectures, les mythologies américaines commencèrent à avoir un sens. Les tribalismes américains -race, idéologie et région- se clarifièrent. Et sa nouvelle compréhension des choses la réconforta.

Moi même je ne me sentais pas noire, je ne suis devenue noire qu en arrivant en Amérique.

Mais la race n est pas de la biologie; la race est de la sociologie. La race n est pas un génotype; la race est un phénotype. La race compte à cause du racisme.

Donc le plouc des Appalaches n a pas de privilèges de classe mais une chose est sûre, il a le privilège de la race.

"Ciel, dit elle enfin. Entre."

Genre : Contemporain

L'armée des ombres de Joseph Kessel

A un mois du 80e anniversaire de la Rafle du Vel d Hiv et la veille du 18 juin, je me suis plongée dans L armée des ombres de Joseph Kessel.
On suit principalement un résistant, les missions de sa structure et ses réflexions, de manière un peu décousue mais tellement réaliste.
Je ne peux que citer la postface. Il s agit d"un vibrant hommage aux combattants de l Intérieur", à travers "un reportage écrit comme un roman qui offre de la situation de la France d alors une vision kaléidoscopique, à la fois témoignage profondément humain et récit edifiant qui atteint souvent les dimensions de la légende et du mythe..."
Ecrit en 1943, ce texte puissant n en a que plus de poids.
A lire! Le film tiré du livre est à voir (il a été diffusé dernièrement) quand bien même le ton final est différent !

La France vivante, saignante, est toute dans les profondeurs. C est vers l ombre qu elle tourne son visage inconnu et vrai. Peuple qui, dans les catacombes de la révolte, forme sa lumière et trouve sa propre loi.

Jamais la France n a fait guerre plus haute et plus belle que celle des caves où s impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d où partent ses enfants libres, des cellules de tortures où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés des Français meurent en hommes libres.
Tout ce qu on va lire ici a été vécu par des gens de France. Mon seul souhait est de ne pas avoir rendu avec trop d infidélité leur image.

Il pleuvait.

Je ne peux pas croire à Dieu, dit il. C est trop commode, pour les salauds, de payer dans l autre monde. Je veux voir la justice sur cette terre.

La résistance. Tu entends? dit encore Gerbier. Endors toi avec ce mot dans la tête. Il est le plus beau, en ce temps, de toute la langue française. Tu ne peux pas le connaître. Il s est fait pendant qu on te détruisait ici. Dors, je promets de te l apprendre.

Comment cela s est fait, je n en sers rien, disait Gerbier. Je pense que personne ne le saura jamais. Mais un paysan a coupé un fil téléphonique de campagne. Une vieille femme a mis sa canne dans les jambes d un soldat allemand. Des tracts ont circulé. Un abatteur de la Villette a jeté dans la chambre froide un capitaine qui réquisitionnait la viande avec trop d arrogance. Un bourgeois donne une fausse adresse aux vainqueurs qui demandent leur chemin. Des cheminots, des curés, des braconniers, des banquiers aident les prisonniers évadés à passer par centaines. Des fermiers abritent des soldats anglais. Une prostituée refuse de coucher avec les conquérants. Des officiers, des soldats français, des maçons, des peintres, cachent des armes. Tu ne connais rien de tout cela. Tu étais ici. Mais pour celui qui a senti cet éveil, ce 1er frémissement, c était la chose la plus émouvante du monde. C était la sève de la liberté, qui commençait à sourdre à travers la terre française. Alors les Allemands et leurs serviteurs et le vieillard, ont voulu extirper la plante sauvage. Mais plus ils en arrachaient, et mieux elle poussait. Ils ont empli les prisons. Ils ont multiplié les camps. Ils se sont affolés. Ils ont enfermé le colonel, le voyageur de commerce, le pharmacien. Et ils ont eu encore plus d ennemis. Ils ont fusillé. Or, c était de sang que la plante avait surtout besoin pour croitre et se répandre. Le sang a coulé. Le sang coule. Il va couler à flots. Et la plante deviendra forêt.

Ce n était pas la faute de Paul Dounat s il allait mourir et ce n était pas la faute de ceux qui l assassinaient. Le seul, l éternel coupable, était l ennemi qui imposait aux Français la fatalité de l horreur.

Avant, il y avait la prison, le camp de concentration, la résidence forcée, ou même un simple avertissement des autorités. Aujourd hui, c est presque toujours la mort, la mort, la mort.
Mais de notre côté, on tue, on tue, on tue.
Les Français n étaient pas préparés, pas disposés à tuer. Leur tempérament, leur climat, leur pays, l état de civilisation où ils étaient arrivés, les éloignaient du sang. Je me rappelle combien, dans les 1ers temps de la résistance, il nous étaient difficile d envisager le meurtre de sang froid, l embuscade, l attentat médité. Et combien il était difficile de recruter des gens pour cela. Il est bien question maintenant de ces répugnances! L homme primitif est reparu chez les Français. Il tue pour défendre son foyer, son pain, ses amours, son honneur. Il tue chaque jour. Il tue l Allemand, le traître, le dénonciateur. Il tue par raison et il tue par réflexe.

Quant aux gens de la résistance, ils suscitent une émotion presque mystique. On sent déjà se former la légende.

Nous savons que nos soldats changent 100 fois de nom et qu ils ne possèdent ni abri ni visage. Ils vont en secret dans des chaussures informes sur des chemins sans soleil et sans gloire. Nous savons que notre armée est famélique et pure. Qu elle est une armée d ombres. L armée miraculeuse de l amour et du malheur. Et j ai pris conscience ici que nous étions seulement les ombres de ces ombres et le reflet de cet amour et de ce malheur.

Gerbier a passé 3 semaines à Londres. Il est reparti pour la France bien portant et très calme. Il avait retrouvé l usage de son demi sourire.

Genre : Histoire vraie - Historique

L'étrange disparition d'Esme Lennox (The vanishing act of Esme Lennox) de Maggie O'Farrell

Une jeune femme, Iris, découvre que sa grand-mère souffrant d Alzheimer a une soeur, Esme, toujours vivante. Qui est elle? Pourquoi les 2 soeurs ont-elles perdu contact ?
Secret de famille, internement abusif... Malgré des thèmes durs, la plume est douce et subtile.
Mais la force de ce récit, c est sa construction: avec une narration à trois voix alternant le présent, le passé et le flux de pensée très fragmenté de la grand-mère. Cette construction contribue à rendre le texte addictif et le lecteur avide de savoir car le voile se lève progressivement.
Original, mais aussi révoltant et très émouvant.

Commençons par deux jeunes filles à un bal.

Tu ne sais pas ce qu il y a écrit là dedans? Qu il suffisait à un homme d avoir un papier signé par un généraliste pour faire interner sa femme ou sa fille dans un asile d aliénés.

Nous ne sommes que des vaisseaux par lesquels circulent des identités, songe Esme: on nous transmet des traits, des gestes, des habitudes, et nous les transmettons à notre tour. Rien ne nous appartient en propre. Nous venons au monde en tant qu anagrammes de nos ancêtres.

On emmène Esme, on l arrache au canapé, on essaie de détacher sa main de celle d Iris. Mais Iris ne lâche pas prise, serre plus fort au contraire. Car elle suivra cette main, l accompagnera dans le blanc, le couloir et plus loin encore.

Genre : Contemporain

Le cycle de Dune (6 tomes), tome 2 : Le messie de Dune (Dune Messiah) de Frank Herbert

On retrouve Paul Atréides sur Arakis 12 ans après le Jihad, tourmenté par les exactions commises en son nom et par ses visions.
Dans un climat de conspiration et de méfiance, il fait l expérience de la solitude qui accompagne l exercice du pouvoir.
Fanatisme, théocratie... Le titre, Le Messie, l annonçait déjà: le religieux prend le dessus dans ce 2e tome, au détriment de l aspect écologique du premier.
Personnellement j ai apprécié les multiples références religieuses, les réflexions sous jacentes sur le pouvoir et le religieux ainsi que le synchrétisme encore plus poussé. Je suis moins convaincue par le mysticisme un peu new age auquel tend parfois Herbert.
Les personnages sans être attachants restent fascinants, surtout Alia dont je regrette le traitement (sexualisé).
La narration avec exergues et multiples focales m a moins surprise mais reste parfois frustrante quand elle nous met à distance des événements.
Pour finir, si ce tome souffre de la comparaison avec le précédent pour moi, ça reste une lecture plaisante qui démontre à quel point Herbert a influencé la SF et notamment la mythologie de Star Wars (le couple Paul/Chani clairement à l origine du couple Anakin/Padme, la mort en couches de Chani/Padme, la naissance des jumeaux dont le garçon est destiné à dépasser le père)

Q) Qu est ce qui vous a amené à choisir cette approche particulière de l histoire de Muad Dib ?

Comme tous les prêtres, vous avez tôt fait d apprendre à nommer hérésie la vérité.

La croyance peut être manipulée. Seul le savoir est dangereux.

Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l oblitération totale. J affronterai ma peur...

Brièvement nous sommes intoxiqués par l amour de la vie, brièvement, nous nous fixons sur d étranges idées avant de nous soumettre aux instruments du Temps. Que pouvons nous en dire? Je suis advenu. Je ne suis pas, pourtant je suis advenu...

Il traverse la longue caverne du temps,
Dispersant le moi-fou de son rêve

Genre : Science-Fiction

Sixième du crépuscule et autres nouvelles de Brandon Sanderson

J ai d abord lu ce recueil de nouvelles pour la dernière, Dansecorde, qui fait le lien entre les tomes 2 et 3 des Archives de Roshar. C'est d ailleurs ma préférée du recueil. On y retrouve l univers passionnant de Roshar mais le point de vue de Lift offre une perspective nouvelle et enthousiasmante pour la suite.
Les 2 1es nouvelles, sur les thèmes du rapport au réel/manipulation de la réalité, m ont agréablement surprise. Avec elles, je constate que Sanderson excelle aussi dans d'autres genres que la fantasy comme le thriller SF.

Genre : Fantasy

Le Guépard (Il Gattopardo) de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa

En 1860, dans un contexte d unification italienne, Don Fabrizio, aristocrate sicilien, observe, impuissant, les événements historiques et sociologiques qui agitent l époque et qui trouvent leur paroxysme avec le mariage du neveu adoré, Tancrede.
Dans ce roman des dichotomies, l auteur oppose ancienne et nouvelle générations à travers l oncle et le neveu, Nord et Sud de l Italie, aristocratie déclinante et nouveaux riches.
Au gré de descriptions envoûtantes, on découvre des domaines fastueux pourtant implantés dans une nature sicilienne aride.
Sous un soleil de plomb, c est le vieillissement d un homme et le crépuscule d un monde auquel on assiste, emporté par le style baroque, bercé par une atmosphère capiteuse et mélancolique.


Mai 1860
Nunc et in hora mortis nostrae. Amen.

De chaque motte de terre émanait la sensation d un désir de beauté vite brisé par la paresse.

Parce que mourir pour quelqu un ou pour quelque chose, d accord, c est dans l ordre des choses; il faut pourtant savoir ou, du moins, être certain que quelqu un sache pour qui ou pour quoi on est mort; c est cela que demandait ce visage abîmé; et c est là que, justement, commençait le brouillard.

Si nous voulons que tout reste tel que c est, il faut que tout change.

J appartiens à une génération malheureuse, à cheval entre les temps anciens et les nouveaux, qui se trouve mal à l aise dans les 2. De plus, comme vous même avez pu vous en rendre compte, je suis sans illusions; que ferait donc le Sénat de moi, d un législateur inexpérimenté à qui manque la faculté de se leurrer lui même, cette qualité essentielle requise pour ceux qui veulent guider les autres ? Ceux de notre génération doivent se retirer dans un coin et regarder les culbutes et les cabrioles des jeunes autour de ce fastueux catafalque. Vous avez besoin maintenant de jeunes, de jeunes vifs, l esprit ouvert au comment davantage qu au pourquoi, habiles à masquer, je veux dire à tempérer, leur intérêt particulier précis avec de vagues idéalités politiques.

Nous fûmes les Guépards, les Lions; ceux qui nous remplaceront seront les petits chacals, les hyènes; et tous ensemble, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre.

Puis tout s apaisa dans un petit tas de poussière livide.

Genre : Historique

Les détectives du Yorkshire, tome 01 : Rendez-vous avec le crime (The Dales Detective Series, book 1: Date with Death) de Julia Chapman

Après un éloignement de plus de 10 ans, Samson O Brien revient dans son village pour monter une agence de détective privée qui va vite être sollicitée.
Tout est très sympathique dans ce cozy mystery avec cette ambiance de campagne anglaise reculée et ses personnages secondaires gentiment clichés mais attachants. Le duo principal fonctionne bien. C est la lecture légère dont j avais besoin!

Genre : Policier

Illusions perdues de Honoré de Balzac

Dans les premières années de la Restauration, 2 poètes provinciaux empruntent des chemins différents : David récupère l imprimerie familiale et reste en province, tandis que Lucien part à Paris en quête de reconnaissance littéraire. Ce sont leurs désenchantements et notamment le basculement opportuniste de Lucien dans le monde du journalisme qui font l objet principal de ce livre.
La presse tient un rôle central donc, dans son sens littéral (tout ce qui touche à l imprimerie est abordé parfois de manière quasi encyclopédique) et dans son sens figuré (journalisme).
Mais ce qui distingue ce roman du XIXe siècle, c est qu il porte en germe bien des maux du XXe et du XXIe siècles : l appât du gain lié à l essor du capitalisme qui pollue jusqu aux relations familiales, le dévoiement de la mission journalistique d objectivité et d impartialité par les collusions et corruptions et bien sûr le népotisme avec cette importance des réseaux pour réussir.
"Roman total", il embrasse toutes les formes; de la poésie aux scènes de dialogues quasi théâtrales et au format épistolaire.
Sur la forme encore, le livre est découpé en 3 parties sans chapitres. Si ça peut manquer de structure formelle, ça renforce l impression de roman fleuve à la puissance romanesque inéluctable servi par un style à l acuité mordante mais parfois fastidieux, Balzac n évitant pas ses écueils habituels (descriptions longues, détails financiers et judiciaires lourds etc).
J en ressors impressionnée, avec une envie de légèreté.

nul mieux que lui n a cherché à représenter, dans une suite romanesque de grande ampleur qu il qualifiait lui même d oeuvre capitale dans l oeuvre, le drame d une génération tout entière, la mêlée des passions et des intérêts, des souffrances et des rêves, des désirs et des pouvoirs dans la société française des 1es années de la Restauration, réfractée à travers la destinée exemplaire de 2 poètes de province, voués de façon différente mais également désastreuse à l échec de leurs ambitions et à la perte de leurs illusions.

Car ce roman est plus qu un roman. Il est tous les romans possibles, tout ce que le roman peut être. Il emprunte à tous les styles, à tous les genres. En lui coexistent, emportés par la même énergie créatrice, la comédie des moeurs provinciales et parisiennes, le drame des passions affrontées, l épopée des ambitions déçues et des inventions manquées, le poème lyrique des espérances trompées, l encyclopédie de tous les savoirs, techniques, juridiques, linguistiques, archéologiques. Avec Illusions perdues, Balzac nous donne le 1er roman total, à la mesure d une époque et d une société que la Révolution et l Empire ont précipitées, sans qu elles le sachent encore, dans le désordre d une modernité commençante.

En effet, nos ridicules sont en grande partie causés par un beau sentiment, par des vertus ou par des facultés portées à l extrême. La fierté que ne modifie pas l usage du grand monde devient de la roideur en se déployant sur de petites choses au lieu de s agrandir dans un cercle de sentiments élevés. L exaltation, cette vertu dans la vertu, qui engendre les saintes, qui inspire les dévouements cachés et les éclatantes poésies, devient de l exagération en se prenant aux riens de la province. Loin du centre où brillent les grands esprits, où l air est chargé de pensées, où tout se renouvelle, l instruction vieillit, le goût se dénature comme une eau stagnante. Faute d exercice, les passions se rapetissent en grandissant des choses minimes. Là est la raison de l avarice et du commérage qui empestent la vie de province. Bientôt l imitation des idées étroites et des manières mesquines gagne la personne la plus distinguée. Ainsi périssent des hommes nés grands, des femmes qui, redressées par les enseignements du monde et formées par des esprits supérieurs, eussent été charmantes.

La douleur jeta sur la figure de cette femme un voile de tristesse. Ce nuage ne se dissipa qu à l âge terrible où la femme commence à regretter ses belles années passées sans qu elle en ait joui, où elle voit ses roses se fâner, où les désirs d amour renaissent avec l envie de prolonger les derniers sourires de la jeunesse. Toutes ses supériorités firent plaie dans son âme au moment où le froid de la province la saisit. Comme l hermine, elle serait morte de chagrin si, par hasard, elle se fût souillée au contact d hommes qui ne pensaient qu à jouer quelques sous, le soir, après avoir bien dîné. Sa fierté la préserva des tristes amours de la province. Entre la nullité des hommes qui l entouraient et le néant, une femme si supérieure dut préférer le néant. Le mariage et le monde furent donc pour elle un monastère.

Il y a pour les gens aimants un plaisir infini à trouver dans les accidents d un paysage, dans la transparence de l air, dans les parfums de la terre, la poésie qu ils ont dans l âme. La nature parle pour eux.

Une voix lui cria bien : " l intelligence est le levier avec lequel on remue le monde". Mais une autre voix lui cria que le point d appui de l intelligence était l argent.

Vous avez du génie, tâchez de prendre votre revanche. Le monde vous dédaigne, dédaignez le monde. Réfugiez vous dans une mansarde, faites y des chefs d oeuvre, saisissez un pouvoir quelconque, et vous verrez le monde à vos pieds; vous lui rendrez alors les meurtrissures qu il vous aura faites là où il vous les aura faites.

Buffon l a dit, le génie, c est la patience. La patience est en effet ce qui, chez l homme, ressemble le plus au procédé que la nature emploie dans ses créations. Qu est ce que l Art, monsieur? c est la Nature concentrée.

Le vrai talent est toujours bon enfant et candide, ouvert, point gourmé ; chez lui, l epigramme caresse l esprit et ne vise jamais l amour propre.

Ce qui rend les amitiés indissolubles et double leur charme est un sentiment qui manque à l amour, la certitude.

Il y a chez toi, lui dit Michel Chrestien, un esprit diabolique avec lequel tu justifieras a tes propres yeux les choses les plus contraires a nos principes: au lieu d être un sophiste d idées, tu seras un sophiste d actions.

Etes vous classique ou romantique ? lui demanda Lousteau.
L air étonné de Lucien dénotait une si complète ignorance de l état des choses dans la République des Lettres que Lousteau jugea nécessaire de l éclairer.
Mon cher, vous arrivez au milieu d une bataille acharnée, il faut vous décider promptement. La littérature est partagée d abord en plusieurs zones : mais nos grands hommes sont divisés en 2 camps. Les Royalistes sont romantiques, les Libéraux sont classiques. La divergence des opinions littéraires se joint à la divergence des opinions politiques, et il s ensuit une guerre à toutes armes, encre à torrents, bons mots à fer aiguisé, calomnies pointues, sobriquets à outrance, entre les gloires naissantes et les gloires déchues. Par une singulière bizarrerie, les Royalistes romantiques demandent la liberté littéraire et la révocation des lois qui donnent des formes convenues à notre littérature; tandis que les Libéraux veulent maintenir les unités, l allure de l alexandrin et le thème classique. Les opinions littéraires sont donc en désaccord, dans chaque camp, avec les opinions politiques. Si vous êtes éclectique, vous n aurez personne pour vous.

La polémique, mon cher, est le piédestal des célébrités.

A l aspect d un poète éminent y prostituant la muse à un journaliste, y humiliant l Art, comme la Femme était humiliée, prostituée sous ces galeries ignobles, le grand homme de province recevait des enseignements terribles. L argent! était le mot de toute énigme.

Aujourd hui pour réussir, il est nécessaire d avoir des relations. Tout est hasard, vous le voyez. Ce qu il y a de plus dangereux est d avoir de l esprit tout seul dans son coin.

La conscience, mon cher, est un de ces bâtons que chacun prend pour battre son voisin, et dont il ne se sert jamais pour lui.

Le Journal au lieu d être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis; de moyen, il s est fait commerce; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi.

Elle avait encore contemplé son poète endormi dans le plaisir, elle s était enivrée sans pouvoir se repaître de ce noble amour, qui réunissait les sens au coeur et le coeur aux sens pour les exalter ensemble. Cette divinisation qui permet d être 2 ici bas pour sentir, un seul dans le ciel pour aimer, était son absolution. A qui d ailleurs la beauté surhumaine de Lucien n aurait elle pas servie d excuse? Agenouillée à ce lit, heureuse de l amour en lui même, l actrice se sentait sanctifiée.

Finot, le grand prêtre versa quelques gouttes de vin de Champagne sur la belle tête blonde de Lucien en prononçant avec une délicieuse gravité ces paroles sacramentales : Au nom du Timbre, du Cautionnement et de l Amende, je te baptise journaliste.

Qu était il dans ce monde d ambitions? Un enfant qui courait après les plaisirs et les jouissances de vanité, leir sacrifiant tout; un poète sans reflexion profonde, allant de lumière en lumière comme un papillon, sans plan fixe, l esclave des circonstances pensant bien et agissant mal. Sa conscience fut un impitoyable bourreau.

Votre frère est un aiglon que les 1ers rayons du luxe et de la gloire ont aveuglé. Quand un aigle tombe, qui peut savoir au fond de quel précipice il s arrêtera? La chute d un grand homme est toujours en raison de la hauteur à laquelle il est parvenu.

Les ennemis de l ordre social profitent de ce contraste pour jappet après la justice et se courroucer au nom du peuple de ce qu on envoie aux galères un voleur de nuit et de poules dans une enceinte habitée, tandis qu on met en prison à peine pour quelques mois un homme qui ruine des familles en faisant une faillite frauduleuse, mais ces hypocrites savent bien qu en condamnant le voleur les juges maintiennent la barrière entre les pauvres et les riches, qui, renversée, amènerait la fin de l ordre social; tandis que le banqueroutier, l adroit capteur de successions, le banquiet qui tue une affaire à son profit ne produisent que des déplacements de fortune.

Quant à Lucien, son retour à Paris est du domaine des Scènes de la vie parisienne.

Genre : Classique

Les Annales du Disque-Monde, tome 09 : Éric (Eric) de Terry Pratchett

On retrouve le mage Rincevent invoqué par un ado de 14 ans apprenti démonologue, Eric, dans l espoir qu il réalise 3 voeux.
Cette réécriture de Faust, c est l Enfer selon Pratchett. Et c est surprenant ! Mais les idées sont malheureusement plus amusantes que bien exploitées. Un texte court qui m a plus fait penser à une nouvelle... Peut mieux faire !

Genre : Fantasy - Humour

Une farouche liberté de Gisèle Halimi et Annick Cojean

Au fil de cet entretien entre Gisèle Halimi et Annick Cojean se dessine le portrait d une femme cultivée à la détermination sans faille, en revenant sur ces combats d avocate ("procès du viol", affaire de Bobigny, affaire Boupacha) et de féministe, ses 2 casquettes indissociables.
Si ce livre-testament n est peut être pas surprenant pour qui connaît déjà Gisèle Halimi, il a le mérite de faire revivre cette grande dame le temps d\'une centaine de pages. Inspirant!

A 10 ans, elle entreprenait une grève de la faim en criant "C est pas juste!", indignée par les inégalités entre garçons et filles.

Il est un langage que tiennent les hommes et que les femmes ne devraient jamais laisser passer. Les mots ne sont pas innocents. Ils traduisent une idéologie, une mentalité, un état d esprit. Laisser passer un mot, c est le tolérer. Et de la tolérance à la complicité, il n y a qu un pas.

Quand nous nous sommes présentés à l Elysée et que le Général m est soudain apparu, il m a semblé gigantesque. Il m a tendu la main en me toisant. Et de sa voix rocailleuse, il a lancé : "Bonjour Madama." Il a marqué un temps. "Madame ou mademoiselle?" Je n ai pas aimé. Mais alors pas du tout. Ma vie personnelle ne le regardait pas. J ai répondu en le regardant bien droit: "Appelez moi Maître, Monsieur le Président!"

Et puis nous avons continué la bataille contre une justice fondamentalement misogyne. Une bataille féministe. Au nom de toutes les femmes, les humiliées, les offensées. Une bataille pour nous toutes, moi comprise. Car quand je plaidais, je sentais de toutes les tripes que je plaidais aussi pour moi. Il existe une cause des femmes.

Une femme ne peut être l esclave de son corps et de la fatalité biologique. Son corps lui appartient, à elle, sujet.

Enfin n ayez pas peur de vous dire féministes. C est un mot magnifique, vous savez. C est un combat valeureux qui n a jamais versé de sang. Une philosophie qui réinvente des rapports hommes-femmes enfin fondés sur la liberté. Un idéal qui permet d entrevoir un monde apaisé où les destins des individus ne seraient pas assignés à leur genre; et où la libération des femmes signifierait aussi celle des hommes, désormais soulagés des diktats de la virilité.

Mais il faut une relève à qui tendre le flambeau. Le combat est une dynamique. Si on arrête, on est foutues. Car les droits des femmes sont toujours en danger. Soyez donc sur le qui-vive, attentives, combatives; ne laissez pas passer un geste, un mot, une situation qui attente à votre dignité. La vôtre et celle de toutes les femmes. Organisez vous, mobilisez vous, soyez solidaires. Pas seulement en écrivant "Moi aussi" sur les réseaux sociaux. C est sympathique mais ça ne change pas le monde. Or c est le défi que vous devez relever. Soyez dans la conquête. Gagnez de nouveaux droits sans attendre qu on vous les "concède". Créez des réseaux d entraide -les hommes en bénéficient depuis des lustres- et misez sur la sororité. Désunies, les femmes sont vulnérables. Ensemble, elles possèdent une force à soulever leq montagnes et convertir les hommes à ce mouvement profond.

On ne naît pas féministe, on le devient.

Genre : Histoire vraie

Quatrevingt-treize de Victor Hugo

C est un roman historique sur la période de Terreur ayant suivi la Révolution.
Si on croise Danton, Marat et Robespierre; l histoire se concentre surtout autour d un autre trio, fictif celui-là, Lantenac, Cimourdain et Gauvain.
Chacun personnifie un aspect de cette époque.
Le marquis de Lantenac, chef de file des vendéens, prêt à livrer son pays aux troupes étrangères pour restaurer la monarchie, représente l ancien régime, une noblesse de naissance mais aussi de caractère.
Cimourdain, ancien prêtre, dont la ferveur républicaine rend implacable jusqu à l inhumanité, symbolise cette Terreur fondée sur un idéal qu elle pervertit et qui s abat alors sur le pays.
Entre eux, Gauvain, vicomte terriblement visionnaire, acquis à la cause révolutionnaire, petit neveu du 1er et fils spirituel du 2e, incarne à la fois l idéal républicain allié aux valeurs morales; en un mot l avenir (tel que le conçoit alors l auteur?).
Chacun fera face à des événements qui bouleverseront grandement leurs principes et leurs priorités.
Au delà de la fresque historique portée par un souffle épique puissant, au delà du style lyrique flamboyant très hugolien, on retrouve des thèmes chers à l auteur dans ce dernier roman : comme la figure paternelle de substitution, la fascination pour l amour maternel, la confrontation des principes absolus avec la conscience ou la réalité plus relative et plus grise.
Les dialogues sont fantastiques, porteurs des visions politiques voire philosophiques des protagonistes.
Et suivre les tourments psychologiques des personnages dont les valeurs sont bousculées était tout bonnement passionnant.

Dans les derniers jours de mai 1793, un des bataillons parisiens amenés en Bretagne par Santerre fouillait le redoutable bois de la Saudraie en Astillé.

C est que c est tout de même un véritable massacrement pour l entendement d un honnête homme, répliqua le grenadier, que de voir des Iroquois de la Chine qui ont eu lrur beau père estropié par le seigneur, leur grand père galérien par le curé et leur père pendu par le roi, et qui se battent, nom d un petit bonhomme! et qui se fichent en révolte et qui se font écrabouiller pour le seigneur, le curé et le roi!

Qui fait son 1er pas use peut être ses derniers souliers.

J ai vu que vous étiez hors la loi. Qu est ce que c est que la loi ? On peut donc être dehors. Je ne comprends pas. Quant à moi, suis je dans la loi? suis je hors la loi ? Je n en sais rien. Mourir de faim, est ce être dans la loi?

C est ainsi que Paris va et vient, il est l énorme pendule de la civilisation; il touche tour à tour un pôle et l autre, les Thermopyles et Gomorrhe.

Cimourdain était une conscience pure, mais sombre. Il avait en lui l absolu. Il avait été prêtre, ce qui est grave. L homme peut comme le ciel avoir une sérénité noire; il suffit que quelque chose fasse en lui la nuit. La prêtrise avait fait la nuit dans Cimourdain. Qui a été prêtre l est.
Ce qui fait la nuit en nous peut laisser en nous les étoiles.

Cet homme avait, comme l aigle de mer, un profond calme intérieur, avec le goût du risque au dehors. Certaines natures ailées, farouches et tranquilles sont faites pour les grands vents. Les âmes de tempête, cela existe.

Cimourdain avait, dans ces temps et dans ces groupes tragiques, la puissance des inexorables. C était un impeccable qui se croit infaillible. Personne ne l avait vu pleurer. Vertu inaccessible et glaciale. Il était l effrayant homme juste.

Personne aujourd hui ne sait son nom. L histoire a de ces inconnus terribles.

L histoire a sa vérité, la légende a la sienne. La vérité légendaire est d une autre nature que la vérité historique. La vérité légendaire, c est l invention ayant pour résultat la réalité. Du reste l histoire et la légende ont le même but, peindre sous l homme momentané l homme éternel.

L épouvante qui est une sorte de colère était toute prête dans les âmes et les tanières étaient toutes prêtes dans les bois quand la république française éclata. La Bretagne se révolta, se trouvant opprimée par cette délivrance de force. Méprise habituelle aux esclaves.

Pays, patrie, ces 2 mots résument toute la guerre de Vendée; querelle de l idée locale contre l idée universelle; paysans contre patriotes.

Liberté, Egalité, Fraternité, ce sont des dogmes de paix et d harmonie. Pourquoi leur donner un aspect effrayant? Que voulons nous ? conquérir les peuples à la république universelle. Eh bien, ne leur faisons pas peur. A quoi bon l intimidation? Pas plus que les oiseaux, les peuples ne sont attirés par l épouvantail. Il ne faut pas faire le mal pour faire le bien. On ne renverse pas le trône pour laisser l échafaud debout. Mort aux rois, et vie aux nations. Abattons les couronnes, épargnons les têtes. La révolution, c est la concorde et non l effroi. Les idées douces sont mal servies par les hommes incléments. Amnistie est pour moi le plus beau mot de la langue humaine. Je ne veux verser de sang qu en risquant le mien. Du reste je ne sais que combattre, et je ne suis qu un soldat. Mais si l on ne peut se pardonner cela ne vaut pas la peine de vaincre. Soyons pendant la bataille les ennemis de nos ennemis et après la victoire leurs frères.

Dans des temps comme les nôtres la pitié peut être une des formes de la trahison.

Les sévères sont des infortunés; qui voit leurs actes les condame, qui verrait leur conscience les absoudrait.

Quel champ de bataille que l homme !
Nous sommes livrés à ces dieux, à ces monstres, à ces géants, nos pensées.
Souvent ces belligérants terribles foulent aux pieds notre âme.

Et il ne s apercevrait pas que, dans une action si énorme, entre celui qui fait et celui qui laisse faire, celui qui laisse faire est le pire, étant le lâche !

De là cet extraordinaire 93. Sous un échafaudage de barbarie se construit un temple de civilisation.

Et ces 2 âmes, soeurs tragiques, s envolèrent ensemble, l ombre de l une mêlée à la lumière de l autre.

Genre : Classique

Pachinko de Min Jin Lee

C est une saga familiale s étendant de 1910 à 1989 qui suit les membres d une famille coréenne malmenée par l Histoire.

Guerre nippo-coréenne, colonialisme japonais en Corée, statut des immigrés coréens au Japon... C est tout un pan de l Histoire, habituellement négligé, qui nous est révélé.
Instructif, plaisant, je suis restée pourtant un peu sur ma faim avec cette histoire poignante.... La faute à la plume parfois pudique au détriment du souffle épique/historique, à certains personnages qui m intrigaient mais disparaissent relativement rapidement... Pas une franche déception parce que ça reste un bon moment de lecture mais pas emportée totalement

L Histoire nous a failli, mais qu importe.

Tu vis pour le fantasme d une patrie qui n existe plus.

Remplis ton cerveau de connaissances - c est la seule forme de pouvoir que personne ne pourra jamais te reprendre.

...vivre sans miséricorde est une forme de mort

Elle ramassa ses sacs. Kyunghee l attendait à la maison.

Genre : Historique

Avec vue sur l'Arno (A Room with a View) de Edward Morgan Forster

Une jeune fille et son chaperon voyagent en Italie au début du XXe siècle. Mais un baiser furtif et le scandale menace.
E.M. Forster livre une analyse fine et pleine d humour de la Haute société anglaise du début du XXe siècle, qui n est pas sans rappeler les cercles décrits par Jane Austen, pour laquelle le souci de la bienséance s oppose à la puissance de la vérité.
J ai été transportée dans ces paysages italiens enchanteurs puis dans les landes anglaises, touchée par les scènes très visuelles et évocatrices qui me donnent envie de voir le film, agréablement étonnée par la fraîcheur qui se dégage de l ensemble.
Une excellente première approche de l oeuvre de Forster, une excellente lecture, idéale au printemps !

-La Signora n avait pas le droit de nous faire ça, dit Miss Bartlett, -non, pas le droit. Elle nous avait promis 2 chambres au midi avec vue sur le paysage, et attenantes, or, ces chambres donnent au nord, donnent au nord sur une cour, et elles sont très loin l une de l autre.

On ne vient pas en Italie chercher des suavités, on vient y chercher la vie.

Puis le charme pernicieux de l Italie agit sur elle et, au lieu d acquérir de l érudition, elle se mit à être heureuse.

Pourquoi les dames font elles si peu de ce qui est grand ? Charlotte le lui avait expliqué un jour. Les dames n étaient pas inférieures aux hommes, elles étaient différentes. Leur mission paraissait d inspirer des oeuvres plutôt que d en accomplir elles-mêmes. Indirectement, par son tact et une réputation sans tâche, une femme peut accomplir beaucoup. Qu elle se jette dans la mêlée, aussitôt la voici blâmée, méprisée et, en fin de compte, ignorée. Des poèmes ont illustré cette thèse.
Cette dame moyenâgeuse est vraiment à peu près immortelle. Morts sont les dragons, morts les preux - elle s attarde et flotte toujours dans nos brumes, châtelaine de maint château, reine encore de chants multiples au début de l ère victorienne. Il est doux de la protéger entre 2 affaires, doux de lui rendre hommage quand elle nous a fait cuire un bon dîner. Mais hélas! l angélique créature dégénère. Dans son coeur aussi se sont élevés d étranges désirs. Elle aussi s est enamouré de la violence des vents, des vastes horizons, du déroulement des mers glauques. Elle s est éveillée au royaume de ce monde; elle l a vu croulant de richesses, de beautés, de tumultes - étincelante croûte planétaire qui emprisonne le feu central et roule sans fin vers des cieux en fuite. Les hommes inspirés, disent ils, par leur dame, se promènent gaiement sur cette surface et y jouissent des rencontres les plus savoureuses, non parce qu ils sont mâles mais parce qu ils sont vivants. La châtelaine aussi voudrait bien, avant que le rideau ne tombe, dépouillant son auguste "Eternel Féminin", promener son moi éphémère.

Courage et amour!
Elle ne répondit rien. De ses pieds la pente plongeait dans le paysage et des ruisseaux, des torrents, des cataractes de violettes y coulaient, irriguant de bleu la colline, tourbillonnant au pied des arbres, se rassemblant en étangs dans les creux, et couvrant toute l herbe d une écume azurée. Nulle part pourtant cette profusion n égalait celle de la terrasse ; là était le puits jaillissant, l originelle source d où la beauté se répandait pour aller arroser la terre.
Debout sur son bord, comme un nageur qui se prépare, la jeune fille aperçut l homme bon. Mais ce n était pas l homme bon attendu, et il était seul.
Au bruit des pas George s était tourné. Un instant il la contempla comme si elle tombait du ciel. Il vit sur son visage le rayonnement de la joie; il vit les vagues de fleurs bleues battre contre sa robe. La voûte du taillis se ferma au dessus d eux; il avança rapidement et l embrassa.

L Italie, cependant, avait opéré sur la jeune fille une sorte de miracle, elle l avait mise en lumière et, ce qu il appréciait davantage encore, elle lui avait donné des ombres. Il n avait pas tardé à déceler en elle on ne sait quel mystère surprenant. Bientôt elle lui rappela ces femmes de Leonardo, moins aimées pour elles-mêmes que pour le secret qu elles nous refusent et qui est assurément étranger à cette vie terrestre.

Je pense simplement à ma théorie favorite sur Miss Honeychurch. Est il logique qu elle joue si merveilleusement et mène une vie si calme? Je soupçonne qu un jour viendra où elle vivra comme elle joue, merveilleusement. Les cloisons étanches s effondreront en elle; musique et vie se mêleront. Elle se révélera alors héroïquement bonne, héroïquement mauvaise peut être- peut être encore trop héroïque pour être dite bonne ou mauvaise.

Telle fut l étreinte. Il la considéra avec raison comme ratée. La passion devait se croire irrésistible, oublier politesse, tact et autres fléaux d une nature raffinée. Par dessus tout, elle devait aller, sans demander de permission, quand elle avait droit de passage. Pourquoi etait l incapable d agir comme un paysan, un marin - que dis je ? comme un calicot l eût sûrement fait à sa place ? Il réimagina la scène. Lucy était debout, au bord de l eau; il s élançait vers elle et la prenait dans ses bras; elle le repoussait d abord, puis cédait et le révérerait toujours dorénavant pour son attitude virile. Car il croyait que les femmes révèrent les hommes pour leur attitude virile.

Lucy était, certes, une révoltée, mais non point dans le sens où il l entendait; elle était une révoltée désirant non pas un salon plus vaste, mais l égalité auprès de l homme qu elle aimait. Car l Italie lui avait offert la plus préciseuse des possessions - celle de son âme.

Le désavantage du secret, c est qu il détruit en nous le sens des proportions puisque nous ne pouvons exprimer même son degré d importance.

La vie se raconte aisément - vivre déconcerte davantage.

A cet instant, ils pénétrèrent dans le massif et le désastre survint. On avait oublié le livre - comme s il n avait pas déjà causé assez de mal. Naturellement Cecil retourna le chercher. Naturellement, George qui était un amoureux passionné, heurta la jeune fille dans le sentier étroit.
- Non... dit elle, haletante, et reçut un second baiser.

- c est vrai, dit il, en s affaissant comme s il était soudain très las. Je suis aussi brute que lui, au fond. Ce désir de dominer les femmes, il gît très profond en nous et l homme et la femme doivent le combattre ensemble avant d entrer dans le Jardin. Mais il est vrai aussi que je vous aime - et d une façon à coup sûr meilleure que la sienne! (il réfléchit!) Oui franchement d une meilleure façon. Je désire que vous ayez vos pensées à vous, même quand je vous tiens dans mes bras.

Leur jeunesse les reprit et les enveloppa; la chanson de Phaéton disait la passion rendue, l amour atteint. Cependant, ils prenaient conscience d un amour plus mystérieux. La chanson mourut. Ils écoutèrent gronder le fleuve emportant les neiges d hiver à la Méditerranée.

Genre : Classique - Romance

La Discipline positive (Positive Discipline) de Jane Nelsen

Il s agit d un essai sur la parentalité qu on pourrait classée positive/bienveillante (même si je déteste cette assertion car la majorité des parents veulent le bien de leurs enfants y compris les partisans d une éducation plus old school).
L approche de l éducation qui y est proposée est intéressante, axée sur l échange, la coopération, et surtout ce que j ai trouvé le plus original : la reconsidération des écarts de conduite comme des opportunités d apprentissages et le type de réponses à y apporter en excluant la punition.
Les idées sont présentées avec des "outils" à mettre en pratique, ce qui est appréciable.
Mais les exemples pour illustrer les thèses soutenues et le ton (parfois limite psychologie de comptoir) ne m ont pas convaincu.
Personnellement, ça m a permis de me situer, de conforter notre position aussi.
Un livre qui ouvre la voie sur les méthodes éducatives dites alternatives, mais qui n est pas une bible non plus, plus un guide utile à picorer

Genre : Sciences humaines et sociales

Just kids de Patti Smith

C est une autobiographie centrée sur sa relation avec le photographe Robert Mapplethorpe, rencontré en 1967 et mort du SIDA en 1989.
Sexe, drogue et rock n roll donc mais pas que... Patti Smith dresse un portrait du New York des années 60-70, on y croise entre autres les étoiles filantes du rock de Jimi Hendrix à Janis Joplin, des idoles vieillissantes comme Allen Ginsberg. Elle donne vie à l effervescence culturelle de cette époque, à son bouillonnement créatif. Surtout, elle rend compte de leur détermination commune à embrasser leur destinée artistique en rappelant leurs années de vaches maigres. Couple fusionnel d abord, duo complice jusqu à la fin, leur histoire est inspirante et émouvante.

Je dormais lorsqu il est mort.

Ensemble, nous riions des enfants que nous avions été; nous jugions que j avais été une méchante fille qui s efforçait d être gentille, et lui un gentil garçon qui s efforçait d être méchant. Au fil des années, ces rôles allaient s inverser, puis s inverser de nouveau, jusqu à ce que nous arrivions à accepter notre nature double et à nous mettre en paix avec l idée que nous renfermions des principes opposés, la lumière et l obscurité.

Personne ne m attendait, tout m attendait.

C était l été de la mort de Coltrane. L été de Crystal ship. Les enfants fleurs levaient leurs bras vides et la Chine faisait exploser la bombe H. A Monterey, Jimi Hendrix mettait le feu à sa guitare. Ode to Billie Joe passait en boucle sur les grandes ondes. Des émeutes éclataient à Newark, Milwaukee et Detroit. C était l été d Elvira Madigan, l été de l amour. Et dans cette atmosphère instable, inhospitalière, le hasard d une rencontre a changé le cours de ma vie.
C est l été où j ai rencontré Robert Mapplethorpe.

J aspirai à l honnêteté mais découvrais en moi de la malhonnêteté. Pourquoi se consacrer à l art? Pour se réaliser, ou pour la beauté du geste? Ajouter au surplus semblait pure complaisance à moins d avoir à offrir une illumination.

Où est ce que ça mène tout ça ? Que va-t-il advenir de nous ? Telles étaient nos jeunes questions, et de jeunes réponses nous furent révélées.
Cela nous mène l un à l autre. Nous devenons nous-mêmes.

Cette nuit-là j étais trop excitée pour m endormir: des possibilités infinies semblaient tournoyer au dessus de ma tête. J ai fixé le plafond de plâtre, comme lorsque j étais enfant. Il m a semblé que les motifs vibratiles qui s entrecroisaient au dessus de moi trouvaient lentement leur place.
Le mandala de ma vie.

Il m avait appris que la contradiction est souvent la voie la plus évidente vers la vérité.

Abattues, la gloire tant désirée presque à portée de main, des étoiles éteintes tombaient du ciel.

L artiste recherche le contact avec la conscience intuitive qu il a des dieux, mais afin de créer son oeuvre il ne peut pas rester dans ce royaume séduisant et incorporel. Pour faire son travail, il doit retourner dans le monde réel. Il est de la responsabilité de l artiste d équilibrer la communication mystique et le labeur de la création.

Nous étions pareils à Hansel et Gretel, partis à l aventure dans la forêt noire du monde. Il y eut des tentations, des sorcières et des démons dont nous n avions jamais rêvé, il y eut des splendeurs que nous n avions que devinées.
Personne ne pouvait parler pour ces 2 jeunes êtres, ni approcher la vérité des jours et des nuits passés ensemble. Seuls Robert et moi pouvions la raconter. Notre histoire, comme il l appelait. En s en allant, il m a laissé la tâche de vous la conter.

Genre : Histoire vraie

Un, deux, trois... (One, Two, Buckle My Shoe) de Agatha Christie

Un dentiste meurt. Mais sa mort est elle un suicide ou un meurtre ?
Fausses pistes, secrets, Hercule Poirot a fort à faire car toutes les apparences sont trompeuses.
Même si cette enquête n est pas la plus connue, elle m a permis de renouer avec Agatha Christie que j adore mais que je n avais pas eu l occasion de lire depuis des années.
J ai retrouvé cette atmosphère cosy, british, de crime un peu doudou.... C est peut être ce que vendent les cosy mysteries ? et ça m a donné envie de m y mettre

Au petit déjeuner, Mr Morley ne se montra pas de la meilleure humeur qui fût.

Il est des instants humiliants dans la vie des plus grands hommes. On prétend que nul n est un héros aux yeux de son valet. A cela il est permis d ajouter que peu d hommes sont des héros à leurs propres yeux en présence de leur dentiste.
Hercule Poirot était maladivement conscient du fait.

Nous avions là un gentil petit suicide. Seulement HP prétend que c est un meurtre... tiens mordicus à ce que ce soit un meurtre... et, sacré nom de Dieu, c est bel et bien un meurtre!

19, 20: mon assiette est vide...
Et s en retourna chez lui.

Genre : Policier

Le Conseiller, tome 2 : Le pouvoir (Bring up the bodies) de Hilary Mantel

On retrouve Cromwell en éminence grise, et l Angleterre d Henri VIII après son divorce et le schisme avec la papauté.
Si le 1er tome était centré sur l ascension de Cromwell, celui-ci s articule autour de son exercice du pouvoir.
Toujours fin stratège, il n hésite pas à se salir les mains pour donner au roi ce qu il désire, au risque de se faire beaucoup d ennemis.
Et la protection de ce roi capricieux et versatile semble bien fragile...
Les événements - la chute d Anne Boleyn orchestrée par Cromwell - sont fascinants.
Mais j ai trouvé tout un peu moins bien que dans le 1er volet notamment au niveau du style si particulier dans le 1er tome peut être plus maîtrisé ici au détriment de l originalité. Sans compter la rudesse pragmatique dont fait preuve Cromwell, qui se révèle impitoyable, machiavélique (dans le sens du Prince de Machiavel).
Malgré tout j ai lu avec beaucoup d intérêt cette suite et j attends avec impatience la parution en français du dernier tome!

Ses filles tombent du ciel. Il les regarde depuis sa monture, des acres d Angleterre s étirant derrière lui; elles tombent avec leurs ailes dorées, leur regard plein de sang.

Mieux vaut ne pas mettre les gens à l épreuve, ne pas les mener au désespoir. Faites les prospérer; l abondance les rendra généreux. Les ventres pleins favorisent les bonnes manières. Le tiraillement de la famine engendre les monstres.

Voilà ce qui emporte les hommes; la fin du travail de toute une vie, l ennui à la campagne pour toute perspective: une litanie de jours, de dimanche à dimanche, tous indissociables. Que reste-t- il sans Henri ? Sans l éclat de son sourire ? C est un novembre perpétuel, une vie dans le noir.

Mais le temps de la chevalerie est révolu. Bientôt la lice sera couverte de mousse. Le temps du prêteur d argent est arrivé, le temps de l entrepreneur insolent; les banquiers parlent aux banquiers, et les rois sont leurs serviteurs.

Si un jour vous souhaitez soulager votre conscience, n allez pas voir un prêtre, venez à moi. Le prêtre vous donnera une pénitence, mais moi, je vous donnerai une récompense.

A quoi ressemble la frontière entre vérité et mensonge ? Elle est perméable et floue, car elle est pleine de rumeurs, de bavardages, d incompréhensions et de déformations. La vérité peut faire tomber les murs, elle peut hurler dans la rue; mais, à moins que la vérité ne soit plaisante, agréable et facile à aimer, elles est condamnée à ne pas voir le jour.

Lui-même a cru cela autrefois, qu il mourrait de chagrin: pour sa femme, ses filles, ses soeurs, son père et son maître le cardinal. Mais le coeur continue obstinément de battre. Vous croyez que vous ne pouvez plus respirer, mais votre poitrine voit les choses autrement, elle se soulève et retombe, émettant des soupirs. Vous devez vivre malgré vous; et pour que vous y parveniez, Dieu vous arrache votre coeur de chair et le remplace par un coeur de pierre.

Il n y a pas de fins. Si vous croyez qu il y en a, vous vous trompez quant à leur nature. Ce ne sont que des commencements. En voici un.

Genre : Historique

King Kong théorie de Virginie Despentes

Le texte tient plus du pamphlet que de l essai, avec le ton rageux caractéristique de Virginie Despentes...
On adhère... ou pas... ou pas totalement.
Mais à l heure de la récupération opportuniste des problématiques féministes, V.Despentes, pas consensuelle mais authentique, détonne par sa franchise crue.
Un bon coup de pied dans la fourmilière sur la place des femmes, le viol, la prostitution... Qu on soit d accord ou pas sur le fond et/ou la forme; ça reste percutant, bouleversant et destabilisant !

J écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché de la bonne meuf.

Parce que l idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu un homme, cette femme blanche heureuse qu on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l effort de ressembler, à part qu elle a l air de beaucoup s emmerder pour pas grand chose, je ne l ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu elle n existe pas.

Il faut de toutes façons que les femmes se sentent en échec. Quoiqu elles entreprennent, on doit pouvoir démontrer qu elles s y sont mal prises. Il n y a pas d attitude correcte, on a forcément commis une erreur dans nos choix, on est tenue pour responsables d une faillite qui est en réalité collective, et mixte.

Un bon consommateur est yn consommateur insecure.

Le viol est un programme politique précis : squelette du capitalisme, il est la représentation crue et directe de l exercice du pouvoir.

Le porno révèle crûment cet autre aspect de nous : le désir sexuel est une mécanique, guère compliquée à mettre en branle. Pourtant, ma libido est complexe, ce qu elle dit de moi ne me fait pas forcément plaisir, ne cadre pas toujours avec ce que j aimerais être. Mais je peux préférer le savoir, plutôt que tourner la tête et dire le contraire de ce que je sais de moi, pour préserver une image sociale rassurante.

Ca n est pas la pornographie qui émeut les élites, c est sa démocratisation.

Ce qui explose, quand explosent les censures imposées par les dirigeants, c est un ordre moral fondé sur l exploitation de tous. La famille, la virilité guerrière, la pudeur, toutes les valeurs traditionnelles visent à assigner chaque sexe à son rôle. Les hommes en cadavres gratuits pour l Etat, les femmes en esclaves des hommes. Au final, tous asservis, nos sexualités confisquées, fliquées, normées. Il y a toujours une classe sociale qui a intérêt à ce que les choses restent comme elles sont, et qui ne dit pas la vérité sur ses motivations profondes.

Ma puissance ne reposera jamais sur l inféodation de l autre moitié de l humanité.

Ce que les femmes ont traversé, c est non seulement l histoire des hommes, comme les hommes mais encore leur oppression spécifique. D une violence inouïe.

Vouloir être un homme ? Je suis mieux que ça. Je m en fous du pénis. Je m en fous de la barbe et de la testostérone, j ai tout ce qu il me faut en agressivité et en courage. Mais bien sûr que je veux tout, comme un homme, dans un monde d hommes, je veux défier la loi. Frontalement. Pas de biais, pas en m excusant. Je veux obtenir plus que ce qui m était promis au départ. Je ne veux pas qu on me fasse taire. Je ne veux pas qu on m explique ce que je peux faire.

Comment explique t on qu en 30 ans aucun homme n a produit le moindre texte novateur concernant la masculinité ? Eux qui sont si bavards et si compétents quand il s agit de pérorer sur les femmes, pourquoi ce silence sur ce qui les concernent ?

Il y a une révolution féministe. Des paroles se sont articulées, en dépit de la bienséance, en dépit des hostilités. Et ça continue d affluer. Mais pour l instant rien concernant la masculinité. Silence épouvanté des petits garçons fragiles.

Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l échangisme, il n est pas question d améliorer les salaires d appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s agit pas d opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l air.

Sur ce salut les filles, et meilleure route...

Genre : Sciences humaines et sociales

Sanditon (Dobbs) de Jane Austen et Marie Dobbs

Au début du XIXe siècle, Charlotte Heywood découvre la station balnéaire anglaise de Sanditon, petit havre de paix en apparence dont on decouvre les manigances et les secrets.
Une petite histoire plaisante au style et à l atmosphère au charme désuet.
L héroïne s inscrit dans la lignée des figures austenienne; fine, vive, curieuse, perfectible.
Mais la structure du texte est déséquilibrée avec les 2 premiers tiers assez anecdotiques et une fin un peu trop riche et précipitée.

Un gentleman et une dame, qui venaient de Tunbridge et se rendaient vers cette région de la côte du Sussex qui s étend entre Hastings et Eastbourne, furent amener à quitter la grand route et à s aventurer, pour une affaire personnelle, sur une voie très difficile; leur voiture versa alors qu elle gravissait péniblement une longue côté, moitié roc et moitié sable.

Genre : Classique

Passion simple de Annie Ernaux

Il s agit d un récit sur sa relation avec un homme marié, aussi bref que leur liaison, analytique sans être romantique et encore moins romancé.
Elle reste fidèle à sa recherche de sincérité dans sa retranscription sans complaisance des étapes de cette passion dévorante.
Mais, sans la dimension sociologique et/ou sociétale que portent les autres livres que j ai déjà lus d elle, j\'ai été un peu moins emballée.

Cet été, j ai regardé pour la 1e fois un film classé X à la télévision, sur Canal +.

On épuisait un capital de désir. Ce qui était gagné dans l ordre de l intensité physique était perdu dans celui du temps.

Tout ce temps, j ai eu l impression de vivre ma passion sur le mode romanesque, mais je ne sais pas, maintenant, sur quel mode je l écris, si c est celui du témoignage, voire de la confidence telle qu elle se pratique dans les journaux féminins, celui du manifeste ou du procès verbal, ou même du commentaire de texte.

J accumule seulement les signes d une passion, oscillant sans cesse entre "toujours" et "un jour", comme si cet inventaire allait me permettre d atteindre la réalité de cette passion. Il n y a naturellement ici, dans l énumération et la description des faits, ni ironie ni dérision, qui sont des façons de raconter les choses aux autres ou à soi même après les avoir vécues, non de les éprouver sur le moment.

J avais le privilège de vivre depuis le début, constamment, en toute conscience, ce qu on finit toujours par découvrir dans la stupeur et le désarroi: l homme qu on aime est un étranger.

Je vivais le plaisir comme une future douleur.

Quand j étais enfant, le luxe, c était pour moi les manteaux de fourrure, les robes longues et les villas au bord de la mer. Plus tard, j ai cru que c était la mener une vie d intellectuel. Il me semble maintenant que c est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme.

Genre : Histoire vraie

Outlander (éd. J'ai lu, intégrale), tome 05 : La croix de feu (The Fiery Cross) de Diana Gabaldon

Ce 5e tome chronique la vie du clan Fraser à Fraser s Ridge.
Avec moins d enjeux au départ, on reprend son souffle après toutes les péripéties antérieures. L histoire prend son temps... Parfois trop! La 1e partie souffre de longueurs malgré le plaisir de retrouver cette famille.
Un tome plus doux, plus calme et donc plus lent aussi.
Mais cette pause, cette accalmie est presque bienvenue, nos nerfs risquant d être mis à rude épreuve par la suite avec la guerre d Indépendance qui approche.
Malgré tout (longueurs, partis pris parfois un peu datés, romantisme parfois un peu too much), ça reste un petit plaisir coupable littéraire !

Genre : Romance - Historique

Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage (I Know Why the Caged Bird Sings) de Maya Angelou

Maya Angelou raconte son enfance (chaotique, traumatique) puis son adolescence, aux Etats Unis dans les années 30-40.
C est un témoignage marquant sur la vie d une fille noire dans le Sud ségrégationniste, dans un climat de violence et de haine raciale.
Ce climat fera naître une colère, une révolte qui, très tôt, soutiennent la quête de liberté et d affranchissement de Maya Angelou.
J ai aimé suivre son évolution, ses relations avec son frère, ses réflexions sur les injustices raciales et la construction de l identité.
Je suis moins emballée par l aspect chronique (même si elle illustre par ce biais ce qu était son quotidien).
Attention cependant multiples triggers warnings.

"Pourquoi me regardez-vous?
Je ne suis pas ici pour rester..."
Ce n était pas tant que j avais oublié, mais plutôt que je ne m appliquais pas à me souvenir.

Si grandir est pénible pour une petite fille noire du Sud, être consciente de sa non-appartenance c est la rouille sur le rasoir qui menace sa gorge.
C est une insulte superflue.

De tous les besoins ( il n y en a aucun d imaginaire) qu éprouve un enfant solitaire, celui qui doit être satisfait si l espoir doit exister, et un espoir de plénitude, c est le besoin constant d un Dieu à toute épreuve. Mon beau petit frère noir fut mon royaume sur terre.

Et puis il y eut la douleur. Une rupture et un déchirement qui mettent les sens eux-mêmes en lambeaux. Le viol d un corps de 8 ans, c est l histoire de l aiguille qui cède parce que le chameau ne le peut pas. L enfant cède parce que son corps le peut et que l esprit du violeur ne le peut pas.

Les jeunes Blancs se verraient offrir l occasion de devenir des Galilée, des Mme Curie, des Edison ou des Gauguin. Et nos garçons (les filles n étaient même pas dans le coup) essaieraient d être des Jesse Owens et des Joe Louis.
Owens et le "Bombardier noir" figuraient certes parmi les grands héros de notre univers, mais quels éducateur, dans le blanc royaume de Little Rock, pouvait s arroger le droit de décider que seuls ces 2 hommes dussent être nos modèles?

Quelle horreur que d être noire et de n avoir aucun contrôle sur ma vie. Quelle cruauté que d être jeune et déjà dressée à rester assise en silence pour écouter des accusations portées contre ma race sans aucune chance de les repousser. Nous aurions dû tous être morts. Tous crevés, me disais-je, en tas les uns sur les autres. Une pyramide de chair avec les Blancs formant la grande base, puis les Indiens avec leurs tomahawks, leurs teepees, leurs wigwams et leurs traités crétins, et les Nègres avec leurs serpillières, leurs recettes de cuisine et leurs spirituals leur sortant par les trous de nez. Les petits Hollandais auraient dû tous se casser la figure dans leurs sabots, les Français s étouffer avec leur vente de la Louisiane et les vers à soie bouffer tous les Chinois et leurs nattes idiotes. En tant qu espèce, nous étions une abomination. Tous.

ô poètes noirs, connus et inconnus, combien de fois vos souffrances vendues à la criée nous ont elles soutenues? Qui additionnera les nuits solitaires rendues moins solitaires par vos chants ou les assiettes vides rendues moins tragiques par vos légendes?
Si nous étions un peuple prompt à révéler nos secrets, nous pourrions élever des monuments pour y sacrifier à la mémoire de nos bardes. Mais l esclavage nous a guéris de cette faiblesse. Il suffira peut être de dire, en tout cas, que nous survivons en proportion directe du dévouement de nos poètes (y compris prédicateurs, musiciens et chanteurs de blues).

Il était emporté loin dans un mystère, enfermé dans l énigme que les jeunes Noirs du Sud commencent à démêler - commencent à essayer de démêler- à partir de l âge de 7 ans et jusqu à leur mort. Le casse-tête sans humour de l inégalité et de la haine.

Il m avait dit un jour que "toute connaissance est une monnaie d échange, dont la valeur dépend du marché".

Les besoins d une société déterminent son éthique et, dans les ghettos noirs américains, le héros est cet homme auquel ne sont offertes que les miettes du festin de son pays mais qui, par son astuce et son courage, devient capable de s offrir un repas de Lucullus.

"Nous sommes les victimes du plus énorme hold up du monde. La vie demande un équilibre. Rien de mal à ce que nous volions un peu maintenant."Cette opinion séduit particulièrement quelqu un qui est incapable de se mesurer légalement à ses compatriotes.

Etre abandonnée à soi-même sur la délicate corde raide de l ignorance adolescente, c est expérimenter la déchirante beauté de la pleine liberté et la menace de l éternelle indécision. Peu d êtres survivent à leur adolescence. La plupart succombent à la pression imprécise mais meurtrière du conformisme adulte. Il devient plus facile de mourir et d éviter les conflits que de soutenir une bataille permanente contre les forces supérieures de la maturité.

La femme noire est assaillie dès son âge tendre par ces forces communes de la nature, en même temps qu elle est prise entre les triples feux croisés du préjugé masculin, de l illogique haine blanche et de l absence de pouvoir noir.

Elle éteignit la lumière, je caressai doucement le corps de mon bébé et je me rendormis.

Genre : Histoire vraie

Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes

C est une sorte de "grille de lecture" de l amoureux, un enchaînement de figures pour éclairer ce personnage qu est l être amoureux.
Honnêtement, je n ai pas tout compris. C est fluide mais c est assez érudit et ça fait appel à pas mal de notions assez pointues en philo.
Etonnamment, ça n empêche pas de se reconnaître dans certains points abordés.
Cette grille de lecture est donc d autant plus intéressante qu elle permet de se questionner mais aussi d analyser des oeuvres. Un bon timing après la lecture d Aurélien !
Mais j ai été trop déboussolée par la construction du discours et par la complexité pour pouvoir dire que j ai apprécié ce texte.

La nécessité de ce livre tient dans la considération suivante: que le discours amoureux est peut-être parlé par des milliers de sujets (qui le sait?) mais il n est soutenu par personne; il est complètement abandonné des langages environnants: ou ignoré, ou déprécié, ou moqué par eux, coupé non seulement du pouvoir, mais aussi de ses mécanismes (sciences, savoirs, arts). Lorsqu un discours est de la sorte entraîné par sa propre force dans la dérive de l inactuel, déporté hors de toute grégarité, il ne lui reste plus qu à être le lieu, si exigu soit il, d une affirmation. Cette affirmation est en somme le sujet du livre qui commence.

Est atopos l autre que j aime et qui me fascine. Je ne puis le classer, puisqu il est précisément l Unique, l image singulière qui est venue miraculeusement répondre à la spécialité de mon désir.

Savoir qu on écrit pas pour l autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront pas aimer de qui j aime, savoir que l écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu elle est précisément là où tu n es pas - c est le commencement de l écriture.

Quoique dit des milliards de fois, je-t-aime est hors-dictionnaire; c est une figure dont la définition ne peut excéder l intitulé.

L interlocuteur parfait, l ami, n est il pas alors celui qui contruit autour de vous la plus grande résonnance possible?

sur les humeurs : incapable de cacher la blessure et n osant en déclarer la cause, je transige; je fais avorter le contenu sans renoncer à la forme; le résultat de cette transaction est l humeur...

Renversement historique: ce n est plus le sexuel qui est indécent, c est le sentimental - censuré au nom de ce qui n est, au fond, qu une autre morale.

Genre : Philosophie

Aurélien de Louis Aragon

Aurélien est un ancien combattant de la Grande Guerre, pas vraiment réadapté à la vie civile. Il tombe amoureux de Bérénice, l épouse d un pharmacien de province.
Leur rencontre n est pas qu une rencontre amoureuse entre 2 êtres désoeuvrés, c est comme une reconnaissance réciproque : l irrésolution et l oisiveté dépressive d Aurélien faisant écho à la nature insaisissable et fuyante de Bérénice.
Dans un style qui n a rien à envier à celui de sa poésie, Aragon fait revivre le Paris des années folles.
Il décrit hommes et femmes avec un même talent. Les 2 héros : Bérénice et son goût de l absolu, Aurélien qui n a plus goût à rien. Mais aussi le prototype du pervers narcissique, l actrice vieillissante...
Il décline le sentiment amoureux : la prise de conscience sidérée, l anticipation, mais surtout les actes manqués.
Car c est une histoire d amour "manquée", mais magnifiée par ces rendez-vous manqués. Un amour idéalisé car inabouti.
Il y aurait encore beaucoup à dire notamment sur la vision du couple qui transparaît à travers les couples établis et les autres (vision éclairée par la préface).
Il y aurait encore beaucoup à dire car c est un grand livre, dont le chapitre 36 vaut à lui seul le détour.
Le bémol pour moi : la récurrence du mot nègre.

La 1e fois qu Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide

Il y a toute sorte de gris. Il y a le gris plein de rose qui est un reflet des 2 Trianons. Il y a le gris bleu qui est un regret du ciel. Le gris beige couleur de la terre après la herse. Le gris du noir au blanc dont se patinent les marbres. Mais il y a un gris sale, un gris terrible, un gris jaune tirant sur le vert, un gris pareil à la poix, un enduit sans transparence, étouffant, même s il est clair, un gris destin, un gris sans pardon, le gris qui fait le ciel terre à terre, ce gris qui est la palissade de l hiver, la boue des nuages avant la neige, ce gris à douter des beaux jours, jamais et nulle part si désespérant qu à Paris au dessus de ce paysage de luxe, qu il aplatit à ses pieds, petit, petit, lui le mur vaste et vide d un firmament implacable, un dimanche matin de décembre au dessus de l avenue du Bois...

Ce dimanche-là, au pied de ce rideau d Apocalypse, la mince et longue bande de l avenue avec ses arbres dégarnis, ses pelouses sans gazon, ses blanches cavernes pour troglodytes millionnaires, emportait sur ses larges terre-pleins toute une écume frissonnante de promeneurs, et dans le vent des chevaux le sable meuble et le crottin de l allée cavalière faisaient devant la statue d Alphand debout dans son amphithéâtre calcaire, une ponctuation de nuages aux sabots des montures, dont chacune portait une fortune ou une ruine sur son dos.

Une aventure, ce n est rien... du moins on le croit...ca s oublie... du moins on le croit...Ce n est pas l aventure, vois tu, qui est sale...qui tâche...et pourtant... Pourtant par la suite, on y repense malgré soi, et le reste, tout le reste, l important, ce à quoi on tenait, ce qui est la vie...son véritable amour... eh bien, que veux tu, on lui en veut de durer quand le reste s est évanoui... et ce n était pas grand chose... C est lui qui est sali, c est lui...

"Je ne me marierai pas,- dit il, - parce que je suis amoureux."
Et la chose dite, il écouta descendre la pierre dans le puits. Bien droit, bien loin.(...) Il était seul, seul dans la pièce et l univers, il n écoutait plus que cet abîme en lui, il n écoutait plus que lui même, le mot lâché, le mot immense et soudain...Il venait de choisir sa route subitement. C était sans appel. Il en avait décidé. L amour. Ce serait donc l amour. C était l amour. Un bouleversement total, une agitation intérieure. L amour. L étrange nouveauté de ce mot lui serrait le coeur. Il détourna la tête et regarda le feu. Le feu, les flammes. Des détails infimes de la bûche ardente, avec une frange de cendres blanches sur le bord grillé, l intéressèrent au delà de la raison. Et très doucement il retrouva le nom, puis le visage... Bérénice...

Alors, il leva les yeux, chercha les siens, et dit : - Je vous aime..."
Elle reçut le double choc des mots et du regard. (...) Il n eut plus confiance qu en ses 3 mots, jamais prononcés, qui venaient de dépasser ses lèvres, et en ce nom qui était ce qu il avait d abord aimé en elle. Il répéta: "Je vous aime, Bérénice..."

L extraordinaire chose que l amour d un homme: si semblable, si enfantinement semblable à l amour des oiseaux et des ours, des insectes et des loups. Même quand il s agit de tout autre chose, ils ne peuvent jamais l imaginer que comme la préparation de l acte lui même, et leurs pensées sont un printemps de la forêt, ils se choisissent les couleurs de leurs plumes, exercent leurs gorges à des musiques qui ne tirent leur mélodie que de l instinct, préparent le nid, le lit ou la bauge où attirer celle qu ils jureraient leurs grands dieux n avoir jamais rêvé toucher du bout des doigts. La contradiction, l hypocrisie sont les éléments constitutifs du véritable amour, on ne pourrait les en arracher sans le tuer.

Il y a une passion si dévorante qu elle ne peut se décrire. Elle mange qui la contemple. Tous ceux qui s en sont pris à elle s y sont pris. On ne peut l essayer, et se reprendre. On frémit de la nommer: c est le goût de l absolu. On dira que c est une passion rare, et même les amateurs frénétiques de la grandeur humaine ajouteront : malheureusement. Il faut s en détromper. Elle est plus répandue que la grippe, et si on la reconnaît mieux quand elle atteint les coeurs élevés, elle a des formes sordides qui portent ses ravages chez les gens ordinaires, les esprits secs, les tempéraments pauvres. Ouvrez la porte, elle entre et s installe. Peu lui importe le logis, sa simplicité. Elle est l absence de résignation. Si l on veut, qu on s en félicite, pour ce qu elle a pu faire faire aux hommes, pour ce que ce mécontentement a su engendrer de sublime. Mais c est ne voir que l exception, la fleur monstrueuse, et même alors regardez au fond de ceux qu elle emporte dans les parages du génie, vous y trouverez ces flétrissures intimes, ces stigmates de la dévastation qui sont tout ce qui marque son passage sur des individus moins privilégiés du ciel.
Qui a le goût de l absolu renonce par là même à tout bonheur.Quel bonheur résisterait à ce vertige, à cette exigence toujours renouvelée? Cette machine critique des sentiments, cette vis a tergo du doute, attaque tout ce qui rend l existence tolérable, tout ce qui fait le climat du coeur. Il faudrait donner des exemples pour être compris, et les choisir justement dans les formes basses, vulgaires de cette passion pour que par analogie on pût s élever à la connaissance des malheurs héroïques qu elle produit.

La marque de ces journées, c était une façon de stupeur, une inconscience. Le temps s en va, comme si on avait l éternité à soi , comme si ce qui faisait son prix eût été qu on le gâchât. Pourtant, elles ont, ces journées, un ver dans le fruit: la certitude jamais oubliée de leur fin, l obsession de leur brièveté, la connaissance anticipée de cette séparation qui a le goût de l irréparable. C est extraordinaire qu elles se nichent au creux de l hiver, ce sont des journées de contraste comme on n en trouve qu au plus chaud de l été. Quand il fait si froid à l ombre, dans les montagnes, qu on oublie qu on vient d y fuir un soleil torride.

Au moins y aura-t-il dans notre amour cette consolation que rien jamais ne le fera déchoir.

Moi, je ne pense à rien d autre qu à Aurélien. Pourquoi se mentir ? A rien d autre qu à Aurélien. Pourtant c est fini, Aurélien et moi. Fini sans avoir commencé. Parce qu il aurait fallu que ce fût si beau, si grand, si parfait, pour être, simplement pour être...

Oui on sort d un amour comme on y entre, sur une décision prise; et de le constater était à Leurtillois un désappointement profond. Il était sorti de cet amour, les mains vides, et sa vie avait moins que jamais de sens.

Mais elle avait laissé pour toujours sur sa vie une nostagie dont il demeurait prisonnier.

Ce qui est mort est mort. Mais ll demeure le tombeau. Aurélien pensa qu il porterait à jamais en lui cet amour défunt comme un faix de fleurs fanées.


Il n y avait plus entre eux la jeunesse pour leur donner l illusion de cet accord merveilleux, dont l un comme l autre gardait pourtant le souvenir magnifié. Bérénice avait raison: de quoi auraient ils parlé cette nuit là? Les mots qu ils avaient vaguement attendus l un de l autre, comme des nébuleuses, se dissolvaient dans l ombre. Ces mots bouleversants qui, prononcés, auraient sonné le mensonge. Alors il valait mieux en rester là.

La lumière s était éteinte. La voix blanche de Gaston dit : " Maintenant il faut la ramener à la maison..."

Genre : Classique

Bérénice de Jean Racine

Titus, pour mon malheur, vint, vous vit, et vous plut

Madame, le seul bruit d une mort que j implore,
Vous fera souvenir que je vivais encore.

En ce moment mon coeur, hors de lui-même s oublie, et se souvient seulement qu il vous aime.

Je l aime, je le fuis. Titus m aime, il me quitte.

Genre : Classique

Docteur Sleep / Dr Sleep (Doctor Sleep) de Stephen King

On retrouve le petit Danny Torrance devenu un adulte aux mêmes tendances alcooliques que son père et charriant son lot de démons intérieurs. Nous rencontrons aussi Abra petite fille partageant le même Don que Danny, ce Don qui attire un groupe d individus malfaisants.
D abord construits en parallèle, les fils de l intrigue se rejoignent et se mêlent pour une histoire plus haletante que vraiment frissonnante, qui éclaire d un jour nouveau le roman culte qu est Shining.
Alors, oui il y a des longueurs notamment au début, oui les méchants auraient mérité un traitement plus approfondi... mais j ai quand même passé un bon moment avec Danny Torrance et la petite Abra. Je me suis quand même prise au jeu de cette suite entraînante à défaut d être indispensable, avec ses combats spirituels surprenants et sa réinterprétation originale du mythe des vampires.

La vie est une roue et elle revient toujours à son point de départ.

Genre : Horreur - Fantastique

Les Années de Annie Ernaux

Les années auxquelles se réfère le titre s étendent de 1940 à 2000, de l enfance à la vieillesse, dans ce qu Annie Ernaux nomme une "autobiographie impersonnelle". Car le projet littéraire dépasse le cadre de la classique autobiographie en ce qu elle inscrit "une existence singulière donc, mais fondue aussi dans le mouvement d une génération" pour "rendre la dimension vécue de l Histoire". Une "autobiographie impersonnelle" qui pourrait être une biographie de toute une génération (notamment de femmes) qui a connu la désapprobation du sexe hors mariage, les avortements clandestins, l émancipation, la légalisation de la pilule puis de l avortement...Mais le récit ne se limite pas aux faits de société puisque sont aussi abordés les relations familiales, sa place auprès de ses enfants, le rapport à l âge...
Le style est toujours précis, moins neutre que d habitude, malgré le ton journalistique pour saisir l air de ce temps passé, le chroniquer, le commenter.
Puiser dans l intime pour rendre compte de l universel/de l historique et inversement.
Ce projet littéraire ambitieux est une réussite, trouvant écho en moi, bien que d une génération différente.
A chaque livre d Annie Ernaux, je réalise que j aime sa voix, ce qu elle raconte et comment elle le raconte. Ca me chamboule, ça me touche et c est encore elle qui arrive à mettre en mots : ce "sentiment d exaltation et d impuissance que procure la découverte d une vérité pour soi dans un livre".

Toutes les images disparaîtront.

Et l on sera un jour dans le souvenir de nos enfants au milieu de petits-enfants et de gens qui ne sont pas encore nés. Comme le désir sexuel, la mémoire ne s arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l histoire.

Tout s effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d une table de fête on ne sera qu un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu à disparaître dans la masse anonyme d une lointaine génération.

La mémoire des autres nous plaçait dans le monde.

...capter le reflet projeté sur l écran de la mémoire individuelle par l histoire collective.

L avenir est trop immense pour qu elle l imagine, il arrivera, c est tout.

La distance qui sépare le passé du présent se mesure peut-être à la lumière répandue sur le sol entre les ombres, glissant sur les visages, dessinant les plis d une robe, à la clarté crépusculaire, quelque soit l heure de la pose, d une photo en noir et blanc.

Les signes de changements collectifs ne sont pas perceptibles dans la particularité des vies, sauf peut-être dans le dégoût et la fatigue qui font penser secrètement "rien ne changera donc jamais" à des milliers d individus en même temps.

La profusion des choses cachait la rareté des idées et l usure des croyances.

Le plus défendu, ce qu on n avait jamais cru possible, la pilule contraceptive, était autorisé par une loi. On n osait pas la réclamer au médecin, qui ne la proposait pas, surtout quand on n était pas mariée. C était une démarche impudique. On sentait bien qu avec la pilule la vie serait bouleversée, tellement libre de son corps que c en était effrayant. Aussi libre qu un homme.

A chaque moment du temps, a côté de ce que les gens considèrent comme naturel de faire et de dire, à côté de ce qu il est prescrit de penser, autant par les livres, les affiches dans le métro que par les histoires drôles, il y a toutes les choses sur lesquelles la société fait silence et ne sait pas qu elle le fait, vouant au mal être solitaire ceux et celles qui ressentent ces choses sans pouvoir les nommer. Silence qui est brisé un jour brusquement, ou petit à petit, et des mots jaillissent sur les choses, enfin reconnues, tandis que se reforment, au dessous, d autres silences.

On se retournait sur son histoire de femme. On s apercevait qu on n avait pas eu notre compte de liberté sexuelle, créatrice, de tout ce qui existe pour les hommes.

...le sentiment d exaltation et d impuissance que procure la découverte d une vérité pour soi dans un livre.

Il n y avait rien à attendre des "idéologies" et de leur "langue de bois" . La "lutte des classes", l "engagement", l opposition "capital et travail" suscitaient des sourires de commisération. A force de ne plus être utilisés, des mots paraissaient dépourvus de sens. D autres arrivaient et s imposaient pour évaluer les individus et les actes, la "performance", le "défi", le "profit". La "réussite" accédait au rang de valeur transcendante, définissait la "France qui gagne", de Paul-Loup Sulitzer à Philippe de Villiers, auréolait un type "parti de rien", Bernard Tapie.

Entre la fin de la peur d être enceinte et celle de devenir séropositive, on trouvait que le délai de tranquillité avait été court.

Une existence singulière donc, mais fondue aussi dans le mouvement d une génération. Au moment de commencer, elle achoppe toujours sur les mêmes problèmes: comment représenter à la fois le passage du temps historique, le changement des choses, des idées, des moeurs et l intime de cette femme, faire coïncider la fresque de 45 années et la recherche d un moi hors de l Histoire, celui des moments suspendus dont elle faisait poèmes à 20 ans, Solitude, etc. Son souci principal est le choix entre "je" et "elle". Il y a dans le "je" trop de permanence, quelque chose de rétréci et d étouffant, dans le "elle" trop d extériorité, d éloignement.

L anomie gagnait. La déréalisation du langage grandissait, comme un signe de distinction intellectuelle. Compétitivité, précarité, employabilité, flexibilité faisaient rage. On vivait dans des discours nettoyés. On les écoutait à peine, la télécommande avait raccourci la durée de l ennui.

A la fierté de ce que l on fait se substituait celle de ce que l on est, femme, gay, provincial, juif, arabe, etc.

Dans la vivacité des échanges, il n y avait pas assez de patience pour les récits.

Ce que ce monde a imprimé en elle et ses contemporains, elle s en servira pour reconstituer un temps commun, celui qui a glissé d il y a si longtemps à aujourd hui - pour, en retrouvant la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle, rendre la dimension vécue de l Histoire.

Aucun "je" dans ce qu elle voit comme une sorte d autobiographie impersonnelle - mais "on" et "nous" - comme si, à son tour, elle faisait le récit des jours d avant.

Sauver quelque chose du temps où l on ne sera plus jamais.

Genre : Histoire vraie

The Expanse, tome 2 : La Guerre de Caliban (The Expanse, book 2: Caliban's War) de James S. A. Corey

L équipage du vaisseau spatial, le Rossinante (^^), se retrouve embarqué au milieu d une guerre interplanétaire et cherche à aider un botaniste à retrouver sa petite fille.
Je dois avouer que progressivement, cette série de planet-opera se fait sa place dans mes sagas à lire. J avais bien aimé le 1er tome sans que ce soit un coup de coeur. Mais par les temps qui courent, je me contente volontiers d\'un chouette moment de lecture comme ce fut le cas ici.
Les complots politiques s\'accentuent autour de la protomolécule, mystérieuse et toujours plus dangereuse ...
Les personnages récurrents gagnent en profondeur et deviennent donc plus attachants. Quant aux nouveaux, ils m ont convaincu (notamment les 2 persos féminins et leur dynamique). J ai aimé qu on en apprenne enfin un peu plus sur l organisation sociétale des différentes planètes, surtout la Terre, même si j adorerai que ce soit approfondi dans les tomes suivants.
Vraiment un chouette moment de lecture !
Et puis quel cliffhanger!

- Mei ? dit Miss Carrie. Laisse ta peinture, tu veux bien ? Ta mère est là.

- Ce que nous essayons de définir, c est à quel moment l Anomalie est apparue, avant l attaque, expliqua l autre civil, un homme replet aux cheveux bruns commençant à se clairsemer.
L Anomalie : c était donc le nom qu ils lui avaient donné. On entendait presque la majuscule quand ils prononçaient le mot. Anomalie, comme pour une chose simplement inhabituelle qui se produit. Un événement sortant de l ordinaire, dû au hasard. Sans doute parce qu ils avaient tous peur de lui donner le nom qui convenait à sa véritable nature : l Arme.

C est l obstacle de base à tout écosystème artificiel, expliqua celui-ci. Au sein d un environnement évolutif normal, la diversité suffit à protéger le système tout entier quand quelque chose de potentiellement catastrophique se produit. La nature est ainsi faite. Les choses catastrophiques arrivent tout le temps. Mais rien de ce que nous créons ne possède une telle profondeur. Un élément déraille, et il n existe que quelques voies compensatoires qui s offrent pour y pallier. Elles sont vite dépassées par le phénomène, submergées, et elles entrent à leur tour en déséquilibre. Quand la voie suivante échoue à assumer son rôle, celles qui restent sont encore plus engorgées. C est un système complexe simple. C est le nom technique qu on lui donne. Et parce qu il est simple, il est sujet à l effet de cascade, et parce qu il est complexe, on ne peut pas prévoir ce qui va tomber en panne. C est statistiquement impossible.

Toute la civilisation humaine s était construite sur les ruines de ce qui l avait précédée. La vie elle même était une gigantesque improvisation chimique qui commençait par les reproductions les plus simples, croissait et s effondrait, pour croître de nouveau. La catastrophe n etait qu une partie de ce qui se produisait toujours, le simple prélude à ce qui allait suivre.

Ce n était pas la fin de toutes choses qui terrifiait Holden. C était l idée que quelque chose qui dépassait totalement l expérience humaine était en train de prendre naissance. Quoiqu il arrive par la suite, personne ne pouvait y être préparé.

- Salut, dit l inspecteur Miller. Il faut qu on parle.

Genre : Science-Fiction

Les choses humaines de Karine Tuil

Le roman nous présente d abord les Farel, figures de proue de l intelligentsia parisienne. lui journaliste vedette de l audiovisuel et elle essayiste féministe.
Ce power couple à la française est éclaboussé par le scandale quand leur fils est accusé de viol. L affaire prend un tour médiatique dans le contexte post- #metoo et le vernis social se dissout.
Qu est ce qui caractérise le viol? Le consentement? Mais aussi comment rendre la justice à l ère des tribunaux médiatiques que constituent les réseaux sociaux ? Voilà les questions que pose cet excellent roman en décrivant de façon ultra-réaliste les rouages d une procédure pénale.
D abord incisive pour décrire les protagonistes du drame, la plume perd ensuite de son mordant pour devenir plus factuelle, mais toujours précise, au fil de l instance, comme un reflet de l impartialité recherchée dans la quête de la vérité judiciaire.
J ai adoré l acuité de la représentation du procès.
J ai aussi aimé la description des répercussions sur l entourage notamment l ambivalence de la mère de l accusé partagée entre ses convictions et son amour maternel.
Mais je regrette le manque de focalisation interne pour le personnage de Mila dont le portrait est plus en surface.
Un roman que j ai trouvé passionnant, savamment mené, qui pousse à la réflexion.


La déflagration extrême, la combustion définitive, c était le sexe, rien d autre - fin de la mystification; Claire Farel l avait compris quand, à l âge de 9 ans, elle avait assisté à la dislocation familiale provoquée par l attraction irrépressible de sa mère pour un professeur de médecine rencontré à l occasion d un congrès; elle l avait compris quand, au cours de sa carrière, elle avait vu des personnalités publiques perdre en quelques secondes tout ce qu elles avaient mis une vie à bâtir: poste, réputation, famille - des constructions sociales dont la stabilité n avait été acquises qu au prix d innombrables années de travail, de concessions-mensonges-promesses, la trilogie de la survie conjugale -, elle avait vu les représentants les plus brillants de la classe politique se compromettre durablement, parfois même définitivement, pour une brève aventure, l expression d un fantasme - les besoins impérieux du désir sexuel : tout, tout de suite; elle-même aurait pu se retrouver au coeur de l un des plus grands scandales de l histoire des Etats Unis, elle avait 23 ans à l époque et effectuait un stage à la Maison Blanche en même temps que Monica Lewinsky - celle qui resterait célèbre pour avoir fait vaciller ma carrière du président Bill Clinton - et si elle ne s était pas trouvée à la place de la brune voluptueuse que le Président surnommait affectueusement "gamine", c était uniquement parce qu elle ne correspondait pas aux canons esthétiques alors en vigueur dans le bureau ovale : blonde aux cheveux tressés, de taille moyenne, un peu fluette, toujours vêtue de tailleurs-pantalons à la coupe masculine - pas son genre.

Quand elle avait appris qu elle était guérie, elle avait décidé de vivre avec l intensité que seule la conscience aiguë de sa propre mortalité rendait possible. La transformation par l épreuve - classique, attendue, mais vraie. L abdication? Pas pour tout de suite.

Quelle terrible injonction fait on à ces femmes agressées ? Taisez vous parce qu en parlant vous allez faire le jeu du fascisme. C est une erreur, et pour le combat féministe, un déshonneur. Nous dénonçons les responsables pour ce qu ils font, pas pour ce qu ils sont.

On les citait en exemple. Des modèles de stabilité. Une fiction nécessaire dans une société qui avait fait de l exhibition du bien être virtuel le baromètre de la réussite sociale.

"Une femme de ton âge et dans ta situation" (il fallait entendre une femme que la maladie avait rendue vulnérable) ne doit pas se mettre en danger, c était, en substance, ce que sa mère lui répétait, ce que la société affirmait avec une autorité lugubre, ce que la littérature même confirmait en érigeant au rand d héroïnes classiques des femmes mal mariées, que la passion amoureuse avait défaites et consumées, parfois jusqu au suicide, ce que tout, dans le paysage social, lui rappelait avec violence, mais une femme comme elle, qui avait été formée par des lectures hétéroclites, qui avait fait de son autonomie et sa liberté les engagements de toute une existence, l essence même de son travail, une femme qui avait été confrontée à la mort, parvenait rapidement à se convaincre qu il ne pouvait y avoir plus grand désastre que de renoncer à vivre et à aimer, et c est ainsi qu un matin, elle avait fait ses valises et était partie après avoir déposé sur la table du salon une carte postale représentant un paysage de montagne au dos de laquelle elle avait griffonné ces mots dont la banalité disait l urgence et la nécessité du départ, le désir d achever, de conclure vite, un coup de dague, un sacrifice sans endormir la bête, vif et tranchant, c est ainsi qu on abat : C est fini.

Depuis la naissance d Alexandre, elle se sentait ponctuellement dépassée par l ampleur des exigences qu impliquait la maternité, et notamment la plus difficile à satisfaire pour une femme qui avait placé très haut sa liberté : la disponibilité.

Elle avait découvert la distorsion entre les discours engagés, humanistes, et les réalités de l existence, l impossible application des plus nobles idées quand les intérêts personnels mis en jeu annihilaient toute clairvoyance et engageaient tout ce qui constituait votre vie.

Après avoir vu 4 ou 5 procès, elle avait la conviction que l on pouvait déterminer l état d une société au fonctionnement de ses tribunaux et aux affaires qui s y plaidaient : la justice révélait la fatalité des trajectoires, les fractures sociales, les échecs politiques - tout ce que l Etat cherchait à occulter au nom d une certaine cohésion nationale; peut être aussi pour ne pas être confronté à ses insuffisances.

Les itinéraires personnels des victimes comme des accusés étaient le plus souvent des récits plein d épouvante, matière éruptive et contagieuse, où chaque détail narratif renvoyait à la fragilité des choses; des existences tranquilles avaient soudainement basculé dans l horreur, et pendant plusieurs jours, jurés, auxiliaires de justice et juges essayaient de comprendre ce qui s était joué a un moment donné, dans la vie d un être.

La dilection avait succédé à la passion. C était ça, le véritable amour : être présent à l heure du déclin quand on avait tout connu et tout aimé d un être.

C était dans l ordre des choses. On naissait, on mourrait; entre les 2, avec un peu de chance, on aimait, on était aimé, cela ne durait pas, tôt ou tard, on finissait par être remplacé. Il n y avait pas à se révolter, c était le cours invariable des choses humaines.

Genre : Contemporain

Journal d'un vampire en pyjama de Mathias Malzieu

Il s agit, comme son titre l indique, d un journal de bord romancé que M.Malzieu a tenu pendant l année où il a découvert sa maladie et subi de lourds traitements, comprenant notamment des transfusions. C est la mutation du lutin rocker en vampire.
Ca m a beaucoup fait penser à Maintenant qu il fait tout le temps nuit sur toi.
On suit sa stupeur à l annonce, ses attentes, ses doutes, les répercussions sur ses proches.
Pourtant, le style reste toujours malicieux comme pour contrer le mauvais sort et cette fatale Dame Oclès, rendant l émotion d autant plus palpable. Un témoignage touchant, émouvant mais aussi plein d espoirs et de vie.

Je viens de traverser l enfer en stop. Le véritable enfer. Pas celui avec du feu et des types à cornes qui écoutent du heavy metal, non, celui où tu ne sais plus si ta vie va continuer.

J ai dans le coeur un feu d artifice. Véritable homme-volcan, c est de la lave qui coule dans mon sang. Je cherche le spasme électrique de la surprise. Je ne sais pas vivre autrement.

C est impressionnant de voir ces gens qu on connaît à peine vous distiller de si mauvaises nouvelles en chuchotant. L ultra-humain en réponse à la froideur carcérale d une chambre d hôpital. La taule. La tuile. Un toit tout entier qui vous dégringole sur le coin de la gueule.

J aime trop la vie pour accepter l idée de mort.

A condition de revenir au moins une fois par semaine me faire transfuser. Désormais, j aurai besoin du sang des autres pour vivre. C est officiel, je suis devenu un vampire.

Vampire en cavale recherché par les autorités médicales le long du littoral. Signalement: très blanc, tout petit, fait dy skateboard au ralenti.

Il faut que je me fasse à cette idée: rien ne sera plus jamais comme avant. Me faire sauver la vie est l aventure la plus extraordinaire que j ai jamais vécue.

Genre : Contemporain - Histoire vraie

Le Dérèglement joyeux de la métrique amoureuse de Mathias Malzieu

Un ouvrage conceptuel, entre poésie et nouvelle, agrémenté de collages photos.

Mathias Malzieu y délivre une déclaration d amour joyeuse, poétique, parfois un brin érotique, un peu folle aussi. Il nous régale encore avec une langue musicale et son univers si fantaisiste auquel répondent les images décalées de Daria Nelson, sa presque-muse.

Ecrire de la poésie résoudrait l équation du passage à l âge adulte tout en prenant soin de l enfant intérieur.
C est un vieil enfant qui a composé ce recueil, accompagné de sa presque muse.

"Je voudrais pas crever
Avant d avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux."
Boris Vian

Amusez-vous, amusez-là! Cette muse-là ne vous musellera pas.
Plus vous inventerez pour elle, plus elle vous invitera à être vous même.

Âme illuminée façon ciel étoilé,
je t explore de jour en nuit.
Fée électricité, tu as rallumé ma vie.

Tu es un générateur de poésie automatique quand ton français devient russe par accident joyeux.
Alors, s il te plaît...
Continue à faire du purée avec des anesthésiologues, fée des erreurs de conjugaison au passé compliqué car ainsi tu simplifies mon futur inconditionnel.

Ton corps est un parc d attractions
C est une chute de reins,
c est une cascade de seins,
que dis je ...
c est une avalanche de peau floconneuse!
Renarde phosphorescente déguisée en rêve
montagnes russes et rusées,
ton corps est un parc à t aime.
J ai pris le fast pass éternel à l exacte seconde de notre 1er coeurambolage.

C est la 1e fois que j enlève mes ailes pour faire l amour.
Moi aussi.

Genre : Contemporain

Circé (Circe) de Madeline Miller

Très intéressée par les mythes antiques mais en difficulté avec les textes fondateurs d Homère ou Virgile, je me suis tournée vers Circé de Madeline Miller.
Fille d un Titan, tante du Minotaure et de Médée (un de mes personnages féminins préférés), cette sorcière divine ayant cotoyé les plus grands mortels est souvent reléguée en personnage secondaire d habitude.
Elle méritait bien un meilleur traitement et c est chose faite sous la plume de conteuse de Madeline Miller. Sa réécriture imagée propose une approche intimiste audacieuse des événements appartenant aux plus grandes épopées littéraires. Et c est un pari réussi !

Quand je suis née, le mot pour désigner ce que j étais n existait pas. Ils m appelèrent donc nymphe, présumant que je serais comme ma mère, mes tantes et mes milliers de cousines.

C était ma 1e leçon. Sous la surface lisse et familière des choses, il en existe une autre, qui attend pour déchirer le monde en 2.

Durant des centaines de générations, j avais parcouru le monde, somnolente et maussade, oisive et à mon aise. Je ne laissais aucune empreinte, je n accomplissais rien. Même ceux qui m avaient un peu aimée n avaient pas eu envie de rester avec moi.
Et puis j avais compris que je pouvais infléchir le monde selon ma volonté, comme un arc se courbe pour une flèche. J aurais effectué ce labeur 1000 fois afin de garder un tel pouvoir à portée de main.

On peut apprendre à une vipère à vous manger dans la main sans pour autant lui enlever le goût de mordre.

De tous les mortels sur Terre, rares sont ceux dont les dieux entendent jamais parler. Il faut considérer l aspect pratique: le temps que nous apprenions leurs noms, ils sont déjà morts. Il faut qu ils soient des météores pour retenir notre attention. Vous qui êtes simplement bons: pour nous, vous n êtes que poussière.

Néanmoins, dans une existence solitaire, il existe des moments rares où une autre âme plonge tout près de la vôtre, comme les étoiles qui s approchent de la terre une fois par an. Pour moi, il avait été ce genre de constellations-là.

Jadis, je pensais que les dieux étaient le contraire de la mort, mais je vois maintenant qu ils sont plus morts que tout le reste, car ils sont immuables et ne peuvent rien tenir dans leurs mains.

Toute ma vie, je suis allée de l avant et, à présent, je suis ici. Si j ai une voix de mortelle, laissez moi aussi avoir le reste. Je lève à mes lèvres la coupe remplie à ras bord, et je bois.

Genre : Mythe/Mythologie

Une liste de miss.acacia

Créé le 22 janvier 2022

Edité le 22 janvier 2022

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